2001 – Excroissances jouissives

   Mardi 2 janvier, 1h50

En ce début de journée, pour la rentrée professionnelle, je veille encore. Pas de lecture hautement nourrissante pour justifier cette insomnie : juste le difficile détachement d’un jeu vidéo, l’un des seuls sur mon ordinateur ; sans permis je m’adonne à la formule 1 virtuelle sur un circuit ovale américain. Pas de quoi être fier, mais je joue la transparence, aussi.

Plus insolite, je décide d’appeler Kate pour lui adresser tous mes vœux et prendre de ses nouvelles. C’est bien elle qui décroche au numéro de ses parents. A bientôt 34 ans, elle réside toujours chez eux, célibataire, avec quelques ennuis professionnels. Heureux de la savoir en bonne santé et combattante face à cette période difficile pour elle. Je lui ai proposé mon aide, si elle en ressent le besoin.

Pour moi, une chose normale que cette reprise de contact (qui n’aura peut-être pas de suite de son côté) : je n’en ai jamais voulu à Kate de quoi que ce soit, lors de notre imparable rupture, et je lui ai toujours conservé une tendre affection. Apprendre qu’elle traverse quelques difficultés m’a d’autant plus conforté sur l’utilité de cet appel. Elle m’a appris qu’elle ne revoyait plus Barbara et Lionel (cités dans mon Journal en 1991), couple divorcé avec un enfant conçu. Encore une trajectoire qui prend une place de choix dans mon Gâchis. La fille s’est mise avec un Martiniquais et a enfanté un deuxième marmot. En avril prochain (à moins que ce soit mars) cela fera dix ans que j’ai rencontré Kate. Cela méritait bien, avec un peu d’avance, une attention curieuse.

 

Dimanche 7 janvier, vers 4 h du matin

Encore une belle expérience du monde qui n’est pas fait pour moi. Ces sinistres tentatives d’intégrer des lieux, en solitaire, là où on ne va qu’en groupe. Comme j’aurais pu l’anticiper, rien de bon n’en est sorti. Se faire chier à voir les étalages de frime, de faux-semblants, de courbes trop léchées et finir avec une nausée et un dégoût de tout. Peu importe notre passage à un millénaire tout neuf : la persistance d’une inadaptation au monde se confirme.

Pas de nouvelles de Suzy depuis ma clarification de notre rapport. Je n’en suis pas mécontent : me voilà à nouveau dans une posture d’exilé solitaire. Par ailleurs, j’ai limité mes vœux au strict minimum : quelques e-mails. Je n’enverrai de cartes qu’aux très rares envois spontanés (comme celui de Bastien). Les dizaines envoyées chaque année, sur ma propre initiative, n’auront servi à rien. Aucune fidélité cordiale ou amicale lorsqu’il s’agit de prendre les devants. Là aussi je n’ai plus aucune envie de me faire chier... pour rien. Qu’on me laisse, qu’on me fiche la paix, qu’on me laisse crever sans attache.

 

Mercredi 10 janvier

Participation, hier, au banquet pantagruélique à l’Université Lyon III pour la nouvelle année. Grandiose de variété, boisson champagnisée (voire Champagne) à volonté : une bonne mise en bouche pour mes premières interventions à partir de lundi prochain.

Des nouvelles fraîches de Shue par e-mail : elle m’invite à Lutry en Suisse un week-end de février à déterminer pour découvrir photos et film du féerique mariage. Cela me ravit de la savoir heureuse.

Moi, en revanche, je m’enfonce dans le célibat sans issu.

Delanoë, le candidat de gauche pour la mairie de Paris, est passé au JT de PPDA. La faveur des sondages lui a raffermi le ton, même si, encore une fois, il est interrogé sur son manque de charisme.

13h. Illustration de la connerie persistante en ce début de XXIe siècle : les soldes et la vulgarité grégaire. Ce matin, à 5h30, un grand magasin de Flers ouvre ses portes avec derrière des centaines de crétins qui s’engouffrent, se bousculent, se marcheraient dessus pour obtenir quelques biens soldés. Scène navrante qui confirme mon dégoût de cette humanité larvée, indigne dans ses comportements.

Un chauffard à étriper. Sortie d’une boîte de nuit, 180km/h sur une route nationale : quatre morts. L’énergumène ne se déplace pas pour entendre sa sentence (cinq mois fermes et dix-huit de sursis) et ne montre aucun remords. Ahurissant : l’annulation du permis n’a pas été retenue pour toute son existence, mais seulement pour trois ans. Insensé !

Voilà deux facettes d’un monde qui m’incommode chaque jour davantage.

 

Jeudi 11 janvier

Je prends le plus souvent les jours à leur commencement (il est 0h15) pour remplir ces pages : sans doute pour se sentir vierge de toute influence de celui abordé, ou au contraire pour que le précédent offre sa plus fraîche sédimentation.

J’ai le sentiment que ma forme de vie actuelle rejoint mon état d’esprit d’enfance : l’essentiel du vécu en solitaire exilé. Les contacts divers croisés n’aboutissent à rien d’accrocheur. Dans mes quatre pôles d’activité (l’Université Lyon III, Institia, Hippocus et Forpro) pas un seul lien cordial sérieux. La faute à qui et pourquoi ?

23h50. Toujours des égorgements par dizaines en Algérie. Pour savoir jusqu’où la vilenie cruelle de l’homme peut aller, la contrée algérienne offre le terrain idéal. Exemple d’atrocité : parmi les victimes des sanguinaires, une fillette de trois ans dont le visage a été dépecé de sa peau. À vomir...

Plus léger : reçu un e-mail d’Helen qui m’indique avoir mis des distances avec son ami qui s’est révélé moins accroché que prévu. Elle-même n’en souffre pas car, m’explique-t-elle, cela n’a pas été un coup de foudre comme avec moi. L’égo est aux anges.

 

Jeudi 19 janvier, 23h50

Encore un « cocktail dînatoire » à Lyon III. Je n’ai fait quasiment que parler avec une seule collègue, intervenante en anglais, vive et brillante. Peut-être une amie à venir. Isaura n’était pas là, le président de l’iut se remet de son opération de l’appendicite, et la responsable de gaco s’est faite hospitaliser. L’hécatombe.

Marie-Louise, mon interlocutrice, m’apprend que l’université n’est pas très pressée pour payer ses vacataires : depuis septembre qu’elle donne des cours, elle n’a encore rien reçu. Devrais-je tenter de remuer l’administration : je n’aurais pas la patience d’attendre quatre mois... La jeune femme, en très bon contact avec les étudiantes de gaco deuxième année, m’a rapporté les propos courant sur moi, après ma première vague d’interventions : rien sur le contenu, mais la perception d’un « professeur jeune et séduisant ». Mes tempes qui grisonnent ne se remarquent donc pas trop.

 

Jeudi 26 janvier

Le rythme effréné de mes interventions tous azimuts ne me laisse plus de temps pour ce Journal. L’université Lyon III figure jusqu'à fin mars en tête de mes monopolisations : douze heures par semaine, avec Forpro onze heures, puis Institia et Hippocus se partagent les restes. Je commence à prendre mes marques dans l’ancienne manufacture des tabacs reconvertie en centre estudiantin.

Ai sympathisé avec une toute jeune (24 ans) intervenante en anglais, une certaine Marie-Louise. Sa vie de couple ne la satisfait visiblement pas, et elle ne rate pas une occasion pour me lancer des perches... mais je ne crois pas souhaiter que cela aille au-delà du lien cordial, voire amical.

Une demoiselle qui me fait toujours fondre, au contraire, et que je connaîtrai depuis tout juste un an le 7 février prochain : l’enivrante Ornelle. Nous avions rendez-vous mercredi à Lyon III à 16 heures, moi sortant du cours donné à mes étudiants d’iut, elle venant chercher des dossiers d’inscription. Quel plaisir toujours renouvelé et intense d’être en sa compagnie. Elle poursuit l’écriture de son Journal, dans lequel je figure : il serait amusant de confronter nos deux confessions littéraires.

Pour le reste, rien de transcendant. Pas de nouvelle du pater, tout comme de la promesse de publication du Gâchis. Je crois pouvoir m’asseoir sur le tout !

Je n’éprouve aucun regret à cet exil lyonnais, malgré l’isolement exacerbé qu’il a entraîné. Cela m’a permis de remettre en perspective toutes ces années de choix forcené, qui n’ont laissé surnager qu’une caricature de moi-même. Ma vraie liberté intellectuelle, elle est ici, dans ce réduit meublé, serein bien que sans projet. Je ne crois plus en rien. Les rares moments d’enthousiasme, de vraie complicité relationnelle (comme avec la revigorante Ornelle) je les goûte comme d’éphémères sursis.

 

Jeudi 1er février, 0h30

Pour moi, l’an 2001 semble rimer avec « beaucoup moins d’entrain ». La faute, sans doute en partie, à un emploi du temps surchargé pour cause de caisses à remplir. Le mois qui vient de s’achever fera l’objet d’un versement pécuniaire par chacun de mes quatre interlocuteurs professionnels. Cette diversification me convient, malgré sa précarité.

Avec mes étudiants d’iut deuxième année, abordage cette semaine de la communication publicitaire de Benetton via Toscani.

 

Jeudi 8 février

Obligé d’écourter mon passage à la soirée organisée par les gaco de l’université Lyon III. Mon état maladif (une toux inextinguible notamment) parasite ma faible capacité à la convivialité. Une très chaleureuse ambiance cependant.

Demain soir, je dois revoir une charmante Valérie entrevue aujourd’hui. Très jolie jeune femme de 29 ans qui, si elle le souhaitait, pourrait m’enrôler pour une vraie histoire d’amour. Nous verrons bien...

 

Vendredi 16 février, 23h39

Je me sens en berne de tout, ce qui pourrait expliquer le délaissement de la plume. Même plus l’impression d’une phase transitoire : plutôt la résolution à vivoter sans construction, sans illusion, sans amertume. Je m’accommode du rien comme un moindre mal. Vivre à mon aune, voilà qui me convient. Autonome, sans emmerdante pression, je pourrais laisser s’écouler les années, les décennies, sans que rien ne change, hormis le vieillissement imposé. A moins que l’amour... là encore plus d’illusion.

La chère Valérie ne semble pas vraiment disponible de cœur, et je ne me crois même plus déterminé dans mon penchant pour elle... Pour le reste, quelques accointances sans ouverture sentimentale possible.

Une satisfaction pédagogique toutefois : le thème de culture générale « Presse et média » que je traite auprès de mes auditeurs en bts, retient le charnier de Timisoara et la guerre du Golfe comme exemplaires des dérives journalistiques. Un peu fier d’avoir pu les dénoncer quasiment en direct à travers des chroniques pamphlétaires.

L’actualité n’a toujours rien d’engageant.

Ce soir, accompagné Laurence à l’auditorium (pas loin de chez moi) pour écouter du Bach : bien agréable.

 

Lundi 19 février, 23h15

Côté relationnel : règlement à l’amiable ce soir, par téléphone, d’une conversion anticipée du rapport avec Valérie. De l’amitié, rien que de l’amitié... J’espère ainsi qu’elle sera moins légère dans ses engagements non tenus. Charmante, mais dangereuse pour moi : plutôt salutaire qu’elle ne se soit pas laisser charmer.

A Forpro, invitation de Carmelle, une intervenante de 24 ans, à se joindre à moi pour la soirée du 1er mars à l’auditorium. Au programme : jazz symphonique. Elle semblait enthousiasmée par cette perspective.

Musique et poésie sont en deuil : Charles Trénet a rejoint le paradis extraordinaire des artistes. A 87 ans, il a décidé de faire cesser l’acharnement thérapeutique dont il était l’objet depuis quelques jours, après un nouvel accident vasculo-cérébral. Les journaux télévisés du soir devaient avoir au frigo de belles nécros toutes prêtes, car les hommages ont été approfondis. Quel fabuleux et prolifique parcours que celui de ce « fou chantant » ayant musicalisé le XXe siècle.

Par contraste, revu ce soir le pur chef d’œuvre M le maudit en version originale, avec l’air sifflé si inspirant. La malédiction, voilà un thème à méditer.

 

Lundi 26 février, 0h15

Revenu de Suisse dimanche après-midi. Agréable séjour chez Shue et John, et surtout échanges nourris avec une des filles de leurs charmants voisins, Marie, chrétienne fervente. Sa vision du monde me touche, même si je me sens étranger à son rattachement divin. Son parcours existentiel, à 28 ans, l’a mené des superficialités ludiques d’une fille séduisante aux résolutions religieuses prêtes à tous les sacrifices. Elle écrit et dessine : au vu de son style, je lui ai recommandé la lecture de Léon Bloy.

Elle m’a conduit à la gare de Lausanne en m’assurant de ses bons sentiments à mon égard, me demandant qu’on soit amis. Elle serait plus proche et moins mystique, je la courtiserais.

12h30. Hommage au papa de Sandre (grand-père de sang) mort ce matin à l’hôpital d’un infarctus généralisé.

23h50. Avant de m’abandonner à une dérisoire petite mort nocturne, je voulais évoquer le souvenir de ce monsieur R., décédé aujourd’hui. Nos conversations, mises bout à bout, devaient tutoyer la centaine d’heures en quelques années de fréquentation. Notre dernière entrevue n’aura été qu’un croisement rapide lors du déménagement de Sandre.

