2001 – Excroissances jouissives
Mardi 2 janvier, 1h50
En ce
début de journée, pour la rentrée
professionnelle, je veille encore. Pas de lecture hautement nourrissante
pour justifier cette insomnie : juste le difficile détachement d’un jeu
vidéo, l’un des seuls sur mon ordinateur ; sans permis je m’adonne à la
formule 1 virtuelle sur un circuit ovale américain. Pas de quoi être fier, mais
je joue la transparence, aussi.
Plus
insolite, je décide d’appeler Kate pour lui adresser tous mes vœux et prendre
de ses nouvelles. C’est bien elle qui décroche au numéro de ses parents. A
bientôt 34 ans, elle réside toujours chez eux, célibataire, avec quelques
ennuis professionnels. Heureux de la savoir en bonne santé et combattante face
à cette période difficile pour elle. Je lui ai proposé mon aide, si elle en
ressent le besoin.
Pour
moi, une chose normale que cette reprise de contact (qui n’aura peut-être pas
de suite de son côté) : je n’en ai jamais voulu à Kate de quoi que ce
soit, lors de notre imparable rupture, et je lui ai toujours conservé une
tendre affection. Apprendre qu’elle traverse quelques difficultés m’a d’autant
plus conforté sur l’utilité de cet appel. Elle m’a appris qu’elle ne revoyait
plus Barbara et Lionel (cités dans mon Journal
en 1991), couple divorcé avec un enfant conçu. Encore une trajectoire qui prend
une place de choix dans mon Gâchis.
La fille s’est mise avec un Martiniquais et a enfanté un deuxième marmot. En
avril prochain (à moins que ce soit mars) cela fera dix ans que j’ai rencontré
Kate. Cela méritait bien, avec un peu d’avance, une attention curieuse.
Dimanche 7 janvier, vers 4 h du matin
Encore
une belle expérience du monde qui n’est pas fait pour moi. Ces sinistres
tentatives d’intégrer des lieux, en solitaire, là où on ne va qu’en groupe.
Comme j’aurais pu l’anticiper, rien de bon n’en est sorti. Se faire chier à
voir les étalages de frime, de faux-semblants, de courbes trop léchées et finir
avec une nausée et un dégoût de tout. Peu importe notre passage à un millénaire
tout neuf : la persistance d’une inadaptation au monde se confirme.
Pas de
nouvelles de Suzy depuis ma clarification de notre rapport. Je n’en suis
pas mécontent : me voilà à nouveau dans une posture d’exilé solitaire. Par
ailleurs, j’ai limité mes vœux au strict minimum : quelques e-mails. Je
n’enverrai de cartes qu’aux très rares envois spontanés (comme celui de
Bastien). Les dizaines envoyées chaque année, sur ma propre initiative,
n’auront servi à rien. Aucune fidélité cordiale ou amicale lorsqu’il s’agit de prendre
les devants. Là aussi je n’ai plus aucune envie de me faire chier... pour rien.
Qu’on me laisse, qu’on me fiche la paix, qu’on me laisse crever sans attache.
Mercredi 10 janvier
Participation,
hier, au banquet pantagruélique à l’Université Lyon III pour la nouvelle
année. Grandiose de variété, boisson champagnisée (voire Champagne) à
volonté : une bonne mise en bouche pour mes premières interventions à
partir de lundi prochain.
Des
nouvelles fraîches de Shue par e-mail : elle m’invite à Lutry en Suisse un
week-end de février à déterminer pour découvrir photos et film du féerique
mariage. Cela me ravit de la savoir heureuse.
Moi,
en revanche, je m’enfonce dans le célibat sans issu.
Delanoë,
le candidat de gauche pour la mairie de Paris, est passé au JT de PPDA. La
faveur des sondages lui a raffermi le ton, même si, encore une fois, il est
interrogé sur son manque de charisme.
13h. Illustration de la connerie
persistante en ce début de XXIe siècle : les soldes et la
vulgarité grégaire. Ce matin, à 5h30, un grand magasin de Flers ouvre ses
portes avec derrière des centaines de crétins qui s’engouffrent, se bousculent,
se marcheraient dessus pour obtenir quelques biens soldés. Scène navrante qui
confirme mon dégoût de cette humanité larvée, indigne dans ses comportements.
Un
chauffard à étriper. Sortie d’une boîte de nuit, 180km/h sur une route
nationale : quatre morts. L’énergumène ne se déplace pas pour entendre sa
sentence (cinq mois fermes et dix-huit de sursis) et ne montre aucun remords.
Ahurissant : l’annulation du permis n’a pas été retenue pour toute son
existence, mais seulement pour trois ans. Insensé !
Voilà
deux facettes d’un monde qui m’incommode chaque jour davantage.
Jeudi 11 janvier
Je
prends le plus souvent les jours à leur commencement (il est 0h15) pour remplir
ces pages : sans doute pour se sentir vierge de toute influence de celui
abordé, ou au contraire pour que le précédent offre sa plus fraîche
sédimentation.
J’ai
le sentiment que ma forme de vie actuelle rejoint mon état d’esprit d’enfance :
l’essentiel du vécu en solitaire exilé. Les contacts divers croisés
n’aboutissent à rien d’accrocheur. Dans mes quatre pôles d’activité
(l’Université Lyon III, Institia, Hippocus et Forpro) pas un seul lien cordial
sérieux. La faute à qui et pourquoi ?
23h50. Toujours des
égorgements par dizaines en Algérie. Pour savoir jusqu’où la vilenie cruelle de
l’homme peut aller, la contrée algérienne offre le terrain idéal. Exemple
d’atrocité : parmi les victimes des sanguinaires, une fillette de trois ans
dont le visage a été dépecé de sa peau. À vomir...
Plus
léger : reçu un e-mail d’Helen qui m’indique avoir mis des distances avec
son ami qui s’est révélé moins accroché que prévu. Elle-même n’en souffre pas
car, m’explique-t-elle, cela n’a pas été un coup de foudre comme avec moi.
L’égo est aux anges.
Jeudi 19 janvier, 23h50
Encore
un « cocktail dînatoire » à Lyon III. Je n’ai fait quasiment que
parler avec une seule collègue,
intervenante en anglais, vive et brillante. Peut-être une amie à venir. Isaura n’était pas là, le président de l’iut
se remet de son opération de l’appendicite, et la responsable de gaco s’est faite hospitaliser.
L’hécatombe.
Marie-Louise,
mon interlocutrice, m’apprend que l’université n’est pas très pressée pour
payer ses vacataires : depuis septembre qu’elle donne des cours, elle n’a
encore rien reçu. Devrais-je tenter de remuer l’administration : je
n’aurais pas la patience d’attendre quatre mois... La jeune femme, en très bon
contact avec les étudiantes de gaco
deuxième année, m’a rapporté les propos courant sur moi, après ma première
vague d’interventions : rien sur le contenu, mais la perception d’un
« professeur jeune et séduisant ». Mes tempes qui grisonnent ne se
remarquent donc pas trop.
Jeudi 26 janvier
Le
rythme effréné de mes interventions tous azimuts ne me laisse plus de temps
pour ce Journal. L’université
Lyon III figure jusqu'à fin mars en tête de mes monopolisations :
douze heures par semaine, avec Forpro onze heures, puis Institia et Hippocus se
partagent les restes. Je commence à prendre mes marques dans l’ancienne manufacture
des tabacs reconvertie en centre estudiantin.
Ai
sympathisé avec une toute jeune (24 ans) intervenante en anglais, une certaine Marie-Louise.
Sa vie de couple ne la satisfait visiblement pas, et elle ne rate pas une
occasion pour me lancer des perches... mais je ne crois pas souhaiter que cela
aille au-delà du lien cordial, voire amical.
Une
demoiselle qui me fait toujours fondre, au contraire, et que je connaîtrai
depuis tout juste un an le 7 février prochain : l’enivrante Ornelle. Nous
avions rendez-vous mercredi à Lyon III à 16 heures, moi sortant du cours
donné à mes étudiants d’iut, elle
venant chercher des dossiers d’inscription. Quel plaisir toujours renouvelé et
intense d’être en sa compagnie. Elle poursuit l’écriture de son Journal, dans lequel je figure : il
serait amusant de confronter nos deux confessions
littéraires.
Pour
le reste, rien de transcendant. Pas de nouvelle du pater, tout comme de la promesse de publication du Gâchis. Je crois pouvoir m’asseoir sur
le tout !
Je
n’éprouve aucun regret à cet exil lyonnais, malgré l’isolement exacerbé qu’il a
entraîné. Cela m’a permis de remettre en perspective toutes ces années de choix
forcené, qui n’ont laissé surnager qu’une caricature de moi-même. Ma vraie
liberté intellectuelle, elle est ici, dans ce réduit meublé, serein bien que
sans projet. Je ne crois plus en rien. Les rares moments d’enthousiasme, de
vraie complicité relationnelle (comme avec la revigorante Ornelle) je les goûte
comme d’éphémères sursis.
Jeudi 1er février, 0h30
Pour
moi, l’an 2001 semble rimer avec « beaucoup moins d’entrain ». La
faute, sans doute en partie, à un emploi du temps surchargé pour cause de
caisses à remplir. Le mois qui vient de s’achever fera l’objet d’un versement
pécuniaire par chacun de mes quatre interlocuteurs professionnels. Cette
diversification me convient, malgré sa précarité.
Avec
mes étudiants d’iut deuxième
année, abordage cette semaine de la communication publicitaire de Benetton via
Toscani.
Jeudi 8 février
Obligé
d’écourter mon passage à la soirée organisée par les gaco de l’université Lyon III. Mon état maladif (une
toux inextinguible notamment) parasite ma faible capacité à la convivialité.
Une très chaleureuse ambiance cependant.
Demain
soir, je dois revoir une charmante Valérie entrevue aujourd’hui. Très jolie
jeune femme de 29 ans qui, si elle le souhaitait, pourrait m’enrôler pour une
vraie histoire d’amour. Nous verrons bien...
Vendredi 16 février, 23h39
Je me
sens en berne de tout, ce qui pourrait expliquer le délaissement de la plume.
Même plus l’impression d’une phase transitoire : plutôt la résolution à
vivoter sans construction, sans illusion, sans amertume. Je m’accommode du rien
comme un moindre mal. Vivre à mon aune,
voilà qui me convient. Autonome, sans emmerdante pression, je pourrais laisser
s’écouler les années, les décennies, sans que rien ne change, hormis le
vieillissement imposé. A moins que l’amour... là encore plus d’illusion.
La
chère Valérie ne semble pas vraiment disponible de cœur, et je ne me crois même
plus déterminé dans mon penchant pour elle... Pour le reste, quelques
accointances sans ouverture sentimentale possible.
Une
satisfaction pédagogique toutefois : le thème de culture générale
« Presse et média » que je traite auprès de mes auditeurs en bts,
retient le charnier de Timisoara et la guerre du Golfe comme exemplaires des
dérives journalistiques. Un peu fier d’avoir pu les dénoncer quasiment en
direct à travers des chroniques pamphlétaires.
L’actualité
n’a toujours rien d’engageant.
Ce
soir, accompagné Laurence à l’auditorium (pas loin de chez moi) pour écouter du
Bach : bien agréable.
Lundi 19 février, 23h15
Côté
relationnel : règlement à l’amiable ce soir, par téléphone, d’une
conversion anticipée du rapport avec Valérie. De l’amitié, rien que de
l’amitié... J’espère ainsi qu’elle sera moins légère dans ses engagements non tenus. Charmante, mais dangereuse
pour moi : plutôt salutaire qu’elle ne se soit pas laisser charmer.
A
Forpro, invitation de Carmelle, une intervenante de 24 ans, à se joindre à moi
pour la soirée du 1er mars à l’auditorium. Au programme : jazz
symphonique. Elle semblait enthousiasmée par cette perspective.
Musique
et poésie sont en deuil : Charles Trénet a rejoint le paradis extraordinaire des artistes. A 87 ans, il a décidé de faire
cesser l’acharnement thérapeutique dont il était l’objet depuis quelques jours,
après un nouvel accident vasculo-cérébral. Les journaux télévisés du soir
devaient avoir au frigo de belles nécros toutes prêtes, car les hommages
ont été approfondis. Quel fabuleux et prolifique parcours que celui de ce
« fou chantant » ayant musicalisé
le XXe siècle.
Par
contraste, revu ce soir le pur chef d’œuvre M
le maudit en version originale, avec l’air sifflé si inspirant. La malédiction, voilà un thème à méditer.
Lundi 26 février, 0h15
Revenu
de Suisse dimanche après-midi. Agréable séjour chez Shue et John, et surtout
échanges nourris avec une des filles de leurs charmants voisins, Marie,
chrétienne fervente. Sa vision du monde me touche, même si je me sens étranger
à son rattachement divin. Son parcours existentiel, à 28 ans, l’a mené des
superficialités ludiques d’une fille séduisante aux résolutions religieuses
prêtes à tous les sacrifices. Elle écrit et dessine : au vu de son style,
je lui ai recommandé la lecture de Léon Bloy.
Elle
m’a conduit à la gare de Lausanne en m’assurant de ses bons sentiments à mon
égard, me demandant qu’on soit amis. Elle serait plus proche et moins mystique,
je la courtiserais.
12h30. Hommage au papa de Sandre
(grand-père de sang) mort ce matin à l’hôpital d’un infarctus généralisé.
23h50. Avant de m’abandonner
à une dérisoire petite mort nocturne, je voulais évoquer le souvenir de ce
monsieur R., décédé aujourd’hui. Nos conversations, mises bout à bout,
devaient tutoyer la centaine d’heures en quelques années de fréquentation.
Notre dernière entrevue n’aura été qu’un croisement rapide lors du déménagement
de Sandre.
