2000 – Soubresauts d’un inadapté

     Lundi 3 janvier, 1h du matin

Un peu haché, voire à chier, le suivi... Un 31 improvisé à Chaponost, chez une jeune femme, jaf de son état, amie de S. qui m’y avait emmené...

Quelle médiocrité dans toutes ces interventions écrites. De la piètre relation d’épiphénomènes sans intérêt. Ne suis-je pas tout simplement en cours d’affadissement, sans relief pour réagir avec puissance, créer un style sans précédent, avoir une once d’ambition en ce début de millénaire. Mes petites crottes se perdront dans le néant avant même d’avoir existé.

Dans l’introduction de la nouvelle édition du Journal de Léon Bloy, l’exégète rappelle les critiques dont fait l’objet le « genre diariste », et ce pour mieux démontrer la sublime exception bloyenne. Mon cas est bien plus simple : je suis vautré dans ces travers sans pouvoir transcender le quotidien narré sans suivi. Je devrais les faire figurer au fronton du Gâchis exemplaire ces lignes contre le Journal (intime).

Passé une bonne partie de l’après-midi du dimanche à envoyer mes vœux pour 2000 sur des cartes reproduisant des aquarelles sur Lyon. Un premier envoi d’une trentaine d’enveloppes partira aujourd’hui.

 

Mardi 4 janvier, 0h48

Le Cave se rebiffe d’Audiard berce ma nuit et je tente à nouveau la cohérence ici.

Les tempêtes nord et sud ont fait près de 90 morts en France, des arbres abattus par dizaines de millions, des dégâts (immeubles, toitures, edf, Télécom) par dizaines de milliards. A cette tragédie doit se rajouter la pollution sur les côtes françaises (l’île de Ré, comme 400 km de littoral, a été touchée). Une fin d’année entre gluant et venteux !

Cette vie file à toute allure et je semble me recroqueviller sur une bien modeste dimension. Le célibat ne m’incite pas à me battre pour dépasser une condition certes peu reluisante, mais où le confort de l’indépendance n’incline pas à changer. Je n’éprouve aucune poussée ambitieuse : je ne conduis pas, ma carrière professionnelle se réduit à peu de choses, aucune histoire sentimentale à construire en vue... me suis-je définitivement englué dans une quarantaine panoramique ?

Même Hisloc, si précieuse pour mon statut social (éditeur !) ne décolle pas, s’enlise même dans un chiffre d’affaires annuel qui ne correspond même pas au salaire d’un cadre moyen sur un an. Pitoyable !

Avant de sombrer dans l’insignifiance la plus dérisoire, j’aurais peut-être l’inspiration de laisser un témoignage de tout ce qu’il ne faut pas être. « Handicapé de la vie » disait un personnage de cinéma (réf. qui m’échappe) : cela me colle bien... Un potentiel premier impossible à faire fructifier et un contentement du médiocre. Sans doute est là l’explication que je n’attire pas les femmes de qualité, et que je ne puisse envisager une vie duale construite. Triste sort d’une solitude autodestructrice.

Le cédérom Encarta est un véritable bonheur pour la connaissance tous azimuts. Un lien avec internet peut s’opérer directement ce qui ouvre d’autant plus l’information sur tous les sujets imaginables.

Mes cartes de vœux sont parties hier... nous verrons bien les réactions... De là, je pourrais affiner mon tri des vrais et faux amis, accointances et relations... Les coupes franches risquent d’être conséquentes.

 

Mercredi 5 janvier, 0h24

Appel de Heïm pour me remercier de mes vœux laissés sur le répondeur et pour me souhaiter les siens. Ma carte n’était pas encore arrivée.

J’ai fait une deuxième vague (plus réduite) d’envois hier. [...]

Hisloc végète : mon dernier titre, malgré une bonne implantation libraires, n’a pas connu de ventes spectaculaires pour Noël. Une des causes importantes : l’absence de presse. Hormis Lyon cité (magazine mensuel de la mairie) et un passage éclair sur tlm, aucun des journaux phares du département, notamment Le Progrès de Lyon et Lyon Figaro, n’a daigné passer un article sur ma réédition d’un document exceptionnel (recommandé par Louis J., ancien président du crdp) qui concerne au premier chef la région. Lamentable snobisme ou je-m’en-foutisme régional ?

Tout comme l’absence totale (hormis l’entrefilet) de soutien financier de la mairie : face à un ouvrage sur Lyon écrit par un auteur d’origine anglaise, réédité par un ancien parisien (moi !), les lyonnais municipaux n’ont pas été sensibles au sujet...

 

Samedi 8 janvier, vers 1h30 du matin

Sombre ambiance dans le magasine de la mer de G. Pernoud, Thalassa, et ce malgré les nouveaux générique et décor. L’explication ne tarde pas : les images toujours plus révoltantes de la pollution occasionnée par Total-Fina via l’Erika, cette ruine voguante sous pavillon de cons très très déplaisants. (Malte je crois, île que l’on devrait engluer de merde...) Voir la côte sauvage (les plages et les criques du Croisic notamment) dans cet état donne la nausée et révolte au plus profond. Chapeau bas pour tous ceux qui nettoient. Ma précarité ne me permet pas le déplacement, et je le regrette bien.

Nouvelle illustration de la néfaste mondialisation hors tout cadre juridique imposé pour éviter, par exemple, les pavillons de complaisance légalement admis !

 

Mercredi 12 janvier (depuis peu !)

Cela devient habituel de délier la plume à la première heure d’une journée, juste avant de rejoindre des songes incontrôlés.

Reçu quelques gentilles réponses à mes vœux : la violoniste Violette, Hermione & Angel, Laurence & sa sœur, François C., tlm via Nadjette M... et même Madeleine Chapsal qui semble ne pas avoir retenu ma séparation avec Sandre (qui m’a également écrit). Coup de tél. de Fania P. et Sonia. Un début correct.

 

Vendredi 14 janvier, (0h et des poussières)

Ma chère Aurore (je corresponds par e-mail avec sa charmante sœur Agnella, mariée et installée aux usa) a répondu par une très gentille carte à mes vœux. Etait jointe une jolie photo d’elle (bien qu’un peu floue) tenant un bébé (de... je ne sais plus qui). Pour un premier amour, le choix s’imposait comme une muse d’exception : quel ravissant visage, des yeux d’une pétillance adorable et un sourire discrètement coquin.

Pas de nouvelles de Shue, malgré deux e-mails envoyés ainsi que mes vœux par carte. Je tenterai demain le tél.

A tous les journaux télévisés, les images effroyables des côtes françaises engluées par le pétrole. L’atteinte au patrimoine naturel devrait être sévèrement sanctionnée : la mollesse prévaut. La multinationale française Total porte, certes, une responsabilité déterminante ; mais le système des pavillons de complaisance implique la communauté internationale comme on désigne abusivement les Etats livrés à la guerre commerciale.

Je n’ai plus la hargne vengeresse des débuts... Ce Journal sent parfois la crème rance... Même sur ce plan je m’affadis... Rien, je ne laisserai rien !

11h55 : coup de grogne contre ma tronche psychologique. Je vis dans une grande ville, mouaip !, mais en fait je suis tout à fait retiré du monde. Décalage d’attardé, d’inadapté à cet enfer. Comme on s’amuse...

 

Dimanche 16 janvier, env. 3h du matin

L’habitude des quelques mots jetés, l’œil au ras de la page, pour cause de myopie sans lentilles, prend quelque consistance.

Soirée sympathique (mais sans plus) avec quelques accointances lyonnaises issues du cercle approché au jour de l’an : la boustifaille moyenâgeuse de La Table des Echevins servit de point de rassemblement. Ma conviction s’ancre : je ne dénicherai pas d’âme sœur dans ce réseau. Pas de qualité suffisante. Désespéré mais difficile, le gars !

A propos de désespoir... Je me reconnais de plus en plus dans l’attitude intellectuelle de Polac. J’attends son Journal avec impatience. Son passage chez Pivot a confirmé mes affinités : même tentation d’autocritique, de « haine de soi », même désespérance misanthropique, même « maladresse ». Mon point fort reste toutefois un authentique ratage de mon existence et un anonymat absolu. Aucune source de réjouissance pour moi, donc, alors que l’ami Polac peut afficher un beau parcours. Cela me pousse à poursuivre ces brouillonnes annotations, quitte à noircir complaisamment mon portrait.

Il m’apparaît qu’à trente ans, je suis comme retiré du monde, incertain en tout, inutile à tous. Cet ermitage lyonnais me sied bien, car il me ratatine à ma piètre valeur. Je m’achève sans difficulté.

Lorsque la franchise avec soi-même s’impose, je peux avouer que les facilités relationnelles qui combleraient mon goût de la séduction me porteraient vers les plus médiocres donzelles, mais que la trouille vaut en l’espèce garde-fou.

 

Lundi 17 janvier, vers 1h30 du matin

Déjeuner dimanche midi chez Bastien et Christana, couple que Sandre m’a fait connaître. Leur fille Nahouel (22 mois) est adorable.

Sur le parcours en métro, deux tasspê ont indirectement tenté l’amorce de drague à mon égard. Je pouvais entendre les bribes d’une fausse conversation dont le contenu devait amorcer ma réaction : « Il n’est pas mal, non ? », « Mais il a eu la varicelle ! » - probable allusion aux quelques marques sur mes joues - « Il a l’air triste », « C’est peut-être parce qu’il est seul ». Je n’ai rien relevé, trop peu d’intérêt pour ces pisseuses et rendez-vous à honorer. Pourtant, le cul se fait rare en ce moment. Je compense... Coupe franche dans les amantes, plus de nouvelles à ceux qui n’ont pas daigné répondre à mes vœux : ça éclaire bien le paysage. En tête des connards à évacuer : le susceptible Jacques D. et sa pitoyable réaction.

Les relations avec Sandre se sont bien distanciées. Dans ses délires relationnels, elle présente beaucoup moins d’intérêt amical. Qu’elle se trouve un vieux plein aux as, ce sera parfait. Moi, je m’éclipse devant cette vase répétitive.

 

Mardi 18 janvier, 0h13

Ce soir, passage éclair de ma charmante voisine, Alexia A., étudiante en architecture, des cheveux bruns épais et magnifiques, un visage plein de santé... Elle voulait vérifier par mes fenêtres (qui donnent sur la place de l’Europe) qu’une bande de jeunes postés sur le parking ne s’en prenait pas à son auto. Peut-être finira-t-elle par répondre à mes invitations lancées depuis quelques mois... Bien agréable présence en tout cas...

Le drame pour nombre de Français qui ont tout perdu avec la tempête... Un outil de travail et un passé réduits à néant en une nuit. Ces cycles de nettoyage opérés par la nature (ne parlons pas de dieu siouplaît) ont en l’espèce un caractère hautement injuste. Ces gens courageux (dans le secteur primaire si difficile en soi), désespérés, ne sachant comment repartir, tout cela émeut. Je songe au château d’Au : si la tempête avait fait plus que l’effleurer, le drame d’une destruction totale, et non plus de quelques dégâts matériels, aurait imposé sa sanction. Faudra revoir mes formulations, car je dois fricoter avec l’expression incorrecte.

Petit message d’Adriane., l’ancienne amante de Jacques, le Con royal, très touchée que je lui ai envoyé mes vœux. Je ne suis pas si détesté ou boudé à ce point : une majorité de ceux à qui j’avais expédié mes cartes ont répondu, par voie écrite ou orale. Des silences qui m’attristent cependant : Melycia C., Karen V., Aline (mais espoir encore possible, puisqu’elle réside en Angleterre, délais plus longs) ; à Lyon les couples G. et M., et Isaura M. que ma proposition de relation amant-amante n’a pas séduite.

Ce matin, coup de gueule téléphonique au siège parisien d’Institia pour obtenir les reliquats de paiement en suspens depuis octobre et aggravés avec janvier. Cela semble avoir été efficace, mais attendons de recevoir les règlements promis. Cela fait en tout cas beaucoup de bien de laisser exploser sa fureur. Comme un grand rire...

Reprise de mon travail de thèse ce soir : conversion et nettoyage des différents fichiers utiles et début de répartition des citations au sein du plan. Je dois me résoudre à en faire un peu chaque soir, et un peu plus le week-end. Le sujet me passionne, et ce serait un inadmissible gâchis de laisser filer le temps. Tout comme la tenue de ce Journal, aussi médiocre soit-il, qu’il témoigne de la seule chose que je puisse continuer à faire par pure inclination : l’écriture.

 

Mercredi 19 janvier, 0h40

Souhait réalisé, mais réserve gardée. Hier soir, Alexandra (et non Alexia) A. répond à cette vieille invitation à boire un verre chez moi. Ma voisine s’avère effectivement très charmante et la conversation sur ses techniques de dessin en architecture très agréable. J’espère que ce ne sera pas notre seule entrevue.

12h35. Je viens d’assister à un très touchant témoignage de Pierre Botton, homme d’affaires ayant passé plus de six cents jours en prison. Il relate les conditions effroyables de détention, soutenant en cela les dénonciations faites par une « femme d’exception » (selon ses termes), médecin-chef dans une des prisons françaises.

Un manifeste signé par plusieurs personnalités ayant goûté aux barreaux (dont Bob Denard) doit sortir demain dans un hebdo. Le Nouvel Obs, je crois.

Un grand moment de télévision dans le 12-13 de France 3 : une sincérité brute ce M. Botton.

 

Samedi 22 janvier, 9h29

Ai commencé le Journal (extraits choisis par Pierre-Emmanuel Dauzat) de Polac ainsi que La supplication - Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse de Svetlana Alexievitch qu’il considère comme une des œuvres majeures de la seconde moitié du XXe siècle. En effet, les témoignages des victimes de cet « accident » nucléaire sont bouleversants, prennent aux tripes et surpassent dans la sincérité et le drame transmis tout ce que j’ai pu lire jusqu'à présent, y compris les écrits des rescapés de la Solution finale. Le crime technologique, nucléaire en l’espèce, me semble pour le moins atteindre l’humanité dans sa survie même, et globale, sans substitution d’une race à l’autre, d’une caste à l’autre, comme le projetaient les quelques illuminés du XXe (Hitler, Staline and Cie) qui laisseront une trace bien plus marquante et durable dans la mémoire collective que celle des bienfaiteurs de l’humanité. Une volonté de les garder au pinacle de l’intérêt historique pour l’exemplarité ou penchant irrépressible de chacun d’entre nous pour ce qui détruit, tue, anéantit ? Une fascination morbide pour ceux capables d’atteindre l’autre dans sa chair, avec parfois en prime un don pour déstructurer l’esprit de son prochain.

 

Lundi 24 janvier, 1h05 du matin

Sérénité nocturne au cœur de Lyon pour se laisser aller au nombrilisme décrypteur.

Le décalé : ce titre me va bien. Animé par aucune ambition financière ou de détention d’un pouvoir, mais soucieux de paraître, une des nombreuses contradictions d’une personnalité tourmentée, j’assure le minimum pour que la survie ne paraisse pas trop miséreuse. L’envie de construire semble se limiter pour moi à l’opportunité d’être le témoin si possible lucide des occasions manquées. Le temps qui défile aura raison de tous mes fantasmes initiaux : point de gloriole, point de bonheur dual, et un isolement forcené pour mieux souligner mes limites. Lente autopsie existentielle, voilà une bien terrible raison d’être.

La fibre pamphlétaire ne semble même plus me transcender au regard des méfaits du monde. Est-ce pour éviter de sombrer dans l’obscénité du vieux révolté dénoncé par Bernanos ? C’est sans doute pour de moins glorieuses raisons.

Vu Sandre dimanche : elle semble aller bien, poursuivant ses pistes sentimentales, mais surtout s’apprêtant à devenir propriétaire d’un appartement dans une résidence de grand standing (avec piscine) en cours de réalisation par le même promoteur qu’au Domaine de Tassin et situé dans Lyon (cinquième). Déjeuner dans un excellent bouchon lyonnais. Nos rapports amicaux semblent parfaitement normalisés.

Elle m’a appris que Fania P. devrait s’installer avec son ami d’Afrique du Sud en Angleterre... Encore une belle demoiselle qui ne sera pas pour moi. Je n’aurai rien pour éclairer ma pitoyable vie.

 

Mardi 25 janvier, 0h30 env.

Le rendez-vous des commencements de journées se fidélise. Reste à déterminer le véritable intérêt de ces remplissages. Je songeais hier en posant ma plume, prétexte sans doute pour m’endormir plus vite, au sujet que je pourrais bien traiter si je m’engageais dans l’écriture d’un roman, ou d’une espèce approchant ce genre. Rien de bien net ne me vint, si ce n’est un penchant pour le charcutage intime plutôt que la fresque dépaysante. Pas d’évasion pour moi. J’ai choisi mon mode d’enfermement et je m’y tiens. L’histoire des tourments d’un décalé, en proie à ses incessantes contradictions, à ses minantes tergiversations, démotivé par toute idée de carrière, étranger au monde qu’il voudrait pourtant séduire dans l’instant et marquer pour quelques temps.

Voilà un projet qui m’aidera à m’endormir cette nuit.

 

Mercredi 26 janvier, 0h30 env.

Eu Monique du château au téléphone ce soir. Elle m’apprend que la vieille Belle, chienne adorable d’une douzaine d’années, est morte il y a une semaine. Une fin douce par une extinction cérébrale. De même, le mythique Gounouche d’Hermione, chat proche de vingt ans et malade depuis bien longtemps. Des pans entiers de mon existence semblent s’évanouir avec ces chers animaux. Je repense aux chiens Ouarin (qui a partagé une partie de l’épopée de Heïm), Tual si intelligent et ayant participé à tant de mes jeux lors des rosées matinales au château d’O, féroce pour les visiteurs et les faibles agressifs (berger de Beauce croisé doberman ou beauceron... cela impressionne) et d’une telle affection avec moi... Une larme, une pensée pour ces si authentiques compagnons...

 

Mardi 1er février, vers 0h30

Impression de brasser du vent en tenant ce Journal. Combler un vide d’existence qui n’a pour tout attrait que de renouveler la stagnation.

Vu dimanche (avec Laurence) un joli film américain, Sixième sens, dont l’astuce du scénario en décuple la saveur. Bruce Willis confirme sa grande pointure ; le petit garçon magnifie l’atmosphère.

r.a.s. pour le reste.

 

Jeudi 3 février

Bien curieuse existence qui anime ma vie. Soucieux de préserver cette indépendance qui me dispense de tout lien de subordination direct, je cultive une précarité ne permettant aucune construction.

Les semaines défilent : célibat et réclusion se systématisent.

 

Vendredi 4 février, 0h10 env.

Réveil prévu à six heures pour une journée chargée en cours particuliers à donner. Une activité de pis-aller qui assure mon autonomie et me permet une survie minimum. Mon isolement semble lui sans solution. Désintéressé par ceux (et surtout celles) qui s’intéressent à moi, sans intérêt pour celles qui ont ma préférence, je suis condamnée à n’être que spectateur de l’existence.

Encore une en qui je n’aurais pas dû avoir confiance : Isaura M., professeur à l’université de lettres, à qui j’ai confié mon dernier exemplaire des Boyaux et qui s’est depuis volatilisée, changeant de numéros de tél.

Attentiste, contemplatif, je ne vois pas d’issue généreuse et épanouissante à cette vie médiocre dans laquelle je me complais. La justice n’a pas besoin de m’épingler : je me suis condamné tout seul.

La supplication m’accompagne dans mes déplacements par TCL. Des témoignages qui parfois prennent littéralement aux tripes.

Internet incite à la débauche : bien plus facile de se connecter à un site pornographique (vu ce soir Kaléidoscope qui rassemble des photos de célébrités francophones (comme Adjani, Kaprisky, Caroline du Juste Prix, etc.) et étrangères (Demi Moore, des mannequins nues) qu’à un site culturel comme Gallica. Si les photos des stars et vedettes féminines apparaissent assez facilement, l’introduction aux Essais de Montaigne, dans son édition originale, peine à se dévoiler sur l’écran. La numérisation des pages (quinze millions de disponibles d’après leur accroche) favorise une rapidité d’exécution mais alourdit considérablement le transfert puisqu’elle fait de textes des images. Résultat : après trois pages demandées successivement (comprenant la couverture et la page de titre), l’ordinateur m’a informé d’un souci technique. Impossible d’aller plus en avant dans Michel de la Montagne. Dépité, je suis retourné renifler les monts mammaires et de Vénus des Béart, Cachou, Winter and Cie.

Voilà comment on fait des obsédés !

 

Samedi 5 février

Première petite escapade hivernale dans le parc de la Tête d’Or. Une journée magnifique pour sa météo, sereine pour ma psychologie. Lu quelques pages du Journal de Polac assis sur un banc vert. Ses états d’âme me touchent, mais sa sensibilité politique me laisse de marbre.

 

Dimanche 6 février, bientôt 1h du mat.

Un samedi soir de plus passé en solitaire. Une bien pauvre vie que la mienne. Démotivé pour tout, je laisse filer les années pour une mort certaine. L’âge venant, les regrets, les amertumes, les désespoirs rongés s’intensifieront.

 

Mardi 8 février, 0h17

Le réalisateur Claude Autant-Lara décédé il y a peu, France 3 diffuse sa fameuse Traversée de Paris.

Cour particulier donné en Français à une certaine Ornelle Cargeaud (en 1ère stt) qui réside à Saint-Cyr au Mont d’Or : magnifique jeune fille qui, par certaines de ses réactions, me rappelle Kate... Très attachante, mais d’un caractère probablement invivable.

Ce soir Laurence. m’a convié à l’accompagner aux victoires de la musique classique et du jazz qui se déroulent à l’Auditorium de Lyon. J’espère que le classique ne sera pas trop dominant.

Le terrorisme intellectuel sévit de plus belle en Europe après l’arrivée de Haider, de sa formation tout du moins, au gouvernement autrichien. L’hystérie gesticulatoire des pays de la cee et des Etats-Unis témoigne du diktat idéologique régnant. Le dogmatisme démocratique finira-t-il par éclater ?

J’achève dans le flou (sans lentilles)...

Les merveilleuses tirades de Gabin dans La Traversée de Paris désacralisent les poncifs de tolérance envers les modestes : là et plus encore qu’ailleurs, les médiocres pullulent. La lucidité n’empêche pourtant pas la compassion et l’aide à l’autre : aujourd’hui, j’ai fait ma b.a. en relevant un clodo boiteux et puant qui venait d’entrer dans le bus.

 

Mercredi 9 février, minuit...

Levé à six heures (du moins réveil) pour deux heures à donner en philosophie. Mes semaines défilent et mes paupières se ferment d’elles-mêmes.

Vers 18h. Annonce d’un nouveau pseudo-adoucissant terminologique. Après l’infréquentable inculpé dont le sens en langage courant avait fait un sort révélateur, la mise en examen n’a pas vraiment redoré la virginité perdue du soupçonné. La sémillante Guigou, via le corps législatif, concocte une troisième mouture, le témoin assisté. Question : est-ce vraiment un problème d’appellation ? L’inclination du voyeur lambda, le commun des mortels pour résumer, largement soutenue par le jeu de massacres des médias, porte, quelque forme que prenne la désignation, à condamner par apriorisme tout individu objet d’attentions investigatrices de Dame Justice. La prochaine étape de l’étiquetage du bougre visé devra-t-elle tenir de la fervente pré-réhabilitation ? L’innocent présumé pourrait convenir, ou mieux encore, « le pur de pur a été présumé innocent dans l’affaire x ».

L’Etat annonce une nouvelle cagnotte, selon le terme (encore !) plébiscité par Big Média, de trente milliards et quelques poussières de centaines de millions, après les vingt-quatre déjà annoncés en fin d’année dernière. Une santé économique du tonnerre qui a dépassé toutes les prévisions de rentrées fiscales. Affligeant d’entendre les politiques se chamailler sur le bon usage à faire de ce bonus : supprimer la taxe d’habitation, augmenter les minima sociaux, réduire le déficit public, aider le système de retraites, réapprovisionner les hôpitaux en personnel, ouf ouf ! On les sent bavant, essayant d’en récupérer quelques miettes au passage. Personne n’a eu le courage, le culot plutôt, de proposer ce qui arrivera sans aucun doute à une partie de la somme : grossir les fonds secrets, les caisses noires... enfin les marges de manœuvres occultes de l’Etat.

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Lyon, le 11 février 2000

Ma chère maman,

Reçu ce matin ton bouleversant courrier qui m’a tenaillé les tripes pendant toute cette journée. Preuve que je n’ai pas « fait délibérément » un choix de te « gommer ».

Avant tout, et même si le mal est ineffaçable, crois bien que je suis profondément désolé de ce manquement injustifiable [oubli de son anniversaire]. Doit-on y déceler un acte manqué susceptible d’exégèse psychanalytique ? J’espère que non.

Aucun souci de défendre ma cause ici, mais simplement de t’éclairer sur ma situation psychologique : je te livre à brut quelques extraits récents et significatifs de mon Journal. Si tes 52 ans n’augurent rien de bon, mes 30 ans ne sont pas mieux lotis, comme te le confirmeront ces quelques pages manuscrites.

Cette sale habitude de me replier sur moi, quand l’équilibre personnel chancelle, semble être la seule explication - et en aucun cas justification - à cet inexcusable oubli.

Je tiens cependant à éclaircir quelques points, puisque j’apparais comme le principal accusé, sans circonstances atténuantes : ce silence de ma part n’est en aucun cas le résultat d’un choix et d’une hiérarchisation de mon affection entre toi et mon père. Pour son anniversaire, c’est l’occasion de mon passage à Paris qui m’a permis de m’y rendre. Je n’ai pas fait spécifiquement le voyage pour cela, comme je ne me suis pas volontairement abstenu de t’appeler pour le tien.

Par ailleurs, me soupçonner d’établir une préférence, selon un critère de séduction intellectuelle dans le cadre de mes relations filiales, suppose de voir en moi un cynique terrible. Que je sois maladroit, inattentif, asocial, sans doute – j’en ai la confirmation dans mon relationnel lyonnais – mais je ne crois pas incarner un tel salaud.

À chaque fois que je viens à Paris, j’essaie au contraire de vous voir tous les deux successivement, dans la mesure des impératifs d’emploi du temps. En outre, mon contact téléphonique avec mon père n’est pas plus important (je devrais écrire moins raréfié) qu’avec toi.

Une leçon que je tire de ce triste jour, en paraphrasant un lieu commun (sur la critique des autres) : avant de se focaliser sur ses propres tourments, penser à s’intéresser à ceux de ses proches.

Si ma faute est incontestable, l’explication dans ton courrier des motivations me semble incorrecte. Je souhaitais juste témoigner en ce sens, non pour me disculper, mais pour t’apporter mon prisme d’analyse.

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Mardi 15 février, 1h du matin

Le lundi bien terne, hormis le très agréable cours donné à Ornelle Cargeaud Elle a vraiment de la Kate dans le sang, plus fine intellectuellement toutefois, et certainement mieux faite de corps. Tout cela reste fantasmatique et ne me fait rien construire. Mon semblant de vie est comme en apathie. Mon isolement (volontaire) s’accentue : désertification dans mes accointances et relations : plus grand chose ayant quelque épaisseur... plus grand chose tout court. La Saint-Valentin pour moi, c’est nib !

Nouvelle catastrophe écologique majeure en Europe de l’Est : empoisonnement par d’énormes quantités de cyanure (provenant de mines roumaines) de fleuves, rivières, etc. Toute la chaîne alimentaire risque d’être mortellement touchée. Après Tchernobyl, nouvelle folie humaine...

Ce soir, un Dossier de l’histoire sur l’extrême droite en France : toujours les mêmes analyses, les mêmes stigmatisations, mais avec le sentiment en plus de parler d’un mouvement en passe de marginalisation suite aux éclatements divers. En revanche, une approche intéressante de l’antisémitisme présent jusque chez Gide ou Bernanos. Et tout mon univers littéraire : Céline, Rebatet, Brasillach, Léautaud, Drumont, Gobineau, Figuéras, Brigneau, Bardèche...

 

Mercredi 16 février, 1h du matin env.

Fidèle insomnie très provisoire et contrôlée pour gratter mon quadrillé.

Caractère de Yo-Yo de plus en plus. Mes résolutions se brisent face au total désintérêt pour la construction d’un projet de vie. Mener cela pour quoi, pour qui ? N’ayant que moi-même comme compagnon de route, je n’aspire plus à rien. Un nihilisme avachi et sans volonté de puissance.

En revanche, une détermination physique qui se renforce (je n’ai plus rien à perdre en quelque sorte, si ce n’est ma dignité, mon honneur...) et qui m’éloigne de toute appréhension d’un éventuel affrontement avec un casse-burnes. A un connard visiblement éméché, la bouteille dans une main, la cigarette dans l’autre, le tout dans un wagon de métro, j’ai demandé l’extinction des feux. Refus décontracté du branleur : aux diverses conneries qu’il marmonnait, je lui répondis que les tripes, moi, je les bouffais directement et je lui demandai s’il n’avait jamais désorbité un œil. Je sentais les regards ahuris des voyageurs. Pour moi, le cran suivant de la détermination sera d’annoncer clairement les voies possibles au fumailleur : il s’exécute ou je le tue, avec calme et satisfaction.

 

Samedi 19 février, 1h15 du matin

Et si mon existence devait se réduire à ce défilement monotone des semaines, de cours en cours, sans aucune possibilité d’envisager une quelconque construction, la survie précaire étant l’unique et piètre obsession.

Autre solution, ou terrible confirmation de l’inéluctable avachissement en cas d’inaboutissement : se lancer dans l’écriture d’un récit atypique, avec un ton et un style inédit, dérangeant, sur le fil du rasoir. Mais quoi raconter : mes tourments, mes contradictions, la torturante destinée d’un homme ordinaire ?

Ce style, pourrait-il correspondre à une précision déjantée : non point le dégraissage des phrases réduites à une plate inconsistance, mais une exacerbation épurée d’un langage cinglant et imparable.

 

Dimanche 20 février, vers 1h15 du mat.

Un nouveau samedi soir en tête-à-tête avec mes zigues... me partageant entre Colombo (notre si attachant lieutenant de L.A.), internet et quelques corrections sur la thèse de Sandrine pour pouvoir imprimer une version correcte.

Je dois la voir cette après-midi, ainsi que la charmante Fania P. (qui s’exile à Londres avec son fiancé en septembre prochain).

Passage en coup de vent au château d’Au le deuxième week-end de mars pour les tâches fiscales annuelles.

Fréquence Jazz berce cet éveil forcé devant les petits carreaux du cahier... Je ne vais plus lutter, l’urgence d’écrire étant bien retombée.

 

Mercredi 23 février, sans doute minuit...

Une source de satisfaction pour mes cours particuliers : une élève que je suis, Julie K., jolie liane bien vive, et que j’avais aidée pour le commentaire d’un extrait de Tropisme (N. Sarraute) a été notée 18/20, une première pour son professeur qui a indiqué sur sa copie « Devoir remarquable ». Son bonheur et sa gratitude envers moi (comme de la part de sa maman) m’ont comblé.

Ce soir, lecture partagée entre deux diaristes : Polac et Léautaud, l’un et l’autre me nourrissant à des niveaux très différents. Polac par une identité de certaines réactions ; Léautaud pour la sérénité gouailleuse de ses notations.

Peu de rapport passionnel pour la lecture qui m’inclinerait à dévorer un ouvrage sans pouvoir le lâcher. Démarche contraire chez moi : j’en commence une dizaine en même temps, puis je les déguste lentement, sur des périodes parfois très longues (le Journal littéraire de Léautaud commencé en 1988 ou 89, je n’en suis qu’au volume XIII), comme un alcool fort. Peut-être qu’une simple fainéantise de l’esprit.

 

Samedi 27 février

Une fois de plus, le célibat a fait son œuvre. Déjà peu convivial par nature, l’isolement lyonnais n’arrange rien.

Pour ne pas me complaire dans le ressassement bougonneur, je me décide pour une toile au cinéma le plus proche. Seul film non vu et pouvant capter quelque attention dans une visée distrayante, Toy Storie 2 (le premier avait été vu avec Karl à Laon, il me semble). Résultat : une petite dizaine de spectateurs, et tous en couple ! Je suis damné, pestiféré dans ce système social.

 

Lundi 28 février, 0h30 ?

Dans le brouillard avant l’extinction des feux. Mon samedi soir s’est ponctué de l’heureuse découverte de Toy Storie 2 (belle humanité de jouets) et par la fréquentation du malodorant First (bar et boîte).

Ce dimanche ensoleillé, promenade dans le bondé parc de la tête d’Or et rédaction sous les rayons de quelques lignes pour ma thèse. A ce rythme, je la passerai pour ma retraite (si j’y ai droit !).

Jospin va-t-il nous faire attraper quelques attentats sur le sol national après son évidente maladresse langagière ? Signe de la sanction : un des cailloux qui lui étaient adressés a atteint la tonsure naissante du premier ministre. Un point rouge en atteste.