Il a apprécié mes venues comme autant de parenthèses conviviales et chaleureuses dans son univers replié. Il aimait raconter ses anecdotes professionnelles multiples du temps de ses activités chez Rhodia (comme directeur d’agence) : certaines de ses histoires avaient la vedette, et la gourmandise orale lui commandait de les narrer à nouveau, après s’être inquiété de son absence de radotage. Parfois, il allait jusqu'à se confier, me demandant de garder le secret : ainsi un événement qui aurait pu être dramatique pour lui, son épouse et ses enfants, lors de la Seconde Guerre mondiale. Je l’ai vu parfois terminer ses narrations avec la voix chevrotante et l’œil embué. Une sensibilité à fleur de peau derrière un jeu de bougon détaché. Il sera incinéré jeudi prochain : j’assisterai aux cérémonies.

 

Vendredi 2 mars, 0h15

Touchante journée de jeudi avec l’enterrement du grand papa de Sandre, Jean R. (1921-2001) ; une première, pour moi d’assister à ce genre de cérémonie. Au funérarium, d’abord, pour se recueillir devant le corps (son visage semblait apaisé, rajeuni) ; à l’église, ensuite, avec les hommages divers ; au crématorium, enfin, où l’émotion de sa veuve (cinquante-six ans de mariage, je crois) atteignit son comble. Présence du géniteur de Sandre, qu’elle n’avait pas revu depuis vingt-deux ans : un frêle personnage bien effacé et sans grand intérêt au premier abord.

Entendu ce soir à l’auditorium, avec Carmelle (collègue de Forpro) que j’avais invitée, du jazz symphonique, deux pianos à quatre puis huit mains. Trois heures de talents concentrés.

A noter ma très agréable soirée de mardi avec Valérie, et la confirmation de mon goût (charnel) pour elle. Je suis invité pour son anniversaire ce samedi (elle fête ses trente ans).

 

Mardi 6 mars

Multiplication du relationnel revigorant ces dernières semaines. Après les quelques moments passés avec Valérie (anniversaire, cinéma, conversations), le passage à l’auditorium en compagnie de Carmelle (qui m’invite à manger chez elle demain soir), c’est mon étudiante préférée, Ornelle, qui m’appelle une heure, hier soir tard, pour discuter à bâtons rompus : de ses amours déçus à l’angoisse de la mort, en passant par ses projets universitaires pour l’année scolaire prochaine. Le 27 mars prochain, je l’accompagne au concert du bon Bruel. Pédagogue et confident à interventions périodiques : voilà un rôle que j’apprécie.

L’hystérique application du déifié principe de précaution a trouvé une nouvelle justification : la fièvre aphteuse. La tonalité de certains journaux commence à changer : après l’approbation sans retenue d’une sécurité maximale imposée, ils soulignent aujourd’hui le décalage existant entre l’armada de moyens déployés en France (alors qu’en Angleterre la fièvre s’est effectivement répandue) et l’absence confirmée de cas sur notre sol. Tuer des petits éleveurs par anticipation, que l’on pourrait assimiler à du fantasme de sécurisation obsessionnelle, m’apparaît comme une dérive dans l’application d’un principe pourtant légitime.

 

Jeudi 8 mars

Je ne m’attache pas au hasard : Ornelle s’est confirmée aujourd’hui, par l’écrit, comme un être de qualité. A 19 ans, elle tient un journal d’humeurs et de faits, et m’a accordé la découverte de quelques passages, dont un portrait psychologique de moi. Impressionnante justesse de l’analyse (je suis comparé à du cristal).

 

Vendredi 9 mars, 23h50

Pour achever mes notations abrégées hier par une fatigue envahissante : je trouve très touchant qu’une pétillante Ornelle de 19 ans consacre quelques pages de son cahier d’humeurs à un ours décalé comme moi. J’apparais comme son professeur attitré, « et surtout » son « ami ». Cela réconforte un chouia et rassure sur ma valeur humaine. Une personnalité à double tranchant chez Ornelle : des gamineries les plus outrancières aux élans approfondis, tout en sagesse expérimentée.

Ce week-end s’annonce érémitique pour moi. De multiples travaux et copies à corriger : campagnes publicitaires des iut-gaco ; qroc et dissertations des médecines de Grange Blanche ; synthèses de documents, résumés, questions de compréhension et développements composés des bts, notamment.

Si j’avais possédé ma carte d’électeur, j’aurais apporté ma voix à Charles Millon. Personnalité attachante et d’un niveau bien supérieur aux Collomb et Mercier. Le vieux Barre ira prendre une retraite bien méritée.

 

Dimanche 11 mars

Que cette journée soit un grand accomplissement des besognes.

Décision de ne plus rappeler Valérie. Elle se manifestera à moi si elle en éprouve l’envie. La loupiote danger de l’attachement inutile, voire déstructurant, me fait reprendre raison. Elle appartient trop, lorsqu’elle n’aime pas vraiment, à la catégorie des prédatrices.

En revanche, je vois Carmelle lundi soir. Une sensibilité qui semble bien m’apprécier. Cela ira-t-il jusqu'à faire cesser le tournis des très éphémères illusions sentimentales dont je deviens un spécialiste effréné ? S’il n’en reste qu’une, il me restera mon amie (amitié) Ornelle...

Tous aux urnes sauf moi (et moi, et moi, et moi...) aujourd’hui. Je fais pourtant le vœu que Millon et Tibéri engrangent le maximum de voix : les deux seules personnalités de ces municipales à m’avoir accroché... pas au point de m’inscrire sur les listes, toutefois.

Fin de la récréation rédactionnelle, et place aux corrections tous azimuts.

 

Mardi 13 mars, 0h53

Premier échange accompli avec Carmelle. Découverte, en forme de confirmation, des qualités humaines de cette jeune femme de 24 ans. Elle se déclare très troublée et attachée d’instinct à moi. Ne précipitons pas les choses, tout de même.

 

Jeudi 15 mars, 23h50

Quelques journées exténuantes d’enseignement tous azimuts. Ce soir, une conférence aux étudiants de pharmacie (à Hippocus) sur le rapport science-médias. Je me suis laissé aller à quelques envolées langagières sur le sujet, soulignant les absurdités, les tendances à l’hystérie dans le traitement du dossier vache folle et, maintenant, de la fièvre aphteuse.

 

Samedi 17 mars, 23h30

Hier soir passé avec Carmelle. Nuit complète partagée. Son corps correspond à mes idéaux (finesse des courbes et générosités focalisées) : en clair des seins lourds et fermes, des tétons à la bonne taille, des fesses rebondies, une taille marquée, des jambes fines, un ventre (presque) plat... et son âme qui se dévoile dans une touchante sensibilité. Nos sources idéologiques ne sont pas les mêmes, mais elle ne se braque pas pour autant. Pour modérer le contraste, je lui précise mon évolution intellectuelle depuis mon exil lyonnais. Désormais, je ne me sens plus guidé que par mes propres inclinations, mon sens critique.

 

Dimanche 18 mars

Malheureusement, les Tibéri et Millon n’ont pas pu, respectivement, conserver et conquérir Paris et Lyon, tombés à gauche. Le bon pôple s’est prononcé.

On s’est tellement moqué du système américain, et nous voilà avec un maire parisien de gauche alors qu’en suffrages exprimés la droite est majoritaire.

Même absurdité dans le traitement de la fièvre aphteuse en France. Face à un cas déclaré, on a anticipé en éliminant quelques trente mille moutons sains. L’hystérie de précaution, comme garant d’une immunisation contre tout soupçon d’avoir laissé faire, entraîne le drame absolu chez des milliers d’éleveurs. Si l’on n’avait brûlé que les bêtes réellement malades, n’aurions-nous pas eu moins de têtes sacrifiées ? Les témoignages d’anciens semblent conforter cette thèse. Ce serait alors la confirmation de ce délire précautionneux qui s’est emparé des services de l’Etat.

Dernière semaine d’intervention à l’université Lyon III, où une polémique se développe à propos de la couverture faite au professeur d’histoire négationniste Allart par le conseil d’administration. Tracts dénonciateurs distribués à la sortie de l’université, communiqué de presse d’un groupement d’enseignants en réponse...

Je dois revoir Carmelle mercredi soir (et demain matin en coup de vent à Forpro).

Mon moral se fait de plus en plus insensible aux attaches passées. Je n’ai nulle envie d’un rapprochement avec le Nord, les gens du Nord... Une promesse non tenue sonne pour moi le glas. Marre de ces illusions idéologiques, de ces faux-semblants respectueux. L’exil que je me suis imposé me libère de ce joug et m’ouvre à l’indépendance d’esprit. Une salutaire évolution pour qu’éclate la complexité de mon positionnement, reléguant aux antiquités existentielles mon fanatisme débridé. Je ne renie strictement rien, ne regrette pas une once, mais je ne m’empêche pas pour autant un état des lieux critique.

 

Lundi 19 mars

Lyon, comme Paris, sont restés à droite en nombre de voix, alors que la gauche fait son entrée majoritaire aux hôtels de ville.

Procès du monstre sanguinaire et paradeur Guy George. Inadmissible : il ne risque que la perpétuité (qui n’est jamais effective dans les faits) avec une période de sûreté de vingt-deux ans, au lieu de trente que permet au maximum notre droit. Trop indulgente justice... trop humaniste pour les criminels de ce type.

 

Mercredi 21 mars, 0h30

Dechavanne semble vraiment avoir un problème dans la verbalisation des actes sexuels et de toute la terminologie qui les décrit. Impression d’avoir un gamin complexé, honteux de certaines évocations (la sodomie le rebute, le sexe de l’homme devient zizi, etc.). Son émission sur le sexe tenait en revanche parfaitement le cap avec des intervenants sensibles et intelligents.

Lors d’une conversation éclair avec Carmelle, lundi dernier, j’évoquais mon étonnement quant à mon indifférence de ne pas avoir revu les gens du Nord et le pater. Trop tard, trop fatigué pour trouver une explication.

Je vois aujourd’hui, pour le goûter, Laurence qui part en Angleterre, à la fin de cette semaine, pour s’épanouir dans une activité.

 

Jeudi 22 mars, minuit moins une

Soirée et nuit dernière chez Carmelle. Elle a encore dû s’improviser Saint-Bernard chez ses parents. Une mère à la déprime ravageuse, un père qui ne parvient pas trop à gérer la situation, et Carmelle au milieu qui s’ingénie à colmater. Du gâchis, encore et toujours... Marquée par cette journée, elle songeait même à ne pas me garder après le dîner pour cultiver une solitude régénérante ou ruminante. Finalement, l’attirance charnelle a transcendé la situation et j’ai passé ma première nuit chez elle. La gourmandise sexuelle s’affirme en rythme réciproque.

Je me sens plus proche de la tendresse sexualisée que de la passion accroc. Ne pas l’appeler lorsque je ne l’ai pas à mes côtés ne me mine pas : je n’y songe pas, en fait. Est-ce ma nature qui se durcit à un tel degré que plus rien ne m’accroche vraiment ? C’en est inquiétant pour ma suite de vie. Je me comporte un peu comme le médecin légiste : attentif à ce qui m’entoure, curieux de l’autre, mais sans inclination à m’attacher aux sujets retenus. Même l’espoir déçu dans la relation embryonnaire et éphémère avec Valérie ne correspondait pas à un authentique penchant pour elle.

 

Dimanche 25 mars

Le vagabondage littéraire peut résister aux obligations pédagogiques. Un sujet choisi pour les bac pro sous ma responsabilité à Forpro, dans un recueil adéquat, sans même lire le texte, ne me fiant qu’au genre, ici le narratif, et aux questions posées : un extrait d’Un jeune couple de Jean-Louis Curtis.

Sa lecture, aujourd’hui, avant de corriger les tentatives estudiantines, me stupéfie : j’ai là le portrait chirurgical de situations vécues dans le minage psychologique avec plusieurs demoiselles que l’on peut reconnaître sans peine. Chacun doit avoir la sienne. Je laisse ce passage ici :

Jour après jour, il y avait le morne ressassement de ce que nous au­rions pu faire si nous avions eu telle somme d'argent. « Si seule­ment nous avions trois millions! Rien que trois millions, Gilles, une bagatelle aujourd'hui. Qu'est-ce qu'on pourrait bien faire pour gagner trois millions ? On ne va tout de même pas jouer au tiercé, comme des minables! » Elle ruminait cette pensée, s'y obstinait comme une enfant butée. Quelquefois, cela me donnait envie d'aller me noyer. Ou de me saouler à mort. Ou bien de par­tir au loin, très loin dans une île du Pacifique où personne ne dé­plore de n'avoir pas trois millions pour obtenir le loyer d'un ap­partement.

Quand Véronique parlait de ses projets d'avenir, c'était toujours en termes d'acquisition. « Nous achèterons... Nous aurons... », ou de jouissance: les sorties, les vacances, les voyages... Il me sem­blait qu'elle était habitée par une énorme poulpe invisible, dont les myriades de ventouses tour à tour contractées et béantes aspi­raient à pomper toute la matérialité du monde. Ses convoitises étaient en même temps exorbitantes et modestes, car il aurait suffi d'avoir de l'argent pour les satisfaire (du moins à cette première phase de notre vie commune: un peu plus tard, les exigences de Véronique devinrent plus complexes), et je ne cessai pas de m'émerveiller que le bonheur fût, pour elle, une simple question de compte en banque. Je lui dis, un jour, en matière d'apaise­ment: « Dans quelques années, nous aurons tout cela, je te le promets. » - Dans quelques années ? Quand nous aurons l'âge de nos parents ? Quand nous serons à la retraite ? Ça ne m'inté­resse pas, Gilles. Ce que je serai après quarante ans ne m'inté­resse pas. D'ailleurs dans l'intervalle, il y aura la bombe. C'est aujourd'hui que nous devrions avoir tout, aujourd'hui que nous sommes jeunes. » Et elle ne songeait pas que nous avions juste­ment la jeunesse qui peut tenir lieu de tout; nous avions notre vi­sage encore lisse, notre corps encore vigoureux, notre intelligence encore avide; nous aurions pu avoir notre amour, si elle l'avait voulu ; mais au lieu de jouir de ce que nous étions, de notre être, elle rêvait de ce que, selon elle, nous aurions dû avoir.