Il a
apprécié mes venues comme autant de parenthèses conviviales et chaleureuses
dans son univers replié. Il aimait raconter ses anecdotes professionnelles
multiples du temps de ses activités chez Rhodia (comme directeur
d’agence) : certaines de ses histoires avaient la vedette, et la
gourmandise orale lui commandait de les narrer à nouveau, après s’être inquiété
de son absence de radotage. Parfois, il allait jusqu'à se confier, me demandant
de garder le secret : ainsi un événement qui aurait pu être dramatique
pour lui, son épouse et ses enfants, lors de la Seconde Guerre mondiale. Je
l’ai vu parfois terminer ses narrations avec la voix chevrotante et l’œil
embué. Une sensibilité à fleur de peau derrière un jeu de bougon détaché. Il
sera incinéré jeudi prochain : j’assisterai aux cérémonies.
Vendredi 2 mars, 0h15
Touchante
journée de jeudi avec l’enterrement du grand
papa de Sandre, Jean R. (1921-2001) ; une première, pour moi
d’assister à ce genre de cérémonie. Au funérarium, d’abord, pour se recueillir
devant le corps (son visage semblait apaisé, rajeuni) ; à l’église, ensuite,
avec les hommages divers ; au crématorium, enfin, où l’émotion de sa veuve
(cinquante-six ans de mariage, je crois) atteignit son comble. Présence du
géniteur de Sandre, qu’elle n’avait pas revu depuis vingt-deux ans : un
frêle personnage bien effacé et sans grand intérêt au premier abord.
Entendu
ce soir à l’auditorium, avec Carmelle (collègue
de Forpro) que j’avais invitée, du jazz symphonique, deux pianos à quatre puis
huit mains. Trois heures de talents concentrés.
A
noter ma très agréable soirée de mardi avec Valérie, et la confirmation de mon
goût (charnel) pour elle. Je suis invité pour son anniversaire ce samedi (elle
fête ses trente ans).
Mardi 6 mars
Multiplication
du relationnel revigorant ces dernières semaines. Après les quelques moments
passés avec Valérie (anniversaire, cinéma, conversations), le passage à
l’auditorium en compagnie de Carmelle (qui m’invite à manger chez elle demain
soir), c’est mon étudiante préférée, Ornelle, qui m’appelle une heure, hier soir
tard, pour discuter à bâtons rompus : de ses amours déçus à l’angoisse de
la mort, en passant par ses projets universitaires pour l’année scolaire
prochaine. Le 27 mars prochain, je l’accompagne au concert du bon Bruel.
Pédagogue et confident à interventions périodiques : voilà un rôle que
j’apprécie.
L’hystérique
application du déifié principe de
précaution a trouvé une nouvelle justification : la fièvre aphteuse.
La tonalité de certains journaux commence à changer : après l’approbation
sans retenue d’une sécurité maximale imposée, ils soulignent aujourd’hui le décalage
existant entre l’armada de moyens déployés en France (alors qu’en Angleterre la
fièvre s’est effectivement répandue) et l’absence confirmée de cas sur notre
sol. Tuer des petits éleveurs par
anticipation, que l’on pourrait assimiler à du fantasme de sécurisation obsessionnelle,
m’apparaît comme une dérive dans l’application d’un principe pourtant légitime.
Jeudi 8 mars
Je ne
m’attache pas au hasard : Ornelle s’est confirmée aujourd’hui, par l’écrit,
comme un être de qualité. A 19 ans, elle tient un journal d’humeurs et de
faits, et m’a accordé la découverte de quelques passages, dont un portrait
psychologique de moi. Impressionnante justesse de l’analyse (je suis comparé à
du cristal).
Vendredi 9 mars, 23h50
Pour
achever mes notations abrégées hier par une fatigue envahissante : je
trouve très touchant qu’une pétillante Ornelle de 19 ans consacre quelques pages de
son cahier d’humeurs à un ours décalé comme moi. J’apparais comme son
professeur attitré, « et surtout » son « ami ». Cela
réconforte un chouia et rassure sur ma valeur humaine. Une personnalité à
double tranchant chez Ornelle : des gamineries les plus outrancières aux élans
approfondis, tout en sagesse expérimentée.
Ce
week-end s’annonce érémitique pour moi. De multiples travaux et copies à
corriger : campagnes publicitaires des iut-gaco ; qroc et dissertations des médecines de Grange Blanche ; synthèses de documents, résumés,
questions de compréhension et développements composés des bts, notamment.
Si
j’avais possédé ma carte d’électeur, j’aurais apporté ma voix à Charles Millon.
Personnalité attachante et d’un niveau bien supérieur aux Collomb et Mercier.
Le vieux Barre ira prendre une retraite bien méritée.
Dimanche 11 mars
Que
cette journée soit un grand accomplissement des besognes.
Décision
de ne plus rappeler Valérie. Elle se manifestera à moi si elle en
éprouve l’envie. La loupiote danger de l’attachement inutile, voire
déstructurant, me fait reprendre raison. Elle appartient trop, lorsqu’elle
n’aime pas vraiment, à la catégorie des prédatrices.
En
revanche, je vois Carmelle lundi soir. Une sensibilité qui semble
bien m’apprécier. Cela ira-t-il jusqu'à faire cesser le tournis des très
éphémères illusions sentimentales dont je deviens un spécialiste effréné ?
S’il n’en reste qu’une, il me restera mon amie (amitié) Ornelle...
Tous
aux urnes sauf moi (et moi, et moi, et moi...) aujourd’hui. Je fais pourtant le
vœu que Millon et Tibéri engrangent le maximum de voix : les deux seules
personnalités de ces municipales à m’avoir accroché...
pas au point de m’inscrire sur les listes, toutefois.
Fin de
la récréation rédactionnelle, et place aux corrections tous azimuts.
Mardi 13 mars, 0h53
Premier
échange accompli avec Carmelle. Découverte, en forme de confirmation, des qualités
humaines de cette jeune femme de 24 ans. Elle se déclare très troublée et
attachée d’instinct à moi. Ne précipitons pas les choses, tout de même.
Jeudi 15 mars, 23h50
Quelques
journées exténuantes d’enseignement tous azimuts. Ce soir, une conférence aux
étudiants de pharmacie (à Hippocus) sur le rapport science-médias. Je me suis
laissé aller à quelques envolées langagières sur le sujet, soulignant les
absurdités, les tendances à l’hystérie dans le traitement du dossier vache folle et, maintenant, de la fièvre
aphteuse.
Samedi 17 mars, 23h30
Hier
soir passé avec Carmelle. Nuit complète partagée. Son corps correspond à mes
idéaux (finesse des courbes et générosités focalisées) : en clair des
seins lourds et fermes, des tétons à la bonne taille, des fesses rebondies, une
taille marquée, des jambes fines, un ventre (presque) plat... et son âme qui se
dévoile dans une touchante sensibilité. Nos sources idéologiques ne sont pas
les mêmes, mais elle ne se braque pas pour autant. Pour modérer le contraste,
je lui précise mon évolution intellectuelle depuis mon exil lyonnais.
Désormais, je ne me sens plus guidé que par mes propres inclinations, mon sens
critique.
Dimanche 18 mars
Malheureusement,
les Tibéri et Millon n’ont pas pu, respectivement, conserver et conquérir Paris
et Lyon, tombés à gauche. Le bon pôple
s’est prononcé.
On
s’est tellement moqué du système américain, et nous voilà avec un maire
parisien de gauche alors qu’en suffrages exprimés la droite est majoritaire.
Même
absurdité dans le traitement de la fièvre aphteuse en France. Face à un cas
déclaré, on a anticipé en éliminant quelques trente mille moutons sains.
L’hystérie de précaution, comme garant d’une immunisation contre tout soupçon
d’avoir laissé faire, entraîne le drame absolu chez des milliers d’éleveurs. Si
l’on n’avait brûlé que les bêtes réellement malades, n’aurions-nous pas eu
moins de têtes sacrifiées ? Les témoignages d’anciens semblent conforter
cette thèse. Ce serait alors la confirmation de ce délire précautionneux qui
s’est emparé des services de l’Etat.
Dernière
semaine d’intervention à l’université Lyon III, où une polémique se
développe à propos de la couverture faite au professeur d’histoire
négationniste Allart par le conseil d’administration. Tracts dénonciateurs
distribués à la sortie de l’université, communiqué de presse d’un groupement
d’enseignants en réponse...
Je
dois revoir Carmelle mercredi soir (et demain matin en coup de vent à Forpro).
Mon
moral se fait de plus en plus insensible aux attaches passées. Je n’ai nulle
envie d’un rapprochement avec le Nord, les gens
du Nord... Une promesse non tenue sonne pour moi le glas. Marre de ces
illusions idéologiques, de ces faux-semblants respectueux. L’exil que je me
suis imposé me libère de ce joug et m’ouvre à l’indépendance d’esprit. Une
salutaire évolution pour qu’éclate la complexité de mon positionnement,
reléguant aux antiquités existentielles mon fanatisme débridé. Je ne renie
strictement rien, ne regrette pas une once, mais je ne m’empêche pas pour
autant un état des lieux critique.
Lundi 19 mars
Lyon,
comme Paris, sont restés à droite en nombre de voix, alors que la gauche fait
son entrée majoritaire aux hôtels de ville.
Procès
du monstre sanguinaire et paradeur Guy George. Inadmissible : il ne risque
que la perpétuité (qui n’est jamais effective dans les faits) avec une période
de sûreté de vingt-deux ans, au lieu de trente que permet au maximum notre
droit. Trop indulgente justice... trop humaniste pour les criminels de ce type.
Mercredi 21 mars, 0h30
Dechavanne
semble vraiment avoir un problème dans la verbalisation des actes sexuels et de
toute la terminologie qui les décrit. Impression d’avoir un gamin complexé,
honteux de certaines évocations (la sodomie le rebute, le sexe de l’homme
devient zizi, etc.). Son émission sur
le sexe tenait en revanche parfaitement le cap avec des intervenants sensibles
et intelligents.
Lors
d’une conversation éclair avec Carmelle, lundi dernier, j’évoquais mon étonnement
quant à mon indifférence de ne pas avoir revu les gens du Nord et le pater. Trop tard, trop fatigué pour trouver une
explication.
Je
vois aujourd’hui, pour le goûter, Laurence qui part en Angleterre, à la fin de
cette semaine, pour s’épanouir dans une activité.
Jeudi 22 mars, minuit moins une
Soirée
et nuit dernière chez Carmelle. Elle a encore dû s’improviser Saint-Bernard chez
ses parents. Une mère à la déprime ravageuse, un père qui ne parvient pas trop
à gérer la situation, et Carmelle au milieu qui s’ingénie à colmater. Du gâchis,
encore et toujours... Marquée par cette journée, elle songeait même à ne pas me
garder après le dîner pour cultiver une solitude régénérante ou ruminante.
Finalement, l’attirance charnelle a transcendé la situation et j’ai passé ma première
nuit chez elle. La gourmandise sexuelle s’affirme en rythme réciproque.
Je me
sens plus proche de la tendresse sexualisée que de la passion accroc. Ne pas
l’appeler lorsque je ne l’ai pas à mes côtés ne me mine pas : je n’y songe
pas, en fait. Est-ce ma nature qui se durcit à un tel degré que plus rien ne
m’accroche vraiment ? C’en est inquiétant pour ma suite de vie. Je me
comporte un peu comme le médecin légiste : attentif à ce qui m’entoure,
curieux de l’autre, mais sans inclination à m’attacher aux sujets retenus. Même
l’espoir déçu dans la relation embryonnaire et éphémère avec Valérie ne correspondait
pas à un authentique penchant pour elle.
Dimanche 25 mars
Le
vagabondage littéraire peut résister aux obligations pédagogiques. Un sujet
choisi pour les bac pro sous ma
responsabilité à Forpro, dans un recueil adéquat, sans même lire le texte, ne
me fiant qu’au genre, ici le narratif, et aux questions posées : un
extrait d’Un jeune couple de
Jean-Louis Curtis.
Sa
lecture, aujourd’hui, avant de corriger les tentatives estudiantines, me
stupéfie : j’ai là le portrait chirurgical de situations vécues dans le
minage psychologique avec plusieurs demoiselles que l’on peut reconnaître sans
peine. Chacun doit avoir la sienne. Je laisse ce passage ici :
Jour après jour, il y avait le morne
ressassement de ce que nous aurions pu faire si nous avions eu telle somme
d'argent. « Si seulement nous avions trois millions! Rien que trois millions,
Gilles, une bagatelle aujourd'hui. Qu'est-ce qu'on pourrait bien faire pour
gagner trois millions ? On ne va tout de même pas jouer au tiercé, comme des
minables! » Elle ruminait cette pensée, s'y obstinait comme une enfant butée.
Quelquefois, cela me donnait envie d'aller me noyer. Ou de me saouler à mort.
Ou bien de partir au loin, très loin dans une île du Pacifique où personne ne
déplore de n'avoir pas trois millions pour obtenir le loyer d'un appartement.
Quand Véronique parlait de ses projets
d'avenir, c'était toujours en termes d'acquisition. « Nous achèterons... Nous
aurons... », ou de jouissance: les sorties, les vacances, les voyages... Il me
semblait qu'elle était habitée par une énorme poulpe invisible, dont les
myriades de ventouses tour à tour contractées et béantes aspiraient à pomper
toute la matérialité du monde. Ses convoitises étaient en même temps exorbitantes
et modestes, car il aurait suffi d'avoir de l'argent pour les satisfaire (du
moins à cette première phase de notre vie commune: un peu plus tard, les
exigences de Véronique devinrent plus complexes), et je ne cessai pas de
m'émerveiller que le bonheur fût, pour elle, une simple question de compte en
banque. Je lui dis, un jour, en matière d'apaisement: « Dans quelques années,
nous aurons tout cela, je te le promets. » - Dans quelques années ? Quand nous
aurons l'âge de nos parents ? Quand nous serons à la retraite ? Ça ne
m'intéresse pas, Gilles. Ce que je serai après quarante ans ne m'intéresse
pas. D'ailleurs dans l'intervalle, il y aura la bombe. C'est aujourd'hui que
nous devrions avoir tout, aujourd'hui que nous sommes jeunes. » Et elle ne
songeait pas que nous avions justement la jeunesse qui peut tenir lieu de
tout; nous avions notre visage encore lisse, notre corps encore vigoureux,
notre intelligence encore avide; nous aurions pu avoir notre amour, si elle
l'avait voulu ; mais au lieu de jouir de ce que nous étions, de notre
être, elle rêvait de ce que, selon elle, nous aurions dû avoir.