 

Mercredi 29 février, 0h20

Illustration de l’innommable médiocrité de certains humanoïdes : Big Media TV hexagonal rapporte (avec une complaisance amusée et bienveillante) que quelques tarés se sont présentés devant un grand magasin autrichien à poil pour être l’un des cinq premiers à recevoir un bon d’achat de deux mille francs pour récompenser leur insondable connerie à piétiner. Voilà les dangereux qui mettent en péril l’intégrité humaine et non le bellâtre Haider.

Bougrement édifiant en tout cas du décervelage de ces pitoyables actants de la société de consommation.

 

Mercredi 1er mars, entre minuit et 1h

Suivi mardi après-midi les questions d’actualité à l’Assemblée nationale. Jospin sur la sellette, après avoir été « caillassé » (selon son expression) lors de son passage en Palestine, s’est plutôt bien sorti de l’épreuve. Une force de conviction qui remit les attaques de l’opposition à leur piètre dimension. Entre autres arguments jospiniens de bon aloi : la référence à la période de cohabitation 86-88 avec J. Chirac dans le rôle de premier ministre et qui marcha bien plus souvent sur les plates-bandes de la politique étrangère sans rechigner à entrer en conflit avec le chef de l’Etat, le tacticien feu Fanfan Mité.

Juppé glissa malicieusement lors de sa question, presque tendre, qu’il avait l’expérience de gourderies comme ancien premier ministre et qu’il comprenait l’optique plus généralisante des réponses de Jospin.

Oublié ma réception d’une très gentille carte de Karen V. (que je croyais fâchée) très émue par les vœux que je lui avais adressés. Par ailleurs, appel de Marine S. venant prendre de mes nouvelles. Mon relationnel à Paris était autrement plus dense que le désert lyonnais : cela vient-il de mon rapport aux autres qui a changé ou du caractère froid et impénétrable des lyonnais(es) dans leur majorité ? En tout cas, les quelques tentatives pour constituer ce relationnel par le biais professionnel (Institut Hippocus et Institia) ont échoué à chaque fois : nib, zob ! Et draguer en pleine rue ou dans les transports n’a jamais été mon truc... Alors, pendant que des myriades de couples se forment, je m’enlise dans ce célibat.

 

Samedi 4 mars, 0h15 env.

Je ne dois pas tarder à rejoindre ma petite mort, car journée très chargée en perspective, et néanmoins très agréable : 7h30 de cours particulier à quatre élèves. Deux heures consacrés à la technique du résumé d’un texte à Cécile P. (que je ne connais pas encore) ; deux heures de préparation à la synthèse de documents avec Vanessa D. (charmante chef d’entreprise) ; pour l’après-midi une heure trente de préparation à l’oral du bac de français pour mademoiselle Ornelle Cargeaud (une Kate en plus fine) ; puis deux heures de philosophie à Valérie R. (que j’avais suivie en français l’année dernière, de délicieuse compagnie avec son faux air de la comédienne américaine lancée par Pretty Woman, oubli de son nom). Sitôt fait, je prends un train direction Rumilly pour retrouver Adriane et ses copines en vue d’une soirée pétillante à Annecy. Densité rare, il me fallait l’inscrire.

 

Lundi 6 mars, 23h40

Une rareté : j’arrive à jeter quelques insipidités avant l’extinction de la journée.

Très agréable sortie nocturne à Annecy avec Adriane et deux de ses copines. Pour une fois, fréquentation des boîtes bien accompagné. Il faut croire que la fille attire la fille : le seul fait d’être entouré m’a mis sur la ligne de visée de quelques dragueuses plus ou moins allumées. Après ces défoulements tous azimuts, vers les six heures du matin, nous avons dormi, Adriane et moi, chez sa copine Nadia avec qui j’ai partagé un agréable matin charnel. Avant mon départ, quelques pas autour du splendide lac ensoleillé.

Semaine encore très chargée et, vendredi, voyage express pour le château. Heïm est à l’hôpital du Val de Grâce pour de nouveaux examens approfondis et/ou un suivi de la situation. J’appellerai pour pouvoir passer ce vendredi ou dimanche avant mon retour.

Bastien M. passait sa thèse de médecine ce soir. Sandrine devait y assister. J’étais moi, malheureusement, retenu à Hippocus de 18 à 21 heures pour la colle donnée aux étudiants de Grange-Blanche.

 

Jeudi 9 mars, tout juste minuit

Vendredi, prise d’un tgv à 6 heures du matin pour un passage rapide au château. Dimanche, halte à Paris, avant le retour dans l’antre lyonnais, visite au Val de Grâce pour visiter Heïm quelques heures.

Mon emploi du temps débordant ne me sert pas à gagner grand-chose, juste de quoi survivre. Comment qualifier cette vie que je mène... insignifiante par son manque totale de construction : ni femme, ni famille, ni ambition. Ma trinité s’enlise dans l’anéantissement programmé.

 

Lundi 13 mars, 0h30 env.

Rentré ce soir du château après avoir passé une partie de l’après-midi au Val de Grâce pour voir Heïm. Séjour à l’hôpital notamment pour tester et mettre en place le traitement par l’insuline. Heïm a également acheté le Journal de Polac et s’est retrouvé dans quelques passages, par le style et le fond.

A propos de diariste, et pour flatter mon ego, pour une fois, Heïm, a qui j’ai déclaré toujours entretenir un lien avec l’écriture, serait a priori intéressé pour publier l’intégralité de mon Gâchis exemplaire de 1991 à 1999. A trente ans, j’aurais le rare privilège d’avoir le premier tome de mon Journal pamphlétaire édité. Je vais donc m’atteler à finir de le saisir (y compris les correspondances) et à le mettre en pages.

 

Mardi 14 mars, bientôt 2 heures du matin

Mon douillet isolement lyonnais a repris. L’objectif littéraire assigné me plaît bien. J’ai sélectionné quelques correspondances intéressantes à intégrer au Gâchis.

Le Streap tease de France 3, émission diffusée malheureusement trop tard, présentait encore des figures bien sordides. Sans doute que chacun d’entre nous, saisi dans sa quotidienneté, paraît peu ragoûtant pour les autres. Je préfère de très loin ma solitude, même pesante, à tout embrigadement sentimental avec un être médiocre, à toute subordination professionnelle avilissante...

 

Samedi 18 mars, 2 heures du matin

Une surcharge de cours à donner qui n’augure pas des semaines de tout repos, à l’image de celle qui s’achève. Ce week-end, qui devra être érémitique, sera centré sur la correction des copies de Grange-Blanche, toujours en attente depuis une dizaine de jours.

Une première dans mes activités d’enseignement : la belle et longiligne Julie K. (qui a obtenu, après notre travail, un dix-huit sur vingt en commentaire littéraire) s’approche de moi, à mon arrivée, faisant mine de vouloir m’embrasser. Je commence à lui faire signe qu’elle se trompe (cela arrive par enthousiasme et plaisir de revoir quelqu’un) mais elle insiste. Je me laisse donc faire, un peu troublé ma foi pour débuter ce cours.

Passionnant de plonger dans les univers de ces élèves-jeunes femmes, par le biais d’une dualité d’un instant. Sentiment de partager un moment important alors qu’elles oublieront pour la plupart mon nom et mon visage. Revu la pétillante et magnifique Ornelle Cargeaud que j’aurais peut-être le privilège de suivre en philosophie l’année prochaine.

Le miraculé Jospin, que le pouvoir a transfiguré au point de lui redonner une bouille regardable, sans yeux globuleux et bouffissures inquiétantes, est passé chez Big Média d’Arvor, les gonades étatiques bien gonflées, pour lustrer sa pilule et distribuer les baisses fiscales à tous vents. Peu enclin à le critiquer, je peux l’avouer.

 

Dimanche 19 mars, 0h30

Chouette samedi soir en reclus : correction des copies de Grange Blanche. Une plongée dans l’analphabétisme universitaire et dans l’inanité des raisonnements. Activité tout à fait recommandée pour mon humeur délétère. Et je dois poursuivre cette tâche au petit matin. Pire que du bénévolat, du masochisme !

Je me sens foncièrement étranger au monde et à ses actants paradeurs, paumés ou h.s., et, dans le même temps, je regrette à hurler de n’avoir pu déceler ou retenir celle qui aurait été mon absolue complice, ma source d’épanouissement. En traçant ces mots, les bruits de quelques pétasses-à-tirer remontent à ma mémoire, des rires de gorge qui s’imposent telles des vomissures malodorantes. Amertume dépitée ? Sans doute, mais c’est l’ultime moyen de me sauvegarder. Signe rassurant : je m’émerveille et m’enthousiasme toujours autant devant la féminité véritable.

 

Mardi 21 mars, 0h20

Semaine de folie pour les cours particuliers : du lundi au samedi 39 heures données, hors temps de déplacement, à 25 lieux différents. La période des examens approche et les demandes se font plus pressantes. La gestion du planning relève de plus en plus du jeu de construction miné.

Institia me réserve souvent les cas particuliers et les demandes atypiques : hier, premier cours donné à un garçon de 12 ans surdoué (polyglotte, sachant lire à 3 ans, très porté vers ce qui touche à la finance). Pour la maman, il ne fait aucun doute que son Arthur aura une brillante carrière internationale. L’objectif de mes interventions : lui faire découvrir, et si possible apprécier, la littérature française sans passer par une approche scolaire. Très bon contact. A suivre...

La tête à claques au(x) sourcil(s) (se rejoignant, le pluriel semble superflu) broussailleux se fait tirer l’oreille par Jospin, Ministre Ier.

Consacré un chouia de temps à continuer la mise en pages et les corrections du Gâchis : près de 500 pages déjà rentrées sur ordinateur.

 

Dimanche 25 mars

Par le truchement administrativo-artificiel, il doit être un peu plus de trois heures du matin. L’heure d’été impose encore une fois ses deux heures de décalage avec le soleil.

Samedi soir passé à poursuivre les corrections pour les années 94 et 95. J’intégrerai quelques lettres ou mots importants.

Grande nouvelle annoncée par e-mail : Shue se marie le 9 septembre prochain à Monaco. Je suis invité à me mêler aux cent cinquante invités qui fêteront ces belles noces. La correspondance que nous entretenons par internet est des plus amicale et affective. La fidélité de notre lien m’illumine. Courant avril, j’irai passer un week-end prolongé chez elle à Paris pour l’aider à finaliser sa thèse.

Jospin s’apprête à chambouler son gouvernement aux prises, notamment, avec les revendications des « feignasses » de fonctionnaires, comme le tonitruerait Allègre (le « broussailleux » cité mardi). La tête de ce dernier, comme celles de l’effacé Sauter, de l’inconséquente Voynet (qui, enfin, pourra dégonfler) et de la masse Trautmann (gratuit, je sais, mais je jouis du peu qu’il me reste !) devraient disparaître du champ gouvernemental.

La Nadia d’Annecy, goûtée après une soirée en compagnie d’Adriane, souhaite lire mon Journal. Aïe ! je l’ai prévenue du caractère éminemment violent et désespéré de son contenu. Ce ne sera pas le pétillant jeune homme qui se fait draguer par trois minettes au cours de la soirée, mais un ours retranché dans sa psychose maniaco-dépressive.

 

Mardi 28 mars, 0h20

Côté comédie du pouvoir, Jospin a cédé à l’ostracisme nécrosé des fonctionnaires. Encore une réforme de l’enseignement qui tombe à l’eau, avec la tête, broussailleuse en l’espèce, de son initiateur. Le « remaniement gouvernemental », puisque c’est l’expression consacrée, a opéré quelques tours de passe-passe pour préparer un second souffle. De derrière les fagots, Jospin ne nous a pas vraiment sorti du neuf : le Fabius perché avec de sémillantes propositions de baisses d’impôts dans son bec au lieu et place de l’effacé Christian Sauter ; à l’éducation nationale, rien de moins que le dinosaure Lang, dont la détermination à gagner l’investiture socialiste, pour être candidat aux municipales de Paris, s’est dégonflée à la première petite hostilité de la salle. Cela promet un bon cul tendu dans ces quartiers ministériels, qu’il a d’ailleurs déjà fréquentés. Voilà un exemple d’opportunisme absolu : et il oserait encore (comme il l’avait fait avec Ruth Elkrief) reprocher aux journalistes de ne lui poser que des questions politiciennes sans aller au fond ! Le comble : son fond à lui s’arrête bien au-dessus du niveau de la mer, du côté de la girouette opportuniste.

Côté politique de la promotion : une émission assez distrayante de G. Durand (En direct ce soir) avec une belle brochette d’acteurs et de comédiens à l’occasion de la sortie du prochain film de Bertrand Blier.

 

Samedi 1er avril

0h20. Je prends ce matin à 7h36 un train pour Montpellier. Visite éclair à ma chère grand-mère, à ma mère et à Jean qui s’y trouvent depuis une semaine. Retour dès demain en voiture dans la capitale des Gaules que je leur ferai découvrir avec mon nid. A la gare, c’est mon oncle Paul, pas vu depuis deux ans, et son amie Mariette, qui m’attendront. Une brève entrevue familiale pour donner et prendre quelques nouvelles. Les vieillissements se poursuivent sans un très grand suivi de part et d’autre. J’espère que Fontès aura quelques rayons à m’offrir.

Satisfaction ce soir (hier soir plutôt) pour ma recherche de documents sur Internet. Pour aider une de mes élèves, Carole H., à finaliser son exposé en philosophie sur l’expérience du Puy-de-Dôme de Blaise Pascal, je me propose d’aller à la quête des ouvrages concernés par ce sujet très ciblé. Le site Gallica, étonnamment accessible à une heure catholique, me permet d’avoir la préface intégrale du Traité du vide et l’édition originale numérisée d’un de ses écrits scientifiques. Malheureusement, sa lettre à son beau-frère Perrier est intégrée à l’œuvre complète et commentée de La Pléiade, donc non tombée dans le domaine public, et pour cette raison inaccessible par le net.

Drame absurde, et presque comique en cela : le premier militaire français mort au Kosovo l’a été par un collègue.

 

Mardi 4 avril, 0h30 env.

Fréquence Jazz pour fond sonore, je transite par les petits carreaux avant un court sommeil.

Le passage éclair à Fontès m’a permis de voir ma grand-mère, toujours adorable mais diminuée physiquement. Etaient présents : Jean, Paul et Mariette. J’éprouve à chaque fois un pincement au cœur lorsqu’on raccompagne grand-mère à la maison de retraite. Le sentiment de percevoir dans ses yeux embués comme un adieu potentiel, comme s’il s’agissait à chaque entrevue de la dernière. Moi qui déprime si facilement, dans quel état serais-je lorsque le poids des années laissera se profiler une fin proche, immanente, prête à vous retirer du monde pour toujours ?

La correction du Gâchis se poursuit. Long et fastidieux travail de relecture, mais captivante plongée dans ces années de tourments : à la sûreté de soi succède l’effondrement lucide ou déjanté. Pour donner toute la dimension à ma relation avec Sandre, j’intégrerai dans l’année 92 les quelques lettres que je lui avais envoyées. Une complicité épistolaire à laquelle je mis fin par crainte de la voir dériver vers une autre nature. Curieux d’ailleurs de voir mon peu d’enclin à parler de Kate durant cette année, au contraire de 1991 où son omniprésence est flagrante.

Reçu aujourd’hui les trois volumes commandés de l’œuvre complète de Charles de Gaulle. Même si je n’ai pas le temps de les lire pour l’instant (j’ai déjà beaucoup d’ouvrages entamés) j’apprécie d’être entouré des auteurs que je respecte. Leur rareté les rend d’autant plus essentiels.

Bientôt l’extinction du feu électrique. Je creuse, mais je ne trouve rien à exploiter en provenance de Big Media.

 

Mardi 11 avril

La surcharge de cours tous azimuts ne me laisse plus beaucoup de répit, et les vacances de Pâques s’annoncent pour moi comme une densification du labeur.

De mon nid lyonnais, je distingue le Crayon et sa pointe clignotante. France Info express de 23h53 confirme la grève tcl qui m’impose l’annulation de trois heures de cours pour demain. En espérant que cela ne dure pas plus d’un jour. Anachronique, à trente ans sans permis, je devrais dans ce cas sortir le vélo.

Petite anecdote : l’élève Carole H., que je suis en philosophie, avait un exposé à faire sur l’expérience du Puy-de-Dôme de Pascal. Je lui recherche sur Internet le contenu de quelques écrits du touche-à-tout en rapport avec cette expérience. Sa maman retrouve, elle, un vieil ouvrage scolaire de physique qui décrit l’expérience et m’apprend qu’un de leurs voisins (dans leur maison de campagne) était un descendant de Perrier, le réalisateur de l’expérimentation pour Pascal.

Je m’effondre sur mes carreaux... impossible de continuer. A noter tout de même la grotesque gonflette de ce que Big Média a baptisé de Nouvelle Economie, laquelle regroupe les « jeunes pousses » (Start up) axées dans le domaine d’Internet. L’écroulement des cours doit angoisser plus d’un jeune entrepreneur. J’ai déjà donné !

 

Jeudi 13 avril

Les journées défilent, tendues vers la réalisation des cours tous azimuts à donner. Le sens de mon existence s’amoindrit inexorablement. Seul subsiste, peut-être, et certainement de manière très parcellaire, ce témoignage abrupte.

Dès qu’un transport m’accorde quelque durée, je la mets à profit pour corriger les premières épreuves sorties du Gâchis exemplaire. Je pointe actuellement à l’année 1994. Je maquille les noms des personnes privées que j’attaque et laisse les initiales pour celles qui ne font pas l’objet de mes foudres. En revanche, tout ce qui relève de la personnalité publique est nommé sans détours.

Bientôt minuit et demain matin levé à 5h30 pour un programme surchargé, mais compensé par une succession d’élèves charmantes : Claire J., Ornelle Cargeaud, Carole H., Marie-Clémence B. et Erwina B. Les vacances de Pâques ne s’annoncent pas plus reposantes. Je remplis mon agenda comme un puzzle complexe. Je me réserve cependant le week-end de Pâques (lundi compris) pour aller visiter ma très chère amie Shue. Peut-être mangerons-nous un soir avec Sally, Karl et sa petite amie. Notre rapport amical, avec mon iranienne préférée, certainement une des dernières vraies amies qu’il me reste, est des plus complices par e-mail.

Pour la fournée de Big Media, il me faudra l’analyser une prochaine fois.

 

Dimanche 16 avril, env. 1h du matin

Parmi les élèves que je suis, Ornelle est de loin la plus charmante et celle avec qui s’est établie la plus agréable des complicités. Sise chez ses parents à Saint-Cyr au Mont d’Or, elle m’accueille avec un enthousiaste « Bonjour Monsieur Loïc ! », « Bonjour Mademoiselle Ornelle » je lui réponds aussitôt. Elle pourrait flotter dans un sac à patates que sa pétillante féminité transparaîtrait. L’heure et demie de mon intervention défile à toute allure, et dès que je le peux (lorsque mon emploi du temps me laisse une marge de manœuvre ou que j’ai pu la placer en dernier cours) je fais du rab bénévolement, pour mon unique plaisir. A 18 ans, elle respire et exhale tout ce que j’aime chez une femme, mais je sens un caractère trempé... Je dois la voir à quatre reprises durant ces vacances de Pâques, et mardi je suis invité par la maman à rester déjeuner chez eux. Dommage que je ne sois que son professeur particulier. Le devoir avant tout.

 

Jeudi 20 avril, 23h

Demain soir, après une dernière journée de courses pour les cours, direction Paris pour rejoindre ma chère Shue. Trois jours en sa compagnie m’illuminent déjà.

 

Mardi 25 avril

Séjour fructueux et intense à Lutèce. Ma chère amie Shue m’accueille quai de Grenelle pour que je l’aide à corriger sa thèse. Sur quatre nuits, deux se déportent rue Saint-Louis en L'Isle, dans l’île Saint-Louis chez Zoa, la nièce de Sally.

Quelques explications s’imposent. Arrivé vendredi soir, je file chez Shue qui me présente son futur mari, le sympathique John, un américain vivant en Allemagne. Le samedi soir, nous retrouvons au Totem, place du Trocadéro, Karl et son amie, Sally et sa nièce. Puis, sans Shue et son fiancé, nous allons mirer la pièce Le roi cerf d’un auteur italien du XVIIIe siècle, un peu actualisée sur une scène aux décors changeant automatiquement. Lors de cette représentation, et plus exactement au cours de l’entracte, nous conversons Zoa et moi, dans la plus pétillante harmonie. Elle me propose alors de la visiter le dimanche soir pour qu’elle me montre son travail de photographe...

 

E-mail, 27 avril

Objet : De Lyon à Genève, c’est noté !!!

Et moi ma chère Shue,

Quel plaisir d'avoir pu passer ces deux jours en votre compagnie. J'ai énormément apprécié John, il est très attachant et vous allez très bien ensemble.

J'ai noté votre séjour à Genève, et je devrais être présent... Vendredi y serez-vous le soir ou le matin ?

Je n'ai pas eu un instant pour appeler l'hôtel... Cette semaine a été du délire concentré !!!

A très bientôt. Je vous embrasse.

 

Vendredi 28 avril, 0h30 env.

Totalement bâclée la tenue de ce Journal. Le remplissage trop dense ne me laisse plus assez de temps lucide. Je m’écroule lamentablement sur ma page sitôt le début d’un périple ou d’une villégiature narrés.

Pour revenir à mon séjour parisien : les deux entrevues en tête-à-tête avec Zoa n’ont pas manqué d’attraits. Le dimanche soir, elle m’avait concocté un charmant repas dans son petit appartement de l’île Saint-Louis (quel lieu agréable, avec un côté village, sans cette frénétique circulation). Après quelques détours vers ses albums de photos, je suis invité à rester dormir chez elle.

Douce découverte charnelle de cette blonde aux origines corses, d’une peau blanche et à l’intimité aux saveurs délicates. Nous renouvellerons le rapprochement un degré au-dessus le lundi soir. Je la rejoins dans son antre à minuit et demi après un passage chez mon père le midi et la poursuite du défrichage de la thèse de Shue. Des seins superbes, mais sans doute siliconés...

Je l’apprécie beaucoup, mais je ne souhaite pas me lier plus intensément. J’espère que sa posture d’indépendante célibataire lui suggérera le même état d’esprit. En arrière-pensée mesquine : trouver une lyonnaise pour ne pas avoir toutes les contraintes de la distance. J’ai déjà donné !

Ma complicité pédagogico-affective avec Ornelle semble se confirmer. A nouveau invité à partager le déjeuner de la famille hier midi, je suis convié dimanche prochain à m’associer au barbecue organisé par la sœur aînée : Ornelle sera évidemment présente et une dizaine de leurs amis.

Nos rapports de pédagogue à élève n’ont plus rien de l’empesée réserve, bien que le vouvoiement persiste. Elle semble très réceptive à mon humour (sa présence m’inspire pour le pétillement) et nous truffons nos études de textes littéraires par diverses digressions. Si elle n’était si jeune ou moi si croûton... j’exagère sans doute, certainement même : de 18 à 30 ans, cela reste très modeste comparé au 60-22 de Polac (cf son Journal). Différence de taille tout de même : si quelque chose devait exister entre Ornelle et moi, ce serait de l’ordre d’une vraie relation et non d’une passade. Je me sens potentiellement amoureux d’elle.

Avec mon voyage à Paris, j’ai relancé ma lecture de Polac. Beaucoup de correspondances avec mon Gâchis exemplaire. Je regrette cet aspect survolé que donne la sélection de passages. L’unité donnée par le fil de la vie n’existe plus.

Tchernobyl et son drame absolu refont parler d’eux : l’augmentation des cancers de la thyroïde est-elle liée au passage du nuage radioactif ? Pasqua, Barzach et le pauvre Carignon, alors ministres en charge de l’Intérieur, de la santé et de l’environnement, risquent la Haute Cour de la République pour leur négligence. A suivre...

 

Samedi 29 avril naissant

Lors de l’étude de la Lettre à Minécée avec ma charmante étudiante Valérie R., découverte du même procédé de dénigrement déformant utilisé par la chrétienté envers l’épicurisme comme les révolutionnaires de 1789 à l’égard de l’aristocratie. Pour mieux asseoir son autorité sur les fidèles, le christianisme moyenâgeux va colporter l’image d’un Epicure assoiffé de jouissances amorales. En réalité l’anti-stoïcisme veut redonner à chacun la faculté de diriger sa propre existence sans l’obsession castratrice engendrée par une ou des entité(s) divine(s) à la tutelle jugeante et à la sanction terrorisante. Epicure n’oublie pas pour autant les vertus de la sagesse, mais une sagesse dégagée des manipulateurs de la multitude bernée. Ses conceptions sur la mort et l’univers sont d’un modernisme saisissant. Par ses critiques, il répondait, au IIIe s. av. j.-c., aux dérives intégristes du christianisme, à son bien et à son mal imposés et à la remise de son destin spirituel au grand Manitou-Dieu érigé par les potentats du dogme pour mieux brider les ouailles fidèles. Un visionnaire, en somme. Epicure et Nietzsche, voilà deux esprits qui me comblent.

Très jolie réussite mélodique du dernier Daho. Moi qui achète si peu de chanteurs français, je n’ai pu résister à la belle harmonie paroles-musique de son brasier. La patte reste la même tout au long de l’album. Un doux plaisir guimauve pour moi. Ces Bashung, Daho and Cie (une coquille vide le and Cie, aucun autre nom ne me revient) je les ai entendu débuter lors de mes fantastiques années au château d’O. Chacun a bien vieilli et affirmé son style alors que moi, jeune croûton scribouilleur, je noircis en vrac ces carreaux.

Sur conseil de Bastien M., achat du Terrorisme intellectuel de Jean Sévilla paru chez Perrin. Dixième livre que je vais commencer en parallèle aux autres. Certains, comme le tome XIII du Journal littéraire de Léautaud en sont dans leur cinquième année de ma lecture. C’est de la dégustation suprême à ce point.

 

Dimanche 30 avril, 6h15

La rue Vauban ne manque pas d’animations dramatiques. Il y a quelques mois, un incendie perturbait ma nuit et ce matin, ce qui aurait dû me permettre une mini-grasse me sort du lit après un bruit de choc conséquent. Presqu’à l’angle de la rue Garibaldi et de ma rue, rencontre bruyante entre un véhicule utilitaire et la carcasse d’un bougre. Le gars semble, de loin, hébété. J’appelle le commissariat des troisième et sixième arrondissements, mais ils sont déjà au courant.

Soirée improvisée du samedi avec Fania P. : cinéma puis restaurant italien. Malgré une intoxication alimentaire quelques jours plus tôt, elle resplendit. Son voyage en Afrique du Sud, chez son amoureux Martin, ne lui a donné que des satisfactions. En septembre prochain, exil à Londres où ils s’installent. Notre très agréable soirée s’est épicée de quelques grands éclats de rire. Une complicité amicale qui confirme tout le bien que je pense d’elle. Mon projet de publication a semblé l’intéresser vivement.

Grand dimanche pour moi : je dois retrouver Ornelle, sa sœur et leurs amis dans leur antre verdoyant sur les hauteurs de Saint-Cyr (à mi-chemin du sommet). Peut-être une journée clef dans la tournure de notre lien (amical, affectif ou... plus si je rêvais).

 

Lundi 1er mai

8h45. Pas de pause pour moi : je fête le travail en allant donner à dix heures un cours au surdoué Arthur Z. Hier, un très agréable dimanche ensoleillé. Une Ornelle follette, mais toujours aussi charmante. Je doute toutefois qu’une autre forme de relation se substitue à la présente.

Après avoir eu l’histrion devenu président des Etats-Unis, le père Reagan et sa comique de femme, nous assistons aujourd’hui à un parcours inverse : Bill Clinton achève son mandat avec un petit film d’autodérision où il met en scène son désœuvrement. De la tonte à la machine à laver, le Bill à tout faire confirme ses dons pour le grotesque. Rappelons qu’il s’était essayé à la dramaturgie avec plan fixe lors de l’affaire Lewinsky. Peut-être cela a-t-il constitué le point déclencheur. En route pour une nouvelle carrière Bill, via le cirque Pinder.

 

Mardi 2 mai, 0h20

Je devais voir Sandre ce lundi, mais en fin de matinée appel de Mme Cargeaud sur mon portable alors que je rentrais du parc de la Tête d’Or. Nouvelle invitation chez eux ; j’accepte avec enthousiasme. C’est la grande passion pour moi en ce moment. Et cette Ornelle, tellement adorable, un visage si inspirant et une présence si attachante.

Après-midi au soleil radieux à corriger quelques copies Grange-Blanche, je chope mes premières rougeurs au visage. En me ramenant chez moi, Mme Cargeaud me raconte l’horreur qu’a été, en 1973, son accident de la route. Un camion brûle un feu et percute sa voiture de côté (par chance, sans ceinture de sécurité, elle est projetée de l’autre côté de l’impact, évitant ainsi le broyage). Les dégâts corporels se révèlent considérables (par exemple : bassin cassé en sept points, vessie éclatée, estomac et rate touchés, etc.). Elle reste plusieurs mois à l’hôpital avec le ventre ouvert. Elle me confie avoir songé à renoncer à se battre. A la voir aujourd’hui, on ne peut se douter de l’horreur du drame. En outre, cette courageuse miraculée a réalisé son propre miracle : avoir la belle Ornelle dix ans plus tard.

Au journal de TF1, Jean-Claude Narcy fait diffuser l’intégral du Guignol-Clinton. Que faut-il voir dans cette sitcom agrémentée de rires préenregistrés : l’exemplaire autodérision d’un président en fin de mandat ou le révélateur de la déliquescence inéluctable du pouvoir ?

 

Samedi 6 mai

Encore une soirée délicieuse de complicité et de rire chez les Cargeaud Sitôt mon dernier cours donné, je file à Saint-Cyr pour voir Ornelle jouer au basket. Impressionnant de la voir marquer un panier à cinq mètres. Retour dans la maison familiale et dîner merveilleusement improvisé vers 22h30. Une salade rafraîchissante après un potage et avant un plateau de fromages comme je les chéris. Ils semblent m’apprécier sans l’once d’une réserve, et sont aux petits soins pour moi.

Trente millions de morts : pas le chiffre de la dérive meurtrière d’un tyran déjanté, mais le bilan des décès occasionnés par des accidents de teuf-teuf devenus vroum-vroum dans le monde. A trente ans et demi je n’ai pas le permis de conduire : cela pourrait passer pour de la résistance ; en fait grande fainéantise de ma part dans ce domaine. La mécanique, les tôles bien dessinées, les chromes à faire « polir » le plus vénitien des miroirs, toutes ces sources de « mâles bandaisons » n’ont jamais suscité un quelconque désir chez moi. Un réfractaire de premier choix : né au XXe je n’ai jamais possédé d’autre moyen de locomotion que mes pieds et... un vélo !

 

Jeudi 11 mai, 0h et quelques

Une pensée pour cette chère Ornelle qui doit encore réviser ses textes pour ce jour, date de son oral blanc. Elle est passée à l’Institut Hippocus pour que je lui fasse travailler quelques textes. Quel plaisir toujours renouvelé d’être en sa compagnie. Je modère mon penchant pour elle, sinon je me déclarerais. Elle me fait des confidences...

 

Vendredi 12 mai, 0h30

La bouffonnerie politique suit son cours. Le pays va mieux, une chance pour que l’on évite de compter sur eux. La pseudo-sélection du candidat de droite pour Paris incarne le summum du ridicule qui se croit sérieux. La masculine Alliot-Marie, avec son sourire surfait et ses remarques composées et sans talent, s’illustre par une vraie gesticulation. Que pays et villes soient correctement gérés, voilà le minimum que l’on peut attendre. Pour le reste, les fantasmes feront l’affaire.

Cette chère Ornelle est précisément tombée sur le poème qu’elle chérissait et maîtrisait le mieux : Le Dormeur du Val de l’homo Rimbaud. Je suis passé vers 17h30 lui faire un petit coucou à la sortie de son lycée privé, rue Pasteur à Lyon. Au milieu de ses camarades, je me trouvais un peu croûton, je la voyais très gamine. Ne suis-je pas en train de m’illusionner sur une très improbable relation ? Et pourtant ma complicité avec elle et ses parents va croissant : la maman m’invite dès qu’une occasion se présente (je dois rester chez eux le samedi soir et tout le dimanche), elle me montre une photo géante de sa fille adorable à 12 ans ; Ornelle m’accueille mercredi soir quelques instants dans sa chambrette, elle me fait lire la première page de son Journal dimanche dernier, elle se confie à moi... Que puis-je donc représenter pour elle : grand-frère, complice bienveillant, autorité respectable ou amant potentiel ? Le cumul ne serait pas insensé. Nous nous entendons si bien, et je suis hanté par sa bouille de poupée virevoltante... Que de suppositions, d’incertitudes et peut-être d’illusions... Sans sombrer dans le carpe diem horacien, prenons et goûtons au cœur tous ces instants partagés avec elle.

Il me faut mettre un coup de collier dans la gestion d’Hisloc qui, il est vrai, est en sommeil depuis plusieurs semaines, bientôt quelques mois. L’été réveillera la bête éditoriale, s’il est encore temps, je l’espère.