 

Lundi 26 mars

Mon étudiante préférée (heu... maintenant après Carmelle, à qui je n’enseigne rien) doit me retrouver chez moi avant que nous filions en taxi vers la halle Tony Garnier où Bruel doit se produire. Vu ce soir un film avec lui sur Arte, comme une acclimatation au personnage. Je suis enchanté d’accompagner la foliette Ornelle à ce concert. Comme une trace de ce lien amical, j’ai gardé le chèque qu’elle m’a fait en remboursement de la place. J’avais fait de même, mais pour de toutes autres raisons, en 1993 avec Kate peu de temps avant qu’on se sépare. Le contraste, entre ce chèque de 220 francs non encaissé et les millions de francs perdus par les effets néfastes de notre relation, me séduisait littérairement.

J’intrigue mes étudiants (l’un en gaco la semaine dernière, l’autre en bts aujourd’hui) sur mon parcours, ma formation, mes autres activités. Celui d’iut, très éclairé intellectuellement, me confia au dernier cours qu’il trouvait étonnant que je puisse passer de sujets aussi différents que la publicité, le monde de la presse ou la nouvelle économie et internet. Une bonne préparation ne permet pas tout : il faut pouvoir improviser, répondre aux questions, donner une impression de naturel, d’un côtoiement expérimenté. La diversité des matières enseignées, une curiosité pour les actualités et le bavardage professionnel passé ont forgé mon rapport aux autres dans l’échange insatiable. Un de mes instants préférés dans la contrée pédagogique : vagabonder sur des sujets divers et rebondir sans préparation dans l’échange nourrissant ou le contradictoire exaltant.

Ainsi, aujourd’hui, à partir d’un sujet de synthèse de documents concernant le regard porté sur les monstres, arrêts sur le criminel à saigner Guy George, le genre pamphlétaire, les escroqueries idéologiques... un régal.

Je ne céderai pas au ton sarcastique. Les gens du Nord ont finalement eu besoin de quelques éclairages (bénévoles) sur la déclaration fiscale de la sci.

 

Lundi 2 avril, 1 heure du mat.

Je sors d’un gentil et charnel week-end avec Carmelle. Très bonne entente, mais je doute, par mon caractère et mes atermoiements, de correspondre à ce qu’elle attend. Je me sens toujours sur ma réserve, alors que la symbiose sexuelle ne tarit pas.

Vendredi soir, une soirée organisée par les étudiants de gaco dans un restaurant-karaoké des bords de Saône. Hormis une conversation à épisodes avec un professeur, moment sans intérêt. Je me suis à nouveau fermé à toute convivialité jugée par avance factice et hypocrite.

Le Journal littéraire a vraiment la côte en ce moment : c’est au tour de Jean-François Revel de publier le sien, pour l’année 2000. Après les fausses promesses de publication, je dois vite rattraper ce retard pour la mouture destinée aux grands éditeurs. Mon emploi du temps va s’alléger à compter de cette semaine : je vais donc mettre ces instants à profit.

 

Mercredi 4 avril, 0h30

Internet, si fantastique dans son principe encyclopédique, s’affuble d’un apparat beaucoup moins reluisant lorsqu’il s’agit d’y effectuer des recherches (mon thème : l’image du médecin dans la littérature). Au-delà des paralysies dans la réception des données qui obligent à se reconnecter une bonne vingtaine de fois pour espérer harponner une faille spatio-temporelle favorable, la fulmination prend véritablement corps face au mongolisme des moteurs de recherche. Incapacité des Voilà, Lycos and Cie à chercher les sites dans l’intelligence d’une expression proposée. Les portails informatiques nous ouvrent ainsi le plus souvent des contrées abusivement chargées de plusieurs dizaines de milliers de sites inadéquats. Tout cela par le fait d’un marquage au mot sans prise en compte du sens global. La coche de l’option « la phrase exacte » n’y change rien.

Le hasard de mon passage à la Fnac de La Part Dieu m’a fait rencontrer (à la sortie de Zara international qui jouxte le vendeur multimédia) Fania en séjour à Lyon jusqu’au 19 avril. Resplendissante, elle est installée en Angleterre et se marie l’année prochaine. Peut-être nous verrons-nous avant son retour outre-Manche.

Ce jour, si j’avance suffisamment dans ma préparation de la conférence pour les médecines de Grange-Blanche, je verrais Carmelle pour une après-midi et une nuit partagées.

 

Jeudi 5 avril, 0h15

Une soirée avec Carmelle amputée de sa nuit. Retour dans mon antre après quelques bribes explicatives. Mes silences contrasteraient avec mes envolées régénérantes du début, lors de la phase séduction. Impression de me vider et de n’avoir plus rien à apporter, comme étranger à une situation où devrait primer la complicité. Encore un lot d’occasions perdues pour approfondir un lien avec une jeune femme de qualité. L’explication ne s’impose pas : manque d’amour pour elle, désintérêt général pour l’humanité.

 

Vendredi 6 avril, 0h30

Puisque l’occasion m’est donnée (par Ornelle) de fulminer contre un inconsistant dérisoire, je ne vais pas bouder le plaisir belliqueux. Mon étudiante préférée me confie que le rasibus en phase de dégarnissement de l’occiput, le peu philosophe et triste pitre Pascal, me voue une haine rentrée du fait de mon contact complice maintenu avec la demoiselle. Je suis soupçonné du stupre le plus infâme par cet hystérique hypocrite. Le gesticulateur dégonflé avait eu, par un hideux hasard, la belle Ornelle comme petite amie, trois ans plus tôt, et il ne peut se résoudre à avoir été aujourd’hui rabougri à sa plus terne réalité. Le voilà s’érigeant matamore d’arrière-cuisine sans oser me dire en face sa façon de fumer du cortex lors du repas partagé chez les Cargeaud Toute cette angoisse supplémentaire que je procure au court-sur-pattes lunetteux me réjouit d’autant plus que le bougre raseur a théoriquement une petite amie, mais qu’il ne peut s’empêcher de coller Ornelle, malgré sa tête de moins. Finalement, ce défoulement pamphlétaire me permet de compenser l’impression d’être sali par les inconséquences du nabot faible en gueule qui se permet des interprétations de comptoir sur mon comportement. Un bon poing dans sa mièvre tronche, pour lui rentrer ce feuillet vitriolé au fond de la gorge, parachèverait ma démarche et soulagerait ma fureur cataclysmique. Exit le foireux !

 

Dimanche 8 avril, 0h40

L’humour décalé, absurde et gestuel d’Erik & Ramzi me va parfaitement. Dans La Tour Montparnasse infernale ils laissent exploser leur talent au style singulier. Cela faisait longtemps qu’un film comique ne m’avait pas emporté à ce point. La salle semblait en majorité ne pas accrocher à cet humour tout en jeu subtil, en petites touches gestuelles, malgré les apparences tarte-à-la-crème. Le duo comique fonctionne à merveille, tout comme celui d’Elie & Dieudonné, rapidement interrompu. Espérons qu’ils tiennent plus longtemps. Un moment cocasse : la brute décharnée Joey Star, rappeur entre deux coups donnés, a un petit rôle... de flic. Avec ses frisettes desséchées, ses bras maigres et son sourire ferraille, il fait pitié.

Appel rapide de Carmelle. Tout va bien dans sa campagne. J’espère ne pas la perdre trop vite.

 

Mercredi 11 avril, 0h30

L’éloignement d’une semaine n’aura pas eu lieu, pour la plus agréable exaltation partagée de lundi soir à mardi matin. Carmelle m’a retrouvé chez moi : renaissance d’une complicité gourmande. Dîner dans un douillet restaurant marocain avec couscous et vin rouge du pays, retour en amoureux et à pieds de la place de l’Europe à mon antre (cent mètres environ) et nuit de délices renouvelés. Elle entre dans sa phase de révisions et sera donc moins disponible les semaines à venir.

Confirmation d’un week-end de Pâques chez Shue et John à Lutry, en Suisse. Je verrai certainement la fervente Marie qui a répondu cinq pages à mon envoi par e-mail d’extraits écrits en boîte.

Message tél. de Heïm hier avec une réf. à mon projet d’édition du Gâchis. Advienne que pourra...

 

Mardi 17 avril

La villégiature studieuse chez Shue et John s’est parée de douceurs complices. Face à nous, Lac Léman et Alpes françaises, malgré la grisaille persistante (un bleu à baver ce matin, grrr...), ont participé au bien-être ambiant. Une moitié de thèse sur pied, et le reste à concocter avant septembre prochain : l’été de Shue s’annonce chargé.

Lundi soir, dîner partagé à quatre, la pieuse Marie étant conviée à déguster un succulent plat iranien de facture Shuyenne. Echanges fructueux, notamment sur ma « gourmandise charnelle » immorale aux yeux de Marie (je lui avais prêté, pour la durée du séjour, l’exemplaire de mon Gâchis). Des raisonnements tout en finesse, mais révélateurs de démarches existentielles antinomiques.

Peu après la visite, en fin d’après-midi, d’un couple ami d’John et d’une jeune femme récemment séparée, collègue professionnelle, j’ai pu à nouveau apprécier la justesse acérée du sens psychologique de Shue sur cette dernière : un portrait sans concession, touchant au cœur la flopée de défauts de cette extravertie sans gêne à la féminité anéantie.

Eu Carmelle au tél. Finalement, ses parents sont bien partis en voyage et elle peut organiser une petite fête dans le domicile familial. Rapports normalisés entre nous dans un désir renouvelé de se revoir. Je la retrouverai demain soir pour une faim démultipliée après quelques jours de « continence » (terme employé par Marie pour définir l’un des devoirs établis dans la communauté qu’elle s’apprête à intégrer, pour une durée limitée, en fin de mois).

Contact tél. prévu cette semaine avec Heïm à propos de mon Journal. Confirmation du projet d’édition, initialement prévu en octobre 2000, ou annulation ? L’occasion, sans doute, d’éclaircir l’impression d’une distance prise de mon côté. Peut-être une mini catharsis en perspective...

 

Lundi 23 avril, 0h15

Agréables moments avec Carmelle. Découverte du seul restaurant syrien de Lyon. Des échanges verbaux parfois vifs, en profondeur, mais avec l’objectif de valoriser et de conseiller au mieux. Ses analyses touchent souvent le cœur du problème, bien qu’elle ne connaisse presque rien de mon passé. Ma distance prise avec les gens du Nord, notamment, la choque (Heïm ne m’a pas rappelé), mais je n’ai nulle envie de replonger dans ces crises pseudo-cathartiques dont j’ai fait le tour.

Je voudrais simplement que leur position face à mon Journal soit claire et non vaseuse comme depuis des mois. Je vais passer outre et m’adresser aux maisons parisiennes. Chance infinitésimale, mais j’aurais au moins essayé.

Les magistrats poursuivent leur chasse aux pontes politiques. Le dernier gibier en date, pour reprendre le terme du chassé lui-même : la vieille bête Pasqua et ses financements dits douteux. A voir ses amis mécènes corses, la caricature ne pourrait pas mieux les dépeindre : la mimique mafieuse, l’assurance de parade, la douceur suspecte ; la panoplie se déploie avé l’accent chantant.

 

Mardi 24 avril, 0h30

Mon côté pôple a décidément du mal à croître. Vu, chez PPDA, le pdg Riboud fils défendre, avec intelligence, les mesures de plans sociaux prises. Face à l’hystérie des braillards, des réflexions justes, pleines d’humanité, mais réalistes dans le marché mondial dans lequel évolue le groupe Danone. Franck Riboud a rappelé la qualité première du chef d’entreprise : savoir anticiper pour éviter qu’une situation confortable ne se transforme en gabegie lamentable. Du temps et des moyens : voilà ce qui permet de ne laisser aucun des salariés visés par le plan social sur le bas-côté, sans espoir de retrouver un emploi. D’un côté l’humanisme réaliste, de l’autre l’utopie revendicatrice et agressive.

 

Mercredi 25 avril, 0h30

Vu ce soir, en avant-première, en compagnie charmante de Carmelle et de son amie Samia, La vie fabuleuse d’Amélie Poulain. Chef d’œuvre en tout ce conte d’amour, rafraîchissant par la beauté d’âme qui s’en dégage. Tout en nuances, ce film illumine d’un bout à l’autre, sans une once de graisse. Les pastels enchanteurs, les détails de chaque plan, les ricochets singuliers d’éléments voués à autre chose, toutes ces qualités et mille autres contribuent à la dimension majeure de ce film promis à une belle moisson de Césars, à défaut d’avoir été retenu pour la sélection cannoise.

Nouvelle étape d’existence confirmée par un appel inattendu : mon père qui reprend contact après plusieurs mois de silence et une lettre jamais envoyée (et sans doute jamais écrite). Plaisir de l’entendre et stupéfaction (quoique cela germait à petit feu en moi) lorsqu’il m’informe d’un entretien avec Heïm quelques semaines avant, lequel lui a révélé sa décision de ne pas publier mon Journal ! Si ce n’est pas de la trahison affective, ce n’en est pas loin. Heïm qui m’adressait encore la semaine dernière un message m’affirmant que ce projet n’avait pas fini aux oubliettes, n’a pas eu la délicatesse de me donner la primeur du refus ! Me voilà fixé pour l’avenir qui se fera d’autant plus méfiant à l’égard de l’humanité.

Je ne renie évidemment rien du bonheur partagé, de la complicité intellectuelle sans pareille, des apports multiples et des engagements existentiels, mais un pan de trente ans va s’éloigner.