Lundi 26 mars
Mon
étudiante préférée (heu... maintenant après Carmelle, à qui je n’enseigne rien)
doit me retrouver chez moi avant que nous filions en taxi vers la halle Tony
Garnier où Bruel doit se produire. Vu ce soir un film avec lui sur Arte, comme
une acclimatation au personnage. Je suis enchanté d’accompagner la foliette Ornelle à ce concert. Comme une trace de ce lien amical, j’ai gardé le chèque qu’elle
m’a fait en remboursement de la place. J’avais fait de même, mais pour de toutes
autres raisons, en 1993 avec Kate peu de temps avant qu’on se sépare. Le
contraste, entre ce chèque de 220 francs non encaissé et les millions de francs
perdus par les effets néfastes de notre relation, me séduisait littérairement.
J’intrigue
mes étudiants (l’un en gaco la
semaine dernière, l’autre en bts
aujourd’hui) sur mon parcours, ma formation, mes autres activités. Celui d’iut, très éclairé intellectuellement, me
confia au dernier cours qu’il trouvait étonnant que je puisse passer de sujets
aussi différents que la publicité, le monde de la presse ou la nouvelle économie
et internet. Une bonne préparation ne permet pas tout : il faut pouvoir
improviser, répondre aux questions, donner une impression de naturel, d’un
côtoiement expérimenté. La diversité des matières enseignées, une curiosité
pour les actualités et le bavardage professionnel passé ont forgé mon rapport
aux autres dans l’échange insatiable. Un de mes instants préférés dans la
contrée pédagogique : vagabonder sur des sujets divers et rebondir sans
préparation dans l’échange nourrissant ou le contradictoire exaltant.
Ainsi,
aujourd’hui, à partir d’un sujet de synthèse de documents concernant le regard
porté sur les monstres, arrêts sur le criminel à saigner Guy George, le genre
pamphlétaire, les escroqueries idéologiques... un régal.
Je ne
céderai pas au ton sarcastique. Les gens
du Nord ont finalement eu besoin de quelques éclairages (bénévoles) sur la
déclaration fiscale de la sci.
Lundi 2 avril, 1 heure du mat.
Je
sors d’un gentil et charnel week-end avec Carmelle. Très bonne entente, mais je
doute, par mon caractère et mes atermoiements, de correspondre à ce qu’elle
attend. Je me sens toujours sur ma réserve, alors que la symbiose sexuelle ne
tarit pas.
Vendredi
soir, une soirée organisée par les étudiants de gaco
dans un restaurant-karaoké des bords de Saône. Hormis une conversation à
épisodes avec un professeur, moment sans intérêt. Je me suis à nouveau fermé à
toute convivialité jugée par avance factice et hypocrite.
Le Journal littéraire a vraiment la côte en
ce moment : c’est au tour de Jean-François Revel de publier le sien, pour
l’année 2000. Après les fausses promesses de publication, je dois vite
rattraper ce retard pour la mouture destinée aux grands éditeurs. Mon emploi du
temps va s’alléger à compter de cette semaine : je vais donc mettre ces instants
à profit.
Mercredi 4 avril, 0h30
Internet,
si fantastique dans son principe encyclopédique, s’affuble d’un apparat beaucoup
moins reluisant lorsqu’il s’agit d’y effectuer des recherches (mon thème :
l’image du médecin dans la littérature). Au-delà des paralysies dans la
réception des données qui obligent à se reconnecter une bonne vingtaine de fois
pour espérer harponner une faille spatio-temporelle favorable, la fulmination
prend véritablement corps face au mongolisme des moteurs de recherche. Incapacité des Voilà, Lycos and Cie
à chercher les sites dans l’intelligence d’une expression proposée. Les portails informatiques nous ouvrent
ainsi le plus souvent des contrées abusivement chargées de plusieurs dizaines
de milliers de sites inadéquats. Tout cela par le fait d’un marquage au mot
sans prise en compte du sens global. La coche de l’option « la phrase
exacte » n’y change rien.
Le
hasard de mon passage à la Fnac de La Part Dieu m’a fait rencontrer (à la
sortie de Zara international qui
jouxte le vendeur multimédia) Fania en séjour à Lyon jusqu’au 19 avril.
Resplendissante, elle est installée en Angleterre et se marie l’année
prochaine. Peut-être nous verrons-nous avant son retour outre-Manche.
Ce
jour, si j’avance suffisamment dans ma préparation de la conférence pour les médecines de Grange-Blanche, je verrais
Carmelle pour une après-midi et une nuit partagées.
Jeudi 5 avril, 0h15
Une
soirée avec Carmelle amputée de sa nuit. Retour dans mon antre après quelques
bribes explicatives. Mes silences contrasteraient avec mes envolées
régénérantes du début, lors de la phase séduction.
Impression de me vider et de n’avoir plus rien à apporter, comme étranger à une
situation où devrait primer la complicité. Encore un lot d’occasions perdues
pour approfondir un lien avec une jeune femme de qualité. L’explication ne
s’impose pas : manque d’amour pour elle, désintérêt général pour l’humanité.
Vendredi 6 avril, 0h30
Puisque
l’occasion m’est donnée (par Ornelle) de fulminer contre un inconsistant dérisoire,
je ne vais pas bouder le plaisir belliqueux. Mon étudiante préférée me confie
que le rasibus en phase de dégarnissement
de l’occiput, le peu philosophe et triste pitre Pascal, me voue une haine
rentrée du fait de mon contact complice maintenu avec la demoiselle. Je suis
soupçonné du stupre le plus infâme par cet hystérique hypocrite. Le
gesticulateur dégonflé avait eu, par un hideux hasard, la belle Ornelle comme
petite amie, trois ans plus tôt, et il ne peut se résoudre à avoir été
aujourd’hui rabougri à sa plus terne réalité. Le voilà s’érigeant matamore
d’arrière-cuisine sans oser me dire en face sa façon de fumer du cortex lors du
repas partagé chez les Cargeaud Toute cette angoisse supplémentaire que je procure au
court-sur-pattes lunetteux me réjouit d’autant plus que le bougre raseur a théoriquement une petite amie, mais
qu’il ne peut s’empêcher de coller Ornelle,
malgré sa tête de moins. Finalement, ce défoulement pamphlétaire me permet de
compenser l’impression d’être sali par les inconséquences du nabot faible en
gueule qui se permet des interprétations de comptoir sur mon comportement. Un
bon poing dans sa mièvre tronche, pour lui rentrer ce feuillet vitriolé au fond
de la gorge, parachèverait ma démarche et soulagerait ma fureur cataclysmique.
Exit le foireux !
Dimanche 8 avril, 0h40
L’humour
décalé, absurde et gestuel d’Erik & Ramzi me va parfaitement. Dans La Tour Montparnasse infernale ils
laissent exploser leur talent au style singulier. Cela faisait longtemps qu’un
film comique ne m’avait pas emporté à
ce point. La salle semblait en majorité ne pas accrocher à cet humour tout en
jeu subtil, en petites touches gestuelles, malgré les apparences tarte-à-la-crème. Le duo comique
fonctionne à merveille, tout comme celui d’Elie & Dieudonné, rapidement
interrompu. Espérons qu’ils tiennent plus longtemps. Un moment cocasse :
la brute décharnée Joey Star, rappeur entre deux coups donnés, a un petit
rôle... de flic. Avec ses frisettes desséchées, ses bras maigres et son sourire
ferraille, il fait pitié.
Appel
rapide de Carmelle. Tout va bien dans sa campagne. J’espère ne pas la perdre trop
vite.
Mercredi 11 avril, 0h30
L’éloignement
d’une semaine n’aura pas eu lieu, pour la plus agréable exaltation partagée de
lundi soir à mardi matin. Carmelle m’a retrouvé chez moi : renaissance d’une
complicité gourmande. Dîner dans un douillet restaurant marocain avec couscous
et vin rouge du pays, retour en amoureux et à pieds de la place de l’Europe à
mon antre (cent mètres environ) et nuit de délices renouvelés. Elle entre dans
sa phase de révisions et sera donc moins disponible les semaines à venir.
Confirmation
d’un week-end de Pâques chez Shue et John à Lutry, en Suisse. Je verrai
certainement la fervente Marie qui a répondu cinq pages à mon envoi par e-mail
d’extraits écrits en boîte.
Message
tél. de Heïm hier avec une réf. à mon projet d’édition du Gâchis. Advienne que pourra...
Mardi 17 avril
La
villégiature studieuse chez Shue et John s’est parée de douceurs complices.
Face à nous, Lac Léman et Alpes françaises, malgré la grisaille persistante (un
bleu à baver ce matin, grrr...), ont participé au bien-être ambiant. Une moitié
de thèse sur pied, et le reste à concocter avant septembre prochain :
l’été de Shue s’annonce chargé.
Lundi
soir, dîner partagé à quatre, la pieuse Marie étant conviée à déguster un
succulent plat iranien de facture Shuyenne.
Echanges fructueux, notamment sur ma « gourmandise charnelle » immorale
aux yeux de Marie (je lui avais prêté, pour la durée du séjour, l’exemplaire de
mon Gâchis). Des raisonnements tout
en finesse, mais révélateurs de démarches existentielles antinomiques.
Peu
après la visite, en fin d’après-midi, d’un couple ami d’John et d’une jeune
femme récemment séparée, collègue professionnelle, j’ai pu à nouveau apprécier
la justesse acérée du sens psychologique de Shue sur cette dernière : un
portrait sans concession, touchant au cœur la flopée de défauts de cette
extravertie sans gêne à la féminité anéantie.
Eu
Carmelle au tél. Finalement, ses parents sont bien partis en voyage et elle peut
organiser une petite fête dans le domicile familial. Rapports normalisés entre
nous dans un désir renouvelé de se revoir. Je la retrouverai demain soir pour
une faim démultipliée après quelques
jours de « continence » (terme employé par Marie pour définir l’un
des devoirs établis dans la communauté qu’elle s’apprête à intégrer, pour une
durée limitée, en fin de mois).
Contact
tél. prévu cette semaine avec Heïm à propos de mon Journal. Confirmation du projet d’édition, initialement prévu en
octobre 2000, ou annulation ? L’occasion, sans doute, d’éclaircir
l’impression d’une distance prise de mon côté. Peut-être une mini catharsis en
perspective...
Lundi 23 avril, 0h15
Agréables
moments avec Carmelle. Découverte du seul restaurant syrien de Lyon. Des échanges
verbaux parfois vifs, en profondeur, mais avec l’objectif de valoriser et de
conseiller au mieux. Ses analyses touchent souvent le cœur du problème, bien
qu’elle ne connaisse presque rien de mon passé. Ma distance prise avec les gens du Nord, notamment, la choque (Heïm
ne m’a pas rappelé), mais je n’ai nulle envie de replonger dans ces crises
pseudo-cathartiques dont j’ai fait le tour.
Je
voudrais simplement que leur position face à mon Journal soit claire et non vaseuse comme depuis des mois. Je vais
passer outre et m’adresser aux maisons parisiennes. Chance infinitésimale, mais
j’aurais au moins essayé.
Les
magistrats poursuivent leur chasse aux pontes politiques. Le dernier gibier en date, pour reprendre le terme
du chassé lui-même : la vieille
bête Pasqua et ses financements dits douteux. A voir ses amis mécènes corses,
la caricature ne pourrait pas mieux les dépeindre : la mimique mafieuse,
l’assurance de parade, la douceur suspecte ; la panoplie se déploie avé l’accent chantant.
Mardi 24 avril, 0h30
Mon
côté pôple a décidément du mal à
croître. Vu, chez PPDA, le pdg
Riboud fils défendre, avec intelligence, les mesures de plans sociaux prises. Face
à l’hystérie des braillards, des réflexions justes, pleines d’humanité, mais
réalistes dans le marché mondial dans lequel évolue le groupe Danone. Franck
Riboud a rappelé la qualité première du chef d’entreprise : savoir
anticiper pour éviter qu’une situation confortable ne se transforme en gabegie
lamentable. Du temps et des moyens : voilà ce qui permet de ne laisser
aucun des salariés visés par le plan social sur le bas-côté, sans espoir de retrouver
un emploi. D’un côté l’humanisme réaliste, de l’autre l’utopie revendicatrice
et agressive.
Mercredi 25 avril, 0h30
Vu ce
soir, en avant-première, en compagnie charmante de Carmelle et de son amie Samia, La vie fabuleuse d’Amélie Poulain. Chef
d’œuvre en tout ce conte d’amour, rafraîchissant par la beauté d’âme qui s’en
dégage. Tout en nuances, ce film illumine d’un bout à l’autre, sans une once de
graisse. Les pastels enchanteurs, les détails de chaque plan, les ricochets
singuliers d’éléments voués à autre chose, toutes ces qualités et mille autres
contribuent à la dimension majeure de ce film promis à une belle moisson de
Césars, à défaut d’avoir été retenu pour la sélection cannoise.
Nouvelle
étape d’existence confirmée par un appel inattendu : mon père qui reprend
contact après plusieurs mois de silence et une lettre jamais envoyée (et sans
doute jamais écrite). Plaisir de l’entendre et stupéfaction (quoique cela
germait à petit feu en moi) lorsqu’il m’informe d’un entretien avec Heïm
quelques semaines avant, lequel lui a révélé sa décision de ne pas publier mon Journal ! Si ce n’est pas de la
trahison affective, ce n’en est pas loin. Heïm qui m’adressait encore la
semaine dernière un message m’affirmant que ce projet n’avait pas fini aux
oubliettes, n’a pas eu la délicatesse de me donner la primeur du refus !
Me voilà fixé pour l’avenir qui se fera d’autant plus méfiant à l’égard de
l’humanité.
Je ne
renie évidemment rien du bonheur partagé, de la complicité intellectuelle sans
pareille, des apports multiples et des engagements existentiels, mais un pan de
trente ans va s’éloigner.