 

Dimanche 14 mai

Je suis ce soir encore chez les Cargeaud. Adorablement reçu depuis samedi soir, j’ai prolongé le séjour avec leur approbation. Le père m’a tout de même lancé ce soir, avec un petit sourire : « Ça vous arrive souvent de dormir chez vos élèves ? ». Et moi de répondre, « Non, je ne pratique pas ! ». Avec Ornelle, une amicale complicité qui en restera probablement à ce stade.

Le quinquennat va sans doute être prochainement adopté pour notre Vème République. La marque de Mac-Mahon aura mis plus d’un siècle à passer de mode.

Mes contacts avec le nord s’avèrent de plus en plus clairsemés. Mon ancrage lyonnais semble irréversible, mais ne jurons pas trop tôt : les impondérables ont souvent imposé leur loi dans mon existence.

 

Mardi 16 mai

Ce soir, vers 21h30, Ornelle m’appelle sur mon portable pour me demander les derniers conseils avant son bac blanc de français à l’écrit programmé pour demain matin. Je ne sais si l’idée lui a été soufflée par sa maman ou si sa seule initiative en est la source, mais cette manifestation m’a ravi. Je ne peux me rappeler à ses souvenirs sous peine d’apparaître comme un affectif pot-de-colle. Ici, au moins, l’épanchement ne regarde que moi. Je fais ce soir un vœu pour elle et penserai fort à cette délicieuse et follette demoiselle au cours de la matinée. Je me demande ce qu’elle a pu noter sur moi dans son embryonnaire journal : simples faits, analyses ou sentiments ?

Eu hier Heïm au téléphone : une santé peu réjouissante et des affaires moroses. Je dois relancer le traitement de quelques dossiers juridiques en suspens. Le troisième vendredi de juin, je me rendrai à Chaulnes pour rencontrer maître K. comme président de la bdgn. Il procédera alors à un procès-verbal de description de la maison sise avenue Roger Salengro (surnommée la Maison blanche ou la Banque) qu’occupent actuellement Hermione et Angel et dans laquelle l’association est emphytéote. Je partirai ensuite rejoindre le château d’Au pour le week-end.

 

Mercredi 17 mai

Les Laurel et Hardy de la politique bouffonne, Pasqua et de Villiers, n’auront pas tenu bien longtemps l’apparente paix du ménage. Le gros tente le coup de rafle des pouvoirs exécutifs du mouvement ; informé du complot, le dégingandé dénonce les manœuvres et s’essaie au sourire jaune. Cette mascarade se fait sous l’appellation gaullienne de RPF. Comment peuvent-ils se prétendre les dignes héritiers du feu Général alors qu’ils ne respectent aucun devoir de réserve et que toute dignité a disparu de leur enveloppe politique ?

 

Jeudi 18 mai

Envoi par e-mail à Karl des années 91 à 93 de mon Journal pamphlétaire (titre général retenu, Un Gâchis exemplaire concernant les années 91-99). Il pourra les imprimer pour Heïm. Ce soir, poursuite des corrections sur ordinateur de l’an 94 et adjonction de quelques correspondances.

Le sérieux Balladur a lui aussi perçu la « mascarade » (terme utilisé par un député balladurien) que représente la désignation du candidat à l’élection municipale de la convoitée Lutèce.

 

Dimanche 21 mai, 1h

Une dégoûtation de tout. Je ne dois être fait que pour le néant définitif. Le monde m’incommode et je n’y serai jamais à mon aise. Vivoter en solitaire sera ma croix.

Je m’illusionne pour peau de zob. Je devrais me mouler d’un stoïcisme profond et ne m’attacher à rien.

 

Lundi 22 mai

Dimanche en fin d’après-midi, passage chez les Cargeaud pour la cueillette des cerises. Très agréable moment, notamment lorsque la follette Ornelle a délaissé ses textes d’espagnol pour s’associer à l’action. Moi planté au bas de l’échelle pour sécuriser l’assise, elle s’est risquée à braver son vertige. La maman, adorable, sachant mon goût pour les clafoutis (mon enfance au château en est emplie) s’empresse de nous en confectionner un pour le repas du soir. Avant mon départ, elle m’emballe une part et me donne une boîte bondée de cerises. Mon week-end, débuté dans la morosité solitaire, s’achève par le baume reconstituant de cette escapade à Saint-Cyr.

 

Mercredi 24 mai

Visite éclair hier soir tard de Sandre qui avait un rendez-vous pseudo-galant à Lyon. Elle me narre les dernières péripéties de sa tentative d’amorce sentimentale avec un certain Benoît. Notre conversion amicale s’avère plutôt une réussite. Par ses confidences, je me sens presque investi d’un rôle fraternel bienveillant.

Je croyais avoir assisté aux plus pitoyables bouffonneries politiques, et les pages de la dernière décennie en portent traces abondantes, mais la « mascarade » (terme en forme d’euphémisme du sympathique Tibéri) de la désignation du candidat étiqueté RPR, pour les municipales, dépasse allègrement mes échelles de mesure. Les Balladur et de Panafieu n’étaient en lice que pour la galerie médiatique et pour faire croire à un semblant de pluralisme dans la pétaudière du Ramassis Pour la Rigolade. Ils l’ont bien vite compris et se sont retirés avant l’humiliation vexatoire de se voir ravaler à l’alibi décoratif. A voir et à entendre la tête à claques d’Alliot-Marie annoncer, avec une sérénité flageolante et de parade, que le cerneux Seguin se distinguait pour être le portefaix des couleurs clownesques du RPR, on pouvait avoir des doutes sérieux sur l’apport spécifique prétendu des femmes en politique. La langue de bois de la présidente de ce parti apparaît pour le moins aussi chargée que celle des hommes.

 

Jeudi 25 mai, 0h05

Vendredi, départ pour une villégiature studieuse de trois jours à Genève : nouvelle aide à Shue pour le rédactionnel de sa thèse.

Ce jour, visite éclair à Ornelle pour l’entraîner à l’écrit et lui rappeler les outils minimum à maîtriser.

La petite grosse d’à côté est revenue. Fait chier.

 

Samedi 27 mai

Arrivé depuis vendredi soir dans l’enceinte fortifiée de gros sous, Genève. Shue et John, adorables hôtes, me convient à découvrir la ville. Alors qu’ils s’en vont choisir la bague de mariage, j’aspire les quelques rayons de l’astre sur la terrasse du Lacustre. Les moineaux règnent ici en maîtres, sans crainte de piocher les miettes et morceaux de frites des convives. A quelques centimètres de moi, une dizaine de ces petites têtes m’interrogent sur ma capacité à leur faire quelques dons. Nous tenons, pour eux, le rôle de ces gros mammifères sur lesquels des piafs s’alimentent en totale entente, selon les principes du bénéfice réciproque. Pour nous, le plaisir de les voir déguster à quatre un bout de quignon ; pour eux, un festin permanent à portée.

 

Mardi 30 mai

Découverte dans un film d’Ettore Scola d’un Gâchis, Journal d’un homme raté. Le grand Vittorio Gassman campe l’aîné d’une tribu. Son frère lui confie ce manuscrit qui se révèle « superbe » après quarante années délaissées au fond d’un tiroir. Par négligence, le personnage incarné par Gassman n’a pas jugé utile une lecture préalable. Par souci égocentrique, m’éviterais-je cet oubli regrettable ?

Les faux fracas de la tête à claques d’Alliot-Marie, avec menacettes en avant, entretiennent le champ de ruines du RPR. Le brave Tibéri ne s’en laisse pas compter et stigmatise l’absurdité d’une éventuelle décision d’exclusion. La mélasse politique torchée par Big Media parvient, avec le parti décharné du président déphasé, à la plus écœurante recette. Mouvement à gerber au plus vite.

 

Mercredi 31 mai, 0h30

Petit film scientifique sur les secrets du soleil. Magnifique découverte de l’histoire de cette quête de connaissance sur l’astre. Une mise en perspective du colosse en fusion-ébullition qui relativise tout le reste. A ces échelles, l’histoire de la terre, n’abaissons même pas l’angle à l’humaine, n’est qu’un épiphénomène. Quelle beauté saisissante que ces éruptions solaires, ces tempêtes magnétiques, ces forces incommensurables qui se déchaînent. De ce chaos, toujours recommencé, les neutrinos en nombre astronomique permettent la vie.

Une grande leçon de modestie, d’humilité lorsqu’on songe à la fragilité inouïe de notre système solaire et à l’ordonnancement du tout. Si l’humanité avait un tant soit peu l’objectif de perdurer sur une durée infinie, elle devrait s’exiler d’ici un à deux milliards d’années dans un autre système, le nôtre étant voué, après la fin en forme d’apogée du soleil, à devenir une naine blanche. Certes les durées avancées sont hors de l’échelle humaine, et semblent absurdes à évoquer. Il convient toutefois d’en être au moins conscient, ce qui fait la caractéristique de notre humanité. Impossible maîtrise, mais conscience du tout.

 

Jeudi 1er juin

9h51. Décision d’aller pousser sur mes pédales dans l’ensoleillé parc de la Tête d’Or. Je découvre la roseraie au summum de sa magnificence. L’enchantement des couleurs en fête, les pétales de chaque fleur étirent leur velours sur l’impulsion d’une luminosité sans voile, les parfums m’étourdissent, la beauté de la vie dans sa plus évidente expression. Pour parachever le tableau, un écureuil traverse l’allée sans précipitation, en harmonie avec les lieux.

11h20. Partie animaux. Face à moi, le girafon né il y a quelques temps, bien entouré par trois têtes hautes. Moment de sérénité par les gestes lents que cette famille nous offre.

19h15. De retour au bercail, rue Vauban. Cette journée était-elle marquée par les bons auspices à mon égard ? Affalé sur la pelouse des ébats dans le parc, une jeune femme, grande et belle brune, s’installe à quelques dizaines de mètres de mon emplacement. Malgré la distance, échanges de regards, visiblement je ne la laisse pas indifférente. Pessimiste de nature, je relègue cette partie de séduction visuelle aux nombreuses avortées dans l’œuf. Les circonstances semblent me donner raison lorsque je la vois faire ses affaires pour partir. Ours timide, je ne me décide pas à tenter l’abordage. Scrogneugneu, renfrogné, je m’apprête à replonger dans le Journal de Polac, lorsque je la sens s’approcher de mon territoire éphémère et me proposer, avec un grand sourire, d’aller boire un verre. L’évolution des mœurs a tout de même du bon. Echanges fructueux : commerciale de 25 ans dans le secteur de la microbiologie alimentaire, Géraldine est célibataire depuis deux mois, d’origine nantaise et déterminée à rester dans la capitale des Gaules.

Nous devons cumuler ce soir dîner et ciné. Agréable perspective.

 

Samedi 3 juin

La belle baudruche que cette soirée. Gonflée au point de négliger la méfiance de sécurité. Je devrais moins m’épancher, jouer le mystère, ne pas trop laisser entrevoir mon enclin pour la demoiselle. La charmante a dû prendre peur, à moins qu’un aspect de moi lui ait déplu. La soirée s’est pourtant excellemment passée, au point que le ciné a été annulé au profit de la conversation partagée. Des signes d’une imperméabilité toutefois, et la promesse d’un appel qui n’a pas eu lieu, m’inclinent à ce pessimisme. Nous verrons si elle se manifeste d’elle-même dans la semaine qui vient. Sinon, adieu les espoirs. Nouvelle désillusion. Je les concentre sans pareille. Peut-être une passion inconsciente.

Ornelle reçoit son petit ami ce week-end. De tous côtés, je ne peux me tourner que vers moi-même. Retour cette après-midi sur les lieux de la baudruche relationnelle, la verte des ébats, mais l’humeur maussade, prêt à embrocher à coups de lattes le premier trouduc qui s’aventurerait à me faire de l’ombre. Dans le crime et son euphémisme, la violence, la passion peut s’exprimer sans dépendance de l’autre et de ses tergiversations.

23h57. Encore quelques minutes en solitaire pour que disparaisse ce samedi soir.

Vu Fantasia 2000, cette tentative de fondre en un même mouvement la musique classique et l’imagination animée. L’entrée en matière et le dernier acte sont les plus réussis. Pour débuter, le ballet de cachalots s’étirant entre abysses pastélisés et cieux régénérés. Surprenant accord des tons musicaux et visuels ; la charge fantastique des mouvements enivre chaque parcelle qui s’anime pour une démultiplication esthétique. Pour achever les pérégrinations disneyennes, une allégorie sur la vie, la mort et la renaissance. Demoiselle la Vie, bouille angélique et tignasse enchanteresse, est confrontée aux débordements en fusion du sieur Volcan, projeteur d’incandescences mortifères. Cependant, l’espoir subsiste et la frêle sauvageonne, presque éteinte, renaît grâce à l’attention d’un cerf, témoin du cataclysme. Plongée dans la pureté qui permet de renouer avec quelques indices salvateurs.

La destination suivante est moins ragoûtante pour la transparence vertueuse : le chaudron du VIP, section bar branché, laisse tout le loisir de s’acclimater aux parades artificielles.

Si Tony Blair joue les pouponneurs de progéniture, Jospin n’a pas échappé au congrès des réformateurs, en compagnie, entre autres têtes importantes, du Bill pour rire et du Schroeder pour cracher. Le tableau des sérieux de la classe semble totalement inutile pour la marche capotante de l’humanité. Tour de cirque, tout au plus, avec luxe de moyens pour tenter de crédibiliser la réunion.

Le fric, quoi qu’en disent les bons esprits, reste toujours le meilleur ouvreur de donzelles. En ce lieu, à 0h34, les odeurs d’infatués remontent ; ça renifle le gras-double content de lui parce que bien entouré.

Ma triste compagnie décourage certainement, et l’impossible rayonnement financier me voue immanquablement au néant sentimental. Je juge l’alentour, voilà ma seule ch’tite médaille.

L’affaire Géraldine me pèse encore. Pourquoi cette déficience d’honnêteté : me fixer nettement les points de repoussoir. Je dois être le seul, dans ce bar, à n’avoir que moi pour interlocuteur. Je ne cherche pourtant pas l’originalité à tout prix. Ma croix se niche dans cette perdition en solitaire. Le déphasage, une maladie psychique ? L’inadaptation aiguë ronge mes jours. Les simagrées de chacun, le cinéma de chacune renforcent mon détachement. Mon masque de haine ne peut en aucun cas susciter un intérêt.

Il me faudrait profiter de cet imparable isolement pour triturer le mot, faire naître une forme d’expression jamais expérimentée, souiller toutes les excavations digressives et charcuter avant tout.

La devise du cloaque : « Ne vous affligez pas de n’être connu de personne mais travaillez à vous rendre digne d’être connu... ». Le comble du petit snobisme local à la parade prétendument importante. Je réponds tout de go : ne vous enorgueillissez pas d’être connu de la plupart... c’est du pur pipeau d’enculage. L’outre-tombe me convient mieux.

 

Lundi 5 juin

Une sacrée pétasse, l’illusionneuse du parc ! Dépité ? Oui je le suis et je m’étale en ronchonnements.

Ce soir, le chiqué Chirac a joué au Gardien des Institutions devant les deux têtes du Big Media Vingt Heures, Poivre d’Arvor et Sérillon. Le quinquennat va occuper tout ce beau monde politico-médiatique jusqu'à l’automne : une poussée avant l’été, un branle-bas de résonance pour la rentrée 2000 et le référendum d’octobre. Le charme douteux des cohabitations sera révolu par l’alignement des mandats présidentiels et parlementaires. A moins que le bon pôple, très vicieux ou désireux de retrouver ces instants rassembleurs, élise un candidat à l’Elysée et une majorité parlementaire du bord opposé. Rien que pour embêter tous les doctes constitutionnalistes et pour rabougrir a posteriori tous les arguments des défenseurs de la réforme, on peut espérer cette absurdité politique.

 

Jeudi 8 juin

Perte pour la truculence et la gouaille, le Dard coloré ne fouillera plus les potentialités supercoquelicantieuses de la langue française. Sans Frédéric, San Antonio va tournoyer dans le vide au-dessus d’un nid de cocus.

Ma boulimie d’aventures rabelaisiennes du couple Bérurier-San Antonio remonte à mes 10-11 ans, au château d’O ; des piles entières étaient à ma disposition. Les passages « sexe » attisaient le cochon qui grognait en moi.

Je n’ai pas été fidèle à cette plume acérée suite à des rencontres littéraires plus nourrissantes et à mon rejet (trop systématique, j’en conviens) des œuvres d’imagination.

 

Mardi 13 juin

Ce soir, passage place Bellecour pour assister au Live Music de Shola Ama, puis du rejeton de Johnny. De belles lumières, mais une foule nauséeuse. Je me suis éclipsé avant la fin pour éviter la cohue incontrôlable.

Vu Ornelle une dernière fois aujourd’hui avant son épreuve écrite de Français. Je fais un vœu pour elle. Inextinguible affection pour elle. Sa vivance illumine nos plages de travail.

Amorce de complicité charnelle avec une Natasha, infirmière, et envoi d’un courrier à une Anna de Juan-les-Pins, en cinquième année de médecine, toutes les deux connues via Internet.

 

Jeudi 15 juin

Arrivé ce soir sur les terres lutéciennes, je passe la nuit au 57 quai de Grenelle, chez Shue. John est présent, et je découvre les photos de leur mariage civil qui s’est déroulé le 10 juin dans la mairie du quinzième arrondissement. Cérémonie réduite au minimum, juste pour que le lien légal existe : la consécration véritable aura lieu en septembre à Monte-Carlo.

Demain, levé à 5h30 pour rejoindre Laon par les rails : début de journée au t.a.s.s. dans l’affaire sci v/ urssaf (volet majorations de retard) puis, en fin d’après-midi, à Chaulnes avec Me K. pour l’état des lieux avenue Roger Salengro, la fameuse Maison blanche ou Banque (en référence à l’établissement de crédit l’occupant préalablement) qui accueillit la déliquescence de beaucoup d’entre nous. Le bail emphytéotique conclut entre la bdgn et Alice a été jugé inopposable au Crédit foncier qui tente de récupérer le bien. L’affaire a toutes les apparences d’un sac de nœuds malodorants.

 

Lundi 19 juin

De retour du château pour Lyon, via une nuit chez mon pater. La propriété m’a présenté ses plus feuillus atours et l’air ne s’encombrait d’aucun voile ternisseur de couleurs. Après deux mini-repas-catharsis avec Heïm, lors desquels ma tenue de l’alcool s’est révélée faiblarde, le dimanche s’est centré sur la visite d’Hermione et Angel.

 

Mardi 20 juin

La faute à cette écrasante chaleur, mes transcriptions s’affadissent de plus en plus.

Lors de mon voyage en tgv (retour à Lyon), une caressante rencontre avec une grande et pulpeuse algérienne (Samira), ma compagne de rail. Attouchements de plus en plus appuyés de nos bras nus, pieds et cuisses accolés, sous l’alibi d’un sommeil prenant au départ, puis plus franchement par la suite. Je finis par lui laisser ma carte avant tout échange de paroles.

Elle réside depuis un mois à Paris (rachat d’un bar dans le 17ème) et va visiter sa sœur à Bourg-en-Bresse. Je suis d’ors et déjà invité chez elle lors de mon prochain passage à Lutèce. L’alchimie dense de cette attirance réciproque aurait pu se traduire, si la configuration l’avait permis, par une sexualité sans bride...

 

Mercredi 21 juin

Pas de sortie nocturne pour ce premier jour de l’été. Aucune manifestation musicale programmée n’a retenu mon attention pour me motiver à sortir de mon antre.

Oublié de noter mon sentiment général sur les pages choisies du Journal de Polac que j’ai achevé au château : si l’on trouve des passages savoureux, profonds, désespérés et tranchants, la tonalité du diariste n’est pas reproduite du fait de cette sélection. On ressent même parfois l’impression d’un conglomérat de pièces éparses d’où ne s’échappe aucune unité authentique. Passages fabuleux par la clarté de la langue, la qualité de la relation : les aventures de Cricri, de la Grande Sauterelle, etc., autant de bestioles blessées recueillies par Polac et sa Z., je crois. La profondeur de propos simples atteint des sommets.

Je continue à voir mon élève préférée, Ornelle, pour sa préparation à l’oral de français. Tellement attachante.

Reprise de contact téléphonique avec Laurence. après son envoi, depuis l’Egypte, d’une carte postale. Je la croyais fâchée contre moi, pas du tout.

Lundi soir, nuit chez mon amante-infirmière, Natasha. Découverte progressive de son potentiel sexuel.

Vu Lang chez Big Media, en pleine défense de son projet de réforme des... primaires. Là, au moins, il ne risque pas de faire sortir les élèves sur le pavé.

 

Vendredi 23 juin, 0h50 env.

Hier soir, dîner chez les Cargeaud, après avoir consacré ma fin d’après-midi à l’infatigable Ornelle. Malgré mes trente berges bien sonnées, je reste naïf dans l’image que j’ai de certaines jeunes filles qui devraient correspondre à l’impression physique qu’elles donnent. Le cas d’Ornelle s’impose. Entre ma première vision d’elle très sérieuse, magnifique et réservée dans le bus 31 et la follette presque délurée que je découvre, un gouffre. Elle peut d’autant plus se permettre des écarts que rien dans sa silhouette et dans l’attitude dont elle peut se grimer ne le laissera transparaître. Le bon dieu, les anges et la vierge Marie qu’on lui donnerait à cette divine diablesse.

Aujourd’hui, son père a failli perdre la vie en voiture, manquant de peu l’écrasement par un vingt ou trente-six tonnes dont la remorque s’est renversée dans un tournant, en sens inverse. Le souffle du frôlement a fait exploser sa vitre avant gauche. Son instinct lui a très justement dicté de rouler sur le talus et d’accélérer. Seule solution pour s’en sortir. Vingt tonnes de couches-culottes sur la tête n’auraient laissé aucune fuite de vie.

 

Mardi 26 juin, 0h30 env.

Avant dernier jour de cours donnés pour la préparation de l’oral de français. Ornelle passe aujourd’hui à 16 heures. Petite pensée pour elle.

Je vais enfin pouvoir me consacrer au Gâchis, années 96-99. Mon été s’annonce studieux, pour ne pas changer, mais pauvre en revenus. Le séjour d’août prévu à côté de Biarritz est annulé (Karl ne pouvant pas prendre de vacances). Je m’accorderais une semaine pour visiter ma grand-mère à cette période.

A moins d’un coup de foudre transcendant, ma morne existence ne décollera pas.

 

Jeudi 29 juin

Mort de Vittorio Gasmann à 77 ans. Avec Ornella Muti, mes deux figures italiennes préférées.

 

Vendredi 30 juin

Nouveau rythme pour une lourdeur estivale lyonnaise. Le mois de juillet doit me permettre de finaliser les corrections du Gâchis, de taper les années 96 à 99 et d’intégrer les interrogations de Sandre à ma correspondance.

Hier soir, revu Isaura M. que j’avais très injustement soupçonnée des pires intentions par son silence prolongé. Professeur de lettres modernes à l’université Lyon III (Jean Moulin) elle me propose de faire mes premiers pas dans l’enceinte universitaire publique : prendre en charge les travaux dirigés en expression-communication et peut-être en droit pour des étudiants d’IUT (section gestion et technico-commerciale, je crois). La rentrée prochaine risque donc d’apporter une nouvelle dimension à mes interventions. Une fois dans les murs de l’enseignement supérieur, toute opportunité relationnelle ne pourra que me servir.

Au café Leffe de la place des Terreaux, j’attarde mon regard sur les petits jets éclairés qui habillent l’étendue asphaltée. Là, au milieu de tous ces groupes, je m’estime d’une sérénité vacillante.

Ce soir, à son retour d’une semaine sur la côte méditerranéenne, Natasha me rendra peut-être visite au sortir du train. Elle réchauffera ainsi mon nid nocturne.

Dimanche, Sally doit venir à Lyon et profiter de l’occasion pour dîner avec moi. Avec l’ambiance prévisible de l’Euro 2000 (France-Italie) la quiétude lyonnaise risque d’être fortement perturbée et mon agoraphobie, lors des vautrements populaciers, de rendre la soirée difficile. Je l’appellerai demain pour l’informer de cette situation exceptionnelle.

Vittorio Gassman, emporté par la Parque, a déjà son éternité d’assurée dans le patrimoine cinématographique mondial. Toutes ces figures incarnées, une capacité à l’excellence multiforme, quelques chefs-d’œuvre me restent comme des joyaux : une comédie où il virevolte dans la peau tannée d’un démon déjanté ; dans la teinte dramatique, ce personnage schizophrène entre le mari exemplaire, posé, brillant, de Catherine Deneuve, et l’autre, le fou à la pastèque que l’on cache au grenier et que le neveu découvre dans l’œil de bœuf. Une vision saisissante du malade qui tire la langue et se repaît du gros fruit juteux. Me manque les deux titres.

Le grand cirque des gesticulations ambiantes n’en est que plus dérisoire. Ça beugle dans tous les coins et je me saoule de musique pour atténuer l’insupportable. Les notes rythmées canalisent mes pulsions dévastatrices.

 

Lundi 3 juillet, 0h45

Vu hier l’impressionnante fresque Gladiator avec un Maximus qui fait des jeux du cirque un lieu de déstabilisation du pouvoir illégitime.

En l’an 2000, la recette « du pain et des jeux » suffit toujours pour contrôler les peuples. Cette nuit, celui de France est heureux. Klaxons et cris s’entremêlent pour un débraillage de premier choix. Une course après une balle, voilà ce qui est la cause du déballage bruyant. Quelle évolution de la civilisation humaine, mazette ! Lamentable. Entendre les politiques Jospin et Chirac abonder dans le sens du bon pôple confirme bien le caractère dégénéré de notre régime.

23h30. Visite en fin d’après-midi de Laurence. En la poussant dans ses retranchements, j’apprends les blessures morales que je lui ai occasionnées, et qu’elle n’était pas loin de me haïr, que sa sœur a été très sévère sur moi... un tableau apocalyptique de ma personne. Ce qui est plus troublant : plusieurs défauts soulignés m’ont été reprochés par d’autres qu’elle. Je suis perçu comme étant d’une froideur insupportable hors de la « couche-à-sexe », d’une curiosité obscène au départ, suivi d’un désintéressement de l’autre, d’un égocentrisme excluant, voire d’un opportunisme cynique... tout moi ça ! Je suis gâté ! En tout cas j’ai bien mérité mon isolement.

Pendant toute cette conversation, je la sentais prête à nouveau à flancher, malgré ses dires critiques... Je n’ai pas eu le moindre signe de complicité. Cela n’aurait eu aucun sens de repartir dans ces chemins bourbeux. Je récupérerai, dès que possible, la paire de tennis et la raquette laissées chez elle. Sans doute notre dernière entrevue.

Le délire footballistique a remplacé le Tout-Puissant dans nos contrées. Les vingt-deux incarnations du dieu Ballon ont eu droit à l’hystérique adoration du peuple venu en nombre sur la place de la Concorde. Un Lizarazu (?) au Vingt Heures qui surprend agréablement par un discours intelligent.

 

Mercredi 5 juillet, 0h30

Poursuite du travail sur le Gâchis, année 96. Curieuse impression à la lecture de la correspondance de Sandre (il me faut retrouver ses myriades d’interrogations pour les faire figurer en tête de mes réponses, restituer un dialogue, parfois). Cette plongée dans les déclarations enflammées, les dons de soi, les projets sans limites, et au final une baudruche d’illusions rapidement révélée.

Ce soir, en rentrant du cinéma (vu la gentille, mais un peu complaisante, comédie Jet Set) j’aperçois ma petite voisine arabe et son garçonnet. Echange de bises et de quelques paroles : son visage avait repris de jolies couleurs et un beau grain de peau. Mystère que cette jeune femme instable et que je ne courtiserai pour rien au monde : la loupiote danger ne me laisserait pas en paix.

Ornelle et Mme Cargeaud m’ont appelé pour une très prochaine invitation à dîner. La fille, qui a sans doute fait mon numéro sur la demande de sa mère, m’a semblé quelque peu distante comme si je devenais, une fois l’aide apportée, moins digne d’intérêt. Masochisme, paranoïa ? Si j’en ai l’occasion, je lui demanderais directement, cela évitera les masturbations intellectuelles auxquelles je m’adonne souvent dans ces pages. Mais n’est-ce pas un peu le propre du diariste ?

En cours de lecture du Film pornographique le moins cher du monde de Fred Romano. Dernier amour de Coluche, elle signe là un témoignage au scalpel du clown et de son univers. Terrible contraste lorsque l’on songe qu’il était sans doute l’un des dix Français les plus influents sur les idées de la population.

 

Jeudi 6 juillet, 0h30

Très agréable soirée avec la famille Cargeaud Un dîner à l’air frais du soir avec des brochettes goûteuses, puis descente dans le vieux Lyon pour se délecter de parfums glacés et enchanteurs chez Nardone. Une Ornelle plus belle que jamais dans une petite robe noire à hurler (comme le loup de Tex Avery), toujours aussi fofolle et agréable. Je ne peux expliquer combien sa présence est une extase de tous les instants, elle m’enchante par sa fraîche vivacité, elle m’enivre par sa féminité transpirante. Je voudrais pouvoir ne jamais la quitter un instant, profiter à mille pour cent de chaque moment en sa compagnie. Son effet sur moi ne tarde jamais : le misanthrope renfrogné devient joyeux, festif, drôle voire délirant. Et je la fais rire, ce qui me ravit chaque fois. Si j’avais pu être lié à elle par le sang, par les sentiments réciproques, mon état d’esprit, mon rapport au monde en eurent été bouleversés. Mais, comme souvent, je demeurerai sur la berge.

 

Mardi 11 juillet

Revu Melycia C. et son compagnon Damyen venus dans la région pour la « Fête des Calypsos » organisée par les quatre copines de lycée qui, aujourd’hui, tutoient les trente ans. Eugénie, Lucie, Melycia et Raphaëlle, quatre drôles de dames (Damyen, par un tour de passe-passe graphique, en a cloné une pour l’affiche et les cartons d’invitation) qui se retrouvent à... Charly, dans la belle propriété de la dernière d’entre elles. Près d’une centaine d’invités, vingt litres de punch, du solide à profusion, de la musique à gogo... Tout pour passer une joyeuse et fêtarde soirée. Je n’échappe pourtant pas à de larges plages d’isolement (volontaire ?), témoin renfrogné des complicités alentours. Je préfère de loin les comités plus réduits qui ne m’inclinent pas à adopter le profil anonyme. Melycia, toujours adorable et séduisante, s’est gentiment inquiétée de mon cas à plusieurs reprises, mais je l’ai à chaque fois rassurée. J’ai laissé quatre vers improvisés sur la grande toile blanche tendue pour recevoir le délire scriptural des convives.

Couchage chez les parents de Melycia, à Montagny, dans une très chaleureuse demeure à la piscine fraîchement construite. Un petit paradis matériel, fruit de trente ans de labeur du père, pour ce couple solidifié non par les sentiments mutuels, mais par les années accumulées et les conditions de vie. La raison leur permet de passer sur les dissensions multiformes et de posséder ce joli coin. Finalement, une destinée qui aura un sens. La mienne n’a pas d’alter ego à trente ans... et jusqu'à quand ?

 

Jeudi 13 juillet, 0h30

Je regardais hier soir Mary à tout prix avec Natasha, mon amante du moment. Le flash : cette chère Ornelle, qui doit avoir ses résultats aujourd’hui, a le même type de visage que Cameron Diaz : un adorable minois tout rond.

Fraîcheur jusque dans la cuvette lyonnaise depuis quelques jours. On n’est pas loin du juillet pourri.

J’ai fini hier de taper l’année 96, le Gâchis cumule pour l’instant 550 pages. Je ne sais si la correspondance qui y est intégrée présente toujours un intérêt littéraire. J’ai supprimé les passages trop pornos ou sans consistance. Le signe [...] figure tout de même pour indiquer les lieux d’amputation.

Reçu mercredi la très luxueuse carte d’invitation au mariage de Shue et John qui, par ailleurs, notifie la cérémonie civile ayant eu lieu à Paris. Le texte est en anglais : je n’ai même pas essayé de comprendre. Quel fumiste je fais !

 

Vendredi 14 juillet, 1h du matin

Contrairement à ce que laisserait présumer l’heure tardive, je n’ai point fait de pérégrination nocturne dans les rues lyonnaises. Soirée chez moi, quelques dialogues sur Internet et la poursuite de la saisie du Gâchis. L’année 97 est bientôt achevée et les 600 pages atteintes.

A partir de demain, une tâche urgente supplémentaire : lire les sept ouvrages au programme des médecines de Grange Blanche et des pharmacies, dont la liste m’a été faxée hier, avec dix jours de retard.

Des classiques pour les médecines : Faust de Goethe, Knock (Jules Romains), Dr Pascal de Zola et, moins classique, Thérapie de l’anglais David Lodge. Secondairement, recommandation du Médecin malgré lui de Molière, de Pantagruel, de Voyage au bout de la nuit et du Passage de Reverzy. Thème à traiter : l’image du médecin et de la médecine dans la littérature.

Pour les pharmas, des ouvrages beaucoup moins littéraires : En soignant, en écrivant de Winckler, La science en partage de Kourilsky et Se soigner autrefois de F. Lebrun. L’été devra me permettre d’engloutir tout cela...