Avec mon père, les relations vont sans doute se restaurer dans une transparence plus saine. Le voyage à Tours en serait le terrain propice, dans un hommage à ma grand-mère paternel. Je le remercie, en tout cas, du choix de ne pas me cacher cette discussion qui n’a fait que confirmer mes mauvais présages.

A moi de me battre pour que ces écrits trouvent d’autres interlocuteurs éditoriaux qui les feront sortir du milieu confiné des petits carreaux. Et même sans cela, leur simple dimension manuscrite me comble : traces de cette insoupçonnable trajectoire dont un acte vient à nouveau de s’achever.

 

[E-mail à Marie]

25.04 à 21h40

Très touché par tes mots, tes confidences intimes sur ton attente du grand amour.

Je suis toujours partagé quand je te lis : tellement proche de toi pour certains des grands principes que tu défends, mais totalement imperméable au filigrane religieux... j'en suis désolé, mais je suis inébranlable sur ce point.

Pour ta conception d'une découverte charnelle devant être ultérieure à la complicité intellectuelle, je ne suis pas sûr que cela garantisse le succès. Mon histoire avec Sandre est là pour en témoigner : symbiose spirituelle (avant toute relation sexuelle) qui ne sera pas suivie par la même entente dans la quotidienneté partagée.

Veux-tu que j'aille me renseigner pour les éditeurs religieux ?

Au plaisir renouvelé de te lire. Je t'embrasse.

 

Jeudi 26 avril

Reçu, ce soir par e-mail de Heïm une synthèse de la dégradation de sa santé : très impressionnante, elle justifie son impossibilité de m’appeler comme convenu. Soit.

Tout à fait peiné de ces maux terribles, mais cela ne m’explique toujours pas cet appel à mon père en négligeant de me faire part de sa décision. Je ne vais pas m’évertuer à cureter plus loin ; j’enverrai mon souhait affectif de prompt rétablissement.

Appel d’Aurore pour avoir de mes nouvelles. Elle sort d’une période de grave dépression et suit une psychothérapie. Décidément, je suis entouré de gens se faisant inspecter le cérébral alors que je m’obstine à l’auto-analyse.

 

Lundi 30 avril, 0h30

J’évoquais la normalisation de mes rapports avec Carmelle : la coloration diplomatique du terme préfigurait une prochaine détérioration. Après une soirée écourtée à l’auditorium, un bilan s’impose : nos états psychologiques dégradés ne permettront aucune harmonie pérennisée. Nous décidons de ne plus nous voir jusqu’après ses examens, pour ne pas surajouter un traumatisme de plus. Pour ma part, j’opte déjà pour une conversion amicale. D’une histoire l’autre, le rythme de fuite ne favorise pas la sérénité. Le fallin’ in love again, pour paraphraser le titre d’une chanson, je le pratique avec acharnement, étonné par ma capacité à évacuer sans attendre la relation inaccomplie pour tenter la fructification d’une nouvelle. Je frôle parfois le chevauchement de ce qui est pour moi, mentalement, la succession distincte de deux histoires.

 

Mardi 8 mai, 0h30

Après une conversation avec Heïm la semaine dernière, et un e-mail m’exposant les diverses positions, confirmation que le Gâchis ne sera pas publié par les gens du Nord. Avec toute la diplomatie affective qui convient, Heïm m’a bien fait passer le message. L’intérêt stratégique personnel n’existe plus suite à un abandon de toute carrière universitaire ; en fait, et c’est bien normal, je ne suis plus une priorité. Le rapport reste tendre, mais la distance est indéniable. À moi de trouver une autre voie éditoriale pour exister.

Doux moment avec Ettéragram à Rive de Giers, une ancienne ville minière aux grisailles tristounettes. Je dois l’accompagner le 9 juin à un mariage. Là encore, je ne ressens pas plus qu’un attachement affectivo-sexuel. Terrible tournure de mon caractère. Entre idéalisation sclérosée et goût de la séduction, je ne me prépare pas de stabilisation sentimentale.

Ornelle, chez qui je déjeune ce jour, s’inquiétait de mon actualité de cœur, elle-même ayant trouvé l’âme sœur... parisienne chez un journaliste-présentateur sur lci. Que le bonheur soit avec elle...

La fosse scorie sur M6, que je fuis comme une purulence malodorante, déchaîne les médias et galvanise les téléspectateurs. Nouvelle illustration de la profonde connerie humaine.

 

Jeudi 10 mai, 23h

Pour les vingt ans de l’accession au pouvoir de feu Mitterrand, j’ai suivi avec délectation les deux derniers numéros de Conversations avec un Président réalisés par Elkabbach. Quels que soient les dé­saccords idéologiques ressentis, on ne peut qu’être séduit par la finesse intellectuelle de l’homme et du chef d’Etat en pleine possession de sa fonction. Une telle dextérité, alors que la maladie le tenaillait, force le respect.

Autre grand plaisir pour l’esprit, La Grande Parade de Jean-François Revel. Capacité implacable et brillante à démontrer et démonter la tentative insidieuse de réhabilitation de « l’utopie socialiste », après sa condamnation sans appel par les faits du communisme, par le lynchage du libéralisme.

Deux personnages que tout oppose, mais dont l’intelligence respective réconcilie dans la jubilation procurée.

Plus factuel, mais non moins agréable, j’ai déjeuné ce jour avec Ornelle. Elle semble bien accroc à ce Jean-Maurice P. de lci, et je ne peux que lui souhaiter le plus enivrant des bonheurs. Au cours de nos échanges, elle évoque notre première rencontre dans le bus nous menant à Saint-Cyr : elle fut assez rapidement persuadée que j’étais le « jeune » professeur venant l’éclairer en français. Pour ma part, je n’osais croire que cette magnifique jeune femme m’était pédagogiquement destinée. Il faudra le terminus pour que l’on échange nos identités. Très édifiant témoignage d’Ornelle qui me restitue ses pensées et attitudes d’alors, un cinéma (comme dirait Bedos) au moins aussi conséquent que celui que je m’étais échafaudé. Bien agréable moment évocatoire partagé. J’espère suivre cette jeune femme encore longtemps, même si ce n’est que cordialement.

Au hasard d’un passage à la gare de La Part-Dieu, je croise Valérie, amour éphémère déçu. Quelques mots échangés, tout en banalités. J’aurais peut-être mieux fait de jouer l’indifférent plutôt que d’exciter une déception encore fraîche.

Je reçois Ettéragram demain soir pour, sans doute, de très doux moments avant de filer, le samedi matin, en vue des retrouvailles avec mon père.

Avant les songes, retour à Revel et à son nourrissant essai.

 

Dimanche 13 mai

De retour de Paris. La réconciliation avec mon père a eu lieu. Voyage à Tours via le château du Plessis à Limeray, où je suis né. De fortes émotions sont revenues en lui, retrouvant là et à Tours les années de son adolescence et de ses engagements auprès de Heïm Le dialogue, notamment place Plumereau, a complété l’affaire du Gâchis et de sa non publication par les gens du Nord. Heïm l’a appelé spécifiquement, il y a quelques semaines, pour lui annoncer qu’il ne publierait « jamais » mon Journal, car « je n’avais rien compris ». Voilà un virement de position réalisé dans mon dos, et avec une justification pour le moins elliptique. Qu’y avait-il donc à comprendre de plus que ce témoignage dans le vif d’un engagement ? Cette volte-face, en contradiction avec le discours qu’il m’a tenu affectivement, me révélerait-elle une manipulation de bout en bout ? Je me suis engagé de tout mon cœur, et avec loyauté, et c’est moi qui n’aurait rien compris ? Ce Journal s’achèvera avec ma mort, qu’il soit ou non publié, et c’est sa perspective globale qui vaudra sur les gens croisés avec plus ou moins d’application. Ainsi, toujours d’après les termes rapportés par mon père, Heïm estime que les quelques critiques émises sur mon père relèvent à nouveau d’une crétinisation (le mot est de mon choix) inconsciente de ma part. Je n’oublie pourtant pas les centaines, voire milliers d’heures, depuis quinze ans, où Heïm a piétiné allègrement l’image de mes parents. Là encore, ne fallait-il y voir que du conditionnement stratégique ? Ce sacro-saint intérêt de la famille dite affinitaire, on voit ce qu’il en reste aujourd’hui, valait-elle ces sacrifices ? Le Sacrifice exemplaire aurait-il été un meilleur titre pour mon premier tome ? ! Je tiens à réaffirmer ma capacité à faire des choix : cet exil lyonnais en est un tout autant que le fut ma prise de gérance. Je n’ai donc pas à minorer ma responsabilité, à la différence essentielle que d’autres, les Leborgne, Rentrop et Alice notamment, se sont carapatés comme des lachtouilles inconséquentes. Moi je me suis battu et, finalement, j’ai évité le pire à la mesnie moribonde.

Infiniment plus dérisoire, mon père m’apprend aussi qu’au cours d’un entretien envenimé avec Bruce, celui-ci lui a déclaré que mon Journal « c’est de la merde ! », mais que lui, parangon de l’opportunisme inefficace et de l’inanité existentielle, lui, l’analphabète, prépare... son autobiographie qui, elle, marquera l’histoire littéraire et le monde de la pensée ! À hurler de rire avant de laisser ce triste dérangé. Je croyais que son côtoiement de la religion lui aurait apporté le sens de la loyauté et de la mesure... foutaise encore une fois. Moi, je n’oublie pas son acte de vandalisme contre ma première tentative de tenir un journal : pages déchirées et détruites par le gonflé du citron qui va nous pondre des merveilles... J’arrête là mon cynisme, car le visé n’en vaut pas la peine.

Acquisition d’un remarquable ouvrage sur Dalí, rassemblant toutes ses œuvres. Un talent génial dont les titres de toile me font parfois penser à ceux, loufoques, de Satie...

 

mardi 15 mai, 1h15

L’Académie française n’accueille pas que des pontes littéraires ankylosés, ou tout du moins rétifs à l’anticonformisme. La verdeur démonstrative de Revel en témoigne. La Grande Parade, que je déguste dans les transports, fouille le sujet sensible de l’horreur communiste (pour paraphraser Forrester) avec une efficacité argumentative de très grand talent. Revel va jusqu'à démontrer, textes à l’appui, les intentions de génocide inscrites dans les textes fondateurs du socialisme via Engels, Marx, Lénine, etc. Je ressors conforté dans une position maintes fois défendue, mais sans tout cet arsenal référentiel qui prouve sans conteste que communisme et nazisme sont tout autant responsables de crime contre l’humanité.

23h30. Alors que d’aucuns s’avachissent devant l’inanité récurrente du Loft, sorte de régression crétino-banale de la téléchions, j’entame dans quelques lignes la dernière page du Manus IX en inspirantes compagnies : entre Revel et Dalí, le cortex jubile.

J’évoquais les titres déjantés du peintre. Ainsi une toile de 1932 force le respect de l’allumé talentueux : « Pain français moyen avec deux œufs sur le plat sans le plat, à cheval, essayant de sodomiser une mie de pain portugais ».

Oublié de noter mon entrevue à Paris avec Aurore, toujours amoureuse de son grec, une aura persistante, mais un visage lourd d’une dépression encore fraîche. Elle tente la (pseudo) thérapie du magnétisme. A trois cent trente francs la séance, non remboursés bien sûr, elle semble persuadée de l’effet bénéfique, mais malheureusement à durée très limitée (deux-trois jours tout au plus) de ces entrevues manipulatrices. Le ponte magnétique lui a précisé que le traitement serait probablement long... L’inspiration knockienne de la déclaration ne fait aucun doute et présuppose, sans doute, le triomphe de l’escroquerie parallèle.

Engels préconise, en 1849, l’élimination des Hongrois  en combat contre l’Autriche, et Marx, dans Sur la question juive, estime l’idéologie communiste capable d’instaurer « l’organisation de la société qui ferait disparaître les conditions du trafic et aurait rendu le Juif impossible ». N’est-ce pas le programme réalisé imparfaitement par Hitler ? La puissance de l’essai de Revel tient à ces multiples références, sans énervement littéraire, qui stigmatisent de façon définitive l’ignominie idéologique du communisme et de son cousin par alliance et affinité, le socialisme.

 

Vendredi 18 mai

Hermione fait son chemin. Sculpteur de grand talent, ses œuvres sont présentées du 3 mai au 30 juin à la galerie Antiquaire Drouot, « à proximité de la plus prestigieuse salle des ventes de France » comme le souligne le carton reçu hier. Voilà un parcours artistique assez récent qui prend bonne tournure et j’en suis ravi pour elle.

De mon côté, le décollage se fait attendre. J’envoie la semaine prochaine quelques extraits de mon Gâchis aux plus grands éditeurs... pour voir.

Ornelle enivre toujours autant par sa pétillance. Après la mise au point, à deux mains, du plan détaillé d’un sujet de philosophie (« Pourquoi cherche-t-on à comprendre notre passé ?), elle me montre l’enregistrement sur lci du charmant jeune homme rencontré.

Le tous-pourris est-il si abusif lorsqu’on veut dépeindre les mœurs économico-sociaux en politique ? Le Flock Prigent, ancien pdg d’Elf, facilite la simplification : les commissions occultes et les emplois fictifs ont été en usage sous tous les présidents de la Ve qui avaient annuellement connaissance de la liste des favorisés, de cette nomenklatura illégale. Les pratiques touchaient toutes les entreprises publiques qu’il a dirigées (la sncf, par exemple) et tout le personnel politique en a profité plus ou moins directement, ou tout au moins en avait connaissance... Quel panorama !

 

Dimanche 20 mai, 23h50

Ettéragram m’a rendu visite samedi soir et la complicité s’est renouvelée. Passage éclair au 42, bar, quai de Saône, découvert en 99 avec Jacques, le naze royal. Rien de bien transcendant, mais douceurs et coquineries partagées. L’essentiel d’une bonne entente ne faiblit pas et les qualités de la demoiselle se confirment.