Avec
mon père, les relations vont sans doute se restaurer dans une transparence plus
saine. Le voyage à Tours en serait le terrain propice, dans un hommage à ma
grand-mère paternel. Je le remercie, en tout cas, du choix de ne pas me cacher
cette discussion qui n’a fait que confirmer mes mauvais présages.
A moi
de me battre pour que ces écrits trouvent d’autres interlocuteurs éditoriaux
qui les feront sortir du milieu confiné des petits carreaux. Et même sans cela,
leur simple dimension manuscrite me comble : traces de cette
insoupçonnable trajectoire dont un acte vient à nouveau de s’achever.
[E-mail
à Marie]
25.04 à 21h40
Très touché par tes mots, tes confidences intimes sur ton attente
du grand amour.
Je suis toujours partagé quand je te lis : tellement proche de toi
pour certains des grands principes que tu défends, mais totalement imperméable
au filigrane religieux... j'en suis désolé, mais je suis inébranlable sur ce
point.
Pour ta conception d'une découverte charnelle devant être
ultérieure à la complicité intellectuelle, je ne suis pas sûr que cela
garantisse le succès. Mon histoire avec Sandre est là pour en témoigner :
symbiose spirituelle (avant toute relation sexuelle) qui ne sera pas suivie par
la même entente dans la quotidienneté partagée.
Veux-tu que j'aille me renseigner pour les éditeurs religieux ?
Au plaisir renouvelé de te lire. Je t'embrasse.
Jeudi 26 avril
Reçu,
ce soir par e-mail de Heïm une synthèse de la dégradation de sa santé :
très impressionnante, elle justifie son impossibilité de m’appeler comme
convenu. Soit.
Tout à
fait peiné de ces maux terribles, mais cela ne m’explique toujours pas cet
appel à mon père en négligeant de me faire part de sa décision. Je ne vais pas
m’évertuer à cureter plus loin ; j’enverrai mon souhait affectif de prompt
rétablissement.
Appel
d’Aurore pour avoir de mes nouvelles. Elle sort d’une période de grave
dépression et suit une psychothérapie. Décidément, je suis entouré de gens se
faisant inspecter le cérébral alors que je m’obstine à l’auto-analyse.
Lundi 30 avril, 0h30
J’évoquais
la normalisation de mes rapports avec
Carmelle : la coloration diplomatique du terme préfigurait une prochaine
détérioration. Après une soirée écourtée à l’auditorium, un bilan
s’impose : nos états psychologiques dégradés ne permettront aucune
harmonie pérennisée. Nous décidons de ne plus nous voir jusqu’après ses examens,
pour ne pas surajouter un traumatisme de plus. Pour ma part, j’opte déjà pour
une conversion amicale. D’une histoire l’autre, le rythme de fuite ne favorise
pas la sérénité. Le fallin’ in love again,
pour paraphraser le titre d’une chanson, je le pratique avec acharnement,
étonné par ma capacité à évacuer sans
attendre la relation inaccomplie pour tenter la fructification d’une nouvelle.
Je frôle parfois le chevauchement de ce qui est pour moi, mentalement, la succession
distincte de deux histoires.
Mardi 8 mai, 0h30
Après
une conversation avec Heïm la semaine dernière, et un e-mail m’exposant les
diverses positions, confirmation que le Gâchis
ne sera pas publié par les gens du Nord.
Avec toute la diplomatie affective qui convient, Heïm m’a bien fait passer le
message. L’intérêt stratégique personnel n’existe plus suite à un abandon de
toute carrière universitaire ;
en fait, et c’est bien normal, je ne suis plus une priorité. Le rapport reste
tendre, mais la distance est indéniable. À moi de trouver une autre voie
éditoriale pour exister.
Doux
moment avec Ettéragram à Rive de Giers, une ancienne ville minière aux
grisailles tristounettes. Je dois l’accompagner le 9 juin à un mariage. Là
encore, je ne ressens pas plus qu’un attachement affectivo-sexuel. Terrible
tournure de mon caractère. Entre idéalisation sclérosée et goût de la
séduction, je ne me prépare pas de stabilisation sentimentale.
Ornelle,
chez qui je déjeune ce jour, s’inquiétait de mon actualité de cœur, elle-même
ayant trouvé l’âme sœur... parisienne chez un journaliste-présentateur sur lci. Que le bonheur soit avec elle...
La fosse scorie sur M6, que je fuis comme une
purulence malodorante, déchaîne les médias et galvanise les téléspectateurs. Nouvelle
illustration de la profonde connerie humaine.
Jeudi 10 mai, 23h
Pour
les vingt ans de l’accession au pouvoir de feu Mitterrand, j’ai suivi avec
délectation les deux derniers numéros de Conversations
avec un Président réalisés par Elkabbach. Quels que soient les désaccords
idéologiques ressentis, on ne peut qu’être séduit par la finesse intellectuelle
de l’homme et du chef d’Etat en pleine possession de sa fonction. Une telle
dextérité, alors que la maladie le tenaillait, force le respect.
Autre
grand plaisir pour l’esprit, La Grande
Parade de Jean-François Revel. Capacité implacable et brillante à démontrer
et démonter la tentative insidieuse de réhabilitation de « l’utopie socialiste »,
après sa condamnation sans appel par les faits du communisme, par le lynchage
du libéralisme.
Deux
personnages que tout oppose, mais dont l’intelligence respective réconcilie
dans la jubilation procurée.
Plus
factuel, mais non moins agréable, j’ai déjeuné ce jour avec Ornelle. Elle semble
bien accroc à ce Jean-Maurice P. de lci,
et je ne peux que lui souhaiter le plus enivrant des bonheurs. Au cours de nos
échanges, elle évoque notre première rencontre
dans le bus nous menant à Saint-Cyr : elle fut assez rapidement persuadée
que j’étais le « jeune » professeur venant l’éclairer en français.
Pour ma part, je n’osais croire que cette magnifique jeune femme m’était pédagogiquement destinée. Il faudra le
terminus pour que l’on échange nos identités. Très édifiant témoignage d’Ornelle qui me restitue ses pensées et attitudes d’alors, un cinéma (comme dirait Bedos) au moins aussi conséquent que celui que
je m’étais échafaudé. Bien agréable moment évocatoire partagé. J’espère suivre
cette jeune femme encore longtemps, même si ce n’est que cordialement.
Au
hasard d’un passage à la gare de La Part-Dieu, je croise Valérie, amour
éphémère déçu. Quelques mots échangés, tout en banalités. J’aurais peut-être
mieux fait de jouer l’indifférent plutôt que d’exciter une déception encore
fraîche.
Je
reçois Ettéragram demain soir pour, sans doute, de très doux moments avant de
filer, le samedi matin, en vue des retrouvailles avec mon père.
Avant
les songes, retour à Revel et à son nourrissant essai.
Dimanche 13 mai
De
retour de Paris. La réconciliation avec mon père a eu lieu. Voyage à Tours via
le château du Plessis à Limeray, où je suis né. De fortes émotions sont
revenues en lui, retrouvant là et à Tours les années de son adolescence et de
ses engagements auprès de Heïm Le dialogue, notamment place Plumereau, a
complété l’affaire du Gâchis et de sa
non publication par les gens du Nord.
Heïm l’a appelé spécifiquement, il y a quelques semaines, pour lui annoncer
qu’il ne publierait « jamais » mon Journal, car « je n’avais rien compris ». Voilà un
virement de position réalisé dans mon dos, et avec une justification pour le
moins elliptique. Qu’y avait-il donc à comprendre de plus que ce témoignage
dans le vif d’un engagement ? Cette volte-face, en contradiction avec le discours
qu’il m’a tenu affectivement, me révélerait-elle une manipulation de bout en
bout ? Je me suis engagé de tout mon cœur, et avec loyauté, et c’est moi
qui n’aurait rien compris ? Ce Journal
s’achèvera avec ma mort, qu’il soit ou non publié, et c’est sa perspective
globale qui vaudra sur les gens croisés avec plus ou moins d’application.
Ainsi, toujours d’après les termes rapportés par mon père, Heïm estime que les
quelques critiques émises sur mon père relèvent à nouveau d’une crétinisation
(le mot est de mon choix) inconsciente de ma part. Je n’oublie pourtant pas les
centaines, voire milliers d’heures, depuis quinze ans, où Heïm a piétiné
allègrement l’image de mes parents. Là encore, ne fallait-il y voir que du conditionnement
stratégique ? Ce sacro-saint intérêt de la famille dite affinitaire, on
voit ce qu’il en reste aujourd’hui, valait-elle ces sacrifices ? Le Sacrifice exemplaire aurait-il été un
meilleur titre pour mon premier tome ? ! Je tiens à réaffirmer ma
capacité à faire des choix : cet exil lyonnais en est un tout autant que
le fut ma prise de gérance. Je n’ai donc pas à minorer ma responsabilité, à la
différence essentielle que d’autres, les Leborgne, Rentrop et Alice notamment,
se sont carapatés comme des lachtouilles inconséquentes. Moi je me suis battu
et, finalement, j’ai évité le pire à la mesnie
moribonde.
Infiniment
plus dérisoire, mon père m’apprend aussi qu’au cours d’un entretien envenimé
avec Bruce, celui-ci lui a déclaré que mon Journal
« c’est de la merde ! », mais que lui, parangon de
l’opportunisme inefficace et de l’inanité existentielle, lui, l’analphabète,
prépare... son autobiographie qui, elle, marquera l’histoire littéraire et le
monde de la pensée ! À hurler de rire avant de laisser ce triste dérangé.
Je croyais que son côtoiement de la religion lui aurait apporté le sens de la
loyauté et de la mesure... foutaise encore une fois. Moi, je n’oublie pas son
acte de vandalisme contre ma première tentative de tenir un journal :
pages déchirées et détruites par le gonflé du citron qui va nous pondre des
merveilles... J’arrête là mon cynisme, car le visé n’en vaut pas la peine.
Acquisition
d’un remarquable ouvrage sur Dalí, rassemblant toutes
ses œuvres. Un talent génial dont les titres de toile me font parfois penser à
ceux, loufoques, de Satie...
mardi 15 mai, 1h15
L’Académie
française n’accueille pas que des pontes littéraires ankylosés, ou tout du
moins rétifs à l’anticonformisme. La verdeur démonstrative de Revel en
témoigne. La Grande Parade, que je déguste
dans les transports, fouille le sujet sensible de l’horreur communiste (pour paraphraser Forrester) avec une
efficacité argumentative de très grand talent. Revel va jusqu'à démontrer,
textes à l’appui, les intentions de génocide inscrites dans les textes fondateurs
du socialisme via Engels, Marx, Lénine, etc. Je ressors conforté dans une
position maintes fois défendue, mais sans tout cet arsenal référentiel qui
prouve sans conteste que communisme et nazisme sont tout autant responsables de
crime contre l’humanité.
23h30. Alors que d’aucuns
s’avachissent devant l’inanité récurrente du Loft, sorte de régression crétino-banale de la téléchions, j’entame dans quelques
lignes la dernière page du Manus IX en inspirantes compagnies : entre
Revel et Dalí, le cortex jubile.
J’évoquais
les titres déjantés du peintre. Ainsi une toile de 1932 force le respect de
l’allumé talentueux : « Pain français moyen avec deux œufs sur le
plat sans le plat, à cheval, essayant de sodomiser une mie de pain portugais ».
Oublié
de noter mon entrevue à Paris avec Aurore, toujours amoureuse de son grec, une
aura persistante, mais un visage lourd d’une dépression encore fraîche. Elle
tente la (pseudo) thérapie du magnétisme. A trois cent trente francs la séance,
non remboursés bien sûr, elle semble persuadée de l’effet bénéfique, mais malheureusement
à durée très limitée (deux-trois jours tout au plus) de ces entrevues manipulatrices. Le ponte magnétique lui
a précisé que le traitement serait
probablement long... L’inspiration knockienne
de la déclaration ne fait aucun doute et présuppose, sans doute, le triomphe de
l’escroquerie parallèle.
Engels
préconise, en 1849, l’élimination des Hongrois
en combat contre l’Autriche, et Marx, dans Sur la question juive, estime l’idéologie communiste capable
d’instaurer « l’organisation de la société qui ferait disparaître les
conditions du trafic et aurait rendu le Juif impossible ». N’est-ce pas le
programme réalisé imparfaitement par Hitler ? La puissance de l’essai de
Revel tient à ces multiples références, sans énervement littéraire, qui
stigmatisent de façon définitive l’ignominie idéologique du communisme et de
son cousin par alliance et affinité, le socialisme.
Vendredi 18 mai
Hermione
fait son chemin. Sculpteur de grand talent, ses œuvres sont présentées du 3 mai
au 30 juin à la galerie Antiquaire Drouot, « à proximité de la plus
prestigieuse salle des ventes de France » comme le souligne le carton reçu
hier. Voilà un parcours artistique assez récent qui prend bonne tournure et
j’en suis ravi pour elle.
De mon
côté, le décollage se fait attendre. J’envoie la semaine prochaine quelques
extraits de mon Gâchis aux plus
grands éditeurs... pour voir.
Ornelle enivre toujours autant par sa pétillance. Après la mise au point, à deux mains,
du plan détaillé d’un sujet de philosophie (« Pourquoi cherche-t-on à
comprendre notre passé ?), elle me montre l’enregistrement sur lci du charmant jeune homme rencontré.
Le tous-pourris est-il si abusif lorsqu’on
veut dépeindre les mœurs économico-sociaux en politique ? Le Flock
Prigent, ancien pdg d’Elf,
facilite la simplification : les commissions occultes et les emplois fictifs
ont été en usage sous tous les présidents de la Ve qui avaient annuellement
connaissance de la liste des favorisés, de cette nomenklatura illégale. Les
pratiques touchaient toutes les entreprises publiques qu’il a dirigées (la sncf, par exemple) et tout le personnel
politique en a profité plus ou moins directement, ou tout au moins en avait
connaissance... Quel panorama !
Dimanche 20 mai, 23h50
Ettéragram
m’a rendu visite samedi soir et la complicité s’est renouvelée. Passage éclair
au 42, bar, quai de Saône, découvert
en 99 avec Jacques, le naze royal. Rien de bien transcendant, mais douceurs et
coquineries partagées. L’essentiel d’une bonne entente ne faiblit pas et les
qualités de la demoiselle se confirment.