 

Lundi 17 juillet, 1h50

Le Gâchis 91-99 est enfin saisi dans sa totalité : un peu plus de 650 pages. J’espère faire mieux pour la nouvelle décennie entamée.

Mon week-end de trois jours peut rester comme un modèle d’érémitisme : avec un temps frisquet et nuageux, avec une humeur sombre, avec un isolement exacerbé, se cloîtrer s’est imposé tout naturellement. N’omettant pas d’effectuer mes 80 pompes quotidiennes pour entretenir la carcasse, j’ai vagabondé entre Thérapie de Lodge, Le Docteur Pascal de Zola, et ma saisie du Journal pamphlétaire, avec en fond le Tour de France cycliste. Une activité de sage retraité en somme, pas un brin festif.

Mon amante actuelle, Natasha, m’a bien appelé, mais j’ai écarté toute proposition pour vivre mon retrait du monde. J’apparais bien sans conteste comme le principal artisan de ma pesante solitude. Insatisfait, la plupart du temps, des accointances en cours, fui par celles qui me combleraient (ou qui m’apparaissent comme telles) je vis un traumatisme psychologique constant, inapte à faire fructifier ce qui est à portée, toujours en situation de se projeter vers l’inaccessible relation. Je m’épuise...

Oublié de noter la correspondance physique entre le visage d’Ornelle (qui ne m’a pas téléphoné ses résultats en Français, mauvais signe ?) et celui de Cameron Diaz vue dans Mary à tout prix (navet sans intérêt comique). Voilà l’exemple typique d’une masturbation intellectuelle dont j’ai le secret. Rien ne se passera jamais entre cette jeune fille et moi, pourtant je focalise... Sale habitude qui me démobilise pour une réelle histoire.

 

E-mail, 17 juillet

Ma chère Cindy,

Que deviens-tu ? j'ai essayé de t'envoyer un message quand j'ai été prévenu du changement d'adresse, mais sans succès.

Prévois-tu d'être à Paris et disponible cet été, ou dans le sud : j'aurais été heureux de te revoir ?

A bientôt. Je t'embrasse.

 

Vendredi 21 juillet, 1h

Avancement dans le Gâchis : tout est tapé, reste les dernières corrections. J’enchaîne tout de suite après sur l’élaboration de l’index des noms cités. Du fastidieux en perspective.

La solitude s’ancre et je ne vois pas d’issue. Mon relationnel ne décolle pas et mon humeur s’assombrit davantage.

Nouvelle méthode pour imposer ses revendications salariales : menacer d’actions terroristes. A Givet, les employés ont adopté cette stratégie avec succès. Toujours ce ventre mou démocratique. Pour moi, comme employeur démoli à une certaine époque, ce sont les tribunaux de commerce que j’aurais dû arroser d’acide ou plastiquer.

 

Samedi 22 juillet, 0h30

Toutes les corrections du Gâchis passées sur l’ordinateur, et rassemblement des différentes années dans deux gros fichiers informatiques pour un total de plus de 600 pages.

Achèvement également ce soir du Docteur Pascal du père Zola, le dernier de la fresque Rougon-Macquart au programme des médecines de Grange Blanche pour l’année 2000-2001. Scène d’horreur pour moi, bien plus qu’un crime de sang : la destruction par l’hystérique vieillarde, la Félicité de malheur, de toute l’œuvre du sage Pascal fraîchement décédé. Trente ans de recherches passées par les flammes : insupportable anéantissement. Cela me rappelle l’acte de destruction par mon frère Bruce d’une page de mon Journal d’adolescent (j’avais entre 13 et 15 ans) terriblement pamphlétaire contre ses agissements. Ayant subtilisé mon petit cahier de notes (avec frêle cadenas intégré) il avait déchiré la page incendiaire et réduite en cendres.

 

Dimanche 23 juillet

Maussade nuit de samedi à dimanche, comme des myriades que j’ai sacrifiées. Finalement, je me suis abstrait du monde, ma Quarantaine s’affirme imparable, je n’ai plus rien à espérer de cette vie. Lamentable sort d’autodestruction, d’effondrement intellectuel, d’avachissement existentiel. Trente ans pour un désastre silencieux, clandestin et dérisoire. Tant de rencontres pour qu’aucune complicité, qu’aucun partage n’en émerge. Pour les meilleurs de ceux que j’ai croisés, je ne suis plus qu’un très vague souvenir. La mort n’est pas loin.

Aujourd’hui, je dois boire un verre à la Tête d’Or avec Eva, recommandée par la maman de Melycia C... Pour m’être rendu dix minutes dans son magasin de produits biologiques, je sais déjà qu’il n’en naîtra pas de lien sentimental. Je ne me sens aucunement transporté, tout juste excité par l’idée d’une nouvelle conquête sexuelle. Quand, celle qui me fera véritablement battre le cœur et qui éprouvera le même trouble, dans l’assurance de nous faire le plus grand bien, croisera ma route ? J’entrevois déjà un âge mûr, puis une vieillesse en solitaire, si le courage ne m’a pas fait me balancer avant ce lamentable aboutissement.

 

Lundi 24 juillet, 0h40

Vu Eva dimanche après-midi à la Tête d’Or. Agréable moment de discussion, mais je ne peux l’envisager autrement qu’en amie et/ou amante. Ce cumul semble toutefois difficile au regard de son caractère.

Gros travail sur l’index des noms du Gâchis qui donnera, je l’espère, toute la diversité des sphères abordées.

David Lodge, dans Thérapie, utilise le genre diariste pour son personnage principal. Un faux Journal qui comporte des « blancs » calculés. Les miens (jusqu'à sept ou neuf mois, je crois) sont plus ou moins volontaires et mes silences sans doute inconsciemment maintenus.

Ainsi, par exemple, ma rencontre avec cette chère Shue, en avril ou mai 1996, alors que j’entamais tout juste mon histoire avec Sandre, dans son exclusivité réciproque. La greffe sentimentale ne pouvait avoir lieu avec ma persane préférée ce qui, par contrecoup, s’est probablement ressenti par un silence absolu dans mon Journal de cette année (déjà moins tenu et compensé par la production épistolaire).

De même, plus tard, ma complicité affective avec Marianne, voisine du dessous rue Mouffetard, avec qui l’entente aurait pu s’ancrer si j’avais été célibataire. Aujourd’hui exilée en Angleterre, et certainement en ménage, elle symbolise mon antichambre des occasions perdues. Une autre forme de gâchis, parmi les multiples expérimentés.

Ma correspondance avec Sandre a, certes, gardé les traces « en direct » de l’évolution de notre relation et de mon état d’esprit, mais a amputé mon existence de tout ce qui ne cadrait pas avec notre dualité.

Ne pas tout dire, même un Journal s’y complaît, mais au moins laisser une trace des figures qui ont marqué ma vie. Shue et France en font partie et ne figureront malheureusement pas ou peu (sur le tard pour la resplendissante iranienne) dans le Gâchis 91-99.

Chirac a bien fait son numéro au G8. Boudé par le court-sur-pattes Poutine qui reproche à la France d’avoir saisi pour un créancier suisse l’imposant Zedov ( ?) venu paradé à Brest, notre échalas élyséen a renoué un début de lien par quelques pirouettes linguistiques dignes du vénéré Almanach Vermot (du genre : si avant nous n’avions pas de show, allusion au côté un peu paillettes du G8, nous avions en revanche du froid, à l’époque du rideau de fer). Quel beauf formidable, joyeux et bourré d’esprit, il fait ce président pour rire...

Le catalogue outre-tombe s’enrichit des échos de Gilbert Denoyan. J’avais suivi quelques années avec grand plaisir, tous les vendredis soirs, son émission Objection qui réunissait les Estier, Duroy, Amouroux, notamment, lesquels débattaient avec verve et finesse des aléas de l’actualité (politique pour l’essentiel).

 

Mardi 25 juillet, 0h30

De retour du concert des Cranberries donné au Théâtre antique romain dans le cadre des Nuits de Fourvière. La chanteuse du groupe, enceinte de trois mois, a mené ses décrochages vocaux avec une maîtrise de haute volée.

Juste avant, verre pris avec Eva à Saint-Jean, au cœur du vieux Lyon. Je suis perplexe quant à la tournure que doit prendre notre rapport qui n’est, pour l’instant, que cordial. Je ne me vois pas du tout vivre une passion ou un grand amour avec elle, et je ne crois pas qu’un lien purement sexuel lui convienne. Peut-être dois-je simplement la conserver comme complicité amicale. Je tâterai le terrain une prochaine fois tout de même.

Rediffusion, avant-hier, d’un hommage à « Monsieur Blier ». Une intelligence vive, consciente de son schéma corporel et de ses énormes capacités de comédien, une gouaille qui ne pouvait que décupler l’efficacité des dialogues d’Audiard. Le « j’éparpille... j’disperse... j’ventile », adressé à l’absent Lino Ventura qui vient de lui asséner un bon coup de poing sonnant et percutant, me régale à chaque fois. Quel pathétisme de le retrouver, lui si jovial, un mois avant sa mort, sorti pour recevoir son César d’honneur : tout amaigri, affaibli de toutes ses fibres, il peinait en tout. Heureusement, Les tontons flingueurs sont là pour nous le camper dans son resplendissant comique.

 

Mercredi 26 juillet, 23h58

Hier, 16h44, deux minutes après son décollage, le grand oiseau Concorde s’est écrasé entre deux hôtels à Gonesse, détruisant l’un des deux immeubles et se désintégrant avec tous ses occupants. Cent treize victimes, pour la majorité des Allemands aisés, en retraite, en partance pour New York d’où devait commencer une croisière paradisiaque. Jusqu'à 70 000 francs par tête de pipe déboursés (Concorde plus croisière) pour finir carbonisé. France Info, suivi de tout le branle-bas de combat du Big Media, n’a pas chômé en analyses, recherches de témoignages, hypothèses formulées, glanage d’infos tous azimuts. L’onde de choc a atteint les Etats-Unis, destination unique des treize (douze maintenant) Concordes répartis entre Air France et British Airway.

L’enfer de Gonesse, de ses habitants, va être démultiplié dans son impact psychologique et tient en un chiffre : quelque cinq cent mille survols annuels d’avions en phase de décollage ou d’atterrissage, c’est-à-dire à faible altitude.

 

Samedi 29 juillet, 0h30

Vu ce soir Eva, avec qui j’avais un peu flirté la veille, ses formes ayant l’attrait d’incliner à la débauche. Nous n’irons sans doute pas plus loin après ma glasnost sentimentale : mon état d’esprit, lui ai-je dit, ne me porte pas à vivre un duo amoureux. Amie, oui ; amante, avec délice ; amour impossible... Sa bonne éducation et son caractère ne permettront sans doute pas ce confort charnel pour moi.

Fini à la Tête d’Or la Thérapie de David Lodge : journal fictif d’un homme d’âge mûr, ayant socialement réussi, mais en perdition psychologique et, par contrecoup, fragilisé dans sa santé, avant sa renaissance.

En sélectionnant les meilleurs passages de mon existence, en les développant dans les détails et les décors, par la suggestion de certains mots clefs, en liant le tout, enfin, pour atteindre la cohérence romanesque, cela pourrait constituer un récit vendable...

Un parallèle avec Lodge : lorsque son personnage, Lawrence Passmore, part à la recherche de son premier amour, quarante ans plus tard. J’ai fait de même, mais avec seulement trois années de recul, lorsque je suis allé (photomaton en poche) à Trappes pour dénicher le foyer de la vénusienne Aurore. Ma vision d’elle à la Gare Montparnasse, plus belle que jamais, estomaquée de me trouver là, restera comme une de mes plus intenses émotions... La galerie des occasions perdues s’anime de mes fantômes.

Heïm trouve les cent cinquante dernières pages du Journal pamphlétaire (depuis début 98 donc) d’une facture littéraire bien supérieure. Est-ce dû au simple effet des années qui passent, à cette sagesse qui vous guide vers l’évocation efficace de l’essentiel ? Est-ce l’influence bénéfique des cours divers donnés qui affine mon expression écrite, dégraisse mon style, court-circuite les gratuités littéraires ?

Le dernier album de Seal, découvert il y a deux ou trois ans chez un petit disquaire de la rue Mouffetard, regorge de musiques inspirantes. Il a accompagné ma plume cette nuit.

L’étroitesse de mon univers matériel ne doit pas me départir de mes vagabondes notations, seule subsistance d’une fragile créativité et témoignage d’un décalé tiraillé entre l’obsédante quête de celle qui ravira son cœur et ses sens et la préservation de cette indépendance à la Léautaud (avec la notoriété littéraire et la ménagerie en moins). Un authentique et banal anonymat que le mien, moi si paradeur.

Autre parallèle amusant avec la fiction (mais à quel point ?) de Lodge : la manière de faire certains de mes points sur les « i » ou mes accents, lorsqu’un « r » suit le « è », est la même que celle de Maureen, le premier amour du « héros » : « (...) ses « i » surmontés d’un petit cercle. Je pense finalement qu’elle avait pris cette idée sur les publicités des stylos Biro. »

 

Dimanche 30 juillet

Nouvelle pratique lors de revendications sociales au sein d’une entreprise : la menace terroriste. Tout faire sauter si on n’est pas entendu. L’employeur devrait se mettre au diapason : explosion de tronches si les employés mettent en danger l’activité de l’entreprise par leur incompétence, leur fainéantise ou leur sabotage.

Le comblé Kourilsky (professeur au Collège de France et à l’Institut Pasteur) s’essaye à la polémique dénonciatrice du rôle de Big Media dans la diffusion des connaissances scientifiques et de leurs évolutions ou points de rupture. Sa Science en partage cloue au pilori, notamment, les apparents délires de Benveniste et sa poétique « mémoire de l’eau ». Les erreurs éditoriales de la si auréolée revue Nature et du pontifiant Monde amplifièrent maladroitement (ou insidieusement) ce qui se serait rabougri, pour Kourilsky, à une éphémère aventure pseudo-scientifique au nom du sacro-saint principe de la reproductibilité des observations réalisées. Faute de cette rigueur, on reste sur la berge des opinions de comptoir, avec tubes à essai en guise de mousse désinhibitrice.

Ne pourrait-on opérer la même descente en règle de l’immanent Big Media pour sa méthode de traitement de l’actualité ? A approfondir en dehors du soleil de la Tête d’Or. Le polochon en solitaire conviendra mieux.

 

Mercredi 2 août, 0h30

Nuit dernière passée avec Eva qui a finalement cédé à ma gourmandise, malgré mes mises en garde sur la teneur de notre relation. L’abstinence prolongée a, sans doute, démultiplié son désir. Très appétissante dans ses formes, elle n’a toutefois pas déclenché ce summum de frissons qui accompagne les vraies inclinations. Un gentillet partage sexuel que la préalable conquête dépassait presque en densité excitante. En finissant cette phrase, je m’aperçois du terrible cynisme de mes propos. Suis-je si désespéré que plus rien de ce qui m’est accessible (j’idéalise toujours les silhouettes non abordées) ne peut me combler ? Sage lucidité ou extinction de toute humanité ?

La réunion pour l’anniversaire de Heïm a été avancée au samedi prochain. Je pars donc dès vendredi après-midi pour le château d’Au. Nous devrions aller déjeuner au château de Barive. Séjour éclair puisque le dimanche sera parisien avec Sally, Zoa, Karl et son amie Isoline. Dès le soir, ou le lundi matin, retour dans le Lyon surchauffé.

Le travail sur l’index du Gâchis est fastidieux

 

Jeudi 3 août, 0h50

A toujours vouloir étirer la journée pour qu’elle ne s’achève pas, je me retrouve souvent aux premiers instants de la suivante pour gratter ces pages...

Quelle satisfaction que la vive intelligence chez des enfants. Les Z., frère et sœur de 12 et 15 ans, je crois, investissent les textes littéraires que je leur propose avec d’heureuses interprétations. A l’inverse, P.L., à qui je donne deux heures de français (méthodologie pour le texte argumentatif et le commentaire composé), d’intelligence très moyenne, bloque sur la plupart des exercices d’entraînement par une incompréhension du texte et une incapacité à exploiter les outils proposés. Son absence de pratique du français pendant plusieurs années constitue, certes, une circonstance atténuante, mais elle ne justifie pas toutes les lourdeurs d’esprit constatées. Je dois quelquefois contenir mon agacement tellement les inaptitudes se multiplient.

Trop tard pour approfondir...

 

Mardi 8 août

Samedi midi, repas au château de Barive avec Heïm, Vanessa, Sally, Monique, Hermione, Angel, Hubert, Karl et moi. Un bon moment pour l’anniversaire (avancé) de Heïm (et celui de Monique !) prolongé au château d’Au.

Le soir, et jusqu'à trois heures du matin, une moins agréable veillée-catharsis, en tête à tête avec Heïm qui me trouve bien « silencieux » depuis quelques visites... Regard critique sur mon Gâchis, impubliable tel quel chez un « grand » éditeur, stigmatisation de mes comportements passés et présents, regrets que je n’ai pas davantage insisté ou énoncé mes « réussites » (notamment sur le plan juridique). Puis, au fil des Bisons, les dénonciations ont pris un tour plus expéditif : interdiction que je poursuive ma thèse sur lui, arrêt prochain de la moribonde association Hisloc, impossibilité pour moi de publier autre chose après ce Gâchis (en forme d’arrêt de mort littéraire) et, pour finir, un adieu définitif dans l’affection (mes cartes et petits mots seront les bienvenus, mais pas ma présence physique dans cet état d’esprit). Mon « masochisme », qui semble transpirer des 600 pages du Journal pamphlétaire, a sans doute été comblé, mais j’en avais gros sur la patate...

Je ne sais si, cette fois, les paroles relayaient des décisions fermes et définitives.

Le dimanche, très douce journée à Paris avec Sally, Zoa, Karl et son amie Isoline. Déjeuner à L’auberge du bonheur (près du restaurant grand luxe La Cascade), promenade au jardin de Bagatelle (où j’avais dû venir avec Sandre), petit tour en barque sur le grand lac du bois de Vincennes et, pour finir, découverte des locaux achetés par Sally au Boul’ Mich’, en face de l’Ecole des Mines. L’effet divertissant a été complet avant mon retour au bercail lyonnais.

Une semaine à passer et je file à Royan pour retrouver Sally, son amie Nya et Zoa. Une douce détente en perspective. Je pourrai affiner mes lectures, pour la rentrée de Hippocus, par des prises de notes appropriées.

Le journal est vraiment mal considéré pour un écrivain qui ne compterait que sur lui pour prétendre à une œuvre (le cas Léautaud fournit pourtant le contre-exemple d’un écrivain dont la production majeure est son Journal littéraire). Le médecin-écrivain Martin Winckler, dans sa compilation En soignant, en écrivant, note le peu d’importance de sa production écrite. Après avoir énuméré ses pontes (un roman, six nouvelles, cinquante chroniques, etc.) il ajoute : « et un journal composé d’une trentaine de cahiers et carnets de tous formats, régulièrement tenus depuis 1976, mais par essence [pour qui ?] non destiné à publication. »

Faut-il faire brûler ce suivi subjectif et très partiel d’une vie ? Cela revient à une seconde mort. Sans doute ce qui attend ces pages (même pas l’autodafé, mais l’oubli, et plus exactement l’impossible émergence).

 

Jeudi 10 août

La Tête d’Or m’a porté chance cette fois-ci. Mercredi, je décide de me faire une journée complète au parc, sitôt mes deux heures de cours données. Sur les lieux, rencontre avec une charmante hollandaise, Helen, 28 ans, à Lyon jusqu’au 2 septembre pour raisons professionnelles : promenade à pied, glissade en barque sur le lac, séance cinéma... et découverte d’une gourmandise réciproque.

Aujourd’hui, escapade dans le Beaujolais et entente croissante. Quel dommage que cela ne soit voué qu’au court terme.

 

Lundi 14 août

Sept heures de voyage pour parvenir à Royan. Le ter Niort-Royan doit passer par Saintes : petite pensée pour Madeleine Chapsal et sa troupe canine Léon et Lola (à deux ils font bien le chambard du double !).

Nuits avec Helen d’une intensité sans retenue. J’aime regarder son visage changer lors de nos unions. Notre attirance réciproque semble sans faille. Elle pourrait potentiellement devenir un grand amour, celui avec qui l’on construit. La distance géographique en décidera autrement. Nous redoublons donc l’expression de nos penchants.

Après avoir passé un dimanche paradisiaque chez les C., en présence de Melycia et Damyen, Helen est venue me retrouver dans mon antre lyonnaise pour partager le nocturne avant mon départ. Son visage sculptural (petit nez, cils longs et fournis compris) son élancement (1m74) et des formes bien placées (62kg), la joliesse des mains et des pieds (taille du 39) en font une complice idéale, mais elle repart aux Pays-Bas le 3 septembre... L’éclair m’aura marqué.

16h50. Arrivée dans la maison du père de Sally avec Nya, son amie colombienne. Zoa nous rejoint demain midi pour quelques jours de détente.

Le ciel présente une pâleur laiteuse qui ne me dissuadera pas de me baigner.

 

Mardi 15 août

Ce matin, découverte avec Sally et Nya d’une plage de rêve : très loin de la route, un sable fin, une largeur désertique et un océan mouvementé. Le site nous accueillera de nouveau demain matin avec Zoa, arrivée ce midi.

Journée sans nuage et plaisir du repos dans un transat, avec la mélodie du vent dans les peupliers en sus.

J’achève Knock ou le triomphe de la médecine de Jules Romains, un des cinq ouvrages au programme de la fournée estudiantine de Grange-Blanche. J’avais eu le plaisir, en compagnie d’Aurore, mon premier amour, de voir Serrault interpréter le docteur dans un grand théâtre parisien. La folle de la Cage avait, selon sa talentueuse habitude, donné tout le croustillant au performant médecin. Un digne successeur de Louis Jouvet, malgré une manière d’incarner sans doute opposée.

Je vais maintenant plonger dans le monument de Goethe, Faust, traduit par Gérard de Nerval. Le programme littéraire des étudiants au concours de médecine aura ainsi été avalé.

 

Jeudi 17 août

Ce matin. Une délicieuse fois de plus, début de journée à la plage dite « de la pointe espagnole ». A 9h30, les seuls occupants tournoient et se posent avec des cris aigus : quelques mouettes en quête d’une pitance ensablée. Les mouvements océans ont une grâce surpuissante face à laquelle une extrême humilité nous évite l’enfoncée fatale. Les grondements, toujours recommencés, de ces masses d’eau qui montent, vivifient les sens bien au-delà de ce que peut faire la Méditerranée estivale.

Le séjour a les atours les plus doux que je pouvais espérer. Sally adorable et enchantée de mon bonheur affiché ; Nya très agréable et qui semble m’apprécier ; Zoa, touche plus mitigée, minée par des maux de tête et qui semble dépitée de la distance que j’ai prise à son endroit. L’astre, un peu voilé aujourd’hui, n’assombrira pas ce tableau régénérant pour l’essentiel.

Eu Helen au téléphone hier soir, après qu’elle eut vainement tenté de m’appeler (je boude mon portable en ces temps de repos) : confirmation de son envie de passer me voir à Fontès durant ses deux jours de semaine valant week-end. Je vais donc présenter ma nouvelle dulcinée-médecin à grand-mère, la relation étant malheureusement à durée déterminée.

23h10. Etendu sur ma couche, après une douche vivifiante, je goûte jusqu'à son terme cette journée sainement exténuante. Une matinée à la pointe espagnole, une fin d’après-midi sur la plage de Royan et, entre les deux, de bons mets et une longue sieste dans le jardin, bercé par le bruissement des peupliers feuillus. L’effort physique a consisté à se faire emporter par des vagues costaudes, pointé sur leur crête fluctuante, planche solidement tenue. Un vrai gamin pour un plaisir simple.

Cynisme des pays occidentaux : pour que les otages détenus à l’île de Jolo soient enfin libérés (parmi lesquels six français), acceptation que l’infréquentable Libye et son ensanglanteur Kadhafi payent les rançons exigées. La propreté clamée des autorités occidentales a tout l’air d’une passation de fange. Enfin... si cela permet aux pauvres malheureux d’être enfin libérés... l’hypocrisie reste bien accessoire.

 

Vendredi 18 août

Les chiffres de l’insécurité routière viennent encore rappeler l’étendue de la criminalité dite involontaire : pour le week-end du 15 août plus de cent tués et environ mille blessés. La grande cause nationale pour l’an 2000 n’a pas fait évoluer d’un iota l’attitude irresponsable de bon nombre d’automobilistes. Ou plutôt si, comme le tourisme en France, une progression record !

Notre ministre coco Gayssot ne va pas assez loin dans la sévérité : pourquoi ne pas supprimer à vie les permis des nuisibles au volant ? Pourquoi ne pas obliger chaque conducteur à un examen périodique faisant le point de sa capacité à être sur les routes ? Encore une mollesse qui coûte cher à des dizaines de milliers de personnes chaque année... Pour les mutilations diverses, la route a amplement remplacé les grandes guerres.

Aujourd’hui, derniers instants de vacances à Royan, sous un ciel changeant. Découverte, cette après-midi, du fantastique zoo de la Palmyre.

[...]

 

Vendredi 25 août

Débarqué ce soir, tout brûlant, à Fontès. La canicule, alliée au train Corail non climatisé, a transformé le voyage en dégoulinant trajet. A Montpellier, j’ai pris un bus plus frais pour me mener chez grand-mère. Mon frère Bruce est présent jusqu'à mardi matin et le soir de ce même jour Helen me rejoint. Nous partagerons nos derniers instants avant son retour aux Pays-Bas.

Quelle curiosité de rencontrer au parc de la Tête d’Or une néerlandaise (l’appellation hollandaise est incorrecte), médecin de surcroît. Cela a beaucoup amusé mon pater eu au téléphone il y a quelques jours. En revanche, j’ai dû rassurer ma grand-mère qui craignait me voir prendre les voiles pour l’autre pays du fromage. L’amour de vacances aura été dense mais écourté.

Hier soir, Helen m’a amené, avec trois de ses copines (mon air était réjoui dans son auto délicieusement remplie avec Maud, Mare et Gaya), à une soirée organisée chez un compatriote, installé à Lachassagne, et rassemblant une bonne part du groupe néerlandais qui travaille chez Acta. Un barbecue d’adieu, en quelque sorte, la majorité retournant chez eux après cette collaboration estivale. Entre braises à entretenir pour les merguez et viandes diverses, et une petite poussée misanthropique, j’ai tout de même passé une bonne soirée.

Cette petite semaine à Fontès sera placée sous un signe studieux. Les stages de rentrée pour l’Institut Hippocus se profilent, et il me faut être prêt pour nourrir mes interventions. Seuls les deux derniers jours avec Helen auront une coloration de vacances.

Eu rapidement Sandre en ligne qui m’a répété d’embrasser ma grand-mère pour elle. J’ai, à nouveau, essayé de rendre service à une de ses accointances avec mes piètres connaissances juridiques.

Le mariage de Shue approche et j’ai trouvé sans problème, à Lyon, un établissement qui loue des smokings. Les frais vont se cumuler, mais que ne ferais-je pas pour ma chère amie iranienne ?

La mort des cent dix-huit marins russes dans leur coque d’acier, qui gît par cent vingt mètres de fond, m’est un peu passée au-dessus (!) de la tête. Probable grosse gourde d’un navire russe lors de l’exercice militaire en cours, elle a révélé les limites de Vladimir Poutine comme chef d’état. Un manque de maturité politique qui a sérieusement lézardé son image. Peut-être devrait-il se mettre à boire, comme son révélateur le clown Eltsine. Sa force comique restera toutefois bien inférieure à celle du dodu rougeaud.

 

Samedi 26 août

22h50. Je viens de terminer mon projet d’introduction au Gâchis exemplaire, mise en contexte nécessaire pour les éventuels futurs lecteurs. J’espère qu’elle conviendra.

Le camping de Fontès s’est doté d’une piscine : j’irais sans doute y faire trempette demain après-midi avec Bruce. Une première journée que j’ai centrée sur la relecture avec prise de notes de La science en partage.

Un mariage a eu lieu à Fontès et, ce soir, la salle des fêtes accueille les nombreux invités. Le mien aura une coloration plus up-to-date : Shue, Monte-Carlo, smoking, hôtel de luxe...

Ma grand-mère a toujours la même vivacité intellectuelle même si elle oublie ses clefs ! Dommage qu’elle soit si handicapée pour se déplacer : causes uniquement accidentelles (voiture dans un fossé puis chute dans la cuisine).

Je retourne à mes lectures perverses...

 

Dimanche 27 août

Passage à la piscine du camping L’Evasion, mais sans Bruce fatigué de sa nuit blanche. Il part demain matin à l’aube. Nous aurons la maison pour nous, Helen et moi.

Après avoir accompagné grand-mère à la Providence, je lis une heure ou deux dans un fauteuil pliant sur le trottoir, devant la maison, comme cela se pratique en Provence. Non loin de moi, le couple des Sevasse, qui vieillit paisiblement, d’une gentillesse renouvelée. Leur fille Marinette (toujours jolie et ligne de jeune fille), leur gendre et les deux beaux petits enfants (garçon et fille), ainsi que la sœur de Mme Sevasse, les rejoignent. Très reposant tableau pour l’âme ; une douce musique de leur conversation me parvient au cours de ma lecture attentive avec prise de notes. La réunion d’une famille qui fleure bon l’affection et la complicité naturelle. Le mari aurait malheureusement un souci de santé (une forme de leucémie) qui sera rapidement soigné, je l’espère. Que ce tableau si rare, malgré sa simplicité déconcertante, ne soit pas éventré par un drame insupportable !

 

Lundi 28 août

Appel de l’enthousiaste psychanalyste Marine S., amie parisienne, ancienne compagne du chanteur Bernard Lavilliers, qui prend de mes nouvelles. Elle vit un amour-passion avec un jeune homme (elle a dépassé la quarantaine), mais elle souffre d’un vide culturel, d’un manque d’enrichissement intellectuel. Je lui ai laissé mon e-mail et je lui enverrai le fichier Word de mon Gâchis exemplaire pour avoir son avis. Avec son tempérament de braise elle m’a lancé un « emplumez-moi ! » en faisant allusion à un désir de correspondance. Le signe ne trompe pas, d’autant plus venant d’elle, une trifouilleuse des boyaux de la tête.

Je la connais depuis 1995 ou 1996 et elle n’apparaît pas dans mon Journal comme nombre d’autres figures plus ou moins marquantes. Ma sélection scripturale ne répond à aucune logique.

Le soir, plongée dans quelques albums photos confiés par grand-mère. Nostalgie de toutes ces figures vieillies, de tous ces instants perdus... J’étais plutôt mignon petit, avant ma période binoclarde avec cheveux semi-longs...

Demain soir tard Helen me retrouvera. Le temps doit malheureusement se gâter. Cela ne nous empêchera d’exulter...

Les Cargeaud ont rappelé Institia pour que ce soit moi qui suive, cette année, leur fille Ornelle deux heures hebdomadaires en philosophie. Une bouille et une fraîcheur que je vais avoir plaisir à retrouver, en sachant distance garder.

Sans doute très égoïste et égocentrique, j’ai privilégié la liberté de mon indépendance, dans une précarité assumée, et du temps pour l’écriture, plutôt que d’essayer la fondation d’un foyer avec enfants, comme le font la majorité de mes congénères à trente ans passés. Mais sans âme sœur, que faire d’autre ? Sitôt Helen repartie aux Pays-Bas, je retrouverai mon célibat lyonnais. Reste les impondérables...

 

Jeudi 31 août

Retour de Fontès avec Helen, me voilà à Dardilly, aux portes de Lyon. Séjour très agréable et culmination d’intensité avec ma chère néerlandaise. Je reste avec elle jusqu'à son départ, samedi matin.

Ma grand-mère avait ses yeux embués à notre départ... Je l’ai appelée, ce soir, pour la rassurer sur le bon déroulement de notre trajet.

 

Vendredi 1er septembre

Une rentrée en douceur pour moi. Je partage le nid d’Helen, dans la résidence d’Eurotel, jusqu'à demain matin.

Pour résumer nos visites dans l’Hérault : passage sur la plage entre Sète et Agde, déserte, de grosses vagues et un peu de soleil pour nous sécher ; visite du cirque pierreux de Mourèze, qui doit sa beauté au temps érosif ; petit tour au lac du Salagou (lieu fréquent d’amusements de mon enfance) au sein des terres rouges (rouilles plus exactement) et découverte insolite du village ruiné de Celles. L’explication m’est donnée par un monsieur averti : après la guerre, lors de la construction du barrage qui donna naissance au lac, des ingénieurs futés déclarèrent la commune vouée à l’engloutissement sous les eaux. Finalement, après avoir volontairement commencé à démolir les habitations, le beau monde diplômé révisa ses prévisions : la localité subsistera... vidée de ses habitants et avec un nombre considérablement amoindri de toits intacts. Depuis, une route qui s’y achève et une curiosité pour les badauds.