Un dimanche physique chez les Cargeaud, avec une Ornelle encore plus attachante qu’à l’accoutumée, probable conséquence de la mauvaise tournure que prend son amorce d’histoire avec le journaliste de lci.

 

Mardi 22 mai, 23h50

Lors de mon intervention de ce matin auprès d’auditeurs (selon le jargon requis) en bac pro, lecture de quelques passages tonitruants du Voyage au bout de la nuit (dont le manuscrit vient d’être acheté douze millions de francs !). Quel flot véhément pour rendre compte des conditions innommables de détention dans les camps de prisonniers durant la guerre (scène du « communisme dans le caca ») ou de la manipulation du peuple par les dirigeants post révolutionnaires. Ma voix, dans la fureur passionnée du ton adopté, semblait épouser sans effort les exclamations et interpellations céliniennes.

L’affaire Ornelle-jmp ne s’arrange pas. Le journaliste semble hostile à toute conversation de fond et ne tient pas ses engagements de rappeler. Une muflerie à doses homéopathiques certes, mais qui laisse Ornelle avec le sentiment d’avoir été bernée. Elle devait insister pour une catharsis téléphonique ce jour. Comment peut-on se montrer d’une telle inconséquence avec Ornelle ? Mon parti-pris n’arrange pas l’analyse, mais je ne supporte pas qu’elle soit malheureuse. Comme un instinct de protection.

J’ai confié l’affaire à Ettéragram qui suspecte jmp de vouloir laisser pourrir la situation par le silence. Un manque de courage allié à une conception infantile des rapports humains.

 

Jeudi 24 mai, 22h30

Depuis Fontès. L’inspiration a eu plus de consistance en ce lieu. Me voilà à chercher phrases et idées dans une déambulation intellectuelle sans accroche.

La normalisation, voire le redécollage des relations Ornelle-jmp m’ont été annoncés par un message sms via mon portable par la demoiselle. Un emballement, de ma part, sans doute disproportionné. Voilà une saine remise dans l’ordre des choses.

Bonne première journée, avec ma mère et Jean, dédiée à l’activité physique : tennis sur court et faux dans le jardin. De très judicieux conseils de maman pour ma lettre aux éditeurs parisiens. Lors d’un échange avec Jean sur la première page de l’extrait sélectionné, et notamment celui tournant en dérision les pseudo-interrogations métaphysiques (« où cours-je et dans quelle étagère ? »), trouvaille d’un sous-titre déjanté pour le Gâchis : La courge dans l’étagère...

Ma grand-mère, qui aura 89 ans en septembre, semble aller plutôt bien, se permettant même de grimper jusqu’au premier étage de la maison. L’entraînement obligatoire contribue peut-être à ce dérouillage : l’ascenseur de la maison de retraite ne répond plus depuis plusieurs jours.

 

Vendredi 25 mai

Salve de critiques sur l’intérêt qu’un tel Journal (le Gâchis) puisse être publié, alors que mon anonymat m’enterre préalablement, sur le manque de consistance des personnages qui le peuplent (une focalisation interne à l'extrême), une correspondance lassante... J’ai suffisamment pratiqué l’autocritique dans ces pages pour que plus rien ne puisse m’affecter. Je ne changerai pas d’un iota ma première tentative de contact auprès des grands éditeurs. Un pour cent de chance qu’une réaction positive en émane, mais la démarche aura existé. De là, j’en viendrais peut-être à tout modifier, et à faire un roman-journal... Je persisterai, quoi qu’il arrive, à m’adonner à cet instantané littéraire, comble de l’égocentrisme misérabiliste. Les fresques m’indiffèrent...

Toujours un moment émouvant de raccompagner grand-mère dans la demeure des retraités. On la sent au bord des larmes à chaque fois. La pensée de la dernière entrevue plane logiquement.

Après quelques instants de réflexion : reprendre toute cette matière brute, distinguer ce qui pourrait relever de la narration de ce qui appartient en propre à des réflexions. De là, lier les éléments de la narration pour leur insuffler une cohérence et une accessibilité, en ajoutant les analyses nécessaires pour que les personnages trouvent leur épaisseur physico-psychique, et réintégrer à la trame narrative le Journal ou la correspondance du personnage principal (moi, en l’occurrence) composé des passages les plus significatifs. Plus du fignolage littéraire dans ce cas, mais du gros œuvre...

 

Jeudi 31 mai, 0h40

Les grosses chaleurs pourraient justifier mon peu d’entrain, mais j’y décèle une plus profonde cause. Ce choix d’un exil sans construction dans cet ailleurs, et ce tant que la promise incertaine ne se révélera pas à moi, favorise la nécrose existentielle sans quête d’une plus enthousiasmante perspective.

Finalement, revenu à mon isolement premier avec, en prime, une carence en idéal.

 

Mercredi 13 juin, 1h30

Plus grand chose à inscrire : la désertification relationnelle suit son cours. Après un voyage avec Ettéragram aux environs de Grasse, le week-end dernier, décision, provoquée par mes soins, de cesser cette relation.

Après aveu de mes sentiments à Ornelle (confirmation pour elle) en forme de soulagement sans illusion, je sens poindre une distance que je ne chercherai ni à atténuer, ni même à analyser.

Un vide généralisé donc, qui n’appelle plus de moi aucun épanchement. Un avant-goût de néant qui s’imposera outre-tombe.

 

Jeudi 14 juin, 0h50

Un refuge spirituel de taille avant de laisser mon cérébral pondre ses crottes oniriques : Nietzsche. Quelques pages de sa Généalogie de la morale pour creuser les origines des notions du bien et du mal. À la fin de son avant-propos, le penseur allemand doute de la lisibilité de certains de ses écrits, notamment ceux constitués d’une suite d’aphorismes. Il décèle une tare de taille dans la démarche intellectuelle de chacun : l’absence de « rumination » de la pensée ingurgitée. L’aphorisme est la partie conviviale (donc émergée) de l’iceberg dont il faut reconstituer le corps pour en saisir toute l’amplitude et la profondeur. Zarathoustra reste ainsi dans l’ombre pour ses neuf dixièmes.

E-mail de Shue (je suis invité un week-end du début juillet) qui m’apprend que la fervente Marie s’est bien plu dans la communauté intégrée et qu’elle va probablement y rester. Je lui souhaite bien sûr tout l’épanouissement escompté.

 

Vendredi 15 juin, 1h30

Je m’accorde des journées-farniente au parc de la tête d’Or, à lire sous les rayons quelques rapports de stage d’étudiants gaco (soutenance la semaine prochaine), des textes littéraires et poésies pour des préparations à l’oral de français et la fin de l’efficace Revel.

Eu la joyeuse et revigorante Marie-Louise avec qui je vais former le jury pour deux soutenances lundi prochain. Elle a cette finesse intellectuelle qui renouvelle chaque instant partagé. Quel dommage qu’elle ne corresponde pas à mes goûts physiques... encore que de jolis atours ne manquent pas... mais je ne me sens pas transporté... Incurable caractère d’insatisfait que le mien. Je mérite bien ce célibat forcé.

Vu une bonne partie de l’émission réalisée par Ardisson sur Gainsbourg, quinze ans après sa mort : quel prolifique créateur, élégant et désespéré de cœur, courageux (cf. son concert devant les paras à Strasbourg...).

 

Jeudi 21 juin, 0h30

Retrouvailles et conversion à l’amitié affective ont permis de revoir Carmelle dans d’idylliques conditions de complicité. Avec deux de ses amis, une soirée gourmandise de la chair au Resto-boucherie dans le vieux Lyon. Un morceau du boucher d’une finesse exceptionnelle, le Merlan, saisi et agrémenté d’une sauce Saint-Marcellin. Délice !

Comme un écho préalable de l’harmonie cultivée : le déjeuner lundi dernier avec la brillante Marie-Louise. Un désert sentimental compensé donc par de vraies accroches humaines.

 

Dimanche 24 juin, 2h du mat.

Le culte du désert affectif s’intensifie. Passons sur les gens du Nord qui n’évoquent plus qu’un souvenir détaché. Face à la trahison, je n’ai plus aucune motivation pour me manifester. Je vise là, bien sûr, le noyau dur restant d’Au, mais mon retrait, mes silences se sont étendus.

Quelle écriture de merde depuis quelques temps. Du truisme sans relief ce pseudo-journal aussi je devrais l’abandonner. Sans intérêt.

A Lyon, l’isolement n’a jamais été aussi prononcé. Aucune amitié véritable, aucun amour en vue, aucune affinité de quelque sorte. Je me coupe du reste du monde dans un masochisme autodestructeur. Rien à construire, nib à laisser, je suis déjà crevé, bouffé, anéanti.

Mes lectures compensent un peu cette non-vie.

 

Jeudi 28 juin, 0h23

Rythme écartelé dans le suivi de ces pages, conséquence d’une existence de reclus volontaire qui n’offre plus d’attrait pour la plume.

Pas mécontent de ma prestation téléphonique de ce soir faite à Elamine, l’étudiante en puériculture de 26 ans rencontrée au parc. Après une nuit partagée le lendemain soir, je me devais d’éclairer la jeune femme sur les possibles à entrevoir avec moi. L’impossible dimension sentimentale réduit la perspective à la simple relation amicale et/ou au partage charnel. Je me forge peu à peu une facette caractérielle d’insensibilité à l’autre. Les désillusions sur celles qui auraient pu m’accrocher m’incitent à creuser la fosse protectrice entre moi et l’alentour. En même temps, je sais apprécier et analyser avec moult détails la teneur de mon goût sexuel pour tel ou tel aspect de la femme. Ainsi, Elamine m’a offert un antre de la plus fine espèce pour y plonger de tout son visage, s’y frotter, la laper... rien de commun avec Ettéragram qui puait la femelle, même au sortir de la salle de bain. Elamine semblait très étonnée qu’on puisse être aussi transparent à son égard, elle qui n’eut jamais avec son ex de telles conversations.

Pour ma part, cela fait belle lurette que la décence m’apparaît comme un tortillement hypocrite d’une société coincée. Aucun terme, aucune démarche intellectuelle ne m’effraie, je reste curieux a priori.

L’université de Lyon III fait encore parler d’elle comme favorisant les réseaux d’extrême droite en son sein. Sa direction vient toutefois d’annuler le mémoire du « révisionniste » qui avait obtenu la mention très bien. Une façon commode pour tenter de se racheter une virginité idéologique.

 

Mardi 3 juillet

Les deux étudiantes que je suivais en philo, d’assez près pour Anne B. et d’assez loin pour Ornelle, ont eu leur bac avec un onze dans la matière, ce qui les a pleinement satisfaites. Je serais peut-être invité demain pour fêter l’événement dans la famille d’Elo.

Aucun allant pour le suivi de ces pages. Plus grand intérêt pour moi. Je me dépassionne de tout ce qui pouvait un chouïa justifier mon existence, ou tout au moins me la faire tolérer. Ma phase de liquéfaction s’amorce...

L’ordre international prétendu nous propose une nouvelle guignolade : Milosevic au tribunal. Combien resterait-il de dirigeants, au fronton de l’intégrité, sans tache de sang si l’on devait poursuivre tous ceux ayant commandité des meurtres, tueries, exterminations, ou ayant fait preuve de complaisance pour ces actes... Même notre sympathique Chirac, attaqué de toutes parts via le pouvoir judiciaire, n’a pas hésité, au nom de la sacro-sainte raison d’Etat, à se rendre aux funérailles du criminel-dirigeant de Syrie... tout cela parce que ce pays serait incontournable... Avec ces raisonnements on ridiculise l’embryonnaire justice pénale internationale qui devient de pure convenance... avec ses méchants et toute la clique des intouchables. La justice pour l’exemple ne vaut pas mieux que les exécutions sommaires. Le droit international n’étant pas le même pour tous, Milosevic, probable sanguinaire et tout coupable qu’il soit, a eu raison de ne pas reconnaître la légalité du tpi.

 

Vendredi 3 août

Un mois tout juste d’abstention sans forcer. L’écriture ne m’a pas tenaillé et le grattage aurait été pour la pure forme d’un rendez-vous littéraire factice.

Cette reprise ne répond pas à une renaissante inclination. Peut-être laisser choir ce témoignage d’une vie décalée qui n’a d’écho que pour moi et que l’alentour décrédibilise (depuis les gens du Nord jusqu’aux grandes maisons parisiennes).

Premier jour d’un petit passage à Fontès. Ma chère grand-mère malheureusement alitée après sa chute lourde de casse pour sa hanche remplacée. Un air de marquise avec ses cheveux blanchis (le coiffeur est impossible) et sa peau pâle.

Avec mère et tante nous lui tenons compagnie quelques heures dans sa chambrette surchauffée.

Une étincelle récente sur le plan sentimental : Elen, rencontrée au parc lyonnais, monopolise mes pensées. Malgré des univers existentiels très différents, nous nous retrouvons pour la complicité et la douceur. Une amorce à suivre et à pérenniser.

J’écris tordu et de côté dans un petit lit, d’où ma calligraphie très approximative.

Comme désormais chaque été, mes lectures se résument à la dizaine d’ouvrages au programme des médecines et pharmacies. Le sang, son histoire et sa symbolique, ouvre de riches réflexions pour les étudiants de Grange Blanche.

Si l’invitation pour Royan a été confirmée par Sally, je n’ai aucune envie de rendre visite aux gens du Nord. Le discours tenu par Heïm m’apparaît de plus en plus comme une trahison affective et intellectuelle. Après les promesses et mon investissement en temps qui en a résulté, je ne digère pas les rodomontades pseudo-stratégiques d’un revirement absolu quant aux engagements éditoriaux pris.