Un
dimanche physique chez les Cargeaud, avec
une Ornelle encore plus attachante qu’à l’accoutumée, probable conséquence de la mauvaise
tournure que prend son amorce d’histoire avec le journaliste de lci.
Mardi 22 mai, 23h50
Lors
de mon intervention de ce matin auprès d’auditeurs (selon le jargon requis) en
bac pro, lecture de quelques passages tonitruants du Voyage au bout de la nuit (dont le manuscrit vient d’être acheté
douze millions de francs !). Quel flot véhément pour rendre compte des
conditions innommables de détention dans les camps de prisonniers durant la
guerre (scène du « communisme dans le caca ») ou de la manipulation
du peuple par les dirigeants post révolutionnaires. Ma voix, dans la fureur
passionnée du ton adopté, semblait épouser sans effort les exclamations et
interpellations céliniennes.
L’affaire Ornelle-jmp ne s’arrange pas. Le
journaliste semble hostile à toute conversation de fond et ne tient pas ses
engagements de rappeler. Une muflerie à doses homéopathiques certes, mais qui
laisse Ornelle avec le sentiment d’avoir été bernée. Elle devait insister pour une
catharsis téléphonique ce jour. Comment peut-on se montrer d’une telle
inconséquence avec Ornelle ? Mon parti-pris n’arrange pas l’analyse, mais je
ne supporte pas qu’elle soit malheureuse. Comme un instinct de protection.
J’ai
confié l’affaire à Ettéragram qui suspecte jmp
de vouloir laisser pourrir la
situation par le silence. Un manque de courage allié à une conception infantile
des rapports humains.
Jeudi 24 mai, 22h30
Depuis
Fontès. L’inspiration a eu plus de consistance en ce lieu. Me voilà à chercher
phrases et idées dans une déambulation intellectuelle sans accroche.
La
normalisation, voire le redécollage des relations Ornelle-jmp m’ont été annoncés par un message sms via mon portable par la demoiselle.
Un emballement, de ma part, sans doute disproportionné. Voilà une saine remise
dans l’ordre des choses.
Bonne
première journée, avec ma mère et Jean, dédiée à l’activité physique :
tennis sur court et faux dans le jardin. De très judicieux conseils de maman
pour ma lettre aux éditeurs parisiens. Lors d’un échange avec Jean sur la
première page de l’extrait sélectionné, et notamment celui tournant en dérision
les pseudo-interrogations métaphysiques (« où cours-je et dans quelle étagère ? »),
trouvaille d’un sous-titre déjanté pour le Gâchis : La courge dans l’étagère...
Ma
grand-mère, qui aura 89 ans en septembre, semble aller plutôt bien, se
permettant même de grimper jusqu’au premier étage de la maison. L’entraînement
obligatoire contribue peut-être à ce dérouillage : l’ascenseur de la
maison de retraite ne répond plus depuis plusieurs jours.
Vendredi 25 mai
Salve de
critiques sur l’intérêt qu’un tel Journal
(le Gâchis) puisse être publié, alors
que mon anonymat m’enterre préalablement, sur le manque de consistance des personnages qui le peuplent (une focalisation
interne à l'extrême), une correspondance lassante... J’ai suffisamment pratiqué
l’autocritique dans ces pages pour que plus rien ne puisse m’affecter. Je ne
changerai pas d’un iota ma première tentative de contact auprès des grands éditeurs. Un pour cent de chance
qu’une réaction positive en émane, mais la démarche aura existé. De là, j’en
viendrais peut-être à tout modifier, et à faire un roman-journal... Je
persisterai, quoi qu’il arrive, à m’adonner à cet instantané littéraire, comble
de l’égocentrisme misérabiliste. Les fresques m’indiffèrent...
Toujours
un moment émouvant de raccompagner grand-mère dans la demeure des retraités. On
la sent au bord des larmes à chaque fois. La pensée de la dernière entrevue
plane logiquement.
Après
quelques instants de réflexion : reprendre toute cette matière brute, distinguer
ce qui pourrait relever de la narration de ce qui appartient en propre à des
réflexions. De là, lier les éléments
de la narration pour leur insuffler une cohérence et une accessibilité, en
ajoutant les analyses nécessaires pour que les personnages trouvent leur épaisseur physico-psychique, et
réintégrer à la trame narrative le Journal
ou la correspondance du personnage principal (moi, en l’occurrence) composé des
passages les plus significatifs. Plus du fignolage littéraire dans ce cas, mais
du gros œuvre...
Jeudi 31 mai, 0h40
Les
grosses chaleurs pourraient justifier mon peu d’entrain, mais j’y décèle une
plus profonde cause. Ce choix d’un exil sans construction dans cet ailleurs, et
ce tant que la promise incertaine ne se révélera pas à moi, favorise la nécrose
existentielle sans quête d’une plus enthousiasmante perspective.
Finalement,
revenu à mon isolement premier avec, en prime, une carence en idéal.
Mercredi 13 juin, 1h30
Plus
grand chose à inscrire : la désertification relationnelle suit son cours.
Après un voyage avec Ettéragram aux environs de Grasse, le week-end dernier,
décision, provoquée par mes soins, de cesser cette relation.
Après
aveu de mes sentiments à Ornelle (confirmation pour elle) en forme de soulagement
sans illusion, je sens poindre une distance que je ne chercherai ni à atténuer,
ni même à analyser.
Un
vide généralisé donc, qui n’appelle plus de moi aucun épanchement. Un
avant-goût de néant qui s’imposera outre-tombe.
Jeudi 14 juin, 0h50
Un
refuge spirituel de taille avant de laisser mon cérébral pondre ses crottes
oniriques : Nietzsche. Quelques pages de sa Généalogie de la morale pour creuser les origines des notions du
bien et du mal. À la fin de son avant-propos, le penseur allemand doute de la
lisibilité de certains de ses écrits, notamment ceux constitués d’une suite
d’aphorismes. Il décèle une tare de taille dans la démarche intellectuelle de
chacun : l’absence de « rumination » de la pensée ingurgitée.
L’aphorisme est la partie conviviale (donc émergée) de l’iceberg dont il faut
reconstituer le corps pour en saisir toute l’amplitude et la profondeur. Zarathoustra reste ainsi dans l’ombre
pour ses neuf dixièmes.
E-mail
de Shue (je suis invité un week-end du début juillet) qui m’apprend que la
fervente Marie s’est bien plu dans la communauté intégrée et qu’elle va
probablement y rester. Je lui souhaite bien sûr tout l’épanouissement escompté.
Vendredi 15 juin, 1h30
Je
m’accorde des journées-farniente au parc de la tête d’Or, à lire sous les
rayons quelques rapports de stage d’étudiants gaco
(soutenance la semaine prochaine), des textes littéraires et poésies pour des
préparations à l’oral de français et la fin de l’efficace Revel.
Eu la
joyeuse et revigorante Marie-Louise avec qui je vais former le jury pour deux
soutenances lundi prochain. Elle a cette finesse intellectuelle qui renouvelle
chaque instant partagé. Quel dommage qu’elle ne corresponde pas à mes goûts
physiques... encore que de jolis atours ne manquent pas... mais je ne me sens
pas transporté... Incurable caractère
d’insatisfait que le mien. Je mérite bien ce célibat forcé.
Vu une
bonne partie de l’émission réalisée par Ardisson sur Gainsbourg, quinze ans
après sa mort : quel prolifique créateur, élégant et désespéré de cœur,
courageux (cf. son concert devant les paras à Strasbourg...).
Jeudi 21 juin, 0h30
Retrouvailles
et conversion à l’amitié affective ont permis de revoir Carmelle dans d’idylliques
conditions de complicité. Avec deux de ses amis, une soirée gourmandise de la chair au Resto-boucherie dans le vieux Lyon. Un
morceau du boucher d’une finesse exceptionnelle, le Merlan, saisi et agrémenté
d’une sauce Saint-Marcellin. Délice !
Comme
un écho préalable de l’harmonie cultivée : le déjeuner lundi dernier avec
la brillante Marie-Louise. Un désert sentimental compensé donc par de vraies
accroches humaines.
Dimanche 24 juin, 2h du mat.
Le
culte du désert affectif s’intensifie. Passons sur les gens du Nord qui
n’évoquent plus qu’un souvenir détaché. Face à la trahison, je n’ai plus aucune
motivation pour me manifester. Je vise là, bien sûr, le noyau dur restant d’Au,
mais mon retrait, mes silences se sont étendus.
Quelle
écriture de merde depuis quelques temps. Du truisme sans relief ce
pseudo-journal aussi je devrais l’abandonner. Sans intérêt.
A
Lyon, l’isolement n’a jamais été aussi prononcé. Aucune amitié véritable, aucun
amour en vue, aucune affinité de quelque sorte. Je me coupe du reste du monde
dans un masochisme autodestructeur. Rien à construire, nib à laisser, je suis
déjà crevé, bouffé, anéanti.
Mes lectures
compensent un peu cette non-vie.
Jeudi 28 juin, 0h23
Rythme
écartelé dans le suivi de ces pages, conséquence d’une existence de reclus
volontaire qui n’offre plus d’attrait pour la plume.
Pas
mécontent de ma prestation téléphonique de ce soir faite à Elamine, l’étudiante
en puériculture de 26 ans rencontrée au parc. Après une nuit partagée le
lendemain soir, je me devais d’éclairer la jeune femme sur les possibles à
entrevoir avec moi. L’impossible dimension sentimentale réduit la perspective à
la simple relation amicale et/ou au partage charnel. Je me forge peu à peu une
facette caractérielle d’insensibilité à l’autre. Les désillusions sur celles
qui auraient pu m’accrocher m’incitent à creuser la fosse protectrice entre moi
et l’alentour. En même temps, je sais apprécier et analyser avec moult détails
la teneur de mon goût sexuel pour tel ou tel aspect de la femme. Ainsi, Elamine m’a offert un antre de la plus fine espèce pour y plonger de tout son visage,
s’y frotter, la laper... rien de commun avec Ettéragram qui puait la femelle, même au sortir de la
salle de bain. Elamine semblait très étonnée qu’on puisse être aussi transparent à son égard, elle qui n’eut
jamais avec son ex de telles conversations.
Pour
ma part, cela fait belle lurette que la décence m’apparaît comme un
tortillement hypocrite d’une société coincée. Aucun terme, aucune démarche
intellectuelle ne m’effraie, je reste curieux a priori.
L’université
de Lyon III fait encore parler d’elle comme favorisant les réseaux
d’extrême droite en son sein. Sa direction vient toutefois d’annuler le mémoire
du « révisionniste » qui avait obtenu la mention très bien. Une façon
commode pour tenter de se racheter une virginité idéologique.
Mardi 3 juillet
Les
deux étudiantes que je suivais en philo, d’assez près pour Anne B. et
d’assez loin pour Ornelle, ont eu leur bac avec un onze dans la matière, ce qui les
a pleinement satisfaites. Je serais peut-être invité demain pour fêter
l’événement dans la famille d’Elo.
Aucun
allant pour le suivi de ces pages. Plus grand intérêt pour moi. Je me
dépassionne de tout ce qui pouvait un chouïa justifier mon existence, ou tout
au moins me la faire tolérer. Ma phase de liquéfaction s’amorce...
L’ordre
international prétendu nous propose une nouvelle guignolade : Milosevic au
tribunal. Combien resterait-il de dirigeants, au fronton de l’intégrité, sans
tache de sang si l’on devait poursuivre tous ceux ayant commandité des
meurtres, tueries, exterminations, ou ayant fait preuve de complaisance pour
ces actes... Même notre sympathique Chirac, attaqué de toutes parts via le
pouvoir judiciaire, n’a pas hésité, au nom de la sacro-sainte raison d’Etat, à
se rendre aux funérailles du criminel-dirigeant de Syrie... tout cela parce que
ce pays serait incontournable... Avec ces raisonnements on ridiculise
l’embryonnaire justice pénale internationale qui devient de pure convenance...
avec ses méchants et toute la clique
des intouchables. La justice pour l’exemple ne vaut pas mieux que les
exécutions sommaires. Le droit international n’étant pas le même pour tous, Milosevic,
probable sanguinaire et tout coupable qu’il soit, a eu raison de ne pas reconnaître
la légalité du tpi.
Vendredi 3 août
Un
mois tout juste d’abstention sans forcer. L’écriture ne m’a pas tenaillé et le
grattage aurait été pour la pure forme d’un rendez-vous littéraire factice.
Cette
reprise ne répond pas à une renaissante inclination. Peut-être laisser choir ce
témoignage d’une vie décalée qui n’a d’écho que pour moi et que l’alentour
décrédibilise (depuis les gens du Nord
jusqu’aux grandes maisons parisiennes).
Premier
jour d’un petit passage à Fontès. Ma chère grand-mère malheureusement alitée
après sa chute lourde de casse pour sa hanche remplacée. Un air de marquise
avec ses cheveux blanchis (le coiffeur est impossible) et sa peau pâle.
Avec
mère et tante nous lui tenons compagnie quelques heures dans sa chambrette
surchauffée.
Une
étincelle récente sur le plan sentimental : Elen, rencontrée au parc
lyonnais, monopolise mes pensées. Malgré des univers existentiels très différents,
nous nous retrouvons pour la complicité et la douceur. Une amorce à suivre et à
pérenniser.
J’écris
tordu et de côté dans un petit lit, d’où ma calligraphie très approximative.
Comme
désormais chaque été, mes lectures se résument à la dizaine d’ouvrages au
programme des médecines et pharmacies. Le sang, son histoire et sa
symbolique, ouvre de riches réflexions pour les étudiants de Grange Blanche.
Si
l’invitation pour Royan a été confirmée par Sally, je n’ai aucune envie de
rendre visite aux gens du Nord. Le
discours tenu par Heïm m’apparaît de plus en plus comme une trahison affective
et intellectuelle. Après les promesses et mon investissement en temps qui en a
résulté, je ne digère pas les rodomontades pseudo-stratégiques d’un revirement
absolu quant aux engagements éditoriaux pris.