17h47. Je travaille sur les ouvrages au programme des étudiants et le bruit des motards m’emmerde. Pourquoi, alors qu’on s’évertue à rendre les voitures de plus en plus silencieuses, laisse-t-on les deux-roues motorisées polluer le silence potentiel ? Invraisemblable illogisme, pseudo privilège d’une caste qui se croirait plus virile que les autres par le tintamarre imposé ? Et encore un trouduc péteur ! J’enrage... Attendre, toujours attendre pour que l’homme évolue vers un mieux-être... En l’espèce, j’ai le sentiment d’un insondable infantilisme toléré... Pensez donc : quelle couille molle il faut être pour défendre la moto silencieuse !

Encore une dernière note d’enragé : quel dommage que le tir aux motards soit interdit, car ils pullulent sur l’avenue de la Porte de Lyon...

 

E-mail à Magalie T., 2 septembre

Objet : Coucou !

A-y-est !!! je suis de nouveau un célibataire non endurci... Ma chère Helen s'en est allée ce matin...

J'attends le petit texte d'introduction que je dois faire figurer au début de mon Journal (oublié à Fontès et que ma grand-mère m'expédie aujourd'hui) avant de t'envoyer le tout par e-mail...

Malheureusement, Sylvie ne m'accompagnera pas... son petit ami ne serait pas d'accord...

Bisous. A bientôt.

 

Dimanche 3 septembre, 0h15

De retour dans mon Q.G. lyonnais pour une nuit en célibat retrouvé. Mon Sheaffer retrouve ici ses tracés appréciés pour évoquer le tout-venant cérébral... Faire simple... je peine à m’exécuter.

Helen est partie hier matin, après m’avoir déposé rue Vauban. Une entente parfaite qui s’interrompt par la force des destins projetés pour chacun. Malgré cette complicité, j’ai senti sur la fin, en moi, le germe d’une insatisfaction indéfendable. Un tempérament de m... que le mien, j’en conviens. Je mérite ma situation matrimoniale.

Encore une grande messe footballistique ce soir, occasion de verser quelques larmes pour les « départs en retraite » de l’équipe de France des Blanc et Deschamps. Le peuple a bien exulté...

Je dois me discipliner, dès demain, pour tous mes travaux en suspens. Un dimanche consacré à l’index de mon Gâchis, avant un début de semaine pour préparer le stage de rentrée des pharmacies.

Reçu, hier matin, une carte de la famille Cargeaud expédiée le 20 août de Grèce (ou Crète) avec un mauvais numéro de rue, et des nouvelles de mon amie Marianne, à Londres, fiancée et de passage à Paris le jour de mon anniversaire... Sera-t-elle disponible pour une entrevue ? Elle semble avoir trouvé bonheur et épanouissement. Je lui donnerai quelques nouvelles par écrit. Notre rue Mouffetard partagée m’apparaît bien lointaine...

J’ai retenu un smoking, pour mon départ à Monte-Carlo, dans une vieille enseigne spécialisée dans le costume de théâtre. J’espère ne pas faire trop clown.

 

Lundi 4 septembre, 0h15

Vu hier soir, dans Zone interdite, un reportage sur la Jet Set dont un film a tourné les pratiques en dérision. L’un des co-scénaristes, un certain de Brante, appartient au milieu et s’est portraituré par l’intermédiaire de Lambert Wilson. La réalité des Saint-Tropez, Monaco et Monte-Carlo n’a rien à envier à la fiction : ce microcosme de la « futilité », comme le revendique une emperlousée entre deux vautrements, égrène ses soirées pailletées d’or fin et d’esprits gras. Entre les vrais friqués, les incrusteuses adroites et les entre-deux qui ont l’air, la superficialité campe sans faiblir.

Avec ses vingt kilos de trop, Maximo a bien réussi dans cet univers : napolitain de souche modeste, mais avec une belle gueule et une silhouette alors musculeuse, il s’est tapé quelques vieilles sacrées comme Greta Garbo (70 ans) et s’est construit un carnet d’adresses sans égal. Serais-je passé à côté de quelques pistes ? Je préfère mon retrait du monde à ces mascarades fêtardes. La médiocrité fondamentale sue de tout cela.

 

Mardi 5 septembre

Bientôt une heure du matin. Poursuite de l’élaboration de l’index du Gâchis. Travail fastidieux. J’envoie le fichier en e-mail à Magalie T. et à mon père. Marine S. doit me communiquer le sien pour recevoir mon texte. Pour un gros fichier comme celui-là (2 400 000 octets environ) il faut un temps important pour le faire transiter par la ligne téléphonique. Mais quel progrès tout de même !

Rentrée de douze millions d’élèves, moi je retrouverai mes quatorze étudiants en pharmacie mercredi pour le stage de rentrée. Il me semble que les effectifs de Hippocus baissent, dans cette section tout au moins.

Je manque d’entrain pour pas mal de travaux qui m’attendent.

J’ai faxé ce jour mon projet d’introduction du Gâchis à Heïm. Envoi de quelques courriers promotionnels pour Hisloc.

 

E-mail, 6 septembre

Objet : Re : Réponse fax introduction

Cher Heïm,

Je t'envoie mes plus affectives pensées pour les douleurs que tu dois endurer et pour les épreuves hospitalières qui t'attendent.

Pendant ce mois je vais essayer de corriger tous les passages excessifs sur les hommes publics, ainsi que les effets outranciers gratuits... L'introduction convenait-elle ?

Je t'embrasse très fort.

 

Jeudi 7 septembre, bientôt 1h du matin

Dans quelques heures, coup d’envoi d’une nouvelle année à Hippocus (ma troisième saison). A ce propos, une petite anecdote : Monsieur Gentia, le directeur du centre de Lyon, a cru qu’Ornelle, que je faisais travailler sur son oral de français à l’Institut, était ma petite amie. « Une très jolie jeune fille » a-t-il dit à Lauranne qui m’a révélé l’info. Cette chère Lauranne, elle sérieusement fiancée, semblait intriguée (et peut-être séduite) par la personnalité découverte dans quelques pages du Gâchis.

Grand décalage entre l’image que je laisse transparaître et ma vraie texture.

Toujours de l’hystérie dans les films de Zulawski. J’ai La femme publique en fond, et les cris règnent sans partage.

E-mail de Heïm qui va très mal physiquement (de grosses douleurs dans les mains et des apnées nocturnes). Hospitalisation prochaine à Reims. Il m’annonce que Franck Roc a lu le Gâchis et qu’il trouve des passages excellents (notamment l’échange avec Sandrine) mais serait pour des coupes franches, notamment les outrances envers des personnages publics. Heïm pense lui qu’il serait dommage d’amputer ce Journal. Je vais essayer de retravailler ou de corriger les passages concernés.

Lionel Jospin a mis un point d’arrêt à la pratique de la concession systématique sous la pression violente. Le blocage des dépôts de pétrole en France risque d’atteindre l’économie en plein cœur. Les chars seront-ils envoyés sur les lieux pour débarrasser les entrées des poids lourds, tracteurs, ambulances ? Les pays de l’opep tiennent entre leurs barils la bonne santé et l’existence même des pays développés.

 

Vendredi 8 septembre, 0h01

Big Media étoffe ses journaux pour traiter les blocages tous azimuts. La journée de jeudi aura été le point d’orgue des revendications aux quatre coins de la France.

Je m’exile aujourd’hui loin du tintamarre ambiant, à Monte-Carlo. Shue a répondu à mon e-mail pour me préciser les heures et lieux de rendez-vous. Treize heures de train en deux jours et demi, de multiples frais engendrés, il faut que ce soit Shue pour que je fasse tout cela.

Le patron des patrons, la F.O. et la C.G.T. condamnent tous trois l’action des dirigeants d’entreprises de transport. Les motifs divergent bien sûr.

Pendant cet engluage national, se déroule à Lyon un sommet essentiel sur l’effet de serre : le rapport de synthèse conclut à l’élévation jusqu'à cinq degrés de la température au cours du XXIe siècle, ce qui signifie pour l’Europe (la France et les Pays-Bas notamment) l’engloutissement de morceaux considérables du territoire, mais également la disparition d’îles peuplées. L’individualisme égoïste règne en maître et ne donne aucun espoir de voir changer les habitudes dans les modes de déplacement. Le véhicule individuel garantit le confort d’une bonne partie de la population, mais contribue à la possible survenance de catastrophes majeures.

 

Lundi 11 septembre

Malgré les seize heures de train en trois jours, grève et retards compris, le séjour à Monaco restera comme une parenthèse de magnificence. Le vendredi soir, après un nettoyage exprès à mon hôtel, je retrouve au Bar américain de l’hôtel de Paris une trentaine de personnes parmi lesquelles ma chère Shue, John et Alise, une charmante avocate new-yorkaise avec qui le contact s’avère très complice. Quelques-unes parlent le français, et notamment trois jeunes femmes qui logent dans le même hôtel que moi. Un début quelque peu calme qui s’achèvera au Jimmy’s, boîte au décor de nature splendide et à 250 F le verre de soda.

Après un samedi après-midi à la plage, je retourne à l’hôtel de Paris, en smoking, pour la cérémonie d’union dans le salon Debussy (avec harpe et violon). Décors feutré, mariée resplendissante... Le repas qui suivra, dans l’impressionnante salle Empire, confirmera l’extrême élégance conviviale de l’organisation. Shue a eu la délicatesse de me mettre à une table où l’on parle le français, avec des têtes familières. Notre tablée (la Caring, Shue les ayant baptisées d’une qualité fondamentale du mariage parmi lesquelles je me souviens de l’évident Love, mais aussi Compromise, Honesty...) est la plus proche de celle des mariés. Un orchestre de jazz agrémente la soirée : les danses s’improvisent à la fin de chaque plat. La salle Empire est somptueuse et ouvre sur une terrasse gigantesque d’où l’on aperçoit le casino. Les gens qui passent en contrebas semblent nous regarder avec envie. Avant le dîner, le cocktail nous avait permis de découvrir les jardins de l’hôtel, face à l’étendue méditerranéenne. L’occasion de discuter avec quelques charmantes jeunes femmes, dont l’adorable Alise. Lors de ma présentation des félicitations aux mariés, Shue et John m’ont chaleureusement remercié de ma présence, et une photo a immortalisé l’instant.

Après le copieux repas et ses multiples interruptions dansantes, les plus vaillants rejoignent à nouveau le Jimmy’s, boîte fréquentée par les Grimaldi.

J’ai profité de ce séjour sans temps mort et sans poussée misanthropique. La qualité des lieux et des gens m’a préservé des dérives habituelles de mon caractère cyclothymique.

Envoi ce jour d’un e-mail aux jeunes mariés pour leur témoigner mon ravissement. J’ai également répondu à Helen qui vient d’ouvrir un e-mail. Envoi d’une carte à Sandre pour son anniversaire du douze et à Helen pour celui du dix-sept.

Très descriptif comme écriture, trop peut-être, mais je devais conserver trace de ces moments d’exception.

 

E-mail, 11 septembre, 13h48

Objet : Coucou de ton lyonnais préféré !

Ma chère Helen,

Ravi de pouvoir te lire. Je suis revenu hier soir de Monaco, enchanté. Beaucoup d'heures de train, avec des perturbations, mais un séjour magnifique et une réception d'excellence dans l'hôtel de Paris, tout à côté du Casino. Une salle de réception de style empire, un orchestre, une terrasse de rêve et des gens charmants. Shue était splendide... enfin tout s'est déroulé à la perfection, et j'ai fait le plus bel effet, je crois, dans mon smoking... Je devrais avoir des photos. J'essaierais de m'équiper d'un scanner pour t'en envoyer par e-mail.

J'espère que ton travail chez le généraliste sera plus intéressant. Je t'embrasse, te frôle, te goûte partout...

A te lire. Avec de profonds baisers.

 

E-mail, 11 septembre, 14h02

Objet : Merci à vous deux !!!

Chère Shue, cher John,

Quel enchantement que ce séjour ! J'ai été très honoré d'assister à votre magnifique union. Une soirée d'exception à cet hôtel grandiose avec des gens tous plus charmants les uns que les autres.

J'ai récolté quelques adresses : Shirine Nourdeh, Marjan Salehi, Niloufar Kossari, Leyla S. et Dadou J. (je ne suis pas certain de l'orthographe du dernier nom).

Je dois recevoir un e-mail d’Alise, l'avocate de New-York, que j'ai trouvé adorable et très attachante.

En revanche, j’aurais aimé envoyer un e-mail ou un courrier à deux personnes à qui j’ai oublié de demander leurs coordonnées : la charmante demoiselle qui vous a fait vous rencontrer, et une grande et fine jeune femme blonde de Zurich avec qui j’ai pas mal discuté... Si vous pouviez me les communiquer...

J’attends avec impatience de voir les photos et film de cet inoubliable mariage. Merci de ce que vous êtes, merci Shue de me compter parmi tes amis. Que votre bonheur soit à l’image de l’harmonieuse soirée que j’ai vécue avec la plus totale gourmandise.

Avec ma plus vibrante affection pour vous deux.

A très bientôt.

 

Mercredi 13 septembre, 1h10

Retour de Christophe Dechavanne dans une forme olympique pour une nouvelle série de Ciel mon mardi ! Premier sujet sur le féminisme et les chiennes de garde qui combattent toutes les formes d’insultes et de violence contre les femmes publiques. Les débats bruyants en direct manquaient sur les ondes tv.

Le hasard veut que demain je donne à mes étudiants en médecine, lors du stage de rentrée, un sujet sur la différence des sexes et ses implications.

 

E-mail à Helen, 16 septembre, 11h53

Objet : j.o.y.e.u.x. a.n.n.i.v.e.r.s.a.i.r.e.

Une très joyeuse vingt-neuvième année, qu’elle t'apporte tout ce que tu espères.

Ma rentrée pour les pharmacies et médecines s'est bien déroulée. Je redonne quelques cours particuliers et j'avance dans la mise au point de mon index.

J'ai entendu que les Pays Bas avaient suivi le mouvement de grogne contre le prix des carburants ! Cela a-t-il des conséquences pour l'approvisionnement ?

Je t’embrasse tendrement.

 

Lundi 18 septembre

Les semaines défilent et je ne donne aucun signe de sursaut existentiel. Les quelques distractions que je m’accorde dissimulent de moins en moins l’inanité de ma trajectoire. Avec ou sans enthousiasme, la vie passera, de toute façon.

Revu Sandre samedi soir pour un agréable dîner partagé aux Cigales, restaurant provençal sis dans le sixième lyonnais. La veille, rencontre d’une jeune fille de 21 ans avec qui la complicité s’est vite révélée. Je garde toutefois un sentiment d’insatisfaction : pas la femme du reste de ma vie donc...

Le référendum pour la réduction du mandat présidentiel ne passionne guère. Pasqua, reçu au jt de la Une, stigmatise les gourdes de Jospin-Chirac et se place, avec une certaine jubilation, dans le camp des non. Depuis qu’il a viré le turbulent de Villiers, il peut exercer son omnipotence faconde et son gaullisme méridional.

L’Institut Hippocus s’implante encore un peu plus avec l’ouverture d’un centre à Clermont-Ferrand. A Lyon, François Gentia laisse sa place de directeur à Lauranne H. et investit de plus rémunératrices fonctions, je présume. Voilà une carrière rondement menée, au contraire de moi qui végète. Pour qui, pour quoi me ferais-je ch..., pour moi ? Je n’en vaux pas la peine.

 

Mardi 19 septembre

Hier, une reprise de contact inattendue. Alors que je finalise mon index, nouvelle tentative (la première de l’année 2000, sans doute) pour avoir Nadette au téléphone. Après communication automatique de son nouveau numéro, je l’ai au bout du fil. Elle semble très heureuse de m’entendre, m’assure qu’elle n’a rien contre moi, et me résume ses quatre dernières années (notre dernière entrevue remonte à 1996, lors de son mariage). Je fais de même et lui promets de venir la voir dans sa cambrousse. Elle doit soutenir prochainement sa thèse (elle s’est mise en suspension plusieurs années de suite car, lorsque je l’ai rencontrée, elle travaillait déjà sur son sujet).

Je poursuis la réécriture des passages du Gâchis gratuitement féroces sur des personnages publics. Pas une grande concentration de cours à donner cette semaine. Les rentrées financières en sont d’autant plus reculées. J’espère que la vacation à l’université Lyon III pourra bien se faire...

L’esprit lourd et vide, je ne quête plus rien et même les rencontres réalisées (Helen, et plus récemment Suzy) ne me mobilisent pas plus que pour les instants partagés. J’étais au Purgatoire en 1994 et 1995, me voilà en sursis face au temps qui s’écoule sans que je ne construise rien, ni pour moi, ni pour les autres. Mon isolement volontaire a des allures de renoncement définitif. Même ces pages, je dois me forcer à les salir de mes incongruités, sous peine de vraiment sombrer dans le néant au quotidien.

Les jeux olympiques de Sydney (là où Lucien, le demi-frère de ma mère, est mort du Sida : gentil homosexuel qui, à Viroflay, m’avait offert ma première montre, une Kelton conservée dans un carton au château) débutent très favorablement pour les Français. Au troisième jour, avec douze médailles, nous culminons à la deuxième place, juste derrière les Etats-Unis. L’enthousiasme qui règne chez les sportifs contraste avec mes remugles nauséeux.

 

E-mail, 20 septembre, 20h37

Objet : Nouvelles de Lyon

Chère Helen,

J'espère que tu as été bien fêtée pour tes 29 printemps !!!

Tu as reçu mon mot par e-mail, mais as-tu bien reçu ma carte par la poste ?

Vous avez un nageur du tonnerre !!! As-tu vu ses exploits ? Et toi, côté sport, comment cela se passe ?

J'ai fini mon index et je poursuis la correction des passages outranciers.

Je t'embrasse très fort.

 

Jeudi 21 septembre

Premier cours de philosophie donné à Ornelle. Ravi de la retrouver. Remontée à bloc pour obtenir une mention bien à son bac, elle souhaiterait s’installer à Paris, l’année prochaine. Encore une bouille attachante dont je serai séparé.

Début de lecture du manuscrit de Jacques L., père de l’élève que j’ai suivi cet été. L’amour selon Sainte Albe narre, dans une langue presque précieuse et métaphorique à outrance, la destinée de cette étoile envoyée sur terre pour y diffuser l’Amour et qui aura un enfant de Jésus. Je remettrai mon rapport d’analyses et d’appréciations avant la fin octobre. Travail rémunéré bien sûr.

Reçu aujourd’hui le catalogue 2001 de la collection mvvf. De plus en plus impressionnant. Et moi qui ai lâché ce grand’ œuvre. Le papier utilisé pour les rééditions, et normalement pour mon Gâchis, offre un toucher et une couleur de grande qualité.

Vendredi, je dois voir le conservateur du fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lyon pour obtenir le prêt d’un ouvrage sur le Berry du XVIIe siècle.

Dernière nuit passée avec Suzy à qui j’ai précisé ma position sur la teneur et le devenir de notre rapport. Elle semble avoir apprécié ma franchise et désire poursuivre notre relation d’amants.

Un e-mail d’Helen qui me résume ses derniers jours, des photos de moi adressées par Mme Caravelli qui me renouvelle son invitation à venir chez eux, et deux photos du mariage de Shue expédiées par Shirine, une de ses amies basées à Paris. Cela bouge donc autour de moi, mais je me sens de plus en plus vide. La répétition des erreurs et la désillusion sur mon parcours à venir assèchent l’âme et le cœur.

La rançon de cette indépendance-isolement tient dans l’anéantissement de toute carrière professionnelle et dans une très improbable construction familiale. Je me comporte de plus en plus comme un témoin déformant du monde alentour, prenant çà et là quelques menus plaisirs, mais fondamentalement éteint. Tant que j’assumerais ma survie minimale, je pourrais illusionner (« peut-on se mentir à soi-même ? » : sujet de dissertation philosophique que j’ai proposé aujourd’hui à Ornelle !) sur mon statut social, mais si cela se révèle également éphémère, je n’aurais guère de voies dignes...

Une qui doit en avoir gros sur la patate : la caractérielle Marie-Josée Pérec, rentrée en catimini en France après une pseudo agression dans son hôtel (elle snobait la délégation française et son joli coin de nature où elle aurait été en sécurité). Big Media se défoule et tire à boulets rouges sur la triple (ou quadruple) championne olympique. TF1 en fait même son premier titre, avant le témoignage posthume de l’organisateur du financement du rpr à Paris qui met Chirac directement en cause.

Un peu systématique mes pages de lamentations. Il faut que je redonne un souffle à cette écriture qui suit docilement les inanités de mon psychisme.

 

Samedi 23 septembre

Magnifique exploit du judoka français David Douillet : il devient le plus titré de l’histoire de ce sport (détrônant un japonais légendaire dont le nom m’échappe). Ce qui est surtout exemplaire tient dans la détermination à se reconstituer un potentiel physique en deux mois après de graves soucis et un arrêt de toute compétition pendant plus d’un an. Etre un douillet ne peut plus vouloir dire aujourd’hui que de posséder une foi et un courage hors norme.

L’impressionnant bonhomme ne manque pas non plus de finesse. Lorsque la consultante en judo, de France Télévision, lui demande la confirmation que ce jour d’obtention d’une deuxième médaille d’or olympique constitue le plus heureux de sa vie, il reste lucide dans la relativisation des événements, et place la naissance de ses enfants au-delà de la consécration sportive.

Reçu, vendredi, une lettre enflammée de Helen avec quelques photos prises à Lyon et lors de notre séjour à Fontès. Elle pourrait venir me voir du 14 au 22 octobre. Je serai malheureusement occupé et je ne pourrai pas repousser mes obligations, d’autant plus que cette rentrée n’est pas trop synonyme de renflouement des caisses jusqu'à présent.

 

E-mail, 24 septembre, 19h52

Objet : Envolée lyonnaise

Chère Marine,

Ravi de pouvoir vous lire. J’espère que vous allez bien et que vous vous délectez de votre bonheur charnel. Je dois taper des modifications pour mon Journal pamphlétaire, et je vous l’enverrai par ce biais, après.

Au plaisir de garder intense cet échange. Racontez-moi tout ce que vous voulez.

 

E-mail, 24 septembre, 19h58

Objet : Sur ta venue...

Ma chère Helen,

Je serais bien sûr très heureux de te voir, mais je risque d'être occupé, ne pouvant me permettre de laisser passer des cours à donner (mon mois de septembre a été très juste financièrement). D'ores et déjà je suis pris de 18h30 à 20h30 à l'institut Hippocus les lundi et mercredi soir, ainsi qu'un cours mercredi après-midi et vendredi soir.

Cela m'ennuie donc que tu fasses un si long voyage pour que je ne puisse que partiellement me consacrer à toi... mais ma porte est grande ouverte bien sûr.

J'ai été très touché par ton courrier, mais je ne veux pas que tu occultes ton sentimental par mon souvenir, et d'autant plus si tu viens me voir.

Je t'embrasse très fort.

 

Lundi 25 septembre

Encore une semaine à écouler en assurant le minimum vital.

Les affaires reprennent dans le monde politique : la cassette Mery, divulguée 18 mois après la mort du financier du rpr, déballe tout le mécanisme de financement et met en cause J. Chirac lui-même. Rebondissement du jour : dsk, ancien ministre de l’économie et des finances, a eu une copie entre les mains, mais ne l’a pas regardée et l’a même égarée. D’un réalisme à faire frémir. Comment s’étonner du record d’abstentions au référendum pour le quinquennat adopté largement par les rares votants ?

Côté perso : un très agréable dimanche chez les Caravelli et quelques entrevues avec Suzy.

 

Jeudi 28 septembre

Mon temps est très compté. Une surcharge de travail probable, à l’Institut Hippocus, si je suis chargé de la philosophie pour préparer les étudiants (Bac + 3) au concours du crpe.

Vu Ornelle ce jour pour un cours de philo. Une toujours aussi joyeuse complicité. Elle me révèle des choses indévoilables (j’ai tenu ma promesse !)

 

Vendredi 29 septembre

Une véritable déliquescence au rpr. Avec Alliot-Marie à sa tête et les affaires bouseuses à ses pieds, le parti gaulliste n’est pas gâté. Plus aucun entrain pour mettre un véritable coup de pied dans cette malodorante tanière.

Ce soir, je vais déguster le dernier Kassovitz avec Suzy.

 

Lundi 2 octobre

Ornelle m’appelle ce soir pour un soutien de dernière minute sur la composition d’une analyse philosophique. Puisqu’elle m’en a donné l’autorisation, je révèle sa confidence : encore vierge, elle a pris le pari de rompre l’hymen avant la fin de l’année. Une piste s’annonce. A suivre...

Mercredi, je plaiderai ma cause devant Fr. G., promu directeur national de Hippocus : obtenir un paiement de 250 F brut par heure de séminaire donnée. Le travail de lecture de huit ouvrages et la préparation d’interventions sur des thèmes toujours nouveaux justifient bien ce statut tarifaire particulier.

La guerre ouverte entre Israël et Palestine éloigne un peu plus le processus de paix. La plaie du Proche-Orient mériterait un plus expéditif règlement.

 

Mardi 3 octobre, 1h30

Eu, hier soir au téléphone, Aurore que je vais probablement voir pour mes 31 ans, lors d’un passage à Paris le week-end prochain. Toujours dans son placard à Paris, un amour en Grèce et une voix adorable. Elle me fait réaliser que nous nous connaissons depuis dix ans. C’est fin 1990 que j’ai osé faire le tour d’une table où elle me faisait face, à la bibliothèque Cujas près de la Sorbonne, pour lui adresser la parole. Des chagrins et des angoisses devaient suivre, mais je ne regrette en rien d’avoir pu partager ces denses instants avec elle.

 

Vendredi 6 octobre

A trois heures du matin, trente et un cycles à ma denture. La trentaine va égrener ses années à vitesse fulgurante, mais l’angoisse de la mort ne s’insinuera pas, à moins qu’une maladie grave ne vienne me ronger. Pour l’instant, ma forme physique est olympienne.

Pour cet anniversaire, je fais une tournée expresse des pater-mater avec en prime des entrevues prévues avec Cindy D. (très jolie minitellienne rencontrée l’année dernière), Aurore (mon premier amour) et Marianne (voisine du dessous, au temps de la rue Mouffetard). Trois charmantes jeunes femmes pour trente et une bougies... mais à regarder seulement.

L’affaire du crpe est tombée à l’eau. Mon inexpérience en matière d’école primaire a hypothéqué la proposition. J’ai tout de même sollicité une revalorisation du tarif horaire pour les séminaires de pharmacie et de médecine.

Journée décisive du pôple déchaîné en Yougoslavie. Prise du Parlement, de la télévision et ralliement de l’armée et de la police. Espérons que Milosévic ne connaisse pas le sordide sort qui avait été réservé aux Ceaucescu.

La tentative de rapprocher, à Paris, dirigeants israéliens et palestiniens a finalement échoué, au contraire de ce que laissait présager la déclaration un peu hâtive, quoique à une heure avancée de la nuit, du président Chirac qui annonçait « un pas considérable ». Sans doute un coup de fatigue... C’est au tour de Clinton d’envoyer une invitation, aux deux ennemis, pour Washington. Ce processus de paix a tout d’une grossesse gazeuse avec pets intempestifs et meurtriers.

 

E-mail, 8 octobre, 23h36

Objet : Merci chère Cindy

Vraiment heureux d'avoir partagé ces instants en ta compagnie... un peu morose d'avoir dû rejoindre ma capitale des Gaules.

Toi qui sais déceler chez quelqu'un très vite ce qu'il pourrait être pour toi... pourrais-je avoir la primeur de ce que ma fréquentation t'a révélé ?

Tiens-moi au courant de l'évolution de ta situation, et si tu as besoin d'une aide de quelque ordre que ce soit, tu peux compter sur moi.

Avec toute mon affection.

 

Lundi 9 octobre, 0h30

De retour des contrées lutéciennes surpeuplées. Je n’y ai point vu le pater qui a tout simplement repoussé ma venue. La lecture de mon Journal et les quelques pics qui lui étaient adressés ne lui ont pas plu, au point de ne pas avoir pu les digérer. La sacro-sainte image qu’il pensait sans doute voir émerger s’en est trouvée bousculée. Il doit m’écrire une lettre. A suivre.

De très agréables moments passés avec la ravissante Cindy. Son regard me trouble, mais je sais au fond qu’elle n’est pas faite pour moi : un caractère trop libéré dans son approche du couple. En amante elle doit être divine. Avant tout, ce qui m’importe c’est de faire s’épanouir un lien complice et durable avec elle.

Aurore allait bien : toujours touchant de la voir évoluer, prendre une mine plus femme.

En revanche, pas vu Marianne... impossible à joindre pour fixer le rendez-vous.

Le Proche-Orient va-t-il nous offrir le lamentable spectacle de la première guerre du XXIe siècle ? La haine belliqueuse entre les Palestiniens et les Israéliens atteint une intensité dangereuse.

 

E-mail, 9 octobre, 12h16

Objet : J’ai bien tout reçu

Cher Heïm,

Je te remercie pour l'e-mail et le petit message téléphonique.

Comment évoluent les douleurs dans tes mains ?

J'espère pouvoir venir bientôt pour me régaler avec toi.

Je t'embrasse très fort. (As-tu reçu mes propositions d'atténuation pour mon Journal ?)

 

E-mail, 9 octobre, 12h20

Objet : Re : London-Paris

Chère Marianne,

Il est bien dommage que nous n'ayions pu nous voir. J'ai vainement essayé d'appeler de chez ma mère sur le portable que tu m'avais laissé, mais impossible d'établir une connexion.

Je suis même allé vers Bastille en début de soirée, mais il semblait impossible de pouvoir te trouver.

J'espère que tout s'est bien passé pour toi.

J'espère à une prochaine fois.

 

E-mail, 9 octobre, 12h26

Objet : Re : Happy Birthday !!!

Merci pour ton message ma chère Helen,

Non, je n'ai pas encore reçu ta carte... mais j'en salive déjà.

Pour la semaine du 29 au 4 novembre, je n'ai pas de séminaire à donner pour l'institut Hippocus... donc je pourrais être plus disponible, même si je risque de devoir tout de même donner quelques cours particuliers (mais je n'ai pas de grosses préparations pour ces interventions).

J'ai fait un tour à Paris, vu ma maman et mes frères, mais pas mon père qui, après avoir lu mon Journal (que je lui avais envoyé par e-mail) n'a pas souhaité me voir... Les vérités le concernant, sous le mode pamphlétaire, ne lui ont sans doute pas plu. Il doit m'envoyer un courrier... et cela n'aura pas la douceur d'une carte d'anniversaire.

 

Mardi 10 octobre, 0h05

Vu le premier volet du documentaire fouillé consacré à Mitterrand. Le ton se veut résolument neutre, relatant les contrastes d’une vie, pour le moins extraordinaire, toute en touches feutrées, en suggestions d’antichambres opaques, avec quelques coups d’éclat d’à-propos. Son rôle, ses rôles devrais-je dire, dans la IVe République, tout comme à l’époque de Vichy, ont révélé (ou confirmé) l’ambivalence d’une attitude où l’intelligence de la situation prenait parfois le pas sur l’éthique requise.

Ce soir, reprise à partir de 1958 et de ses 23 ans d’opposition... ce qui valait bien quatorze années d’exercice (plus ou moins contrarié) du pouvoir présidentiel.

Premier séminaire donné dans un amphi de l’école d’infirmières aux étudiants en médecine de Grange-Blanche. Tour d’horizon des docteurs Faust, Knock et Pascal.

 

E-mail, 10 octobre, 11h19

[Extrait de son mail entre crochets, pour rendre compte du dialogue instauré.]

Objet : Vagabondage

[Je dîne ce soir avec la personne qui est susceptible de me prêter son appart.]

Je croise donc les doigts pour toi... aie ! difficile à faire en virtuel.

J'ai moi donné mon premier séminaire aux étudiants en médecine dans un amphi de l'école d'infirmières : vagabondage entre les docteurs Faust, Pascal (de Zola) et Knock. J'ai pu faire un peu de rollers au parc de la Tête d'Or à Lyon avec du soleil et pas un chat (à écraser). Au fait, sais-tu en faire (j'espère ne pas t'avoir déjà posé la question, sinon je me liquéfie du bulbe !).

Sinon R.A.S. A bientôt.

 

À 23h28

Objet : Nuit de pleine lune

Un décor bien sage, avec un petit clin d'œil à ta première paire de chaussures.

Je suis un peu anxieux aussi en pensant à ta soirée : pourvu que ça marche !!! A cette heure-là (23 heures) tu dois le savoir.

Pour les rollers, si tu viens un jour à Lyon, il faudra les amener pour que l'on roule ensemble... héhé.

Je finis ma soirée devant le bout Dechavanne : thème poncif, ce soir ---) l'irrationnel, avec des témoins farfelus.

Voilà, ma chère Cindy, avec une pensée pour toi. À bientôt.

 

[E-mails à Cindy]

Mercredi 11 octobre à 12h16

Objet : Un rayon

[La soirée s’est bien passée. Il doit me laisser les clefs samedi, normalement.]

Voilà une nouvelle réjouissante en effet... Ce terrorisme nocturne risquait de t'atteindre dans ta santé. Cette location est-elle à durée déterminée ?

[Aujourd’hui, il fait un temps magnifique à Paris.]