 

Samedi 4 août, 6h30

Il est temps que j’intensifie ma purge existentielle en forme de psychothérapie littéraire. Le sale rêve de cette nuit confirme le besoin.

J’ai adhéré passionnément à la vie de Heïm dans ses choix fondamentaux. A 21 ans, j’ai accepté des responsabilités qui me dépassaient dans l’implication engendrée, même si j’en avais revêtu toute la panoplie juridique. Je n’ai évidemment pas maîtrisé ce qui, en titre, devenait mon affaire. Heïm restait d’une influence déterminante sur le plan éditorial, sur les grandes orientations, et pratiquait l’art de l’horizon idéal vers lequel, dans le charbon, nous (Alice et moi devant) devions tendre ; cela lui permettait de dénoncer par avance les travers dans lesquels ne pas sombrer et d’apparaître naturellement comme le sage ayant eu raison.

Si j’avais eu la poigne, la légitimité et l’autorité nécessaires sur tous les cadres plus âgés que moi dans cette entreprise (notamment des services littéraire et commercial) j’aurais, au premier signe négatif (et j’en ai eu de nombreux perçus comme tels en conscience, mais qui n’ont pas entraîné de réelles mesures), imposé un ralentissement de l’activité, avec une réflexion très poussée sur la viabilité d’une telle activité rendue de facto quasiment industrielle. Mais voilà : je n’avais pas le pouvoir de prendre cette décision car, derrière, tout un système de vie en dépendait. Le train lancé devait continuer son accélération, même si cette endurance reposait de plus en plus sur des artifices bancaires (découverts et lignes d’escompte). Là est le nœud du problème, au-delà des incompétences évidentes de chacun.

Très vite, voire dès le départ, mon rôle de gérant n’a pas consisté à diriger une activité, lancée pour des impératifs étrangers à la bonne santé de l’entreprise, mais à maintenir sur les rails coûte que coûte une carlingue branlante à l’effondrement inéluctable. Une saine gestion des affaires exigeait des coupes franches dans le personnel et le remplacement de nombre d’éléments de l’encadrement.

 

Dimanche 5 août, 0h30

Epoque 93-95 : gestionnaire des ruines fumantes.

Impliqué à la façon d’un combattant palestinien du jihad, j’ai endossé diverses responsabilités juridiques qui ne m’incombaient pas, ceci bien évidemment avec la bénédiction de Heïm puisque cela servait l’intérêt du château. Je ne regrette pas mon choix, signe d’une authenticité dans mes engagements d’alors, mais éprouve une nausée lorsque j’entends rapporter la position de Vanessa qui voit dans mon Gâchis un texte de trahison, alors qu’il témoigne de mon parti-pris pour le château. Ma mise au fronton des ruines s’est d’ailleurs concrétisée, entre autres décisions, par la prise de présidence du gie Logires, alors dirigée par la femme de Heïm précitée, avec la découverte d’un bazar absolu sur le plan comptable (un carton-dépotoir pour l’ensemble des papiers). La mise en perspective donne un contraste ahurissant.

23h05. Mon détachement lyonnais répond à une lassitude de la vie d’Au rythmée par les beuveries pseudo-cathartiques de Heïm au ressassement nauséeux des mêmes rengaines éculées, aux saveurs perdues. Je croyais qu’une affection à distance restait possible, elle se niche dans le fin fond, mais sans désir de suivi, de contacts, même sporadiques. Aucun regret du vécu, mais le sentiment que tout ce qui viendrait serait forcé, sans intérêt nourrissant. Je préfère ma condition de reclus, à un partage du rabâchage quotidien.

 

Mardi 7 août, 22h45

Eu ce soir Karl au téléphone. Je le retrouverai à Royan en milieu de semaine prochaine. Il m’annonce « que je suis tonton » : Hubert vient d’avoir, avec sa compagne, une petite fille née le 3 ou 4 août, Mathilde. Voilà qui me ravit pour lui, mais qui n’évoque aucun sentiment de filiation pour moi. Depuis des années, je ne partage plus rien avec Hubert ; nos relations se sont le plus souvent résumées aux désaccords juridiques sur tel ou tel dossier. Je trouverai hypocrite de laisser croire autre chose. Je ne suis même pas sûr de le revoir un jour...

Plus allusif, Karl s’enquiert de savoir si je compte me manifester pour l’anniversaire de Heïm car je n’ai rien envoyé pour la fête des pères. Là encore, des changements. Je n’avais aucune envie de me manifester suite à la volte-face éditoriale. Je doute que Heïm perçoive bien la carte que je lui enverrai pour le 12 août. Karl m’interrogeait-il de lui-même, ou sur recommandation ? Le fait qu’il fasse référence à mon silence suppose que des conversations ont eu lieu à ce sujet. Aucune envie de rentrer dans ces débats. Je serai maintenant une carpe sur certains domaines. Seules ces pages témoigneront de ma vision critique.

 

Mercredi 8 août, 23h20

Un séjour assez bref à Fontès, mais riche d’occupations sportives (tennis, nage et jeux de plage) et intellectuelles (synthèse d’ouvrages lus pour l’Institut Hippocus), s’achève. Demain soir, je retrouve Elen à la gare de Lyon Part Dieu. J’ai tenu mon rythme d’une carte par jour expédiée, mais la Poste semble avoir mal exécuté son acheminement, pour changer !

Les visites à grand-mère, immobilisée sur son lit, ont permis de la distraire un peu, mais son manque d’appétit ne faiblit pas. En espérant que sa visite hospitalière du 10 août apporte de constructives perspectives, sinon le moral risque de se ternir fortement et la volonté de ne pas se rapprocher d’une vie végétative conduire à un abandon psychologique.

Partage de quelques bons moments sportifs avec Jim et quelques ados du village (Audrey, Lucie...) sur le beau terrain de tennis du village.

Notre cher Bébel national a été victime d’un problème cardio-vasculaire et son état semble dégradé. Triste nouvelle d’un personnage attachant et ô combien marquant dans notre cinéma. Les rédactions doivent s’affairer à préparer la nécro. Il rejoindra le Panthéon des saltimbanques les plus appréciés : ceux qui savent nous distraire. Son feu tuteur culturel, le bon Gabin, l’attend certainement avec toute sa merveilleuse gouaille. Le vieux Delon risque lui d’être bien affecté par cette disparition probable. Faisons un vœu tout de même pour qu’il s’en sorte sans trop de dommages.

Annonce de la sortie d’un album de Björk pour la fin août. Les yeux fermés (mais les oreilles grandes ouvertes) je serai parmi les premiers acheteurs. Confirmation, par certains qui ont travaillé avec elle, de sa personnalité attractive où se mêlent une forte animalité et un charisme fascinant. Je le répète, mais voilà une personne dont la rencontre me nourrirait.

 

Samedi 11 août, à Royan

La distance prise avec les gens du Nord ne doit pas entacher mon lien avec Sally, ni avec d’autres individualités. C’est ce que ce séjour confirmera, je l’espère.

Un début en douceur, accueilli par le très gentil père de Sally : un petit gueuleton improvisé dans sa demeure, à minuit et demi, me familiarise avec l’endroit.

Avant mon départ, le passage chez Elen a été à la hauteur de la densité espérée.

Premier jour tout en douceur à Royan. Nage le matin, sieste d’après repas bien arrosé, farniente au soleil après dix-sept heures et dîner avec Sally, son papa, un cousin, son épouse et leur fille (tous adorables).

Ma communication littéraire se réduit à peu de choses impubliables, alors pourquoi forcer ? Se sentir vide de tout, sans ambition, sans penchant à construire, à capitaliser, absorber les instants comme autant d’ajouts superfétatoires plus ou moins jouissifs : ma condition humaine se rabougrit en involution. Le coche loupé, reste les rogatons meublant une suite d’existence ternie. Un petit effort pour y croire encore tout de même. Elen m’y aidera peut-être... Jamais je ne révélerai son existence à quelqu’un du château, ou en lien habituel avec.

Marre de ces fourches chirurgicales qui détaillent la moindre parcelle de la personne choisie. Je ne veux plus d’ingérence, jamais ! Cela m’a trop coûté pour de prétendus bonheurs que l’on me souhaitait. Foutaise ! Pour une mainmise sur ma vie privée, plutôt ! Finish les sérénades cathartiques. J’assumerai seul mes choix, sans influence d’aucune sorte.

De la daube mes tentatives d’apporter une structure romancée à ce Journal. Je ne suis décidément pas fait pour l’écrit d’imagination. Je ne vivrai jamais de ma plume.

 

Dimanche 12 août

Un anniversaire : dix ans exactement que je tiens mon Journal. Je ne le destine à plus rien d’autre qu’être une trace superficielle d’une vie en retrait.

Séjour qui se poursuit agrémenté d’une douceur relationnelle. Corentin, Lydie et leur fille Adèle s’avèrent de très agréable compagnie. Bien dommage qu’ils doivent repartir dès demain après-midi.

Elen au tél. Elle s’inquiète de mon absence pour son début de vacances. Je me sens lié à elle et dois laisser fructifier cette relation sans trop me projeter dans l’avenir. Ras pour le reste.

 

Samedi 8 septembre, 0h30

Est-ce le signe monstrueux d’un rejet de l’humanité que de n’être affecté par plus rien ? Je croyais fermement à quelque chose de durable avec Elen. J’ai focalisé sur les quelques défauts, notamment sa manière peu gracieuse dans le modulé de sa voix (à la manière d’Arletty), et je m’en suis ouvert à elle. Révélation mal digérée, voilà deux jours que l’on a plus de contact (mes appels de ce soir finissent sur un répondeur). Je n’en éprouve aucune peine. J’ai même relancé au tél. Bonny pour qu’une rencontre puisse être programmée (rendez-vous est pris pour mardi soir).

L’écriture ne m’apporte plus de plaisir expiatoire.

 

Mercredi 12 septembre, 1h30

Le XXIe siècle vient vraiment de commencer avec la disparition apocalyptique des deux tours du World Trade Center et l’atteinte au Pentagone. Le terrorisme prend une dimension effrayante. La vraie bataille à mener se cristallise contre ces kamikazes islamistes. Choc international et traumatisme des Etats-Unis. À la mode japonaise, mais avec des objectifs civils en ligne de mire, les avions-suicide semblent inarrêtables. À force de donner les bons et mauvais points, de soutenir puis de rejeter tel ou tel par stratégie politique, le Gendarme du Monde vient de subir un terrifiant retour de boomerang.

 

Jeudi 13 septembre, minuit quarante

Malgré la fatigue, je ne peux m’abandonner au sommeil sans une pensée émue pour toutes les victimes des « actes de guerre », commis sur le territoire américain, et leurs proches. L’horreur absolue vécue par les passagers des avions-suicide et par les personnes présentes dans les twin tours et au Pentagone ne peut qu’incliner à la compassion.

La réflexion, plus historique, et moins affective, conduit tout de même à souligner que les usa ont probablement été victimes de la détermination de celui qu’ils ont grassement armé contre l’urss vingt ans plus tôt. Ironie cruelle d’un manque d’anticipation et inconscience de la politique étrangère de l’époque.

Discours du président Bush Jr sans intérêt, et certainement pas à la hauteur de l’événement majeur, initiateur du XXIe siècle.

 

Samedi 15 septembre, 3h05 du mat.

Magnifique soirée amicale et affective avec Kadya, connaissance de récente date, mais avec qui une complicité s’est développée presque instantanément. Encore une beauté d’âme salie dans sa jeunesse par des connards d’adultes. Son regard de chat, de félin (l’iris de ses yeux est décoloré sur les bords, ce qui le rend plus fin) m’émeut et m’incline à faire fructifier cette amitié. Etre présent si elle a besoin de soutien et d’aide. En soirée très tardive, passage au Club 30 pour écouter Bonny chanter : son et modulés exemplaires.

Avec Elen les choses vont mieux.

 

Mardi 18 septembre, 0h30

Les relais médiatiques persistent dans l’intensité de la relation des attentats. Moi, je me vautre dans l’inconsistance.

Quelques rêves avec les tours jumelles...

 

Mercredi 19 septembre, 23h45

Le sacrifice d’innocents ne peut pas être tolérés, qu’ils soient ceux de New-York, de Washington ou d’ailleurs. Il faut effectivement anéantir les réseaux terroristes, mais cela ressemble plutôt à un vœu utopique. Beaucoup de musulmans y compris, et peut-être surtout, ceux installés aux Etats-Unis, doivent ressentir un profond malaise entre le rejet de cette violence meurtrière aveugle et la compréhension des griefs contre la superpuissance qui ont amené ces individus à de telles extrémités.

Je songe à mes chroniques rédigées lors de la guerre du Golfe : ma critique contre les usa devait rejoindre celle des musulmans. A trop se croire Gendarme du monde, tout en jouant avec les autres Etats dans leur intégrité, dans l’aide apportée à tel ou tel pour accéder au pouvoir, à trop diffuser leur modèle d’existence comme le seul possible, les américains ont été atrocement sanctionnés.

 

Samedi 22 septembre, 0h30

Encore un froid avec Elen, et mon inspiration se tarit.

 

Mardi 25 septembre, 0h30

Tout va bien mieux avec Elen. Un doux week-end de retrouvailles. J’espère que cela durera, cette fois.

Rien ne va dans ce monde en proie au terrorisme et aux risques technologiques majeurs. Entre les explosions de sites classés Sévéso I, la ville rose vient d’en subir l’onde de choc, et les menaces d’attentats chimiques et bactériologiques, la menace mine le moral et n’incline pas à construire.