Samedi 4 août, 6h30
Il est
temps que j’intensifie ma purge existentielle en forme de psychothérapie
littéraire. Le sale rêve de cette nuit confirme le besoin.
J’ai
adhéré passionnément à la vie de Heïm dans ses choix fondamentaux. A 21 ans,
j’ai accepté des responsabilités qui me dépassaient dans l’implication
engendrée, même si j’en avais revêtu toute la panoplie juridique. Je n’ai
évidemment pas maîtrisé ce qui, en titre, devenait mon affaire. Heïm restait
d’une influence déterminante sur le plan éditorial, sur les grandes
orientations, et pratiquait l’art de l’horizon idéal vers lequel, dans le
charbon, nous (Alice et moi devant) devions tendre ; cela lui permettait
de dénoncer par avance les travers dans lesquels ne pas sombrer et d’apparaître
naturellement comme le sage ayant eu raison.
Si
j’avais eu la poigne, la légitimité et l’autorité nécessaires sur tous les
cadres plus âgés que moi dans cette entreprise (notamment des services
littéraire et commercial) j’aurais, au premier signe négatif (et j’en ai eu de
nombreux perçus comme tels en conscience, mais qui n’ont pas entraîné de
réelles mesures), imposé un ralentissement de l’activité, avec une réflexion
très poussée sur la viabilité d’une telle activité rendue de facto quasiment
industrielle. Mais voilà : je n’avais pas le pouvoir de prendre cette
décision car, derrière, tout un système de vie en dépendait. Le train lancé
devait continuer son accélération, même si cette endurance reposait de plus en
plus sur des artifices bancaires (découverts et lignes d’escompte). Là est le nœud
du problème, au-delà des incompétences évidentes de chacun.
Très
vite, voire dès le départ, mon rôle de gérant n’a pas consisté à diriger une
activité, lancée pour des impératifs étrangers à la bonne santé de
l’entreprise, mais à maintenir sur les rails coûte que coûte une carlingue
branlante à l’effondrement inéluctable. Une saine gestion des affaires exigeait
des coupes franches dans le personnel et le remplacement de nombre d’éléments
de l’encadrement.
Dimanche 5 août, 0h30
Epoque
93-95 : gestionnaire des ruines fumantes.
Impliqué
à la façon d’un combattant palestinien du jihad, j’ai endossé diverses
responsabilités juridiques qui ne m’incombaient pas, ceci bien évidemment avec
la bénédiction de Heïm puisque cela servait l’intérêt du château. Je ne
regrette pas mon choix, signe d’une authenticité dans mes engagements d’alors,
mais éprouve une nausée lorsque j’entends rapporter la position de Vanessa qui
voit dans mon Gâchis un texte de
trahison, alors qu’il témoigne de mon parti-pris pour le château. Ma mise au
fronton des ruines s’est d’ailleurs concrétisée, entre autres décisions, par la
prise de présidence du gie
Logires, alors dirigée par la femme de Heïm précitée, avec la découverte d’un
bazar absolu sur le plan comptable (un carton-dépotoir pour l’ensemble des
papiers). La mise en perspective donne un contraste ahurissant.
23h05.
Mon détachement lyonnais répond à une lassitude de la vie d’Au rythmée par les
beuveries pseudo-cathartiques de Heïm au ressassement nauséeux des mêmes
rengaines éculées, aux saveurs perdues. Je croyais qu’une affection à distance
restait possible, elle se niche dans le fin fond, mais sans désir de suivi, de
contacts, même sporadiques. Aucun regret du vécu, mais le sentiment que tout ce
qui viendrait serait forcé, sans intérêt nourrissant. Je préfère ma condition
de reclus, à un partage du rabâchage quotidien.
Mardi 7 août, 22h45
Eu ce
soir Karl au téléphone. Je le retrouverai à Royan en milieu de semaine prochaine.
Il m’annonce « que je suis tonton » : Hubert vient d’avoir, avec
sa compagne, une petite fille née le 3 ou 4 août, Mathilde. Voilà qui me ravit
pour lui, mais qui n’évoque aucun sentiment de filiation pour moi. Depuis des
années, je ne partage plus rien avec Hubert ; nos relations se sont le
plus souvent résumées aux désaccords juridiques sur tel ou tel dossier. Je
trouverai hypocrite de laisser croire autre chose. Je ne suis même pas sûr de
le revoir un jour...
Plus
allusif, Karl s’enquiert de savoir si je compte me manifester pour
l’anniversaire de Heïm car je n’ai rien envoyé pour la fête des pères. Là
encore, des changements. Je n’avais aucune envie de me manifester suite à la
volte-face éditoriale. Je doute que Heïm perçoive bien la carte que je lui
enverrai pour le 12 août. Karl m’interrogeait-il de lui-même, ou sur
recommandation ? Le fait qu’il fasse référence à mon silence suppose que
des conversations ont eu lieu à ce sujet. Aucune envie de rentrer dans ces
débats. Je serai maintenant une carpe sur certains domaines. Seules ces pages témoigneront
de ma vision critique.
Mercredi 8 août, 23h20
Un
séjour assez bref à Fontès, mais riche d’occupations sportives (tennis, nage et
jeux de plage) et intellectuelles (synthèse d’ouvrages lus pour l’Institut Hippocus),
s’achève. Demain soir, je retrouve Elen à la gare de Lyon Part Dieu. J’ai tenu
mon rythme d’une carte par jour expédiée, mais la Poste semble avoir mal
exécuté son acheminement, pour changer !
Les
visites à grand-mère, immobilisée sur son lit, ont permis de la distraire un
peu, mais son manque d’appétit ne faiblit pas. En espérant que sa visite
hospitalière du 10 août apporte de constructives perspectives, sinon le moral
risque de se ternir fortement et la volonté de ne pas se rapprocher d’une vie
végétative conduire à un abandon psychologique.
Partage
de quelques bons moments sportifs avec Jim et quelques ados du village (Audrey,
Lucie...) sur le beau terrain de tennis du village.
Notre
cher Bébel national a été victime d’un problème cardio-vasculaire et son état
semble dégradé. Triste nouvelle d’un personnage attachant et ô combien marquant
dans notre cinéma. Les rédactions doivent s’affairer à préparer la nécro. Il rejoindra le Panthéon des
saltimbanques les plus appréciés : ceux qui savent nous distraire. Son feu
tuteur culturel, le bon Gabin,
l’attend certainement avec toute sa merveilleuse gouaille. Le vieux Delon
risque lui d’être bien affecté par cette disparition probable. Faisons un vœu
tout de même pour qu’il s’en sorte sans trop de dommages.
Annonce
de la sortie d’un album de Björk pour la fin août. Les yeux fermés (mais les
oreilles grandes ouvertes) je serai parmi les premiers acheteurs. Confirmation,
par certains qui ont travaillé avec elle, de sa personnalité attractive où se
mêlent une forte animalité et un charisme fascinant. Je le répète, mais voilà
une personne dont la rencontre me nourrirait.
Samedi 11 août, à Royan
La
distance prise avec les gens du Nord
ne doit pas entacher mon lien avec Sally, ni avec d’autres individualités.
C’est ce que ce séjour confirmera, je l’espère.
Un
début en douceur, accueilli par le très gentil père de Sally : un petit
gueuleton improvisé dans sa demeure, à minuit et demi, me familiarise avec
l’endroit.
Avant
mon départ, le passage chez Elen a été à la hauteur de la densité espérée.
Premier
jour tout en douceur à Royan. Nage le matin, sieste d’après repas bien arrosé,
farniente au soleil après dix-sept heures et dîner avec Sally, son papa, un
cousin, son épouse et leur fille (tous adorables).
Ma
communication littéraire se réduit à peu de choses impubliables, alors pourquoi
forcer ? Se sentir vide de tout, sans ambition, sans penchant à
construire, à capitaliser, absorber les instants comme autant d’ajouts
superfétatoires plus ou moins jouissifs : ma condition humaine se
rabougrit en involution. Le coche loupé, reste les rogatons meublant une suite
d’existence ternie. Un petit effort pour y croire encore tout de même. Elen m’y
aidera peut-être... Jamais je ne révélerai son existence à quelqu’un du
château, ou en lien habituel avec.
Marre
de ces fourches chirurgicales qui détaillent la moindre parcelle de la personne
choisie. Je ne veux plus d’ingérence, jamais ! Cela m’a trop coûté pour de
prétendus bonheurs que l’on me souhaitait. Foutaise ! Pour une mainmise
sur ma vie privée, plutôt ! Finish les sérénades cathartiques. J’assumerai
seul mes choix, sans influence d’aucune sorte.
De la
daube mes tentatives d’apporter une structure romancée à ce Journal. Je ne suis décidément pas fait
pour l’écrit d’imagination. Je ne vivrai jamais de ma plume.
Dimanche 12 août
Un
anniversaire : dix ans exactement que je tiens mon Journal. Je ne le destine à plus rien d’autre qu’être une trace
superficielle d’une vie en retrait.
Séjour
qui se poursuit agrémenté d’une douceur relationnelle. Corentin, Lydie et leur
fille Adèle s’avèrent de très agréable compagnie. Bien dommage qu’ils doivent
repartir dès demain après-midi.
Elen
au tél. Elle s’inquiète de mon absence pour son début de vacances. Je me sens
lié à elle et dois laisser fructifier cette relation sans trop me projeter dans
l’avenir. Ras pour le reste.
Samedi 8 septembre, 0h30
Est-ce
le signe monstrueux d’un rejet de l’humanité que de n’être affecté par plus
rien ? Je croyais fermement à quelque chose de durable avec Elen. J’ai
focalisé sur les quelques défauts, notamment sa manière peu gracieuse dans le
modulé de sa voix (à la manière d’Arletty), et je m’en suis ouvert à elle.
Révélation mal digérée, voilà deux jours que l’on a plus de contact (mes appels
de ce soir finissent sur un répondeur). Je n’en éprouve aucune peine. J’ai même
relancé au tél. Bonny pour qu’une rencontre puisse être programmée (rendez-vous
est pris pour mardi soir).
L’écriture
ne m’apporte plus de plaisir expiatoire.
Mercredi 12 septembre, 1h30
Le XXIe
siècle vient vraiment de commencer avec la disparition apocalyptique des deux
tours du World Trade Center et l’atteinte au Pentagone. Le terrorisme prend une
dimension effrayante. La vraie bataille à mener se cristallise contre ces kamikazes
islamistes. Choc international et traumatisme des Etats-Unis. À la mode
japonaise, mais avec des objectifs civils en ligne de mire, les avions-suicide
semblent inarrêtables. À force de
donner les bons et mauvais points, de soutenir puis de rejeter tel ou tel par
stratégie politique, le Gendarme du Monde vient de subir un terrifiant retour
de boomerang.
Jeudi 13 septembre, minuit quarante
Malgré
la fatigue, je ne peux m’abandonner au sommeil sans une pensée émue pour toutes
les victimes des « actes de guerre », commis sur le territoire
américain, et leurs proches. L’horreur absolue vécue par les passagers des
avions-suicide et par les personnes présentes dans les twin tours et au Pentagone ne peut qu’incliner à la compassion.
La
réflexion, plus historique, et moins affective, conduit tout de même à
souligner que les usa ont
probablement été victimes de la détermination de celui qu’ils ont grassement
armé contre l’urss vingt ans plus
tôt. Ironie cruelle d’un manque d’anticipation et inconscience de la politique
étrangère de l’époque.
Discours
du président Bush Jr sans intérêt, et certainement pas à la hauteur
de l’événement majeur, initiateur du XXIe siècle.
Samedi 15 septembre, 3h05 du mat.
Magnifique
soirée amicale et affective avec Kadya, connaissance de récente date, mais avec
qui une complicité s’est développée presque instantanément. Encore une beauté
d’âme salie dans sa jeunesse par des connards d’adultes. Son regard de chat, de
félin (l’iris de ses yeux est décoloré sur les bords, ce qui le rend plus fin)
m’émeut et m’incline à faire fructifier cette amitié. Etre présent si elle a
besoin de soutien et d’aide. En soirée très tardive, passage au Club 30 pour
écouter Bonny chanter : son et modulés exemplaires.
Avec
Elen les choses vont mieux.
Mardi 18 septembre, 0h30
Les
relais médiatiques persistent dans l’intensité de la relation des attentats.
Moi, je me vautre dans l’inconsistance.
Quelques
rêves avec les tours jumelles...
Mercredi 19 septembre, 23h45
Le
sacrifice d’innocents ne peut pas être tolérés, qu’ils soient ceux de New-York,
de Washington ou d’ailleurs. Il faut effectivement anéantir les réseaux
terroristes, mais cela ressemble plutôt à un vœu utopique. Beaucoup de
musulmans y compris, et peut-être surtout, ceux installés aux Etats-Unis, doivent
ressentir un profond malaise entre le rejet de cette violence meurtrière
aveugle et la compréhension des griefs contre la superpuissance qui ont amené
ces individus à de telles extrémités.
Je
songe à mes chroniques rédigées lors de la guerre du Golfe : ma critique
contre les usa devait rejoindre
celle des musulmans. A trop se croire Gendarme du monde, tout en jouant avec les autres Etats dans leur
intégrité, dans l’aide apportée à tel ou tel pour accéder au pouvoir, à trop
diffuser leur modèle d’existence comme le seul possible, les américains ont été
atrocement sanctionnés.
Samedi 22 septembre, 0h30
Encore
un froid avec Elen, et mon inspiration se tarit.
Mardi 25 septembre, 0h30
Tout
va bien mieux avec Elen. Un doux week-end de retrouvailles. J’espère que cela
durera, cette fois.
Rien
ne va dans ce monde en proie au terrorisme et aux risques technologiques
majeurs. Entre les explosions de sites classés Sévéso I, la ville rose
vient d’en subir l’onde de choc, et les menaces d’attentats chimiques et bactériologiques,
la menace mine le moral et n’incline pas à construire.