Chacun son tour pour le temps : pour moi mélange de grisaille, de froideur, de pluie et de vent... à rester sous la couette. Je dois malheureusement aller délivrer quelques connaissances philosophiques à une charmante élève de terminale, puis enchaîner avec un séminaire pour les pharmacies : la science et l'information, l'eugénisme, l'euthanasie, la médecine au XVIIe... que des thèmes passionnants ne trouves-tu pas ?

En voilà un lyonnais qui a de la chance !!!

Vas-tu avoir besoin d'un coup de main pour déménager tes quelques affaires ?

Je t’embrasse et à très vite.

 

À 23h41

Chère Cindy,

[Mon départ me pose aussi des questions : comment vais-je vivre seule, serais-je malheureuse si je n’ai pas de nouvelles de lui ? Saurais-je ne pas lui en donner ?]

Je perçois un début de tourment intérieur dans tes interrogations, et j'espère que ce ne sera que passager et que cette installation sera signe de renaissance.

Je ne voudrais pas parasiter cette situation mais je te fais part de l'opportunité que j'ai : les parents de mon élève préférée doivent venir à Paris ce week-end et me proposaient, si j'en avais l'utilité, de m'associer à leur voyage.

Alors, voilà mes interrogations : souhaiterais-tu me voir, en aurais tu le temps, voudrais tu un coup de main, une cordiale compagnie pour aborder cette transition ?

Je t'embrasse et bon courage à toi.

 

[E-mail à Cindy]

Jeudi 12 octobre à 12h37

Moi et mes gros caractères!!! Désolé de ce placardage en bleu vif !!!

Me voilà en Arial taille dix, bien plus incognito.

[En fait, je crois en y réfléchissant que je ne serai dispo ni dans ma tête ni en terme de timing.]

Je vais donc voir si je fais effectivement ce voyage, car il me faut trouver des amis à rencontrer. Tu peux bien sûr m'appeler quand tu le souhaites.

Le temps de la sédimentation me paraît une sage décision et profite bien de ta famille.

Moi, aujourd'hui, je reste chez moi pour m'occuper d'un rapport de lecture sur un ouvrage d'un parent d'élève... Presque fainéant en somme.

Je t'embrasse.

 

Dimanche 15 octobre

Finalement, le documentaire Mitterrand : le roman du pouvoir est bien complet ; même le faux attentat des jardins de l’Observatoire y est traité. Quelle existence multiforme ! Quel acharnement pour réaliser son ambition, quelle capacité à ne pas se laisser enterrer après un faux pas, parfois gravissime. Je ne fais décidément pas partie de cette catégorie d’individus. Chez moi, la mise en retrait devient une règle et le relationnel une incapacité (ou un manque de goût).

Tapie chez Ardisson, cette nuit. Il semble heureux dans l’univers des saltimbanques. En pull coloré, il n’a rien perdu de sa verve. Lui aussi, une sacrée pointure pour renaître de ses cendres : mais un changement de cap qui semble définitif. Michel Boujenah nous a offert quelques minutes de lyrisme sérieux pour plaider en faveur de la paix dans le conflit israélo-arabe. Le Secrétaire général de l’onu s’est d’ailleurs démené jusqu'à l’absurde pour arracher un accord de principe sur une rencontre, en Egypte, des deux têtes dirigeantes. Une énième réunion de perlimpinpin qui ne calmera pas les peuples, et notamment les Palestiniens. De surcroît, Arafat a ouvert son infecte boîte de Pandore : les plus dangereux islamistes prêts à l’attentat suicide ont recouvré la liberté.

 

E-mail, 16 octobre

Ma chère Helen,

J'ai bien eu ta carte et je t'en remercie...

Je viens de changer mon imprimante, la mienne a expiré (carte mère morte). La nouvelle, légère et petite, imprime du tonnerre !

Comment vas-tu et comment se passe ton travail ?

As-tu des précisions pour ton éventuel séjour ?

Je t'embrasse très fort.

 

E-mail, 16 octobre

Ma chère Cindy,

Comment s'est passé ton week-end et ce fameux déménagement ?

Es-tu enfin installée et te plais-tu dans cet appartement ?

J'espère avoir de bonnes nouvelles de toi.

Je t'embrasse et suis de tout cœur avec toi.

 

[E-mails à Cindy]

Mardi 17 octobre à 9h47

[Samedi soir, nous sommes sortis avec Yves. Nous nous sommes couchés à trois heures ! Il me parle de vacances, de week-ends ensemble. En tout cas, il a été adorable.]

Voilà un retournement inattendu et que j'espère de bon augure. Alors de nouveau je fais un vœu...

Je ne suis finalement pas venu à Paris.

La marche va bien, mais je ne pense pas souvent à mettre mon podomètre sur le côté... En moyenne je dois tourner autour des 2 à 3 kilomètres quotidiens.

Pour ma part le week-end a été renfermé : temps de ch... à Lyon et personne à voir. J'ai pu avancer un rapport en cours sur un ouvrage. As-tu bien reçu le fichier de mon Journal ?

Ma néerlandaise préférée doit venir à Lyon pour une semaine de vacance du 28 octobre au 5 novembre.

Bonne continuation, alors, dans cette renaissance inespérée.

J'espère te revoir bientôt.

À 11h40

[Pourquoi renaissance ? Pourquoi retournement inattendu ? Je ne comprends pas. Qu’ai-je fait ou qu’ai-je dit ? C’est quoi ton vœu ?]

Bon, alors puisque je suis aussi elliptique, j'éclaire mes propos :

Renaissance de la possibilité d'une vie partagée entre toi et Yves.

Retournement inattendu, parce qu'il m'avait semblé que tu étais parvenue au point de non-retour dans cette histoire qui t'éprouvait visiblement.

Mon vœu, c'est bien évidemment que ton histoire fonctionne, cette fois, pour de bon.

J'espère que tu ne me soupçonnes pas d'autres pensées... et que mes éclaircissements sont suffisamment limpides.

Je t'embrasse.

À 14h51

[Parce que tu crois vraiment qu’il serait possible que notre histoire renaisse ? Crois-tu que notre séparation physique soit une chance pour nous ?]

Je suis touché des interrogations que tu m'adresses et je voudrais pouvoir t'apporter des réponses utiles.

Vos sentiments existent toujours et n'ont donc jamais été anéantis, mais plus vraisemblablement malmenés. Je crois que cette séparation physique aura le gros avantage (pour toi) de dissiper la pression quotidienne d'un rapport tourmenté. De là peut émaner (de son côté) la réelle envie de construire totalement avec toi. Ce manque de toi, que je peux facilement imaginer, aura peut-être raison de son égoïsme immédiat. C'est en tout cas la seule chose que nous pouvons espérer. De ton côté cette distance te permettra de savoir s'il est réellement l'élu, quoiqu'il arrive...

Voici ma réponse en attendant un élève qui vient se former au français.

Je t'embrasse. Avec toute mon amitié.

 

E-mail, 17 octobre, 15h51

Ma chère Helen,

Lapsus révélateur dans ton message : tu indiques ton arrivée pour le 28... août !!!

Ne t’attends pas à une météo de cette époque : grisaille et pluie te rappelleront plutôt ton pays... Le Rhône m’a semblé être encore dans son lit.

Je serai très heureux de te revoir... Tu as encore des amies néerlandaises, à Lyon, je crois.

Je t’embrasse bien fort.

 

E-mail, 18 octobre, 8h49

Chère Cindy,

Je ne suis malheureusement pas câblé et je ne pourrai donc pas voir mes divagations cinématographiques, qui ne doivent d'ailleurs être diffusées qu'en novembre, il me semble.

En nettoyant ma rubrique « éléments envoyés et reçus », j'ai trouvé trace de ton premier message le 19 novembre 1999. Par curiosité, j'ai regardé dans mon ancien agenda et j'ai retrouvé la date de notre première rencontre : le mardi 26 octobre 1999 à 12h15 au métro Convention !!! Tu vois, on va bientôt fêter nos un an !

Voilà, c'était ma rubrique nostalgie.

Je t'embrasse.

À 12h21

[Merci pour tes messages, je les aime beaucoup. (...) Tu vois je prends soin de moi.]

Voilà un touchant tour d'horizon Cindy. Quelle belle sensibilité tu as.

Je crois effectivement qu'un emploi du temps amical chargé ne pourra que te faire du bien... surtout ne reste pas isolé. J'ai vécu cette situation par choix (et je le vis sans doute encore par exil géographique) et il faut un caractère très particulier pour supporter, voire apprécier, la solitude en tout.

Sur le sommeil, je suis moi dans une situation inverse : difficulté à m'endormir le soir, je dois attendre 1 ou 2 heures du matin pour me laisser glisser dans les songes. Alors profite de ce sommeil précoce, il est très certainement reconstructeur.

Pour moi, la vie s'écoule sans saillance particulière, si ce n'est le tourbillon des activités... Mon papa de cœur m'a adressé un message très touchant, hier, en me disant de ne pas m'inquiéter, que mon ouvrage sortirait bientôt, mais que des douleurs dans les mains ralentissaient son travail. J'ai hâte de le voir publié...

Le samedi 28, je serai à Paris avec Helen, venue des Pays Bas, mon frère Karl, sa petite amie et sa maman. Une façon de fêter nos anniversaires (Karl et moi sommes d'octobre) nous irons voir un spectacle sur les Dix Commandements. Puis, retour à Lyon pour une semaine de douces retrouvailles... J'ai pris le moins de rendez-vous possible pour pouvoir me consacrer à elle... Je sais que cette histoire ne donnera rien à long terme, mais je crois qu'il faut prendre les doux et intenses instants qui s'offrent... Et c'est Helen qui a insisté pour venir me voir (1000 km en voiture).

Voilà chère Cindy, je vagabonde moi aussi et espère ne pas être trop saoulant, hé hé !

Je t'embrasse et espère te lire bien vite. Affectueuses pensées.

À 21h40

[Vu l’état psychologique d’Yves et les médicaments qu’il ingurgite contre le stress, l’anxiété et les insomnies, je comprends qu’il ne sache pas encore ce qu’il souhaite pour nous aujourd’hui.]

Puisque tu me demandes mon avis sur Yves, son état psychologique et tes hantises, voilà en gros ce qui me vient dans mon cogito embrumé :

D'abord il est bien légitime que tu aies ces peurs et cela ne fait que renforcer l'authenticité de tes sentiments pour lui. Tout ce que nous te suggérions (nous les lyonnais !!!) pour te divertir du manque n'aura dans un premier temps que peu d'emprise sur ces pensées, mais le temps fera son œuvre calmante, apaisante, nivelante...

Je n'avais pas réalisé (à moins que te ne me l'aies pas dit avant) qu’Yves était miné par les psychotropes. C'est un paramètre effectivement essentiel pour comprendre son attitude vis-à-vis de toi, mais la question qui s'impose : la cause profonde de cette prise est-elle directement liée à votre rapport ou à sa propre personne ?

Je crois, en tout cas, sage sa décision de ne rien décider avant de s'être affranchi de cette détestable chimie parasitante. Une fois désintoxiqué il sera toujours temps de faire le point et de repartir pour une plus claire aventure.

Depuis quelques temps, ce n'est pas la lecture qui modèle mes derniers instants avant de rejoindre Morphée-polochon, mais l'écriture : l'œil près des feuilles de mon cahier-Journal, je regarde ma plume glisser sur les petits carreaux, extraire sa noire pour donner forme à mes pensées les plus brutes... Derniers instants réflexifs dont j'ai souvent oublié la teneur le lendemain matin : c'est comme une purge de ce qui a été emmagasiné la journée. Parfois anodine, parfois terrible.

Tout compte fait, je ne sais pas si j'ai bien fait de t'adresser les années 98 et 99 de mon Journal étant donné leur parfois sombre tonalité... ce n'est peut-être pas le moment.

[Peut-on dire qu’il y ait une belle sensibilité et une moins belle ?]

Ce que j'entends par belle sensibilité chez toi :

Sans doute une des choses qui m'a séduit chez toi et que j'ai décelée dès notre première rencontre. Au contraire d'une simple sensibilité féminine, qui parfois dérive vers la sensiblerie, voire la dramatisation hystérique, tu intègres une finesse d'approche des situations à un caractère affirmé, déterminé, qui rend plus belle la manifestation de tes sentiments et de tes analyses sur les choses.

C'est un peu comme une attitude aristocratique, au sens originel du terme.

Voilà chère Cindy, j'espère avoir répondu à tout... Et je reste disponible pour tout approfondissement... Mes plus denses pensées.

 

E-mail, 18 octobre, 9h39

Cher Heïm,

J'ai bien eu ton message qui m'a beaucoup touché. Je ne m'inquiète pas pour mon ouvrage, mais plutôt pour ces douleurs qui parasitent ton existence. J'espère qu'un traitement sera à la hauteur.

Je t'embrasse très fort.

 

Jeudi 19 octobre

Depuis notre dernière entrevue parisienne, échange fourni d’e-mails avec la séduisante Cindy. Rencontrée fin octobre 1999 nos rapport se limitaient à d’épisodiques nouvelles données. Cette nouvelle tentative donne lieu, au contraire, a une forme de lien affectif. Atteinte psychologiquement par une rupture de vie sentimentale, alors que les sentiments subsistent, elle se nourrit de ce qui peut, dans son alentour amical, la soulager ou la divertir. Elle semble apprécier mes interventions écrites, m’embrassant « affectueusement » et réclamant mon avis sur tel ou tel point. Suite à sa demande, je lui ai envoyé par courrier électronique une partie de mon Gâchis (les années 91, 98 et 99) dont elle semble apprécier la tonalité.

Je suis très séduit par sa personnalité, par sa silhouette bien dessinée, par son regard envoûtant, par sa chevelure de feu, par ses tenues aux hardiesses dosées, mais je suis aussi conscient de l’infinitésimale possibilité d’une histoire d’amour entre nous. Même si je ne devais être qu’un plus ou moins bref compagnon d’une route mal jalonnée, j’en serai ravi. Finalement n’être qu’un passage dans la vie de quelques centaines de personnes ayant compté dans une existence permet de ne laisser que le meilleur de ce qu’on pouvait offrir à tel ou tel, sans surcharger ce noyau dur de l’inutile pérennisation qui souvent étiole la densité première.

Sur Arte, vu d’un œil (l’autre fixé sur le message adressé à Cindy) la biographie filmée du compositeur chef d’orchestre Léonard Berstein. Une vie de passion qui exhalait de toute sa personne et insufflait à chacun de ses actes une densité inégalable. La détermination à vivre ce pour quoi l’on se croit fait, permet seule d’accéder à un sens, à une utilité existentielle, même truffée d’erreurs, d’échecs et de voies sans issue.

Passage chez Ornelle pour une prise de tête via un texte de Pascal sur la grandeur de l’homme à se connaître misérable. J’ai campé, avec le maximum de diplomatie affective, le rôle du pédagogue tyran ou de l’initiateur en philosophie. Toujours adorable et pétillante, toujours une dentition de fer pour mâcher le bois verni des crayons, elle me donne un rendez-vous à 16 heures gare de Vaise, jeudi prochain, pour que je l’accompagne dans son trajet de bus, avant une autre séance de cogitations embrumées, puis débridées.

 

[E-mail à Cindy]

19.10 à 21h43

Les psychotropes recouvrent les neuroleptiques, les antidépresseurs, les tranquillisants et les thymorégulateurs.

Ce week-end tu pars donc visiter une amie ? Je te souhaite un séjour qui te détende au maximum.

[J’aime ton regard, il m’aide à avoir du recul sur ce que je vis.]

Je me sens un peu vide ce soir... une sorte d'hibernation intellectuelle... Je ne vais donc pas m’appesantir sur ce message, cela évitera les bêtises.

À bientôt.

 

Vendredi 20 octobre

Toujours dans ces prolongations de veille que je m’essaye à l’écriture. Au détour de quelques recherches dans ma petite pièce fourre-tout, je tombe sur mes photos de classe de la cinquième (82-83) à la terminale (87-88). Une curieuse impression de revoir des bouilles de camarades pour la plupart, sans doute, installés aujourd’hui. Ce cher Christophe D., très tôt aux idées d’extrême droite, passionné par les voitures et avec qui l’on pouvait nourrir une conversation ; Stéphane D., un écorché vif à l’histoire familiale dramatique, mauvais élève ultrasensible et d’une intelligence développée ; Agnès C. aux origines chiliennes je crois, un peu ronde et dynamique, puis ayant perdu ses kilos mais pas sa gentillesse ; Marie-Pierre B., dont j’étais amoureux, à qui j’avais apporté des cours, alors qu’elle était malade, et qui m’avait reçu en pyjama dans sa chambrette. Au lycée Aline bien sûr (dont je n’ai plus de nouvelles depuis son mariage) ; Cécile M., dont j’ai compris après coup qu’elle faisait plus que m’apprécier (c’est elle qui avait illustré mes poèmes parus dans le journal du lycée, Point Virgule) ; David Z., installé depuis aux Etats-Unis... Voilà les figures qui me restent, au-delà des simples lignes du visage.

Faudra-t-il que la solution au Proche-Orient passe par un laissez-faire, c’est-à-dire ne plus tenter de médiation et les laisser s’entre-tuer jusqu’au bout, jusqu'à ce qu’ils comprennent l’absurdité de ces violences ou jusqu'à ce qu’un des deux camps ait anéanti l’autre ?

 

[E-mail à Cindy D.]

20.10 à 21h43

[Que fais-tu de beau ce week-end ? J’espère que tu vas sortir un peu, histoire de te changer les idées ! Que se passe-t-il soudainement dans ton cœur et dans ta tête ?]

Passager, passager cet avachissement... une nuit réparatrice m'a redonné un peu de ressort. Et toi comment évolue ton état psychologique ?

Pour moi, ce week-end n'annonce rien de véritablement transcendant côté distraction. Je vais peaufiner mon rapport sur L'amour selon sainte Albe, voir mon ex petite amie Sandre pour un tour d'horizon des nouvelles et récupérer un trousseau de clefs (je lui laisse des doubles en cas de perte des miennes, car c'est idiot de les laisser chez soi !) pour Helen. La demoiselle arrive samedi 28 à Paris, où je la retrouve. Pour le reste, repos, lecture corrective de mon Journal (toujours cette volonté de la perfection) et, s'il y a un rayon, petit tour au parc de la tête d'Or.

Cœur et tête sont un peu tiraillés par des contradictions en moi qu'il me faut surpasser.

Et toi comment entrevois-tu ce week-end avec ton amie Gaëlle ?

J'espère que nous nous reverrons bientôt. Ce lien m'est très précieux.

Je t'embrasse Cindy.

 

Samedi 21 octobre

Internet pousse-t-il à la débauche ? Hier soir, il y a donc peu de minutes, je m’évertue à faire quelques recherches bibliographiques sur les sites de la bnf et de la Bibliothèque municipale de Lyon. Pour celui de la tgb, y compris Gallica, un message lapidaire abrège tout espoir : l’incendie d’une conduite électrique de réseau edf, survenue le 6 octobre (mauvais cadeau pour moi), a nécessité la fermeture « pour une durée encore indéterminée ». Les services informatiques doivent bien sûr être compris dans le lot de l’inaccessible. Belle vitrine internationale de la conservation du patrimoine livresque français ! Le pamphlet L’effondrement de la tgb, paru dans la collection Encyclopédie des nuisances, avait vu juste. Le dernier des grands travaux mitterrandiens prend l’eau, et maintenant le feu, de toutes parts.

Pour le site lyonnais, après quelques minutes d’accès, toutes les pages demandées ne peuvent être affichées. Résultat : aucune investigation culturelle. En revanche, le site de cul AlA4 adulte index fonctionne à la perfection.

Pas de nouvelles de Suzy cette semaine. Peut-être croyait-elle que je recevais Helen, à moins qu’elle ait rencontré le grand amour. Cela ne m’a pas manqué outre mesure. Signe qui ne trompe pas. Cindy, elle, me manque, alors que nous n’avons que des relations affectives via e-mails.

 

[E-mail à Cindy]

Mardi 24 octobre à 10h03

[Nous avons accompagné mes parents samedi à l’aéroport. Ils partaient au Pérou.]

Le Pérou ! voilà une destination dépaysante. Ils [parents de Gaëlle] ont visité beaucoup de pays comme cela ? Pourquoi ce choix ?

Désolé pour la mort de ton chat... j'ai moi aussi eu quelques peines dans la perte d'animaux, notamment des chiens (bas-rouges croisés bergers de Beauce) comme Ouarin, Tual...

[Et toi, ton week-end ?]

Mon week-end a été très ensoleillé et j'en ai donc profité au maximum... L'héliothérapie doit avoir du vrai, j'ai même sympathisé avec une Allemande, étudiante pour un trimestre à Lyon avant de repartir aux Etats-Unis (décidément, pas simple de rencontrer une lyonnaise à Lyon !)

[Yves semble aller de mieux en mieux. Il souhaite se reconstruire avant de restaurer notre vie. Est-il suffisamment sincère pour qu’à long terme il pense encore la même chose ?]

Difficile de se mettre dans la tête d'Yves pour jauger de sa sincérité. En tout cas, un bon signe : l'apaisement de part et d'autre et le fait que vous vous retrouviez pour le meilleur.

Danger, il y a, à vivre chacun de votre côté, mais c'est le prix à risquer pour une véritable reconstruction. Toi, te vois-tu le perdre réellement ?

Je me demande ce qu'est pour lui une vraie femme... il me semble que le moins mûr des deux ce n'est pas toi... la cause de votre séparation en atteste... Tu es déjà une vraie femme, et certainement beaucoup plus mature que nombre de ton âge... Là je ne souscris pas du tout à cette remarque. Il ne faut pas renverser les défauts respectifs.

[Des nouvelles concernant la publication de ton livre ?]

Mon ouvrage est toujours sur le gril, pas de date arrêtée pour la publication... j'en profite pour, lentement, faire une lecture corrective... mais sa publication m'a été confirmée... Juste une question de planning.

Bon courage pour ton travail chargé... De mon côté, j'ai eu confirmation de mes interventions à l'Université Lyon III début 2001 (à 99%) et, dès la semaine prochaine, je me charge de la culture générale quatre heures par semaine pour des BTS dans un organisme privé... Là, je retourne à la finalisation de mon rapport de lecture...

Bien heureux de ce moment écrit avec toi...

A bientôt, je t'embrasse.

 

Vendredi 27 octobre

Dans Pièce à conviction, sur France 3, de larges extraits de la fameuse cassette Mery. Rien de bien nouveau finalement, si ce n’est de pouvoir identifier plus spécifiquement certaines procédures frauduleuses et quelques interlocuteurs.

L’homme semble, en tout cas, parfaitement maîtriser la matière qu’il aborde. Il semble profondément blessé, dépité par les fausses promesses faites. S’il avait déballé cela en pleine élection présidentielle, Chirac n’aurait jamais été élu. Trahir des fraudeurs professionnels, des truqueurs de talent, peut sembler accessoire, sauf lorsque ceux qui trahissent veulent après faire croire à leur honnêteté.

Enfin quelques mesures vraiment répressives contre les automobilistes qui pratiquent une vitesse dangereuse. Quelques tarés du volant qui crient à l’anormalité. Un comble ! Ce qui est anormal, c’est de laisser des « criminels avec préméditation » (expression de Léon Bloy) potentiels sur les routes.

 

Samedi 28 octobre, 0h30

Revu cette semaine Isaura M. pour la vacation à l’université Lyon III : cela se confirme, avec d’autres possibilités de collaboration en perspective. Par ailleurs, je commence dès la fin de semaine prochaine quatre heures hebdomadaire de formation à l’épreuve de culture générale des étudiants en formation par alternance en vue de l’obtention d’un bts du tertiaire. Une diversification de mes activités qui me sécurise un peu plus, même si toutes ces collaborations sont « à durée déterminée ».

Hier midi, déjeuner avec Jacques L., l’auteur de L’Amour selon Sainte Albe, pour la remise de mon rapport de lecture. Personnalité intéressante, écorchée mais très rationnelle : une vie professionnelle de cadre supérieur dans l’industrie et l’écriture comme un besoin vital depuis l’âge de 35 ans.

Ce matin, à 9 heures, départ pour Paris où je retrouve ma douce Helen, Sally, Karl et son amie Isoline. Journée distractive en perspective et soirée de retrouvailles charnelles avec ma néerlandaise. Ce soir, gros ménage chez moi pour pouvoir la recevoir dignement. La semaine qui vient sera vierge de tout rendez-vous, hormis ma première intervention pour les bts à la société Forpro et un cours via Institia samedi matin.

Les échanges d’e-mails avec Cindy ont été quelque peu perturbés suite à des défaillances techniques. Elle semble aller de mieux en mieux.

Envoi d’une carte à Ornelle pour ses 19 ans, dimanche prochain.

 

E-mail, 1er novembre, 20h34

Chère Cindy,

Merci pour ce conseil cinématographique : Björk est sublime d'humanité, un film éprouvant qui m'a donné la nausée. Magnifique réalisation, une musique envoûtante, une voix à fondre en larmes...

J'espère te retrouver bientôt.

 

Dimanche 5 novembre

Départ d’Helen hier. Nous ne nous reverrons probablement plus. La semaine s’est bien déroulée, sans anicroche aucune, mais sans accroche fondamentale pour moi. Je n’ai pu m’empêcher de faire croître une distance entre nous, rendant le lien tout au plus cordial. L’instinct n’a plus vibré à son contact : une silhouette et un comportement trop masculins, un rire par brèves poussées sonores trop fréquents, une impossibilité de dialogue véritable (la barrière de la langue bien sûr), et ces facteurs indéfinissables qui m’ont inexorablement détaché d’elle, les jours passant. La promiscuité avec elle m’a même coûté, vers la fin (j’ai essayé de n’en rien laisser paraître), et un soulagement m’a submergé à son départ. Salaud sans doute, mais l’hypocrisie scripturale n’arrangerait rien.

Dois-je mettre cette indisposition psychologique sur le compte d’un ancrage en moi du célibat comme choix existentiel, ou par le doux parasitage d’une autre figure féminine qui me hante (Cindy en l’occurrence) ? J’inclinerais pour la voie de l’ambiguïté, comme Merleau-Ponty : un mélange indistinct des deux.

Me voilà de nouveau en vase clos pour un dimanche studieux.

Acceptation officielle de mes interventions à l’Université Jean Moulin, commencement vendredi dernier des cours auprès des bts et prise en charge de deux projets tutorés d’étudiantes en IUT. Mon activité s’élargit et ma douce grand-mère semble plus rassurée sur mon aléatoire professionnel.

La monomanie médiatique sur la sécurité alimentaire accentue son champ d’action : la côte de bœuf risque de disparaître de nos assiettes selon le sacro-saint principe de précaution. J’ai dégusté un bon tartare avec huile d’olive, sel et moutarde hier soir : si maladie de Creutzfeldt-Jakob il y a, elle est déjà en moi, en cours d’incubation. Certaines cantines scolaires ont rayé de leurs menus la viande de bœuf dans sa généralité.

 

E-mail, 6 novembre, 10h12

Chère Cindy,

J'espère que tu vas bien et que ton week-end s'est bien déroulé.

Pour moi la semaine avec Helen a été sympathique, mais en fait je ne ressens rien pour elle autre qu'un sentiment cordial. Je ne pense pas que nous nous reverrons.

Je t'embrasse.

 

A 10h20

[Ça te convient fin novembre ?]

Bien reçu chère Cindy, cela me convient parfaitement.

[Je crois que j’ai besoin de trouver mes marques dans la solitude.]

En ce qui concerne l'envie d'isolement je te comprends d'autant plus qu'après cette semaine passée avec Helen, j'avais une envie irrépressible de me retrouver seul, signe d'un manque d'attachement à elle.

Même sentiment pour la musique de Björk, je vais probablement m'acheter ses oeuvres... Sa personnalité me fascine, son esthétisme changeant aussi.

Alors, retrouves-toi bien, Cindy.

A bientôt.

 

A 11h25

[Comment expliques-tu ce changement de sentiment pour Helen ?]

Difficile à expliquer : certaines personnalités te galvanisent, leur présence te nourrit, te séduit, tu n'as en tête que de les revoir. Helen ne fait pas partie de celles-ci. En fait, après auto-analyse, je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un véritable changement. J'avais au tréfonds ce sentiment, mais la promiscuité l'a révélé de façon cruelle...

Et puis la barrière de la langue (malgré une bonne maîtrise du français, elle ne peut avoir une part réelle dans une conversation) a limité nos échanges. Même physiquement, je n'ai pas ressenti une attirance véritable, allant jusqu'à devoir faire apparaître d'autres images pour répondre à ses attentes... Je m'en voulais de ce désengagement... mais elle avait tant insisté pour venir, malgré mes mises en garde...

Je t'embrasse chère Cindy.

 

E-mail, 7 novembre, 10h24

Chère Cindy,

Mon moral semble se porter correctement, sans turbulence jouissive mais sans gouffre déstructurant non plus.

J'ai reçu ce matin un long e-mail d'Helen, peinée par cette semaine. Je vais essayer de lui expliquer précisément mon sentiment sur ce séjour, dans la gentillesse.

Je t'embrasse.

 

A 10h50

Finalement, c'est assez contradictoire puisqu'elle me dit qu'elle est venue revoir "un bon ami" et qu'en même temps elle me reproche cette distance instaurée entre nous...

Je n'avais, en fait, pas appréhendé ce changement en moi, et je ne voulais pas la blesser pendant ce court séjour, j'ai donc dû mal gérer l'affaire... Enfin, avec mon e-mail les choses seront plus claires, je pense...

Des retrouvailles "fulgureuses" ? je ne connaissais pas cet adjectif... merci de me nourrir chère Cindy. Au fait, l'héliothérapie c'est le traitement par le soleil...

 

A 11h46

Bravo chère Cindy,

Je viens de regarder dans mon vieux Littré en 7 volumes : si l'adjectif "fulgureuse" n'existe pas, en revanche le verbe "fulguriser" est un mot plaisant utilisé à la place de foudroyer (comme le coup de foudre) : ton ajout d'un adjectif se légitime donc tout à fait.

En fait nous ne nous sommes vus que lors de son séjour à Lyon en août. Cela a été notre seul précédent, sur quinze jours, et pas dans une quotidienneté.

[Je dois t’avouer que moi aussi j’apprécie particulièrement notre correspondance. Je crois finalement que nous sommes très différents et en ce sens complémentaires. J’aime ton petit côté littéraire, mais aussi le recul que tu portes sur la vie, sur l’amour...]

Tu sais Cindy, le lien que nous avons par écrit est le plus prenant que j'ai actuellement, même s'il n'est pas charnel (à mon grand regret, hé hé). J'aime non seulement ta compagnie, mais toutes les manifestations de ta personnalité. Quel que soit ton regard sur moi, j'espère te connaître de mieux en mieux et devenir, au moins (ou au plus, selon le prisme d'abordage), ton ami, vraiment.

Pour le temps on a encore droit à quelques rayons de l'astre, mais cela tient de la rareté, sauf dimanche dernier où l'on annonçait le "cataclysme" et où le soleil a régné toute la journée.

 

A 17h32

Si différent sans doute, mais le côté torturé du bulbe, qui s'échauffe les connexions neuronales pour un rien, je connais ça aussi, et cela parasite beaucoup mon instinct... Finalement cela est peut-être mieux au regard de ma gourmandise débridée...

Nous ne nous sommes vus que deux fois chère Cindy, mais je peux témoigner que nos échanges emailstolaires correspondent parfaitement à l'image que tu m'as donnée : une richesse intérieure sans conteste et une densité de présence...

Ce simple message de toi, avant que je n'aille philosopher sur "le désir et les passions" avec une élève que je suis (le thème est exact !), à travers Rousseau et Malebranche, m'a rempli de bien-être... Signe d'une influence incontestable... Il faut que je fasse attention à ne pas trop "sniffer" de tes mails... Mais ne décroît pas le rythme si cela te plaît.

Tu as pu acheter Björk, ou pas encore ?

Je t'embrasse et à très vite...

 

[E-mail à Helen]

07.11 à 10h36

Je crois que nous aurions dû effectivement fixer plus précisément les règles. Je n'avais pas appréhendé ce changement avant ta venue, et je ne saurais rationnellement l'expliquer.

Je suis tout à fait désolé de t'avoir "gâché" ce séjour, mais je voulais insuffler le plus homéopathiquement possible une relation amicale.

Strictement aucune "fierté" de ma part sur ma dernière "conquête", je n'en suis plus à ces réactions d'adolescent, et ce n'est certainement pas cette relation qui a influencé en quoi que ce soit mon changement de sentiment à ton endroit. La "rougeur" que tu a décelée provenait sans doute de ma gêne, mon partage entre une sincérité absolue avec toi et le fait éventuel de te blesser...

Il est vrai que je n'ai pas su gérer cette distance inéluctable et que j'aurais dû mettre tout à plat, mais je ne voulais pas entacher ta venue d'une conversation en forme de catharsis.

Pas la peine de pousser ton dépit jusqu'à me demander de rembourser ta place de spectacle : Catherine m'avait proposé que je vienne accompagné et j'ai donc choisi quelqu'un qui me fasse plaisir, toi en l’occurrence.

Voilà pour la tentative d'explication et d'éclairage.