 

Mercredi 26 septembre, 0h20

Les ratages sémantiques de l’administration Bush révèlent un état d’esprit chargé des vieilles et irrépressibles tendances américaines. Premier acte : le président évoque l’action de représailles à venir comme une nouvelle « croisade ». La connotation ne laisse aucun doute sur les intentions sous-jacentes, et plus ou moins conscientes, d’américaniser les contrées. Seconde bourde : le baptême de l’opération militaire envisagée : Justice infinie ou sans limite suggère une conception bien belliqueuse et expéditive de la justice. A la va-vite, on renomme l’objectif : liberté immuable. Quel souci poétique !

 

Mardi 2 octobre, 0h15

Côté usa, les préparatifs d’une éradication des réseaux terroristes s’affirment par la bouche du manichéen Bush le simplet et s’exécuteront dans l’underground cultivé. Pas d’attirance pour le régime taliban, « ne vous y trompez pas » pour reprendre l’expression favorite du président américain. Tous ces islamistes au relent moyenâgeux méritent l’exécution sommaire avec talonnage en pleine gueule en préliminaires sanglants. Leur façon de traiter les femmes impose déjà qu’on les écarte. Cette démesure fanatique semble plutôt révéler un véritable rapt du pouvoir politique. La religion étant là pour mieux contrôler la population.

 

Jeudi 4 octobre, 0h15

Entre la question du caractère infini de l’univers et savoir quand prendra fin le conflit israélo-palestinien, les angoisses métaphysiques s’équivalent. Le onze septembre 2001 n’y change rien. De l’esprit obtus à la mauvaise foi caractérisée, aucune place pour l’amorce d’un compromis. On ne peut même pas les laisser se foutre sur la tronche, car l’hémorragie belliqueuse se répandra sur toute la planète. Reste alors, comme pour l’irrésolu infini, à vivre avec, dans une conscience résignée.

23h55. Encore une belle soirée avec la surprenante Kadya. Notre symbiose amicale fructifie et ses qualités humaines se confirment. La semaine dernière, un passage vociférateur et intolérant de mon Journal (qu’elle souhaitait lire, ainsi que la nouvelle La veillée des dieux) l’ont fait pleurer, la replongeant dans son passé corporel atroce. Une peine dépassée par l’intelligence rapidement.

 

Jeudi 11 octobre, 1h30 du mat.

L’exil volontaire ne se résout pas à l’isolement : quelques touchantes attentions pour mes 32 printemps.

Un week-end dernier tout en douceur avec Elen, et ce malgré une crise inaugurale de la belle qui faillit tout anéantir dans l’œuf. Finalement les marques furent prises, les petits cadeaux appréciés et les gourmandises charnelles abondantes. Malgré ses qualités et mes sentiments pour elle, je garde en moi comme une vigie instinctive, une méfiance quant à ces changements brutaux d’humeur, et toutes les pulsions destructrices qui les accompagnent, ce qui me renvoie à de très mauvais souvenirs. Je persiste toutefois à croire en notre relation.

Une visite éclair, mardi matin, de ma chère amie Kadya avec d’adorables attentions pour improviser un moment festif : petit gâteau avec prénom aux smarties et bougies à chiffres ; fraises Tagada pour la couleur et ballons gonflés pour l’ambiance, L’Alchimiste avec un petit mot d’affection amicale : « Il faut que tu saches que tu pourras toujours compter sur ma présence, pas d’explication, juste une intuition ». Quel ravissement de l’avoir pour amie, tout comme Shue qui m’a envoyé une jolie carte. E-mails de Heïm, d’Hermione & Angel et d’Helen.

Voyage à Paris pour une soirée avec Sally, Karl et Zoa, peut-être entrevue de la pétillante Lisette puis tournée familiale.

A propos de Heïm : dans un premier e-mail, il s’étonne que je n’aie pas répondu à son message laissé sur mon répondeur téléphonique. Je lui réponds qu’il s’agit sans doute d’une erreur de manipulation de ma part... et que j’en suis désolé. Second e-mail de sa part pour me donner quelques nouvelles générales, et me préciser les circonstances de ce message évaporé : le coup de fil remonte à un mois, à un numéro pour le moins plus d’actualité : mon ancienne ligne au château d’Au, résiliée depuis belle lurette !

 

Mercredi 18 octobre, 0h40

Tournis de ces semaines qui défilent sans que rien ne me motive à changer cette existence-témoin.

Dense et bon passage à Paris. Soirée du vendredi avec Sally, Karl et Zoa (dans une belle forme) au Crazy horse de feu Bernardin. Numéros féminins de perfection. Bonne ambiance successive chez mes parents... Trop fatigué, il me faudra reprendre... Satanées paupières qui se ferment d’elles-mêmes.

Très bon documentaire sur le thème de Pour en finir avec le communisme avec La faute à Lénine qui démontre bien que Staline n’a fait que prolonger toutes les structures dictatoriales et criminelles mises en place avant.

 

Samedi 20 octobre, 1h env.

En compagnie d’Elen dans mon nid, je reviens en éclair sur mon séjour parisien. Bons moments familiaux avec maman et Jean d’une part, papa, Anna et les adorables Alex et Raph d’autre part ; Jim et Bruce m’accompagnant dans mes visites.

Parmi les cadeaux, une vraie surprise qui ne pouvait déclencher que mon enthousiasme : mon père m’offre en dix cd l’intégralité des entretiens que Paul Léautaud a accordé à Robert Mallet. Je ne possédais, enregistrés à la sauvette au château d’O lors de leur diffusion sur France-Culture, que quelques heures. Là, plus de onze heures de cette plongée dans la première moitié du XXe siècle littéraire par le prisme de l’octogénaire bougon.

Mon manque d’allant vers l’humanité explique certainement mon manque d’entrain pour toute carrière. Je n’ai que foutre de cette perspective alors que la menace barbare plane toujours.

 

Jeudi 25 octobre, 0h30

Ma relation avec Elen se pérennise et cela me rend plus serein, même si je ne ressens pas la galvanisation qui anéantirait ce besoin en moi de séduire. Mon lien tient davantage de l’affectivo-sexuel, mais j’espère que cela se poursuivra. Partager le maximum dans la douceur sans projection temporelle : pas une philosophie, mais une logique à l’aune de mon caractère. À moins d’une rencontre amoureuse qui me transfigure pour l’ascendance existentielle, j’ai renoncé à toute ambition affective, artistique et professionnelle.

Accomplir les quelques tâches pédagogiques confiées (la médecine du travail m’a déclaré hier matin, après examen, apte ! Ouf !), me laisser aller à quelques prurits littéraires de plus en plus brefs dans ces pages... c’est à peu près tout.

Une chose essentielle cependant : cultiver les amitiés qui me restent. À Lyon : Ornelle avec qui tout s’est normalisé, la confiance ayant même reparu depuis qu’elle me sait avec Elen ; Kadya surtout, récente relation pourtant, mais ô combien magnifique identification complice et affective. Son amitié m’est aussi précieuse que celle de Shue, c’est dire !

Par internet, liens suivis avec Laurence et Helen, deux ex petites amies avec qui la conversion amicale s’est bien ancrée. Sandre conserve une place dans mes relations amicales, mais les contacts se font de plus en plus espacés. Moins d’enclin, l’essoufflement semble avoir aussi atteint la dimension amicale de notre rapport.

Côté international, poursuite des actes belliqueux. L’âge cromagnon s’avère décidément très présent, et plus que jamais d’actualité.

 

Samedi 3 novembre

Une soirée dense en échanges, invité à dîner chez Kadya, en compagnie de Delphine, demoiselle de 19 ans d’origine laotienne. Avis de Kadya sur mon Journal englouti : je n’approfondis pas suffisamment ce qui ferait, par exemple, la singularité de chaque rencontre amoureuse. Ce que j’en retire dans mon tri scriptural ne dépasse sans doute pas la réaction clonée.

Si j’allais vraiment au tréfonds constamment dans ces pages : elles ne pourraient plus être lues par aucun proche... non je donne finalement presque tout ici (mais à une fréquence trop irrégulière). En revanche, je pourrais détailler davantage mes analyses... Là encore, l’instantanéité du Journal ne s’accommode pas très bien des épanchements analytiques du mémorialiste. Essayons.

Sur Elen : j’ai dit mon enthousiasme initial, mais très vite des doutes ont germé quant à notre complicité intellectuelle limitée. Je ne retrouve que peu chez elle ce qui fait mon attirance féminine : la sensibilité qui peut transcender un échange. Logiquement, l’absence d’imagination sexuelle s’y attache et je ressens déjà, malgré mon appétit persistant, les nécroses d’une répétition convenue. Kadya, lors de sa rencontre, a ressenti son amour pour moi, mais également que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. En forme de confirmation, elle m’a mis devant mes contradictions. Terrible aveu : sa présence m’est parfois incommodante et lorsqu’elle me témoigne, par quelques caresses et rapprochements, son amour, je me sens mal à l’aise. Signes incontestables d’un effondrement sentimental de mon côté. Même phénomène que ce qui s’était passé avec Helen. Deux femmes que rien physiquement ne rapprochent… et psychologiquement ? Pas davantage. C’est donc moi le coupable, moi qui modèle d’instinct mes conquêtes féminines selon la perception que je souhaite en avoir. Troublant phénomène : comme si je les vidais de leur substance et qu’une fois la saveur prise je les dénaturais pour ne plus supporter leur présence. Grave docteur ? Si je ne retiens que les grands amours, cela a commencé avec Sandre. Jamais je n’ai ressenti ce désintérêt charnel, ou plutôt organico-psychologique pour Kate ou Aurore. Peut-être n’ai-je tout simplement pas essayé de séduire celle qui me procurerait une émotion renouvelée par tout ce qui la constitue. A chaque fois, je mets de côté le facteur négatif ressenti dès le premier contact (au point que je n’en écris rien ici) croyant à un élément accessoire.

18h30. Décision d’arrêter avec Elen. Je viens de lui exposer au tél. les grandes lignes de ce que je ne ressens plus et de ce qui me glace et me ferme dans notre relation. Pas encore pour cette fois la dualité attendue. Je cultive un peu plus cet état de solitude à l’affût, mais je ressens une sérénité retrouvée face à cette pesanteur sentimentale. S’aliéner pour une histoire ne peut valoir que pour une dimension humaine qui vous comble en majorité. Ce n’était pas le cas ici. Je crois profondément avoir fait un juste choix, limitant au maximum le drame d’une rupture plus tardive. Sisyphe de la relation à la femme, me voilà à nouveau au point de départ.

Une facette détestable chez Léautaud, dans ses entretiens : sa misogynie indécrottable, un quasi racisme envers les femmes jugées « créatures inférieures ». Qu’il faut être crétin et médiocre sur certains plans de son intellect pour soutenir ce genre de parti-pris. Je suis bien dans une optique inverse et ne trouve souvent d’intérêt intellectuel qu’avec le beau sexe. Voilà en tout cas à mettre au passif de mon enclin pour le bougon Léautaud.

Prévost, le comédien déjanté, confirme sa profondeur (car manier l’absurde comme il le fait dénote un esprit aiguisé) lors d’un petit tête-à-tête avec Philippe Labro dans le magasine télé Ombre et Lumière. Le drame d’une trahison familiale qui participe à sa volonté de se dépasser. Pas toujours la réaction retenue. Dans mon cas, déclenchement inverse : un retrait de tout et un désintérêt grandissant.

Reçu ce jour un e-mail minimal signé « Monique M. » me demandant si je savais où se trouve le dossier d’achat du terrain par la SCI d’Au. Voilà une distance prise qui me ravit. Je n’ai plus rien à voir avec le noyau dur du château (Heïm, Vanessa et la susnommée), comme je n’ai jamais eu d’affinité pour le magistrat Hubert. Je ressens moi, là, une trahison extrême dans les engagements pris par Heïm et non tenus.  Evidemment, ses compagnes (l’officielle et l’officieuse) le soutiennent et doivent aujourd’hui me maudire, me trouver tous les défauts possibles, me vouer aux gémonies... J’en ai tellement entendu sur tous ceux et toutes celles qui sont partis avant moi que les refrains monomaniaques du château ne peuvent plus m’atteindre. J’ai abandonné, avec un soulagement gargantuesque, cet univers castrateur et laminant. De l’affection ? Il doit m’en rester quelques soupçons, mais je ne les cultive pas.

Aucun regret des aventures vécues cependant. Elles m’ont forgé sans conteste, mais la distance prise donne plus d’épaisseur à ma vision du monde. Je ne me reconnais nul part, mais j’aime mon pays, sa langue, la culture colportée… et quelques amies chères, et mes familles de sang (hors Bruce qui m’indiffère) : voilà un retour aux sources, avec détachement et lucidité, je l’espère.

Besoin d’une longue parenthèse de retrait par rapport au château… et ne compter plus que sur moi. Peut-être que la fibre ambitieuse naîtra dans quelques années, à la suite d’une rencontre amoureuse motivante, et que je me battrais pour changer de direction existentielle. A ce jour, et au regard de l’abjecte conjoncture internationale, l’attentisme prévaut. Désespéré par la vivacité des vieilles rengaines pseudo-religieuses qui motivent ces escrocs spirituels pour asseoir leur puissance. Une humanité qui n’a pas évolué d’un iota, depuis deux mille ans, ne peut qu’incliner à se limiter dans son implication pour les choses humaines. Un dégoût profond, surtout face aux hystéries fanatiques.

 

Dimanche 4 novembre

Accorderais-je trop d’importance à ces giclées noires ? Après Ornelle, Kadya décide de détruire les quelques dizaines de pages écrites pour mieux aller de l’avant. Anéantir ce Journal en germe pour que l’action puisse prendre sa dimension. Les pages écrites sur moi n’y auront pas échappé. Elles n’ont sans doute pas tout à fait tort : commencé alors que j’étais engagé dans une action primordiale, je l’ai poursuivi au point d’en faire l’un des pôles majeurs de mon existence. De témoin subjectif, ce Journal devenait justificateur d’une existence recluse, étrangère à l’engagement et imperméable à toute ambition. Une espèce de ça m’suffit littéraire.