Mercredi 26 septembre, 0h20
Les
ratages sémantiques de l’administration Bush révèlent un état d’esprit chargé
des vieilles et irrépressibles tendances américaines. Premier acte : le président
évoque l’action de représailles à venir comme une nouvelle
« croisade ». La connotation ne laisse aucun doute sur les intentions
sous-jacentes, et plus ou moins conscientes, d’américaniser les contrées.
Seconde bourde : le baptême de l’opération militaire envisagée : Justice infinie ou sans limite suggère une conception bien belliqueuse et expéditive
de la justice. A la va-vite, on renomme l’objectif : liberté immuable. Quel souci poétique !
Mardi 2 octobre, 0h15
Côté usa, les préparatifs d’une éradication
des réseaux terroristes s’affirment par la bouche du manichéen Bush le simplet
et s’exécuteront dans l’underground
cultivé. Pas d’attirance pour le régime taliban, « ne vous y trompez
pas » pour reprendre l’expression favorite du président américain. Tous
ces islamistes au relent moyenâgeux méritent l’exécution sommaire avec
talonnage en pleine gueule en préliminaires sanglants. Leur façon de traiter
les femmes impose déjà qu’on les écarte. Cette démesure fanatique semble plutôt
révéler un véritable rapt du pouvoir politique. La religion étant là pour mieux
contrôler la population.
Jeudi 4 octobre, 0h15
Entre
la question du caractère infini de l’univers et savoir quand prendra fin le
conflit israélo-palestinien, les angoisses métaphysiques s’équivalent. Le onze
septembre 2001 n’y change rien. De l’esprit obtus à la mauvaise foi
caractérisée, aucune place pour l’amorce d’un compromis. On ne peut même pas
les laisser se foutre sur la tronche, car l’hémorragie belliqueuse se répandra
sur toute la planète. Reste alors, comme pour l’irrésolu infini, à vivre avec,
dans une conscience résignée.
23h55. Encore une belle
soirée avec la surprenante Kadya. Notre symbiose amicale fructifie et ses
qualités humaines se confirment. La semaine dernière, un passage vociférateur
et intolérant de mon Journal (qu’elle
souhaitait lire, ainsi que la nouvelle La
veillée des dieux) l’ont fait pleurer, la replongeant dans son passé
corporel atroce. Une peine dépassée par l’intelligence rapidement.
Jeudi 11 octobre, 1h30 du mat.
L’exil
volontaire ne se résout pas à l’isolement : quelques touchantes attentions
pour mes 32 printemps.
Un
week-end dernier tout en douceur avec Elen, et ce malgré une crise inaugurale
de la belle qui faillit tout anéantir dans l’œuf. Finalement les marques furent
prises, les petits cadeaux appréciés et les gourmandises charnelles abondantes.
Malgré ses qualités et mes sentiments pour elle, je garde en moi comme une
vigie instinctive, une méfiance quant à ces changements brutaux d’humeur, et
toutes les pulsions destructrices qui les accompagnent, ce qui me renvoie à de
très mauvais souvenirs. Je persiste toutefois à croire en notre relation.
Une
visite éclair, mardi matin, de ma chère amie Kadya avec d’adorables attentions
pour improviser un moment festif : petit gâteau avec prénom aux smarties
et bougies à chiffres ; fraises Tagada pour la couleur et ballons gonflés
pour l’ambiance, L’Alchimiste avec un
petit mot d’affection amicale : « Il faut que tu saches que tu pourras
toujours compter sur ma présence, pas d’explication, juste une intuition ».
Quel ravissement de l’avoir pour amie, tout comme Shue qui m’a envoyé une jolie
carte. E-mails de Heïm, d’Hermione & Angel et d’Helen.
Voyage
à Paris pour une soirée avec Sally, Karl et Zoa, peut-être entrevue de la
pétillante Lisette puis tournée familiale.
A
propos de Heïm : dans un premier e-mail, il s’étonne que je n’aie pas
répondu à son message laissé sur mon répondeur téléphonique. Je lui réponds
qu’il s’agit sans doute d’une erreur de manipulation de ma part... et que j’en
suis désolé. Second e-mail de sa part pour me donner quelques nouvelles
générales, et me préciser les circonstances de ce message évaporé : le
coup de fil remonte à un mois, à un numéro pour le moins plus d’actualité :
mon ancienne ligne au château d’Au, résiliée depuis belle lurette !
Mercredi 18 octobre, 0h40
Tournis
de ces semaines qui défilent sans que rien ne me motive à changer cette
existence-témoin.
Dense
et bon passage à Paris. Soirée du vendredi avec Sally, Karl et Zoa (dans une
belle forme) au Crazy horse de feu
Bernardin. Numéros féminins de perfection. Bonne ambiance successive chez mes
parents... Trop fatigué, il me faudra reprendre... Satanées paupières qui se ferment
d’elles-mêmes.
Très
bon documentaire sur le thème de Pour en
finir avec le communisme avec La
faute à Lénine qui démontre bien que Staline n’a fait que prolonger toutes
les structures dictatoriales et criminelles mises en place avant.
Samedi 20 octobre, 1h env.
En
compagnie d’Elen dans mon nid, je reviens en éclair sur mon séjour parisien.
Bons moments familiaux avec maman et Jean d’une part, papa, Anna et les
adorables Alex et Raph d’autre part ; Jim et Bruce m’accompagnant dans mes
visites.
Parmi
les cadeaux, une vraie surprise qui ne pouvait déclencher que mon
enthousiasme : mon père m’offre en dix cd
l’intégralité des entretiens que Paul Léautaud a accordé à Robert Mallet. Je ne
possédais, enregistrés à la sauvette au château d’O lors de leur diffusion sur
France-Culture, que quelques heures. Là, plus de onze heures de cette plongée
dans la première moitié du XXe siècle littéraire par le prisme de
l’octogénaire bougon.
Mon
manque d’allant vers l’humanité explique certainement mon manque d’entrain pour
toute carrière. Je n’ai que foutre de cette perspective alors que la menace
barbare plane toujours.
Jeudi 25 octobre, 0h30
Ma
relation avec Elen se pérennise et cela me rend plus serein, même si je ne
ressens pas la galvanisation qui anéantirait ce besoin en moi de séduire. Mon
lien tient davantage de l’affectivo-sexuel, mais j’espère que cela se
poursuivra. Partager le maximum dans la douceur sans projection
temporelle : pas une philosophie, mais une logique à l’aune de mon
caractère. À moins d’une rencontre amoureuse qui me transfigure pour
l’ascendance existentielle, j’ai renoncé à toute ambition affective, artistique
et professionnelle.
Accomplir
les quelques tâches pédagogiques confiées (la médecine du travail m’a déclaré
hier matin, après examen, apte ! Ouf !), me laisser aller à quelques
prurits littéraires de plus en plus brefs dans ces pages... c’est à peu près
tout.
Une
chose essentielle cependant : cultiver les amitiés qui me restent. À
Lyon : Ornelle avec qui tout s’est normalisé, la confiance ayant même reparu
depuis qu’elle me sait avec Elen ; Kadya surtout, récente relation
pourtant, mais ô combien magnifique identification complice et affective. Son
amitié m’est aussi précieuse que celle de Shue, c’est dire !
Par
internet, liens suivis avec Laurence et Helen, deux ex petites amies avec qui la
conversion amicale s’est bien ancrée. Sandre conserve une place dans mes
relations amicales, mais les contacts se font de plus en plus espacés. Moins
d’enclin, l’essoufflement semble avoir aussi atteint la dimension amicale de
notre rapport.
Côté
international, poursuite des actes belliqueux. L’âge cromagnon s’avère décidément très présent, et plus que jamais
d’actualité.
Samedi 3 novembre
Une
soirée dense en échanges, invité à dîner chez Kadya, en compagnie de Delphine,
demoiselle de 19 ans d’origine laotienne. Avis de Kadya sur mon Journal englouti : je n’approfondis
pas suffisamment ce qui ferait, par exemple, la singularité de chaque rencontre
amoureuse. Ce que j’en retire dans mon tri scriptural ne dépasse sans doute pas
la réaction clonée.
Si
j’allais vraiment au tréfonds constamment dans ces pages : elles ne
pourraient plus être lues par aucun proche... non je donne finalement presque
tout ici (mais à une fréquence trop irrégulière). En revanche, je pourrais
détailler davantage mes analyses... Là encore, l’instantanéité du Journal ne s’accommode pas très bien des
épanchements analytiques du mémorialiste. Essayons.
Sur
Elen : j’ai dit mon enthousiasme initial, mais très vite des doutes ont
germé quant à notre complicité intellectuelle limitée. Je ne retrouve que peu
chez elle ce qui fait mon attirance féminine : la sensibilité qui peut
transcender un échange. Logiquement, l’absence d’imagination sexuelle s’y
attache et je ressens déjà, malgré mon appétit persistant, les nécroses d’une
répétition convenue. Kadya, lors de sa rencontre, a ressenti son amour pour
moi, mais également que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. En forme de
confirmation, elle m’a mis devant mes contradictions. Terrible aveu : sa
présence m’est parfois incommodante et lorsqu’elle me témoigne, par quelques caresses
et rapprochements, son amour, je me sens mal à l’aise. Signes incontestables
d’un effondrement sentimental de mon côté. Même phénomène que ce qui s’était
passé avec Helen. Deux femmes que rien physiquement ne rapprochent… et
psychologiquement ? Pas davantage. C’est donc moi le coupable, moi qui
modèle d’instinct mes conquêtes
féminines selon la perception que je souhaite en avoir. Troublant
phénomène : comme si je les vidais de leur substance et qu’une fois la
saveur prise je les dénaturais pour ne plus supporter leur présence. Grave
docteur ? Si je ne retiens que les grands amours, cela a commencé avec
Sandre. Jamais je n’ai ressenti ce désintérêt charnel, ou plutôt
organico-psychologique pour Kate ou Aurore. Peut-être n’ai-je tout simplement
pas essayé de séduire celle qui me procurerait une émotion renouvelée par tout
ce qui la constitue. A chaque fois, je mets de côté le facteur négatif ressenti
dès le premier contact (au point que je n’en écris rien ici) croyant à un
élément accessoire.
18h30.
Décision d’arrêter avec Elen. Je viens de lui exposer au tél. les grandes
lignes de ce que je ne ressens plus et de ce qui me glace et me ferme dans
notre relation. Pas encore pour cette fois la dualité attendue. Je cultive un
peu plus cet état de solitude à l’affût, mais je ressens une sérénité retrouvée
face à cette pesanteur sentimentale. S’aliéner pour une histoire ne peut valoir
que pour une dimension humaine qui vous comble en majorité. Ce n’était pas le
cas ici. Je crois profondément avoir fait un juste choix, limitant au maximum
le drame d’une rupture plus tardive. Sisyphe de la relation à la femme, me
voilà à nouveau au point de départ.
Une
facette détestable chez Léautaud, dans ses entretiens : sa misogynie
indécrottable, un quasi racisme envers les femmes jugées « créatures
inférieures ». Qu’il faut être crétin et médiocre sur certains plans de
son intellect pour soutenir ce genre de parti-pris. Je suis bien dans une
optique inverse et ne trouve souvent d’intérêt intellectuel qu’avec le beau
sexe. Voilà en tout cas à mettre au passif de mon enclin pour le bougon Léautaud.
Prévost,
le comédien déjanté, confirme sa profondeur (car manier l’absurde comme il le
fait dénote un esprit aiguisé) lors d’un petit tête-à-tête avec Philippe Labro
dans le magasine télé Ombre et Lumière.
Le drame d’une trahison familiale qui participe à sa volonté de se dépasser.
Pas toujours la réaction retenue. Dans mon cas, déclenchement inverse : un
retrait de tout et un désintérêt grandissant.
Reçu
ce jour un e-mail minimal signé « Monique M. » me demandant si je
savais où se trouve le dossier d’achat du terrain par la SCI d’Au. Voilà une
distance prise qui me ravit. Je n’ai plus rien à voir avec le noyau dur du
château (Heïm, Vanessa et la susnommée), comme je n’ai jamais eu d’affinité
pour le magistrat Hubert. Je ressens moi, là, une trahison extrême dans les
engagements pris par Heïm et non tenus.
Evidemment, ses compagnes
(l’officielle et l’officieuse) le soutiennent et doivent aujourd’hui me
maudire, me trouver tous les défauts possibles, me vouer aux gémonies... J’en
ai tellement entendu sur tous ceux et toutes celles qui sont partis avant moi
que les refrains monomaniaques du château ne peuvent plus m’atteindre. J’ai
abandonné, avec un soulagement gargantuesque, cet univers castrateur et
laminant. De l’affection ? Il doit m’en rester quelques soupçons, mais je
ne les cultive pas.
Aucun
regret des aventures vécues cependant. Elles m’ont forgé sans conteste, mais la
distance prise donne plus d’épaisseur à ma vision du monde. Je ne me reconnais
nul part, mais j’aime mon pays, sa langue, la culture colportée… et quelques
amies chères, et mes familles de sang (hors Bruce qui m’indiffère) : voilà
un retour aux sources, avec détachement et lucidité, je l’espère.
Besoin
d’une longue parenthèse de retrait par rapport au château… et ne compter plus
que sur moi. Peut-être que la fibre ambitieuse naîtra dans quelques années, à
la suite d’une rencontre amoureuse motivante, et que je me battrais pour
changer de direction existentielle. A ce jour, et au regard de l’abjecte
conjoncture internationale, l’attentisme prévaut. Désespéré par la vivacité des
vieilles rengaines pseudo-religieuses qui motivent ces escrocs spirituels pour
asseoir leur puissance. Une humanité qui n’a pas évolué d’un iota, depuis deux
mille ans, ne peut qu’incliner à se limiter dans son implication pour les
choses humaines. Un dégoût profond, surtout face aux hystéries fanatiques.
Dimanche 4 novembre
Accorderais-je
trop d’importance à ces giclées noires ? Après Ornelle, Kadya décide de
détruire les quelques dizaines de pages écrites pour mieux aller de l’avant.