Bien sûr que je serais très heureux d'avoir de tes nouvelles.

Amicalement.

 

E-mail, 8 novembre, 9h13

Bonjour chère Cindy,

J'espère que tu as passé une bonne soirée avec Gaëlle et une nuit réparatrice avec ton polochon.

Elle en a de la chance d'être en ta compagnie pour trois jours ! Pourquoi est-ce "frustrant" de refaire le monde avec elle ?

[Pourquoi faut-il faire attention à mes mails ? Je te rassure, ils ne sont pas envoûtés, donc rien à craindre !]

Pour tes mails, c'était évidemment une boutade, mais tout de même : plus j'en reçois, plus je les attends, c'est une gourmandise qui a l'avantage de ne jamais mener à l'indigestion... Un peu comme lorsque je vois ton regard si agréable dans l'intensité, et ta folle chevelure...

J'ai hâte de te retrouver...

 

A 10h25

Cela me rassure sur mon propre état mental, je me sens moins isolé dans mes réactions : cette lassitude face à quelqu'un qui "envahit" ton univers, je l'ai ressenti par rapport à Helen... Il n'y a en fait plus d'affaires de coeur pour moi. Je n'ai pas encore eu de réponse à mon mail, mais cela ne changera pas mon absence de disposition envers elle. En l'espèce, l'éloignement est plutôt salutaire pour que, naturellement, elle se fasse une raison.

Mon moral va bien. Mon père de cœur m'a envoyé un gros ouvrage Un français libre - Journal 1960-1968 de Jacques d'Arribehaude qu'il n'aime pas du tout, même si le style est de qualité. Il voudrait avoir mon avis... Je vais essayer de m'y plonger donc...

Je t'embrasse itoo Cindy.

 

[E-mails à Cindy]

Jeudi 9 novembre à 11h45

C'est à toi de ne pas avoir le moral aujourd'hui. On se passe le relais, c'est bien. Je vais donc jouer la carte de la pétillance enflammée, pour accrocher quelques brandons à ton ciel luminescent... Bon je ne vais pas trop poéter...

Effectivement, j'ai l'avantage de quasiment gérer mon temps comme je le souhaite et, notamment, beaucoup de matins se passent chez moi (sauf demain, obligation de 8h à 12h pour faire progresser des BTS dans la technique du résumé et pour leur ouvrir le thème de la mythologie et son importance dans notre monde). Le revers de la médaille, c'est une précarité de ma situation, mais en bon célibataire cela ne me soucie pas encore.

La peinture te manque, et tu ne pratiques plus du tout ? Aurais-je le privilège de voir un jour ce que tu fais ?

Je voudrais pouvoir t'accompagner dans ces promenades... Tu vas faire quoi pour ces deux jours ? Moi, rien de prévu...

Je t'embrasse affectueusement (on varie un peu) et j'espère à très vite.

Tu n'as pas d'ordinateur chez toi ou de Minitel, pour que l'on puisse dialoguer un chouïa, si l'envie nous prend ?

Bon courage.

 

A 17h10

Hier, achat de Björk dans Dancer in the dark, et du dernier Omar (de la Soul)... Tellement emballé par l'attachante demoiselle, j'ai acheté aujourd'hui ses deux premiers albums... me voilà un quasi inconditionnel : sa voix, sa personnalité, son charisme en fait... voilà une personne que j'aimerais rencontrer... Voeu pieux bien sûr. Mais si je trouve son site internet, je lui laisserai un témoignage... en Français malheureusement... Ses envolées vocales me bercent...

Ecouter Björk tout en te lisant (ce que je viens de faire) c'est presque un trop plein de plaisir.

Si tu veux des enregistrements sur cassettes, n'hésites pas à me demander...

En te souhaitant une bonne soirée, si tu vois l'e-facteur avant ton départ.

 

E-mail, 10 novembre, 13h13

Chère Cindy,

Journée chargée pour moi, je passe en coups de vent... Pour la cassette, veux-tu l'intégral des musiques du film et une sélection de morceaux pour les deux autres albums ? tu sembles préférer les airs lents, il y en a quelques-uns... La couleur musicale reste la même.

A quelle adresse puis-je te l'envoyer ?

Je t'embrasse. Très bon week-end.

 

Samedi 11 novembre

J’achève une solitaire grasse matinée de jour férié par quelques mouvements du poignet... pour remplir ces pages.

Heïm m’a envoyé le Journal d’un français libre - 1960-1968 de Jacques d’Arribehaude, fondateur, entre autres choses, du Bulletin célinien. Dans son envoi, Heïm m’indique qu’il ne l’aime pas du tout, malgré une indéniable qualité du style, et souhaiterait avoir mon avis. J’ai donc pénétré ce gros pavé (de circonstance !) de presque neuf cents pages en caractères serrés. Quelques dizaines lues selon l’ordre chronologique, puis quelques autres piochées au hasard des époques, comme l’on peut faire avec un recueil de poésies. Encore trop tôt pour donner une impression valable, mais pour l’instant je n’accroche pas vraiment, le plaisir de lecture n’y est pas. Lire celui de Léautaud, c’est une gourmandise de chaque instant, approcher celui de Bloy se déguste comme un alcool fort... Pour d’Arribehaude, je me sens comme étranger aux propos, je ne retrouve pas cette bourrasque littéraire vantée par Pol Vandromme. Attendons peut-être l’acclimatation au ton et la familiarisation au contenu.

Poursuite de ma correspondance internet avec Cindy et point final à ma relation avec Helen par e-mail. Insensible avec celles qui me veulent, couillon avec celles que je voudrais : je ne suis pas prêts de vivre une nouvelle union. M’est venu hier le titre d’un improbable second tome de ce Journal, alors que la parution du premier n’est en fait pas encore arrêtée : L’insatisfait.

Comment mobiliser les médias avec du rien : l’hystérie vache folle et l’absence de résultats aux élections américaines. Pour la première non-affaire, les médias entretiennent quotidiennement la psychose diagnostiquée et tout intervenant affine son raisonnement avec des formules devenues des lieux communs comme le sacro-saint principe de précaution et la parade-bonne-conscience du « risque zéro n’existe pas ! ». Avec ces deux formules on justifie toutes les interdictions de viande de bœuf dans des établissements publics et on excuse par avance tout cataclysme culinaire... Entre ces deux bornes, la petite boîte médiatique transmet ses ombres et finit par influer sur la réalité.

Le bouffon feuilleton américain aurait pu lui se régler par un : « nous n’avons plus d’informations d’importance à donner avant la promulgation définitive des résultats ». Non, la déontologie journalistique incline à se faire la chambre de résonance de tout épiphénomène.

Toujours aucune nouvelle de Shue, et demain c’est son anniversaire : je lui expédierai un e-mail pour me rappeler à son bon souvenir.

 

Dimanche 12 novembre

Rencontre musicale avec l’islandaise Björk. En une semaine, j’ai acheté la totalité de son œuvre : quatre CD pour une carrière en solo commencée au début des années quatre-vingt dix. Le son Björk tient à la fois du mystique déjanté et d’un déphasage obsessionnel.

 

E-mail, 12 novembre

Chère Shue,

Je n'ai plus de nouvelles, mais j'espère que tout va bien pour toi.

Je viens par ce message te souhaiter le plus doux des anniversaires.

Au plaisir de te lire. Je t'embrasse.

 

E-mail, 13 novembre, 11h24

Objet : Un Français libre

Cher Heïm,

J'espère que tu vas bien. Je te remercie pour l'envoi du Journal de D'Arribehaude.

J'ai commencé sa lecture, chronologiquement et en piochant au hasard, mais j'ai du mal à accrocher aux propos touffus et détachés. J'essaierais d'approfondir mon analyse au cours de cette découverte littéraire.

Je t'embrasse très fort.

 

E-mail, 13 novembre, 11h27

Ravi de te retrouver par ce moyen, chère Cindy. J'espère que ton week-end a été doux et reposant.

Cela donne un peu le tournis ces semaines qui défilent. En fin d'après-midi, réunion de rentrée pour tous les intervenants en IUT à l'université Jean Moulin de Lyon. Je vais découvrir tout ce beau monde...

Je t'embrasse bien fort.

 

A 16h07

[On ne peut pas dire que le week-end ait été doux et reposant. Bien au contraire ! Je suis sortie samedi soir dans le marais et j’ai rencontré un artiste et un philosophe ! Je me suis couché le dimanche matin après six heures. Et toi, qu’as-tu fait ? Ton impression sur l’IUT ?]

Hé bien, mazette ! Quelles occupations !

Pour ma part, je n'ai eu personne à voir. Lecture, écriture, musique, cinéma (Le projet Blair Witch 2) ont distrait ces deux jours.

Je te raconterai donc l'atmosphère pour l'IUT. En tout cas, les étudiantes rencontrées, la semaine dernière, pour leur projet tutoré étaient tout à fait charmantes.

A bientôt.

 

A 22h38

[Il ne faut pas oublier que tu restes leur prof.]

Bien sûr, je n'oublie pas, chère Cindy, que la distance reste de mise. Je n'ai pas de complicité hors des contacts officiels.

[C’était comment le projet Blair Witch ?]

Pour Blair Witch, j'ai été un peu déçu. Je n'avais pas vu le premier, mais j'ai trouvé celui-là faussement déjanté...

[Vas-tu bien ? Ton moral ne me semble pas être des meilleurs.]

Mon moral n'est probablement pas au mieux, ce doit être mon côté cyclothymique... mais si l'on se voyait, je redeviendrais d'un coup joyeux et gai luron... Chiche, essayons ! Rappelle-toi lorsqu'à la fin de notre entrevue mon humeur a changé... c'était la tristesse et la morosité de te quitter...

Voilà, je ne m'épanche pas plus sinon je vais mouiller mon message.

Tiens demain, sortie du dernier Sade... Je ne vais pas le louper...

A bientôt et gros bisous.

 

[E-mails à Cindy]

Mardi 14 novembre à 9h57

[C’est une invitation à une entrevue ? Disons que nous pourrions nous voir début décembre.]

Bon, bon... moi je tablais sur fin novembre, mais comme tu es très occupée je patienterai jusque-là... D'ailleurs je dois venir à Paris pour l'anniversaire de mon frère les 2 et 3 décembre... Et pour la fin d'année tu fais quoi ?

[De quel Sade parles-tu ? S’agit-il du film avec D. Auteuil ?]

Pour Sade : pas notre cher marquis débridé, mais la chanteuse à la voix chaude...

Hé hop !

 

A 12h55

[Effectivement Sade a une jolie voix. Avec qui vas-tu passer cette soirée ? C’est peut-être un peu curieux de ma part de te poser cette question, mais je me demande si tu arrives à aller au concert seul. Je crois que j’en serais incapable !]

C'est ce qu'on appelle un quiproquo à rallonge... Pour Sade, j'ai acheté son dernier album, sorti ce matin, dans un commerce et non à un concert... du marquis !!!

[On peut alors se voir le 2 et/ou le 3 décembre. Ça te convient ?]

Je ne voudrais pas abuser, mais si je peux prendre l'option 2 ET 3 décembre, je n'hésite pas. Par ailleurs, si tu avais la possibilité de m'héberger, je peux même venir le vendredi soir, cela nous ferait une soirée en plus... Enfin je n'insiste pas, je lance des pistes.

[Pour le nouvel an, je n’ai rien de prévu. De toute façon je déteste cette fête qui n’a aucun sens.]

Si je te demandais ce que tu faisais le 31, c'est parce que moi je n'ai rien programmé non plus... Ce n'est effectivement pas le fait de passer d'une année à une autre, voire même d'un millénaire à l'autre, qui me motive, mais juste de passer un joyeux moment avec toi... Et même si tu vas à une soirée organisée, je peux te servir de chevalier servant...

Enfin, voilà qui est proposé. A toi de disposer.

Flotte, flotte ici.

Je t'embrasse chère Cindy. Hop...

 

Mercredi 15 novembre, 1h15

Prolongation de ma soirée devant le cathodique Dechavanne, tout en décryptant un extrait du Neveu de Rameau pour un de mes suivis pédagogiques.

Helen m’a répondu très gentiment ; elle semble avoir accepté mes explications et espère que le lien amical, par cette voie, perdurera.

Avec Cindy l’échange reste dense. Je la verrai, probablement, le premier week-end de décembre, lors de mon passage parisien pour les anniversaires de Jim, de Jean, mais certainement pas du pater dont je n’ai aucune nouvelle. J’attends toujours la lettre qu’il devait m’envoyer après sa lecture de mon Journal. Curieuse attitude d’intolérance du regard que chacun peut porter sur un passé difficile. Croyait-il que ma tendance pamphlétaire, largement affichée, allait l’épargner alors qu’elle m’atteint également dans une autocritique sans concession ? C’était alors bien naïf de sa part. L’écriture m’est justement si précieuse qu’elle ne s’encombre pas des précautions du relationnel. Ne pas l’appréhender, comme lecteur, c’est ne rien saisir de l’acte d’écrire, de tout ce qui concentre l’authenticité brute d’un épanchement. D’autre part, le diariste, selon l’étiquette littéraire, met au premier plan ses humeurs et non le souci de la précision historique, à l’inverse du mémorialiste. Tout cela, je le croyais capable de l’englober avant la lecture de ma haute et claironnée subjectivité. Finalement, il aura eu un problème fondamental de communication avec ses trois fils de la première fournée. Espérons que cela ne l’inclinera pas à reproduire inconsciemment des schémas comportementaux avec ceux de la deuxième fournée.

 

[E-mails à Cindy]

15.11 à 9h36

Coucou ! et un bon jour pour toi. Je travaille chez moi ce matin, alors je vais tout juste prendre mon petit déjeuner.

[Prends-tu toujours autant de plaisir à écouter Björk ?]

Björk m'enchante toujours autant, oui ; je possède d'ailleurs maintenant toute son oeuvre. L'ambiance déjantée de certains morceaux est à découvrir...

Ton travail t'intéresse-t-il toujours ? Moi, ma réunion IUT avec les intervenants (titulaires et vacataires) s'est bien déroulée. Discussion avec quelques-uns (et unes), mais je ne crois pas que cela débouche sur une quelconque relation suivie, hormis avec la prof. de lettres que je connaissais avant (et qui figure dans mon Journal 99). A propos de cette année, j'ai écrit, le 31 décembre, "Le voilà ce satané jour comme les autres (...)" : tu vois que notre approche est proche ("c'est un jour comme un autre" m'as-tu écrit dans un message d'hier). Voilà, fin de l'explication de texte.

A toi, chère Cindy. Je t'embrasse et merci de cette quotidienneté des jours ouvrables.

 

A 13h32

[Ce n’est pas une bonne journée. Je sens que ma patience commence à s’amenuiser fortement et je crains le pire car, dans de tels extrêmes, je ne réponds plus de mes réactions et de la violence de mes paroles ! Et comme cela concerne mon hiérarchique, ça devient dangereux.]

Surtout chère Cindy, ne commet pas l’irrattrapable, quel que soit le degré de ta haine. Défoule toi ici, plutôt... Que se passe-t-il donc pour que tu atteignes un tel point de bouillonnement ?

Je voudrais pouvoir t'aider à passer ce mauvais moment... mais je n'ai que mes pensées à t'offrir.

Bon courage, et j'espère que ce message ne sera pas mal venu.

J'ai laissé sonner ton portable quatre fois vers midi, mais pas de réponse, j'ai préféré ne pas insister.

 

Jeudi 16 novembre

Deux moments agréables, ce jour : retrouvailles d’Ornelle pour un cours de philosophie sur la liberté et, ce soir, petit coup de téléphone à Cindy. Entendre à nouveau sa voix ajoute une dimension inégalable face à la froideur des e-mails.

Le vendredi s’annonce chargé : de 8h à 21h sur la brèche pédagogique. Je vais me laisser envahir par le sommeil en songeant à mon intervention, demain matin, auprès des bts sur le thème de la mythologie. L’ouvrage (très bien fait) qui me sert de base a été conçu par Hélène Sabbah, sans doute ma prof. de français, en première, au lycée de Cergy Saint-Christophe. A moins qu’il s’agisse d’un homonyme complet...

 

[E-mail à Cindy]

16.11 à 13h33

Je vais essayer de rattraper ma balourdise :

La remarque orthographique se voulait une boutade, comme je suis tout à côté je voulais faire le savant... Désolé.

Pour la conversation téléphonique, bien sûr que je souhaite l'avoir, mais je ne voulais pas t'obliger à parler de ton travail après ce que tu as mis dans ton message de ce matin par rapport à ta collègue de travail...

Je t'appellerai donc Cindy, si tu as un créneau horaire préféré dis le moi.

Samedi, je vais moi aussi faire une tournée dans le Beaujolais.

Je t'embrasse.

 

[E-mail à Cindy]

Vendredi 17 novembre à 13h20

Tu me diras ce que tu penses de la sélection Björk...

[Qu’as-tu prévu pour ton week-end hormis ton escapade dans le Beaujolais ?]

Pour moi, le samedi axé sur cette fameuse virée, à partir de 16 heures, mais avant des interventions pédagogiques.

Il faudra donc que je consacre mon dimanche à des corrections de copie et à la préparation de conférences... Finalement, peu de moment pour m'amuser.

J'ai été très heureux de t'entendre, pourrait-on renouveler de temps en temps ?

Quand je suis passé à Paris, Giacometti était annoncé à Orsay, mais en fait il n'y avait que quatre ou cinq œuvres...

Le dernier Sade est vraiment superbe de douceur, de chaleur, d'envoûtantes mélodies...

Un petit air avant de retourner au charbon... hé hop !

Un très bon week-end à toi. Loïc qui t'embrasse.

 

Lundi 20 novembre

Ma retraite solitaire habituelle des week-ends s’est égayée, samedi soir, d’une sortie beaujolaise avec la famille Cargeaud et quelques-uns de leurs amis. Après trois étapes chez des producteurs pour dégustation, dîner joyeux dans une auberge de la région avec primeur à volonté.

Aucune extension de mon relationnel et rien d’accrocheur côté sentimental. Je me résous à ce sort, à cet exil définitif, la plus tolérable des existences pour moi. Rien à construire, rien à laisser, je n’encombrerai ce monde repoussant qu’en témoin extérieur durant quelques décennies encore...

Démontée point par point, l’affaire Omar Adad s’avère une vaste fumisterie judiciaire dont les négligences des services officiels (de la gendarmerie au juge d’instruction) ressemblent davantage à une volonté de nuire au pauvre jardinier. La tronche et les propos inconséquents de la sœur de la victime, Mme Maréchal, parachève l’intime conviction que l’on peut avoir sur l’innocence de cet homme dont on a volé sept ans de sa vie et qui n’a été que gracié ; il reste coupable de ce crime pour la Justice impénétrable.

Reçu, enfin, une réponse de Shue, à la tonalité vaguement formelle. Est-ce le signe que nos liens vont se distendre ? Sa nouvelle vie doit être très prenante.

Cindy aussi semble très occupée, et je n’espère plus de suite concrète à notre correspondance via le net.

Même sur ces pages, je n’ai plus le goût d’étaler ces fadaises.

 

[E-mail à Shue]

Mardi 21 novembre à 13h20

Objet : Tour d’horizon

Ravi d'avoir de tes nouvelles. Comment se passe ta nouvelle vie à Lutry ?

Pour moi, rien de nouveau sous le soleil lyonnais... Le célibat a la vie dur, ou je suis trop difficile...

Côté professionnel, j'étends mes interventions : en plus de ce que je faisais, je m'occupe maintenant, dans un organisme privé, de préparer les BTS à leur épreuve de culture générale et, dès janvier, je ferai une vacation auprès des étudiants d'IUT à l'université Lyon III dans la discipline Expression-Communication. Je suis donc bien occupé.

Je n'ai pas encore de précision pour la parution de mon Journal, cela traîne un peu en longueur. En revanche, mon père de sang a coupé les ponts après l'avoir lu : il n'a certainement pas supporté ce que j'ai écrit contre lui...

J'ai bien reçu des photos de Alise, et j'aurais été très heureux de voir les vôtres, et notamment celle où je suis pris entre vous deux avec mon smoking loué que je ne retrouve sur aucune des photos vues jusqu'à présent.

Voilà un tour panoramique, au plaisir de te lire, et mes pensées amicales à John.

 

[E-mails à Cindy]

21.11 à 9h08

[Yves a téléphoné. Nous nous sommes donné rendez-vous chez moi. Nous sommes allés dans un restau très sympa. Il a été adorable.]

De bien diverses nouvelles, et notamment la bonne sur votre "réconciliation" avec Yves. Cela fera un élément de pression psychologique de moins pour toi.

[J’espère que ta journée de dimanche s’est bien passée et que tu as bien travaillé.]

Après les ripailles de samedi, j'ai décidé de passer mon dimanche en ermite, ce qui m'a permis d'avancer dans les choses à faire. Il en reste toujours malheureusement...

Bon courage à toi dans ton travail. Je t'embrasse.

 

A 10h58

[Tu parles vraiment très peu ! Comment vas-tu ? ton moral ?]

Laconisme révélateur sans doute d'un moral en demi-teinte. Le travail est certainement là pour combler des lacunes dans les semaines qui défilent. Ce que j'envie chez toi, c'est cette capacité à être très entourée et à pouvoir profiter de l'existence dans tout ce qu'elle offre de distrayant. J'ai, moi, plutôt tendance à m'enfermer dans mes terres lyonnaises, et plus spécifiquement dans mon antre. Les lignes écrites hier soir dans mon Journal, étaient très sombres. La capacité psychothérapique de l'écriture devrait faire son œuvre.

Finalement, j'ai hâte d'une chose : faire exploser ma joie de vivre lors de mon séjour à Paris.

[Où en est la parution de ton ouvrage ? Du nouveau ?]

Pour la publication, je n'ai toujours pas de nouvelles, et je commence à sérieusement douter qu'il paraisse avant la fin de l'année... Enfin, j'espère qu'il ne sera pas mis définitivement aux oubliettes. Cette affaire ne participe pas à mon pétillement faiblard, tu t'en doutes.

Je crois que je suis fondamentalement contradictoire : j'apprécie ce retrait célibataire par l'indépendance qu'il procure, mais, au fond, je préférerais être en complicité totale avec l'âme sœur, sans forcément être sous le même toit...

J'espère ne pas avoir été trop long, cette fois-ci.

Merci de tes attentions épistolaires chère Cindy. Je t'embrasse.

 

A 15h08

[Tu sais, je sens bien que le moral n’est pas au beau fixe. Tu n’écris pas les mêmes choses quand ton moral te joue des tours, ni de la même façon. (...)

Tu es un peu comme tous ces hommes que je connais. On veut le beurre et l’argent du beurre. Je veux les avantages de l’amour de l’autre mais pas trop, car il ne faut pas que cela vienne troubler mon petit équilibre...]

J'ai dû mal définir ma pensée chère Cindy,

J'espère justement ne pas être comme tous ces hommes qui font souffrir les femmes par peur de s'engager : mon expérience lyonnaise est là pour en témoigner. Je me suis littéralement exilé pour tenter de construire quelque chose. Cela n'a pas fonctionné, mais j'ai au moins tenté. Et je sais que si l'amour me motivait encore pour quelqu'un, je serais prêt à jouer l'aventure.

Quelqu'un comme toi, par exemple, me motiverait...

Je prends ces instants de vie célibataire comme une nécessité obligée, mais que je préfère plutôt que de me mettre en couple pour me mettre en couple... En revanche, si je suis galvanisé par la dulcinée rencontrée, pas question de bouder cette occasion extraordinaire de s'unir pour la vie...

Tu vois que je ne suis pas si désespéré... Surtout, je ne voudrais pas que tu aies une image déformée de moi.

Je t'embrasse.

 

A 15h44

[Pourquoi dis-tu que quelqu’un comme moi te motiverait ? Et en quoi stp ?]

Difficile à expliquer le pourquoi de l'attirance pour quelqu'un : déjà, j'aime ta présence, quelque forme qu'elle prenne, ton caractère, ta voix et ta silhouette. Je ressens un manque depuis que je t'ai vue, comme si ces instants partagés (que tu pourras toi juger comme anodins) relevaient du bonheur espéré... une espèce de douceur galvanisante. Pour moi ces signes là ne trompent pas... mais, évidemment, je suis dans une approche unilatérale et certainement amplificatrice, ce qui anéantit toute possibilité de croire à une éventuelle réciprocité.

Très mal expliqué, mais je le ressens plus précisément....

[Tu devrais sortir de ta bulle. Je suis sure que ton monde est plein de princesses.]

Quant aux princesses lyonnaises, je ne doute pas de leur existence, mais il me semble difficile de "sortir" spécifiquement pour cela : c'est voué d'entrée à l'échec... Seul le hasard pourra créer cette volonté commune.

Enfin, je vais transcender tout cela, me détendre les zygomatiques et repartir au fond de ma bulle...

Hé hop !

 

[E-mail à Cindy]

Mercredi 22 novembre à 23h21

[Je ne sais pas trop quoi te répondre. Je ne sais pas si tu te situes dans une approche unilatérale et certainement amplificatrice.]

Finalement je laisse mon moral au vestiaire car mes atermoiements ne sont pas une très bonne chose, et surtout je ne voudrais pas risquer de perdre une si agréable complice comme toi. Aujourd'hui, je n'ai pas été chez moi, mais à courir un peu partout. Mon Outlow express me rejoue des tours (Hé non, cela vient de se résoudre!), c'est donc du web que je t'écris (oui, mais j'ai pu transférer sur l'Outlook). Pour les films (nous pourrions d'ailleurs peut-être y aller ensemble lors de mon séjour à Paris) j'ai retenu la sortie des Drôles de dames, Dinosaure (mais pas tout seul !!! j'aurais trop peur, hé hé hé !), à peu près tout ce qui me vient à l'esprit... Suspicion ne me tente pas trop...

Là, je viens de finir mon sujet pour les médecines, et je vais bientôt rejoindre mon dodo... Au plaisir de te lire, et avec un gros bisou sur ta joue.

 

Jeudi 23 novembre, 0h15

Quelques résurgences avant la tombée des voiles.

Il faut absolument que je préserve le lien quotidien (par e-mail ou par téléphone, comme ce soir) avec Cindy. Sa présence, même à distance, m’est trop précieuse. Son effet tient de la sirène apaisante, une princesse de l’âme.

Ma plume ne m’entraîne pas ce soir.

 

E-mail, 23 novembre, 11h38

C'est moi qui viens à ta rencontre Cindy. Tu as dû être surchargée, ce matin, pour ne point pouvoir t'accorder une pause.

Moi je rentre tout juste après avoir vu un groupe d'étudiantes pour un projet tutoré : la conception d'un journal pour une MJC... Je les revois en début d'après-midi pour un rendez-vous avec le directeur de cet organisme.

Beaucoup de plaisir à t'entendre hier soir... Je serais bien resté à te raconter un joli conte... Je me suis d'ailleurs endormi avec cette idée, essayant d'échafauder les plus poétiques scénarios, mais, au petit matin, toute cette ébullition vaporeuse n'avait pas laissé de traces.

Si tu as envie de voir une exposition particulière, un musée, un spectacle ou je ne sais quoi encore, je suis partant pour tout lors de ma venue... Plus je pourrais profiter de ces instants partagés, mieux ce sera pour moi (c'est purement égoïste vois-tu !!!)..

Je vais m'éclipser pour aller faire quelques achats de boustifaille.

Je t'embrasse bien fort... Je laisse mon ordi branché pour mon retour...

Hop !

 

A 12h57

Il y a un souci car je n'ai pas eu celui de 9 heures... pourrais-je en avoir un résumé ?

Et toi qu'est-ce qui te tenterait d'aller voir ?

Moi pas de vacances, mais une détente supérieure avec moins de cours à donner... et, le 23 décembre, je serai à Paris.

Je t'embrasse.

 

A 16h46

[J’aime quand tu évoques tes états d’âme. J’ai davantage le sentiment d’apprendre à te connaître. Ce que je ne veux pas, c’est que tu m’obliges à me poser des questions sur une éventuelle réciprocité.]]

Alors, puisque je peux avoir le privilège de m'ériger comme distrayant, j'en profite. Me voilà de retour de ma tournée avec les étudiantes. Très bon contact et projet intéressant.

Je vais maintenant préparer mon intervention de demain matin auprès des BTS... Je vais les entraîner à la technique du résumé, car ce qu'ils m'ont rendu à la dernière séance n'est pas brillant... et, si j'ai le temps, j'aborderais le thème du langage.

As-tu eu le temps d'écouter la face de Björk que je t'avais concoctée ?

C'est bien dommage, pour ce message matinal, qu'il soit passé aux oubliettes... Peut-être qu'il contenait une information capitale !!! (sourire).

J'aimerais bien t'aider dans ton travail : je suis sûr que cela me passionnerait de travailler à tes côtés... Mais je ne dois pas avoir les compétences pour.

Si tu as un brin de temps pour me répondre, à tout de suite, sinon une très douce et reconstructive soirée...

 

A 21h

[J’ai écouté Björk et je préfère de loin la musique du film. Il me semble te l’avoir dit !]

J'ai vérifié chère Cindy, et mes neurones restent opérationnels : tu ne m'avais pas parlé avant de la face B de la cassette (si ce n'est pour me dire que tu n'avais pas eu encore le temps de l'écouter) ou alors dans le fameux message de ce matin, perdu à jamais.

Puisque tu auras ce mail vendredi matin, j'espère que ta soirée a été agréable et ne t'as pas découragé pour ton propre travail universitaire.

Moi, je reste dans mes murs alors qu'au dehors une saucée ne s'arrête pas.

Demain, quelques plongées dans le Neveu de Rameau m'attendent...

Toutes mes pensées.

 

[E-mail à Cindy]

Vendredi 24 novembre à 13h32

[Soirée sympathique en compagnie de cet ami de fac. Aujourd’hui il fait un temps magnifique à Paris. Je me sens regonflé car ma DRH m’a complimentée sur mon travail.]

Que des bonnes nouvelles donc...

On doit partager le même rayon car il fait à l'instant son apparition à Lyon, après une soirée et une nuit de détrempage.

[Que fais-tu de beau ce week-end ?]

Mon week-end est amputé de deux interventions, le samedi. Je nourrirai le reste du temps avec des préparations diverses, peut-être un cinéma et sans doute quelques instants de farniente et de nettoyage ménager (successivement bien sûr).

J'ai passé un bon moment avec le classique Hitchcock La Mort aux trousses (un oeil sur des écrits tout de même). Il n'a pas pris une ride dans son rythme, je trouve.

Sur ce, je te souhaite de bien profiter de tes deux jours, et à bientôt...

Bisous itoo.

 

Dimanche 26 novembre, 1h30

Un samedi sans intérêt comme à l’accoutumée. Après une séance de gros navet américain (Charlie et ses drôles de dames), où la concentration d’effets n’occulte pas la médiocrité du reste, j’ai griffonné quelques déjantements au café Cuba que j’inscrirai peut-être ici, à moins que je les détruise.

Qu’écrire pour sortir des ressassements sclérosants ? Je ne me sens aucune vocation romanesque.

 

Lundi 27 novembre, 1h15

Ma capacité à écrire s’amoindrit, signe peut-être d’une monotonie existentielle et d’une insensibilisation intellectuelle. Je ne me situe dans aucune construction, mais dans la préservation d’une douillette posture linéaire.

Demain, je donne un coup de main à Sandre pour son déménagement. La voilà propriétaire de 50m2 (sans la terrasse) dans l’ouest lyonnais. Moi, je réduis mes possessions au minimum : vêtements, livres, cd et quelques meubles basiques. Je ne m’attache à rien, comme un étranger à l’univers. Même l’écriture semble ne plus constituer un relais fiable et une possibilité de laisser une trace...

 

E-mail, 27 novembre, 13h30

Comment as-tu débuté cette semaine, chère Cindy ? Pour moi, une matinée de préparation avant une après-midi de déplacements.

Il faudra que je songe a te conter une historiette pour t'endormir un de ces soirs... As-tu des lectures en cours en ce moment ?

Je calme ma curiosité et t'espère bientôt ici via l'e-mail.

 

Mardi 28 novembre, 0h30

Soirée marquée par l’appel inattendu de Sonia. Voilà plus de dix ans que l’on se connaît et elle n’a toujours pas renoué avec la véritable joie de vivre, celle qui l’habitait lors de nos premières années de droit, celle qui faisait d’elle une fille séduisante et prête à croquer le monde. Elle traîne depuis trop d’années un embonpoint qui lui... pèse ; elle subit un célibat confortable sans perspectives constructrices, sans enfant... Un peu comme moi, les problèmes de silhouette en plus. Elle ne semble pourtant pas abattue. En tout cas, vrai plaisir de l’entendre. Je vais essayer de la voir lors de mon bref séjour parisien.

Un petit coucou à Cindy dont le timbre vocal m’envoûte. Une sensualité toute en discrétion, elle m’enchante par tout ce qui s’exhale d’elle.

Ce jour, je donne un coup de main à Sandre pour son déménagement.

 

[E-mails à Cindy]

Mercredi 29 novembre à 0h10

[Comment vas-tu aujourd’hui ?]