Passé voir Kadya quelques heures, hier soir, après annonce de ma décision. L’occasion de quelques échanges nourris. Sa dextérité intellectuelles m’enchante, et j’ai conscience de passer à côté d’une jeune femme me correspondant profondément et apte à une « dévotion » (terme qu’elle a choisi) amoureuse grandissante. Je connais malheureusement mes instincts et l’importance accordée à la plastique féminine. Les cent vingt kilos de la Kadya d’hier ont laissé des traces irréparables, et pour les quelques réparations effectuées, des cicatrices panoramiques. Avant tout, ne pas la faire souffrir, c’est ma détermination affective. Or, je ne me sens pas assez sage pour passer outre ces désagréments physiques. C’est moi qui suis à plaindre : cela aussi j’en ai conscience. Mon mérite étant tout de même d’essayer d’éviter des drames futurs par un regard sans concession porté sur ma propre nature.

23h30. Curieux comme Elen déclenche l’hostilité. Après Kadya, c’est au tour de Bonny, eu longuement ce soir au tél., de m’avouer tous les éléments négatifs ressentis à son contact : une fermeture totale, l’air plus vieille que moi, sans étincelle de vie, sans beauté d’âme… Une sévérité abrupte, mais finalement pas si loin de mon ressenti profond.

Comment ai-je pu me laisser aller à croire à une possible relation durable avec quelqu’un d’aussi imperméable à l’univers, retirée et sans ressort ? Cela m’inquiète sur mes propres tendances. Que d’erreurs sentimentales j’ai pu commettre depuis dix ans… moins chez mes amies tout de même. A croire qu’il eut fallu que je choisisse mon amour parmi elles… L’affaire Elen est plus que jamais enterrée pour moi… aversion pour sa personnalité trop dissemblable de ce qui peut emmener vers le beau, le joyeux et le sensible. Cette humeur d’outre-tombe doublée d’une possessivité maladive, sans perspective existentielle, ne pouvait que me détruire davantage.

Kadya et Bonny, deux personnalités dissemblables, mais qui se retrouvent sur un point essentiel : un même enthousiasme de vivre. Elen ne le possédait pas et, pire, déteignait sur moi dans son nihilisme fonctionnarisé. Brrr… Il faut vraiment que je me méfie de mes choix féminins en matière amoureuse.

 

Mardi 6 novembre

Le documentaire diffusé ce soir sur Canal +, concernant la genèse des attentats du onze septembre, parachève l’idée d’une politique étrangère américaine qui a joué pendant une vingtaine d’années avec le feu islamiste au nom de l’intérêt supérieur, en pleine guerre froide, d’humilier les russes en Afghanistan.

 

Jeudi 8 novembre, 0h et des poussières

Je me rendrai le 23 décembre prochain, pour un déjeuner, au château après un an et demi, au moins, d’absence. Décision prise après un appel de Sally me faisant savoir qu’à cette occasion de réunion familiale Heïm aurait apprécié ma présence. Par affection, je ne pouvais refuser, mais je n’oublie rien des éléments qui m’ont fait adopter ce mouvement de retrait. Il y a quelques jours, e-mail reçu pour une demande de renseignement signé « Monique M. », et non simplement Monique (ou Mo selon le surnom habituel), comme pour désaffectiver tout rapport. Risible pour le moins. Si je fais le voyage pour ce repas, je n’accepterais, de Heïm ou d’autres, aucune tentative de glisser vers les puants repas-catharsis. En cas contraire, ce sera mon dernier séjour au château. Je ne peux plus tolérer ce prétendu esprit libre, plein d’humour, sans tabou, alors que tout respire l’inverse. Affection, oui, mais plus d’incrédulité de mon côté.

Hier, en allant aux toilettes à Forpro, alors que je commençais à uriner, l’angoisse métaphysique me saisit comme cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Songeant au temps qui défile de façon infernale, je voyais mon âge canonique arriver très vite et cette inadmissible nécessité d’une mort qui mettra fin pour toujours à la conscience du monde et de soi. Notre seule approche de l’infini, en l’espèce temporel, se fait par notre mort.

 

Samedi 10 novembre, 4h30 du mat.

Retour d’une soirée très agréable, car en bonnes compagnies : retrouvaille de Bonny et Sonia, les deux complices du parc, au Club 30. Un enthousiasme dans le rapport qui revigore. Bonny comme chanteuse polyvalente (de Céline Dion à Anastasia en passant par France Gall et le pâlot Jackson) et Sonia comme interlocutrice attentive. Une gravité, chez cette dernière, que je ne lui connaissais pas : elle me confie être en pleine remise en question sur divers plans, notamment suite à la trahison d’une amie d’enfance (vol de son chéquier et utilisation frauduleuse).

J’ai été bien loin de l’atmosphère confinée qui modelait les instants partagés avec Elen, dont c’était l’anniversaire ce vendredi. Aucune manifestation de sa part, et aucune envie de la contacter de la mienne. Tout de même curieux comme je ne me sens nullement affecté par cette rupture. Son univers ne me correspondait pas du tout, je crois. Impression de m’enterrer dans des automatismes comportementaux sans enrichissement existentiel.

Eu Kadya rapidement au tél. Depuis que j’ai quitté Elen, je la sens plus distante. Il faudra que j’éclaircisse cette impression.

Demain, jour du seigneur et deux mois après les attentats terroristes aux Etats-Unis. L’acharnement aérien contre les talibans semble payer très lentement.

 

Dimanche 11 novembre, 3h25

Encore une agréable soirée pendant que l’Afghanistan se fait bombarder et que les ruines du wtc fument toujours.

 

Jeudi 15 novembre, 0h25

Revu les dernières images de Dancer in the dark diffusé sur Canal +. Impossible d’empêcher les yeux de s’embuer lorsque Björk, la corde au cou, passe du cri au chant. De l’émotion pure.

Ma trajectoire existentielle semble s’être figée dans ce transitoire aux semaines qui défilent.

 

Samedi 1er décembre, 9h30

Cela doit forcément me travailler le bulbe. Mes contrées oniriques, ces derniers jours, se peuplent à chaque fois des gens du Nord y compris, pour cette nuit, d’Alice avec, pour décor, le château d’O. Rêves dont je n’ai accroché que quelques bribes, mais qui témoignent de mon appréhension de ce 23 décembre.

Hier soir, en compagnie de ma chère amie Kadya, après projection du sympathique, mais pas transcendant de rire, Tanguy de Chatillez, tête-à-tête culinaire à la pizza Pino de Bellecour. Occasion d’exposer ma complexe position vis-à-vis du château. Reconnaissance d’un enrichissement intérieur et d’une ouverture culturelle vers des domaines que je n’aurais pu de moi-même aborder. Reconnaissance de la féerie des grandes vacances passées dans les châteaux successifs de Heïm Reconnaissance d’une tranche d’enfance merveilleuse (entre 7 et 11 ans) au château d’O, assombrie avec la mise en perspective des sordides accords financiers sous-tendant notre séjour (normaux certes, mais donnant lieu à une surenchère déplacée de la part du château) et du subtil travail de sape de Heïm et de ses acolytes féminins sur nos parents.

En racontant à Kadya l’anecdote du Noël (1980 je crois) où mes parents, après avoir fait la route (150km) et prévu un réveillon à cinq dans la maison de Combles, je crois, ont vu leurs trois enfants refuser de les suivre, car préférant le Noël du château, j’ai été ému et en colère contre le jeu manipulateur constant de Heïm. L’idée de nous faire tourner un petit film où l’on déclamait des « Bon Noël papa-maman » révèle, pour le moins, du cynisme sans état d’âme. Je ne disculpe pas pour autant mes parents qui, incapables de gérer familialement leur couple, ont engendré bien des chagrins, mais il n’y avait pas chez eux de stratégie sous-jacente de conditionnement en vue d’obtenir, des êtres, pensées et comportements accomplis, en apparence, de leur propre volonté. Un peu, puisque la comparaison éclaire, paraît-il, les raisonnements embrouillés, à la manière, en moins systématique et avec beaucoup plus de subtilité et donc de fragilité, de l’hypnopédie du Meilleur des mondes. L’humour à répétition et le recours systématique aux mêmes schémas intellectuels valent bien l’enseignement par le sommeil.

La reconnaissance s’arrête là ! Pour la suite, le principe de l’apport réciproque a joué et j’estime avoir largement donné de ma personne, de mon temps et de mes connaissances (notamment juridiques) en contrepartie des conditions de vie proposées (assez peu épanouissantes). Primauté de l’intérêt général, pour lequel j’ai adopté un engagement jusqu’au boutiste via la perdition intérieure, dont les chemins conduisent tous vers Heïm. Majeur et vacciné, je n’ai à m’en prendre qu’à moi, mais je ne dois pas sacrifier ma lucidité pour autant.

Evidemment, hors de question que je fasse allusion à cet état d’âme lors du passage éclair. La catharsis façon Heïm me pue au nez et fait partie d’un univers fui par cet exil lyonnais. En outre, Heïm pratiquant, sans doute depuis des décennies, le discours à facettes avec mise en exergue changeante selon l’interlocuteur, j’en ai eu la démonstration avec l’affaire du Gâchis, je ne vais pas me priver de le dispenser de toute la subtilité nouvelle de mon positionnement (qu’il a peut-être deviné tout seul). Que l’affectif subsiste avec rencontres épisodiques, pourquoi pas, mais que cela ne voile pas les motivations profondes, que j’essaie par bribes de transmettre ici, de ma séparation de cet univers aujourd’hui réduit à sa portion congrue.

 

Lundi 10 décembre, 0h10

Une vie sentimentale à l’image du reflux maritime, et pourtant l’espoir m’anime à nouveau. Depuis mercredi dernier, amorce d’une histoire avec BB, femme de deux ans mon aînée et résidant dans le même immeuble que moi. Pour ce qui est de la proximité, l’idéal est atteint. Pour ce qui tient aux qualités humaines, je ne suis pas loin de le penser aussi. Pas d’enthousiasme prématuré, mais l’attachement à divers signes positifs.

Mon 8 décembre, alors qu’elle travaillait (infirmière dans une clinique) lui était tout entier dédié.

 

Jeudi 13 décembre

Très belle tournure avec BB. Une semaine et un jour de fréquentation et j’ai l’impression d’une complicité bien ancrée. Au contraire d’une Elen, elle ne jure en rien avec l’idée que je me fais de la douceur féminine. Je nous crois vraiment fait pour vivre une histoire à pérenniser. Bien que mes impressions se soient précédemment effondrées le temps passant, je veux y croire de nouveau. L’alliance qu’elle a d’une silhouette agréable, d’un joli visage et d’un caractère doux et attentionné, m’incline à cet optimisme.

Finalement, pas de 23 décembre chez les gens du Nord : Heïm est hospitalisé, pour des risques de perte de vue, et le cœur n’y est plus. Au fond, même si la raison est regrettable (je lui ai envoyé un e-mail d’affection), je ne suis pas mécontent d’annuler ce déplacement pour une réunion qui n’aurait rimé à rien.

Demain après-midi, petite visite à Nadette, vers Givors. Son mariage s’est avéré un calvaire avec l’engoncé tyrannique de Labeyre. Le rougeaud pas finaud, qui me reste en mémoire, ne m’appréciait pas, semble-t-il. Je le comprends aisément.

 

Lundi 17 décembre, 23h10

Passage fructueux chez mon père. Mon évolution critique à l’égard des méthodes de Heïm l’a convaincu de me révéler sa stratégie tenue depuis près de quinze ans : entretenir l’impression d’un regard nostalgique et bienveillant sur Heïm L’objectif était double : ne pas me mettre dans une situation psychologique difficile, à l’égard de Heïm en transmettant, durant des années son positionnement positif, voire affectif, sur l’univers de Heïm et ses choix existentiels.

Bien joué, car Heïm est allé jusqu’à reprendre contact avec mon père. En fait, l’utilisation des mêmes armes manipulatrices que celles exploitées depuis si longtemps par Heïm m’a permis de le voir sous un jour plus contrasté. La plongée dans le passé révèle quelques actions pseudo-pédagogiques de Heïm aux relents aberrants qui ne visaient que son propre intérêt par l’emprise subtile sur les êtres.

Avec BB, d’intenses retrouvailles et une volonté de me rejoindre dans mon appétit coquin. Pas encore quinze jours de rencontre, mais une densité du rapport très encourageante.

Revu Aurore avec Karl, puis Melycia et son adorable Gaspard de trois mois ce jour…

 

Samedi 30 décembre, vers 1h30

Les dernières heures de cette année 2001 qui ne nous aura pas offert l’Odyssée de l’espace, mais les abysses barbares. Si on la retient comme l’année d’entrée dans le xxie siècle avec, pour une fois, conjonction entre la logique numérologique et les aléas historiques, elle se hisse aussi comme parangon des penchants les plus primaires de l’être humain. Pauvre monde englué pour longtemps encore dans ses travers toujours recommencés. La gorgone à deux têtes Bush-Laden n’obéit qu’à deux motivations : dominer et posséder. Du classique depuis les grottes cromagnonnes !

Pour moi, un plaisir infiniment plus sains m’attend ce soir : les retrouvailles avec ma BB, de retour de Nantes. Karl débarque aussi à Lyon, en vue du 31 à Chalon… Nous irons donc déguster quelques lyonnaiseries culinaires avant d’aller écouter Bonny au Club 30… le meilleur pour finir : dodo chez BB alors que Karl ronflera chez moi.

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