Anéantir ce Journal en germe pour que
l’action puisse prendre sa dimension. Les pages écrites sur moi n’y auront pas
échappé. Elles n’ont sans doute pas tout à fait tort : commencé alors que
j’étais engagé dans une action primordiale, je l’ai poursuivi au point d’en
faire l’un des pôles majeurs de mon existence. De témoin subjectif, ce Journal devenait justificateur d’une existence
recluse, étrangère à l’engagement et imperméable à toute ambition. Une espèce
de ça m’suffit littéraire.
Passé
voir Kadya quelques heures, hier soir, après annonce de ma décision. L’occasion
de quelques échanges nourris. Sa dextérité intellectuelles m’enchante, et j’ai
conscience de passer à côté d’une jeune femme me correspondant profondément et
apte à une « dévotion » (terme qu’elle a choisi) amoureuse
grandissante. Je connais malheureusement mes instincts et l’importance accordée
à la plastique féminine. Les cent vingt kilos de la Kadya d’hier ont laissé des
traces irréparables, et pour les quelques réparations
effectuées, des cicatrices panoramiques. Avant tout, ne pas la faire souffrir,
c’est ma détermination affective. Or, je ne me sens pas assez sage pour passer outre ces désagréments
physiques. C’est moi qui suis à plaindre : cela aussi j’en ai conscience.
Mon mérite étant tout de même d’essayer d’éviter des drames futurs par un
regard sans concession porté sur ma propre nature.
23h30.
Curieux comme Elen déclenche l’hostilité. Après Kadya, c’est au tour de Bonny,
eu longuement ce soir au tél., de m’avouer tous les éléments négatifs ressentis
à son contact : une fermeture totale, l’air plus vieille que moi, sans
étincelle de vie, sans beauté d’âme… Une sévérité abrupte, mais finalement pas
si loin de mon ressenti profond.
Comment
ai-je pu me laisser aller à croire à une possible relation durable avec
quelqu’un d’aussi imperméable à l’univers, retirée et sans ressort ? Cela
m’inquiète sur mes propres tendances. Que d’erreurs sentimentales j’ai pu
commettre depuis dix ans… moins chez mes amies tout de même. A croire qu’il eut
fallu que je choisisse mon amour parmi elles… L’affaire Elen est plus que
jamais enterrée pour moi… aversion pour sa personnalité trop dissemblable de ce
qui peut emmener vers le beau, le joyeux et le sensible. Cette humeur
d’outre-tombe doublée d’une possessivité maladive, sans perspective
existentielle, ne pouvait que me détruire davantage.
Kadya
et Bonny, deux personnalités dissemblables, mais qui se retrouvent sur un point
essentiel : un même enthousiasme de vivre. Elen ne le possédait pas et,
pire, déteignait sur moi dans son nihilisme fonctionnarisé. Brrr… Il faut
vraiment que je me méfie de mes choix féminins en matière amoureuse.
Mardi 6 novembre
Le
documentaire diffusé ce soir sur Canal +, concernant la genèse des
attentats du onze septembre, parachève l’idée d’une politique étrangère
américaine qui a joué pendant une vingtaine d’années avec le feu islamiste au
nom de l’intérêt supérieur, en pleine guerre froide, d’humilier les russes en
Afghanistan.
Jeudi 8 novembre, 0h et des poussières
Je me
rendrai le 23 décembre prochain, pour un déjeuner, au château après un an et
demi, au moins, d’absence. Décision prise après un appel de Sally me faisant
savoir qu’à cette occasion de réunion familiale
Heïm aurait apprécié ma présence. Par affection, je ne pouvais refuser, mais je
n’oublie rien des éléments qui m’ont fait adopter ce mouvement de retrait. Il y
a quelques jours, e-mail reçu pour une demande de renseignement signé
« Monique M. », et non simplement Monique (ou Mo selon le
surnom habituel), comme pour désaffectiver
tout rapport. Risible pour le moins. Si je fais le voyage pour ce repas, je
n’accepterais, de Heïm ou d’autres, aucune tentative de glisser vers les puants
repas-catharsis. En cas contraire, ce sera mon dernier séjour au château. Je ne
peux plus tolérer ce prétendu esprit libre, plein d’humour, sans tabou, alors
que tout respire l’inverse. Affection, oui, mais plus d’incrédulité de mon
côté.
Hier,
en allant aux toilettes à Forpro, alors que je commençais à uriner, l’angoisse
métaphysique me saisit comme cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps.
Songeant au temps qui défile de façon infernale, je voyais mon âge canonique
arriver très vite et cette inadmissible nécessité d’une mort qui mettra fin
pour toujours à la conscience du monde et de soi. Notre seule approche de
l’infini, en l’espèce temporel, se fait par notre mort.
Samedi 10 novembre, 4h30 du mat.
Retour
d’une soirée très agréable, car en bonnes compagnies : retrouvaille de
Bonny et Sonia, les deux complices du
parc, au Club 30. Un enthousiasme dans le rapport qui revigore. Bonny comme chanteuse
polyvalente (de Céline Dion à Anastasia en passant par France Gall et le pâlot
Jackson) et Sonia comme interlocutrice attentive. Une gravité, chez cette
dernière, que je ne lui connaissais pas : elle me confie être en pleine
remise en question sur divers plans, notamment suite à la trahison d’une amie
d’enfance (vol de son chéquier et utilisation frauduleuse).
J’ai
été bien loin de l’atmosphère confinée qui modelait les instants partagés avec
Elen, dont c’était l’anniversaire ce vendredi. Aucune manifestation de sa part,
et aucune envie de la contacter de la mienne. Tout de même curieux comme je ne
me sens nullement affecté par cette rupture. Son univers ne me correspondait
pas du tout, je crois. Impression de m’enterrer dans des automatismes comportementaux
sans enrichissement existentiel.
Eu
Kadya rapidement au tél. Depuis que j’ai quitté Elen, je la sens plus distante.
Il faudra que j’éclaircisse cette impression.
Demain,
jour du seigneur et deux mois après les attentats terroristes aux Etats-Unis.
L’acharnement aérien contre les talibans semble payer très lentement.
Dimanche 11 novembre, 3h25
Encore
une agréable soirée pendant que l’Afghanistan se fait bombarder et que les
ruines du wtc fument toujours.
Jeudi 15 novembre, 0h25
Revu
les dernières images de Dancer in the
dark diffusé sur Canal +. Impossible d’empêcher les yeux de s’embuer
lorsque Björk, la corde au cou, passe du cri au chant. De l’émotion pure.
Ma
trajectoire existentielle semble s’être figée dans ce transitoire aux semaines
qui défilent.
Samedi 1er décembre, 9h30
Cela
doit forcément me travailler le bulbe. Mes contrées oniriques, ces derniers
jours, se peuplent à chaque fois des gens
du Nord y compris, pour cette nuit, d’Alice avec, pour décor, le château
d’O. Rêves dont je n’ai accroché que quelques bribes, mais qui témoignent de
mon appréhension de ce 23 décembre.
Hier
soir, en compagnie de ma chère amie Kadya, après projection du sympathique,
mais pas transcendant de rire, Tanguy
de Chatillez, tête-à-tête culinaire à la pizza Pino de Bellecour. Occasion
d’exposer ma complexe position vis-à-vis du château. Reconnaissance d’un
enrichissement intérieur et d’une ouverture culturelle vers des domaines que je
n’aurais pu de moi-même aborder. Reconnaissance de la féerie des grandes
vacances passées dans les châteaux successifs de Heïm Reconnaissance d’une
tranche d’enfance merveilleuse (entre 7 et 11 ans) au château d’O, assombrie
avec la mise en perspective des sordides accords financiers sous-tendant notre
séjour (normaux certes, mais donnant lieu à une surenchère déplacée de la part
du château) et du subtil travail de sape de Heïm et de ses acolytes féminins
sur nos parents.
En
racontant à Kadya l’anecdote du Noël (1980 je crois) où mes parents, après
avoir fait la route (150km) et prévu un réveillon à cinq dans la maison de
Combles, je crois, ont vu leurs trois enfants refuser de les suivre, car
préférant le Noël du château, j’ai été ému et en colère contre le jeu
manipulateur constant de Heïm. L’idée de nous faire tourner un petit film où
l’on déclamait des « Bon Noël papa-maman » révèle, pour le moins, du
cynisme sans état d’âme. Je ne disculpe pas pour autant mes parents qui,
incapables de gérer familialement leur couple, ont engendré bien des chagrins, mais
il n’y avait pas chez eux de stratégie sous-jacente de conditionnement en vue
d’obtenir, des êtres, pensées et comportements accomplis, en apparence, de leur
propre volonté. Un peu, puisque la comparaison éclaire, paraît-il, les
raisonnements embrouillés, à la manière, en moins systématique et avec beaucoup
plus de subtilité et donc de fragilité, de l’hypnopédie du Meilleur des mondes. L’humour à répétition et le recours
systématique aux mêmes schémas intellectuels valent bien l’enseignement par le
sommeil.
La
reconnaissance s’arrête là ! Pour la suite, le principe de l’apport
réciproque a joué et j’estime avoir largement donné de ma personne, de mon
temps et de mes connaissances (notamment juridiques) en contrepartie des
conditions de vie proposées (assez peu épanouissantes). Primauté de l’intérêt
général, pour lequel j’ai adopté un engagement jusqu’au boutiste via la
perdition intérieure, dont les chemins conduisent tous vers Heïm. Majeur et
vacciné, je n’ai à m’en prendre qu’à moi, mais je ne dois pas sacrifier ma
lucidité pour autant.
Evidemment,
hors de question que je fasse allusion à cet état d’âme lors du passage éclair.
La catharsis façon Heïm me pue au nez et fait partie d’un univers fui par cet
exil lyonnais. En outre, Heïm pratiquant, sans doute depuis des décennies, le
discours à facettes avec mise en exergue changeante selon l’interlocuteur, j’en
ai eu la démonstration avec l’affaire du Gâchis,
je ne vais pas me priver de le dispenser de toute la subtilité nouvelle de mon
positionnement (qu’il a peut-être deviné tout seul). Que l’affectif subsiste
avec rencontres épisodiques, pourquoi pas, mais que cela ne voile pas les motivations
profondes, que j’essaie par bribes de transmettre ici, de ma séparation de cet
univers aujourd’hui réduit à sa portion congrue.
Lundi 10 décembre, 0h10
Une
vie sentimentale à l’image du reflux maritime, et pourtant l’espoir m’anime à
nouveau. Depuis mercredi dernier, amorce d’une histoire avec BB, femme de deux
ans mon aînée et résidant dans le même immeuble que moi. Pour ce qui est de la
proximité, l’idéal est atteint. Pour ce qui tient aux qualités humaines, je ne
suis pas loin de le penser aussi. Pas d’enthousiasme prématuré, mais
l’attachement à divers signes positifs.
Mon 8
décembre, alors qu’elle travaillait (infirmière dans une clinique) lui était
tout entier dédié.
Jeudi 13 décembre
Très belle
tournure avec BB. Une semaine et un jour de fréquentation et j’ai l’impression
d’une complicité bien ancrée. Au contraire d’une Elen, elle ne jure en rien
avec l’idée que je me fais de la douceur féminine. Je nous crois vraiment fait
pour vivre une histoire à pérenniser. Bien que mes impressions se soient
précédemment effondrées le temps passant, je veux y croire de nouveau.
L’alliance qu’elle a d’une silhouette agréable, d’un joli visage et d’un
caractère doux et attentionné, m’incline à cet optimisme.
Finalement,
pas de 23 décembre chez les gens du Nord : Heïm est hospitalisé,
pour des risques de perte de vue, et le cœur n’y est plus. Au fond, même si la
raison est regrettable (je lui ai envoyé un e-mail d’affection), je ne suis pas
mécontent d’annuler ce déplacement pour une réunion qui n’aurait rimé à rien.
Demain
après-midi, petite visite à Nadette, vers Givors. Son mariage s’est avéré un
calvaire avec l’engoncé tyrannique de Labeyre. Le rougeaud pas finaud, qui me
reste en mémoire, ne m’appréciait pas, semble-t-il. Je le comprends aisément.
Lundi 17 décembre, 23h10
Passage
fructueux chez mon père. Mon évolution critique à l’égard des méthodes de Heïm
l’a convaincu de me révéler sa stratégie tenue depuis près de quinze ans :
entretenir l’impression d’un regard nostalgique et bienveillant sur Heïm
L’objectif était double : ne pas me
mettre dans une situation psychologique difficile, à l’égard de Heïm en
transmettant, durant des années son positionnement positif, voire affectif, sur
l’univers de Heïm et ses choix existentiels.
Bien
joué, car Heïm est allé jusqu’à reprendre contact avec mon père. En fait,
l’utilisation des mêmes armes manipulatrices que celles exploitées depuis si
longtemps par Heïm m’a permis de le voir sous un jour plus contrasté. La
plongée dans le passé révèle quelques actions pseudo-pédagogiques de Heïm aux
relents aberrants qui ne visaient que son propre intérêt par l’emprise subtile
sur les êtres.
Avec
BB, d’intenses retrouvailles et une volonté de me rejoindre dans mon appétit
coquin. Pas encore quinze jours de rencontre, mais une densité du rapport très
encourageante.
Revu
Aurore avec Karl, puis Melycia et son adorable Gaspard de trois
mois ce jour…
Samedi 30 décembre, vers 1h30
Les
dernières heures de cette année 2001 qui ne nous aura pas offert l’Odyssée de
l’espace, mais les abysses barbares. Si on la retient comme l’année d’entrée
dans le xxie siècle
avec, pour une fois, conjonction entre la logique numérologique et les aléas
historiques, elle se hisse aussi comme parangon des penchants les plus primaires
de l’être humain. Pauvre monde englué pour longtemps encore dans ses travers
toujours recommencés. La gorgone à deux têtes Bush-Laden n’obéit qu’à deux
motivations : dominer et posséder. Du classique depuis les grottes cromagnonnes !
Pour
moi, un plaisir infiniment plus sains m’attend ce soir : les retrouvailles
avec ma BB, de retour de Nantes. Karl débarque aussi à Lyon, en vue du 31 à
Chalon… Nous irons donc déguster quelques lyonnaiseries
culinaires avant d’aller écouter Bonny au Club 30… le meilleur pour
finir : dodo chez BB alors que Karl ronflera chez moi.
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