Je vais bien chère Cindy, mais ma journée fut physique... Je suis rentré depuis peu, debout depuis 6 heures pour aider à ce déménagement. Et je me suis mis en retard pour mon travail, mais je vais rattraper tout cela.

Que penses-tu faire pendant ces vacances, tu vas bouger (venir à Lyon par exemple, hé hé !) ? Moi, mes obligations risquent d'être fortement allégées entre Noël et le jour de l'an.

Je vais donc rejoindre mon dodo, et me laisser envahir par la douce détente d'une bonne fatigue physique. Je vais prendre mon billet dès demain pour être sûr d'avoir une place, et je prendrais l'aller pour vendredi soir... Alors si tu es dispo, j'attends ton signe.

Je t'embrasse, et à très vite. Loïc.

 

A 22h43

[Je suis navrée, mais j’ai une mauvaise nouvelle en ce qui concerne ce week-end. Elise, ma sœur, m’a demandé de rester avec elle et de lui faire faire des maths. Elle est totalement désemparée et n’y comprend plus rien. J’espère que tu ne m’en veux pas. Je suis désolée.]

Je ne t'en veux pas le moins du monde. Je me fais une raison. Bon courage à ta sœur et bonne plongée mathématique.

Eventuellement, nous aurions pu nous faire un repas à trois, samedi midi ou dimanche midi, rapidement...

Enfin, si tu as un moment, tu m'appelles sur mon portable. Moi je repartirai le dimanche soir. A bientôt.

 

E-mail, 29 novembre

Hello chère Helen,

Je vais bien, un peu surchargé de travail, cette semaine, car je file à Paris le week-end prochain pour des anniversaires. Et toi, es-tu enfin installée dans ton nouvel appart. ? Je n'ai pas de nouvelles de Heïm.

Je t'embrasse, et au plaisir de te lire.

 

[E-mail à Cindy]

Vendredi 1er décembre à 17h41

Si, par hasard, tu étais encore à ton poste je t'envoie ce coucou sur un air de Gérald de Palmas.

Finalement, j'ai retardé mon arrivée à Paris à demain 14 heures, et je vais en profiter pour visiter quelques amies parisiennes.

Je vous (toi et ta sœur) souhaite un bon week-end, et peut-être à dimanche fin d’après-midi.

Eh hop !

 

Lundi 4 décembre, 0h15

De retour de Paris. Pas pu voir Cindy, monopolisée par sa sœur, mais de longs moments passés avec l’adorable Aurore. Nous fêtons nos dix ans depuis notre première rencontre. Elle se souvenait précisément du 6 décembre 1990 : nous avions déjeuné au restaurant et j’avais commandé une omelette paysanne. Après une décennie, elle garde intacte cette fraîcheur et une aura envoûtante. Quel plaisir de ne pas l’avoir perdue de vue et d’être le témoin affectif de son parcours existentiel.

Agréable soirée chez maman et Jean avec Jim et Bruce (arrivé en deuxième partie). J’ai appris par Jim la raison principale de la rupture du pater, depuis la lecture de mon Journal. Il trouve « écœurant » que j’ai pu consacrer aussi peu de pages à lui, sa femme Anna et ses deux enfants Alex et Raph. L’égocentrisme est tel qu’il prend pour un affront inacceptable mes centres d’intérêt pour des choses « anodines ». Quel motif incongru ! Depuis quand le genre littéraire du Journal doit-il être calibré scientifiquement (et en fonction de quels critères ?) concernant les sujets abordés ? Mes contacts avec lui et sa famille ont toujours été sporadiques alors que j’ai vécu une quotidienneté avec les animaux du château. Ce ressenti transcrit, avec la subjectivité comme guide revendiqué, lui semble intolérable. Cela me paraît un non-sens littéraire. A-t-il lui-même écrit un seul texte en hommage à sa défunte mère, alors que ses poèmes traitent de sentiments que l’on pourrait juger insignifiants ? Si cela est confirmé dans le courrier qu’il doit nous adresser à chacun, je me ferai un devoir de lui rappeler les règles basiques pour un diariste.

Une nouvelle réussite juridique pour moi. Reçu copie du jugement rendu par le tass de Laon dans l’affaire sci v/ urssaf. Le tribunal a reconnu l’existence d’un « cas exceptionnel », en l’espèce la négligence du greffe, pour éviter à la sci de s’acquitter des majorations de retard réclamées. Mes conclusions ont été suivies par la Présidente de cette juridiction. Un bon point que je peux m’accorder, c’est si rare !

Rendez-vous téléphonique ce soir avec Heïm, sans doute pour programmer la fin de l’association Hisloc. Mon activité éditoriale a cessé de fait depuis un an pour de multiples raisons : au premier chef une rémunération dérisoire, au regard du travail accompli, et un manque de temps croissant.

 

E-mail, 4 décembre, 6h21

Chère Cindy,

Même si j'ai passé un très bon week-end, je reste très déçu de n'avoir pas pu te voir. Et l'achèvement est venu lorsque tu m'as proposé de rester dimanche soir alors que mes engagements m'obligeaient à retourner à Lyon pour ce matin...

Si tu es disponible le week-end prochain (9 & 10) ou le suivant (16 & 17) et prête à me le consacrer, je ne viendrais que pour toi. Cela me ferait vraiment plaisir.

Je t'embrasse.

 

A 13h22

[Je vois 6h22 dans le message que tu as envoyé. Tu es tombée du lit ou ton horloge est déréglée ?]

Non, mon réveil est parfaitement à l'heure. Je me suis levé à six heures ce matin pour mon intervention à 8 heures.

[Tu vas dire que je le fais exprès, mais le week-end prochain, j’ai une expo le samedi (j’ai déjà réservé les places) et le dimanche un déjeuner de famille chez ma cousine en banlieue. Quant au week-end du 16-17, je pars à Marseille si j’arrive à décaler ma réunion du vendredi après-midi.]

Bien chargée tu es... alors tant pis pour moi.

Bonne journée.

 

Pas encore minuit de ce lundi. J’ai bien défoulé ma verve lors de ma conférence pour les médecines de Grange Blanche. Le sujet : la perception critique de l’hôpital dans Thérapie de David Lodge. Mes quelques notes ordonnées autour de trois axes m’ont permis de tenir mes presque 1h30 sur ce thème. L’une de mes digressions, la plus significative, a porté sur l’émission Tabou diffusé sur France 3 et qui traitait d’une affection psychique rarissime : un homme et une femme souhaitant à tout prix se faire amputer d’une ou deux jambes au-dessus du genou (centre de la souffrance du personnage de Lodge !). En dehors de ce travers effarant, ils se montrent parfaitement normaux, et même (pour l’anglais) d’une intelligence vive, avec une puissance argumentative pour défendre leur quête sans pareille. J’écris ces quelques lignes à l’écoute de standards repris par l’attachante Björk, sur quelques tirades de harpe.

Première intervention ce matin, à Forpro, pour un petit comité (trois personnes) en préparation d’un bac pro. Très bon contact.

 

Mercredi 6 décembre

Une heure du mat. est allègrement dépassée et je n’achèverai pas l’émission de Dechavanne. Petit tour au pays des médecines parallèles, dites douces, et condescendance de l’officielle, celle qui peut s’autoriser des erreurs de diagnostic, des tâtonnements funestes ou des gourdes irréparables.

Notre président Chirac est, à nouveau, titillé par les affaires pas claires. Contrairement au talentueux Mitterrand, qui savait dissimuler comme un maître, Chirac ne semble pas parvenir à contenir le flot interrogateur de Big Media and Cie. Aura-t-il droit aux poussettes sitôt l’Elysée quitté ?

Avant de m’enfoncer dans les songes, je vais lire quelques pages sur les Chers amis de Pierre Botton.

 

E-mail, 7 décembre, 13h26

Chère Cindy,

J'émerge un peu après quelques jours de folie côté travail. Et toi, comment vas-tu ?

L'annonce d'une tempête rappelle de mauvais souvenirs. Fais bien attention à toi, si tu as à te déplacer.

A bientôt.

 

E-mail, 7 décembre

Chère Helen,

Mon séjour à Paris s'est très bien déroulé. Je vais d'ailleurs y retourner pour Noël. Le 23 au soir, j'assisterai à une soirée musicale à laquelle un de mes frères participe comme musicien. Et toi que fais-tu ?

A bientôt.

 

[E-mail à Cindy]

Vendredi 8 décembre à 13h23

J'ai eu beaucoup de travail du fait de mon séjour à Paris : notamment des copies à corriger. Et ce n'est pas fini... Je commencerai à pouvoir me détendre à partir du 15.

Je vais profiter ce soir de la fête des lumières à Lyon : de magnifiques choses au programme. Cela va bouger dans toute la ville, en espérant qu'il s'arrête de flotter.

En fait, la tempête n'a pas été bien méchante.

Je t'embrasse, te souhaite un doux week-end, et espère te voir bientôt.

 

Samedi 9 décembre, 1h45

La fête des lumières n’aura pas été pour moi. Rentré trop tard pour assister aux nombreuses représentations prévues, je n’ai côtoyé que la foule en masse, bien plus désagréable en solitaire. Insupportables entassements bruyants, je me suis exilé dans le cinéma Pathé, rue de la République, pour voir, dans une salle désertée, les dernières gesticulations de Jim Carrey dans Le Grinch.

En cours de lecture de Mes chers amis par Pierre Botton. On découvre la vraie valeur de certaines personnalités avec les bons points délivrés à ppda, Foucault et Bocuse et la stigmatisation des mauvaises graines Pivot, Villeneuve, Elkabbach et surtout le pro. de la gentillesse simulée, l’inattaquable à durée déterminée, Chirac.

Toujours aucune nouvelle pour la publication de mon Gâchis. J’ai le sentiment qu’il ne verra pas le jour par cette voie.

Le soir. Passage au café Leffe, place des Cordeliers.

L’air hivernal, malgré ses douceurs éhontées, commence sur la plus mauvaise base. Etriper du garçon mal fagoté.

Ce qui assombrit mon déracinement tient à l’absence d’éléments substitutifs. Pour compenser, je m’assourdis de mélodies aux rythmes distractifs.

Tout autour, l’échange prime. Assumer le sens inverse du grégaire parce que les circonstances l’imposent. Moi, dont l’activité se résume à diffuser de la connaissance par la voie orale, à démontrer, convaincre, apprécier, cela toutes cordes vocales dehors, je me renfrogne sitôt sorti de la sphère professionnelle.

Le dernier Woody, pas le toon mais l’intellectuel du cinoche américain, est une jolie comédie sur les tares humaines, toutes classes confondues.

Je dois finalement puiser dans cet exil le plus positif, ce qui pourrait m’ouvrir d’autres sphères.

Si je m’étais efforcé de conserver des liens avec tous ceux fréquentés sérieusement à Lyon, depuis les débuts de mon célibat, je serais aujourd’hui entouré d’une trentaine de personnes. L’exil volontaire ne se fonde que sur ma propre exploitation du relationnel lorsqu’il ne me comble pas. Je fais le mort pour mieux écarter ce qui ne sied pas au poil à des conceptions centrées sur l’horizon d’ivoire. Dans cette optique, rien ne comblera jamais mes soleils et mes lunes rassemblés pour un défilé étourdissant.

Bientôt à cours de mine, les notes de Witney H. me gardent dans la sphère du sacré.

Face à moi, deux humanoïdes de type femelle qui se croient l’objet de mon attention.

 

[E-mail à Cindy]

09.12 à 18h45

Je n'ai rien vu de bien significatif ce vendredi : arrivé trop tard, trop de monde... J'ai fini dans une salle de cinéma déserte à voir un navet. Sinistre tableau pour une fête des lumières !

[Comment vas-tu ?]

Ma santé va bien, mon moral stagne. Je n'ai pas ces élans comme toi en ce moment... plutôt assurer la survie vaille que vaille, mais en me demandant parfois si cela sert vraiment à quelque chose.

Je te souhaite un bon début de semaine.

 

[E-mail à Cindy]

Lundi 11 décembre à 13h37

[Qu’es-tu allé voir au ciné ?]

Je suis allé voir Escroc mais pas trop : une bonne comédie avec une vivacité de dialogue comme Woody sait les faire.

[Quand viens-tu à Paris en décembre ?]

Je serai à Paris du 22 décembre au matin au 26 décembre au matin.

Pour aller à Marseille, tu passes par Lyon, non ? si tu as une correspondance pas trop rapide, on pourrait boire un verre, je suis à 5 minutes de la gare.

Bonne journée.

 

A 14h09

Ah c'est par l'avion que tu y vas... alors je n'aurais pas de ressorts assez performants pour te faire coucou.

Le navet, c'est le Grinch, avec Jim Carrey, malgré une profusion de moyens... En fait, pas vraiment un navet : ma mauvaise disposition d'esprit en a fait un mauvais film, mais il est esthétique et plutôt pour les enfants.

[Eh bien on ne peut pas dire que ce soit la grande forme today. Que se passe-t-il au juste dans ton cœur ?]

Ce qui se passe chez moi ? Incapacité à le dire. Si ce n'est cet isolement qui s'éternise. A 17ans, un de mes poèmes finissait par : « Isolé partout / Baigné dans tout / J’expire. » J'étais aussi joyeux à l'époque...

A suivre...

 

Mardi 12 décembre, 0h37

Jean Tibéri a décidément beaucoup de panache face aux gesticulations misérabilistes des rpr. Dernière crasse en date : le refus de voter le budget par ceux qui avaient participé à son élaboration. Si je résidais encore à Paris, j’aurais été tenté de m’inscrire sur les listes électorales et, pour la première fois, de voter... pour Tibéri. Après avoir démontré une telle résistance dans la dignité, il mérite amplement de conserver l’Hôtel de ville, d’autant plus face à l’incongru Séguin, qui a sans doute bouffé une chèvre de trop, et à l’inconsistant Delanoë, dont le charisme est aussi étroit que ses épaules.

 

[E-mail à Cindy]

Mercredi 13 décembre à 0h26

[Ton absence ne me dit rien de bon. Es-tu fâché contre moi ? Ou est-ce la tristesse de l’hiver qui te pousse à t’enfermer ainsi sur toi-même ?]

Pour être sincère Cindy,

Je crois que j'attendais de toi des choses que tu ne peux pas m'apporter, mais je ne t'en veux nullement, c'est contre ma tendance à me jeter des illusions que je bouillonne. Ta psychologie est effectivement trop parasitée par ces plaies ouvertes, ta vie est trop prise par ton relationnel démultiplié, et je demeurerai, accessoirement, un correspondant internaute. Finalement, ce n'est déjà pas si mal, d'autant plus lorsque je peux acquérir, de façon éphémère, le statut de confident.

Je suis venu, je ne t'ai pas vue, j'en suis retourné déçu, le désespoir dans l'âme de ne même plus pouvoir vivre quelques instants d'exception avec ceux (celle en l’occurrence) qui me galvanisent vraiment. Voilà l'explication de ce retrait plus ou moins volontaire : ne pas t'encombrer (je le fais un peu là, mais sur ta demande...) l'esprit davantage avec mes propres déchirures, et sans doute me préserver de désillusions prochaines. Mais, encore une fois, tu n'y es pour rien.

Dis-moi Cindy, quelle est la teneur de tes deux autres envois de 19h19 et 19h21 avec des pièces jointes qui semblent volumineuses ???

Voilà pour cette mini confession. Dans l'attente de te lire, je t'embrasse.

 

Mercredi 13 décembre, 0h28

Je devais passer la soirée et la nuit de ce mardi chez Suzy. Juste avant que je ne rencontre le groupe d’étudiantes à l’Université Lyon III pour le projet tutoré mjc Ménival, je reçois d’elle un appel sur mon portable. Elle, toujours si prompte à positiver les plus problématiques situations, a la voix rempli de larmes : un terrible accident de la circulation, en Bretagne, lui a fait perdre une tante et un cousin. Elle rejoint, dès ce soir, sa famille. Je suis ému par son désespoir, caché tant bien que mal, et je m’essaye maladroitement à l’assurer de mon entière disponibilité si elle a besoin de quoi que ce soit.

Cindy m’a envoyé un e-mail un peu plus nourri ce soir, se demandant si je lui en voulais. J’ai tenté de synthétiser, dans une mini-confession, mon état d’esprit. Mon retrait, vis-à-vis d’elle, tient au décalage entre l’impact qu’elle a, malgré elle, sur moi, et ce que je peux espérer de notre relation.

Tête en l’air que je suis. Sans ma voisine de palier, mes clefs disparaissaient, avec le danger d’un cambriolage en douceur. Après une descente chargée de bouteilles en verre vides (ou presque...) et de ma sacoche, et un retour à l’entrée de l’immeuble pour nettoyer quelques coulures de vin rouge échappées, j’ai laissé mon trousseau pendant sur la porte d’entrée de l’immeuble. Un peu plus de deux heures plus tard, ma voisine les récupérait. L’AlzHeïmer me guetterait-il ?

Tous les jours, je croise des figures charmantes qui rejoignent mon interminable cimetière des occasions manquées.

 

[E-mail à Cindy]

13.12 à 13h23

[Qu’attendais-tu de moi vraiment ? J’ai l’impression que tu me fais des reproches, notamment celui d’avoir un relationnel démultiplié, pour reprendre tes termes. J’ai le sentiment que tu es en attente vis-à-vis de moi et cela m’étonne parce qu’en même temps, nous nous connaissons à peine.]

Si je suis négatif, j'ai une concurrente de choix (clin d'œil) : pourquoi penses-tu que le personnage de Cindy est en total décalage avait la Cindy que je crois percevoir ?

En fait, je ne voulais pas ajouter à tes soucis actuels, et j'ai complètement loupé mon coup. J'en suis désolé.

Pour ton relationnel démultiplié, il serait crétin de ma part de t'en faire le reproche. La seule chose qui pourrait expliquer ma formulation c'est une envie d'être davantage associé au cercle affectif que tu as.

Tu as souvent utilisé la formule « nous nous connaissons à peine », mais je ne trouve pas qu'elle puisse justifier un frein à mon envie de davantage te côtoyer. Jamais la naissance d'une relation forte (qu'elle que soit sa nature : amicale, affective ou sentimentale) n'a été conditionnée par une ancienneté nécessaire du temps de fréquentation. Tu ne crois pas ?

En tout cas, pour l'entrevue du 22 je suis évidemment partant. Veux-tu me retenir ta soirée ?

J'espère encore ne pas t'avoir trop ennuyé. Bien à toi.

 

E-mail, 13 décembre, 22h06

Cher Heïm,

N'ayant pas été capable de maintenir un programme éditorial pour l'association Hisloc, je crois qu'effectivement il faut y mettre fin.

Pour pouvoir compenser les versements à toi et au GIE Varisse, je te propose soit de continuer la diffusion des titres qui me restent et de reverser l'intégralité, soit de renvoyer le stock en ma possession.

Si c'est la seconde solution que tu souhaites retenir, je te propose d'arrêter les comptes au 31 décembre prochain et, soit de laisser l'association en sommeil, soit de la dissoudre.

Par ailleurs, j'ai une commande d'un L'enseigne à Lyon : dois-je la faire parvenir à Monique ?

Je t'embrasse très fort.

 

Vendredi 15 décembre

Après un échange d’e-mails avec Heïm, décision de faire rentrer l’association Hisloc dans un sommeil probablement très durable, voire définitif. Je retourne le stock restant et officialise ainsi, après douze ans d’activité, la fin de mon rapport avec l’édition. La distance avec le château ne pourra s’en trouver que renforcer et mon exil s’éterniser.

Aucune allusion, de sa part, sur la publication du Gâchis, et ce n’est pas moi qui réclamerais quoi que ce soit. Sans doute une sanction indirecte de ce qui peut paraître comme un lâchage de ma part. La survie autonome m’a simplement conduit vers ce qui pouvait, très relativement, m’assurer une sécurité financière minimum. Avec un travail aussi prenant, l’édition en solitaire ne pouvait même pas me fournir la moitié de ce que j’arrive à gagner dans la sphère pédagogique. Si je ne suis motivé par aucune ambition, il me faut garantir un minimum vital que l’activité éditoriale, sous cette forme, ne permettait pas d’atteindre. Sans doute un autre gâchis : il me faut tous les expérimenter !

Chirac, notre Président, chez Poivre d’Arvor, ou plus exactement ppda reçu dans le château (surnom donné à l’Elysée dans le sérail politique) a permis d’assister à un très beau numéro de rhétorique, avec grands principes et combativité intacte.

Ce soir, je dîne avec Laurence du Domaine, avant son éventuel départ pour l’Angleterre.

 

Dimanche 17 décembre, 0h30

Un samedi soir presque exclusivement consacré à la correction de copies Hippocus. Et demain cela continue. J’ai de plus en plus le sentiment de faire du bénévolat pour cet Institut, lorsque je compare le temps passé par rapport à la rémunération allouée. Cet organisme figure au bas du tableau de mes interlocuteurs-payeurs aujourd’hui et, aussi intéressants que sont les domaines de mes interventions, il faudra qu’il mette la main à la bourse, faute de quoi je tenterais de trouver autre chose ou d’étendre une de mes collaborations en remplacement. Je note, par ailleurs, un manque de tact de monsieur Gentia qui n’a toujours pas répondu à ma demande de revalorisation du taux horaire. Si le carriérisme m’emmerde, me faire exploiter m’insupporte, d’autant plus par des gens avec qui je n’ai aucun lien autre que professionnel.

L’entrevue avec Laurence, via une crêperie découverte cet été avec Helen, s’est très bien déroulée. Amicalement, notre lien aura peut-être plus de chance de survivre.

Cours exprès, samedi fin de matinée, à mon élève préférée : Ornelle, qui m’avoue ne décidément pas être faite pour la philo. Au programme de l’heure et demie : plancher sur un extrait de Hobbes traitant de la notion de liberté dans le cadre d’un Etat de droit, et donc de lois. Toujours un vrai plaisir régénérant d’être en sa compagnie. J’espère que, son bac en poche, elle ne me perdra pas de vue... amicalement bien sûr. Sa sœur Maelis (qui me semble plus fine à chaque venue) et son chirurgien de mari étaient présents dans la maisonnée familiale. Quel contraste avec mon mode de vie érémitique. Au cœur de Lyon, je vis l’essentiel de mes loisirs en autarcie.

Le fait d’avoir constitué mon carnet relationnel, depuis mes débuts universitaires, presqu’exclusivement de filles explique le désert du moment. Une fois en ménage, les belles donnent peu, voire plus de nouvelles. Shue en est la dernière illustration.

Attentiste, je n’envisage rien côté construction existentielle. J’assure le minimum pour vivre, je remplis ces quelques pages pour me donner l’illusion d’une utilité de mon passage terrestre, mais, au fond, j’attends la fin sans appréhension, comme le seul accomplissement que je suis sûr d’atteindre.

Ce matin 9h. J’émerge à peine d’un bien curieux rêve, en rapport avec la nuit musicale Babou expérience à laquelle Jim est partie prenante. Ce sera dans la nuit du 23 au 24 décembre prochain, dans la région parisienne, et je serai présent, au milieu de deux cents ou trois cents personnes attendues. L’affaire n’est pas sans risque, puisque de l’argent a été investi, notamment pour la location du lieu, et qu’il faut impérativement ramener du monde (à 50 francs la place) pour assurer l’équilibre financier.

Dans mon songe, localisé vers chez ma grand-mère (pour un des passages en tout cas) cette soirée a été organisée de la façon suivante : une quarantaine de courriers nominatifs, mis en forme et envoyés depuis le domicile de la mère d’une fille partie prenante au spectacle, doivent permettre, grâce au bouche-à-oreille, de réunir le quota attendu. Drame et aberration, quelques jours avant la date fatidique, cette fille tombe malade, et la décision est prise de tout annuler : nouvel envoi de lettres explicatives aux quarante rabatteurs potentiels. C’est dans ce contexte que j’interviens, avec un Jim qui maintient la soirée et compte sur une autre forme de bouche-à-oreille pour sauver l’affaire. Je vais alors me battre, employer toutes les ressources argumentatives, avec l’approbation de Bruce présent (et engagé dans la soirée), pour le convaincre d’actions (téléphoniques) à mener pour annuler cette annulation. Peu avant mon réveil, image d’un Jim dépité par cette situation, jouant sur sa guitare avec l’ampli à fond dans la rue principale de Fontès et moi, au porte-voix, pour lui faire entendre raison. Au moment d’émerger, le juriste que je reste se demande s’ils ont prévu une clause de remboursement des frais de location en cas d’annulation de Babou expérience pour cas de force majeure. J’espère que ma préoccupation fraternelle n’est pas prémonitoire...

 

Lundi 18 décembre, 0h30

Le premier Projet Blair Witch est beaucoup plus prenant. Ces trois étudiants partis vivre et filmer quelques émotions en forêt dite hantée, et qui n’en sortiront plus après avoir sombré dans la plus psychologique des terreurs, paraissent plus vrais que nature. La réussite de la première mouture, contrairement au second volet, est de ne pas montrer de violence sanguinaire, tout se basant sur la tension psychique, et de fonder l’aventure dans cet espace étouffant d’une forêt incernable. La fin morbide des intrus estudiantins demeure ambiguë. Un malaise vous gagne, comme si vous faisiez partie de l’expédition et que vous étiez désigné pour être la prochaine victime. Tout passe par le regard des caméras de ce trio condamné.

Zoa m’a appelé aujourd’hui pour m’offrir très gentiment son hospitalité lors de ma venue à Paris. Je risque d’accepter pour la nuit du 22 au 23.

23h30. Charles Millon nous a concocté une jolie plaquette titrée 2007 - Lyon tel que vous l’avez rêvé. Le scénario est fantasmé dès la page tournée : « En mars 2001, vous m’avez élu maire de Lyon »... et suivent les réalisations supposées faites, les plus spectaculaires, pendant son mandat. Communication hardie qui lui aura permis de s’y croire, suivant en cela les conseils de l’inégalable Fernand Reynaud.

Suite à des chevauchements d’invitations, je ne rejoindrai la Babou expérience, si j’en ai la possibilité technique, que vers une heure du matin, après avoir assisté à une opérette. Le contraste risque d’être saisissant.

L’émission Pièces à conviction, sur France 3, consacrée aux problèmes de la vache folle, ne peut que constater les défaillances administratives et politiques depuis quinze ans, la cynique loi du marché pour l’engraissement pécuniaire de quelques industriels...

Je cale, et demain levé tôt.

 

E-mail, 19 décembre, 12h59

Chère Cindy,

J'espère que je ne suis pas boudé, voire persona non grata, mais que seule ton occupation t'empêche de me répondre.

A bientôt donc.

 

Jeudi 21 décembre, 1h30 du matin

De retour dans mon nid après une amicale soirée chez Darlya. La variété de ses soucis fait ressembler ma réclusion lyonnaise à une hilarante villégiature. Le comportement de son ex-mari en est la triste explication. Cela me conforte dans une méfiance exacerbée envers autrui et dans une abstinence de toute construction familiale si elle ne résulte pas d’une complicité duale exemplaire.

Cours à la pétillante Ornelle dont l’œil au beurre noir, suite à un malencontreux coup de coude lors d’un de ses matchs de basket, semblait se rétablir.

23h58. Avec quelques notes émouvantes de Björk, je me laisse absorber par les mouvements de plume. A quelques heures de mon départ pour un Noël parisien, je suis partagé entre la joie attendue des instants variés qui s’annoncent et une lassitude ancrée qui s’affermit les années passant.

Je dois normalement avoir une entrevue avec Cindy demain soir. Ses e-mails se sont réduits au strict minimum depuis que je me suis un chouia épanché sur mon penchant pour elle. Je vais encore une fois faire fuir une de celles dont la relation m’était galvanisante. Pourquoi je n’attire que celles dont je ne veux pas ? L’impression très décourageante d’incarner un Sisyphe sentimental, qui n’aura jamais sa chance avec une demoiselle la séduisant. « He believes in a beauty » déclame la touchante Björk : moi je ne crois qu’à ma damnation existentielle.

Premières fêtes de fin d’année, depuis bien longtemps (et premières de ma propre initiative), où je ne mettrai pas les pieds au château. Un signe ? Sans aucun doute de la distance prise de part et d’autre. J’ai récupéré les stocks mvvf chez l’elah, et dès la semaine prochaine je renvoie le tout (avec les exemplaires chez moi) dans le nord. L’autonomie mentale dans l’exil sera alors vraiment accomplie. Le vivotage qui s’en suivra me reviendra totalement. Toutefois, et curieusement, je ne me sens pas encore prêts pour faire la part des choses dans ce détachement accentué : un rejet d’une forme de vie incompatible avec mon goût pour un retrait de tout, une espèce de désengagement moral.

Si le premier tome de ce Journal n’est en fait pas publié, contrairement à la promesse de Heïm, ce sera sans doute pour moi l’amorce d’un changement de cap littéraire : plus de zone préservée de toute critique. Quitte à rejoindre la clandestinité absolue, autant qu’elle me permette un abordage tous azimuts sans concession, sans faux-semblant illusoire. Je n’aurais alors plus aucun intérêt général à défendre. Même ma sécurité, je m’en contrefoutrais. Voilà au seuil de quoi je suis...

 

[E-mail à Cindy]

21.12 à 17h01

J'ai bien eu ton message et je t'en remercie.

Pour vendredi on peut par exemple se retrouver en début de soirée (tout dépend de ton heure de disponibilité) et manger ensemble. Je pars demain à 9h du matin.

 

Mercredi 27 décembre, 1 heure du matin

Un séjour à Paris bien rempli : très agréables moments avec Cindy, soirée gourmande (opérette plus Dôme) avec Sally, Karl, Isoline et Zoa, Noël convivial chez maman avec un acte de générosité très touchant de Jean, retrouvaille de la famille Bérard au complet à Trappes.

Pour le reste, l’humeur n’a pas retrouvé d’angle positif.

 

Jeudi 28 décembre, 1h30

La fin de millénaire approche et l’inspiration ne décolle pas. Je vais passer cette transition en solitaire, cloîtré chez moi. Vendredi matin, quatre gros cartons seront pris par un transporteur privé, direction Autremencourt : le stock d’Hisloc que je vais mettre en sommeil... ad vitam ? La distance avec le nord s’accroîtra d’autant plus.

Reçu, de la part de Heïm, une reproduction d’Elégie, bronze d’Hermione. Finesse et inspiration, elle fait de très jolies choses et est présentée dans une galerie parisienne.

Très curieux de revoir la famille de mon premier amour, Aurie comme il la surnomme. La petite sœur Agnelia, toujours aussi ravissante et pleine de vie, est revenue des Etats-Unis pour quelques jours avec son mari d’origine indienne. La maman, qui a une ligne de jeune fille, m’a entraîné dans sa chambrette pour me montrer les trésors de sa bibliothèque. Depuis quelques années, elle fait chambre à part avec son mari, que j’ai trouvé un peu éteint. Les nombreuses photos encadrées d’Agnelia (en couple ou seule) face à une ou deux d’Aurore, et le même nombre pour Babette, révèlent les préférences d’une mère devenue la voix dominante depuis la déchéance professionnelle du mari. Malgré la gentillesse extrême de ces gens, j’ai ressenti la prégnance d’un abandon insidieux pour mieux passer sur les tensions vécues. Leurs filles parties, ce chez-soi a certainement perdu de son âme, de sa vie renouvelante. La maman se concentre sur ses études (un dess en cours, après avoir obtenu un dea) et le papa prend en charge nombre de tâches domestiques.

Mon ordinateur continue sa mission de défragmentation après avoir opéré une vérification minutieuse de ses intérieurs par Scandisk. Je suis ainsi contraint à la veille.

 

Dimanche 31 décembre

Sandre me tiendra compagnie pour ce satané jour comme les autres. N’ayant rien programmé comme défoulement festif l’un comme l’autre, nous partagerons un bon repas chez moi, aux consonances lyonnaises, puis filerons dans une grande salle obscure pour découvrir l’Incassable du réalisateur de Sixième sens. A minuit, le film ne sera pas fini, nous éviterons ainsi tout marquage particulier pour ce passage d’un millénaire l’autre.

Soirée et nuit dernières passées avec Suzy. Ce matin, monologue cathartique pour clarifier davantage mon sentiment d’inutilité tant pour l’un que pour l’autre de cette relation. Je ne ressens pas d’inclination instinctive pour elle, ce qui a amputé mon rapport avec elle de ce qui fait l’essentiel d’un lien dans la densité complice et affective. Cela ne manque pas de rejaillir sur quelques passades sexuelles sans consistance. En bref, une perte de temps réciproque.

L’idée m’est venue dans la nuit de Noël : faire de mon Gâchis exemplaire un projet Blair Witch littéraire. Un avertissement préviendrait que le manuscrit a été retrouvé près du corps, écrasé par une cheminée, de son auteur supposé. Drame de la tempête de fin 99 qui a mis un point final à ce témoignage sur le vif. Une mort absurde pour un individu aux prises avec ses échecs et ses contradictions. Un système d’énonciation réduit à la vision du narrateur, dont la plume éminemment subjective sert de fil conducteur au lecteur. Sans nouvelles, en avril 2001, des promesses d’édition faites par Heïm, je tenterais d’approcher quelques grands éditeurs parisiens (dont Fayard, la maison de Madeleine Chapsal).

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