2003 – Entre grogne et affection

  

Mercredi 1er janvier, 4h15

De retour avec ma BB d’une joyeuse soirée toute en complicité à Saint-Cyr, chez Ornelle, avec Jérôme et Shaïna. Une bien belle façon d’enterrer 2002. La morosité ambiante du monde a été boutée hors de cette parenthèse festive. Musique, gueuleton et rigolade : triptyque à l’honneur dans la maison des Cargeaud. La petite Lydia (bientôt onze mois), fille de la sœur d’Ornelle, a pris sa dimension de bébé vif et convivial. Que d’espoir pour l’humanité si elle se basait sur ces modèles…

23h37. La respiration de ma BB est à la limite du ronflement, mais je ne perturberai pas ce sommeil qu’elle a, en ce moment, tant de mal à trouver. Avec West Side Story en V.O. sur Arte comme fond sonore, la voilà bercée pour des rêves truculents… « in America ! ».

Nous avons décliné une invitation à partager une glace chez les F. (le message de Jérôme précisait que l’on pouvait venir me chercher à Perrache, comme si j’allais laisser seule ma BB pour ce jour férié, curieux… il faudra que je me fasse expliquer ce point par Ornelle…). Journée de farniente et de récupération après cette série de festives réunions. En fin d’après-midi, début d’initiation de BB aux échecs sur le magnifique (et lourd) jeu en onyx offert par mon père… noël. Merci ‘pa !

Bush fils a modéré son discours belliqueux à l’endroit du tyran Hussein : trêve des confiseurs ou conscience du gouffre financier de cette expédition guerrière ? Le timbre de Nathalie Wood laisserait bien croire à l’humanité « tonight ! ». Brève illusion pour ce premier jour de 2003.

Eu, entre autres personnes, ma grand-mère au téléphone pour lui adresser mes vœux les meilleurs pour cette année. Elle m’informe avoir reçu une carte de Sandre et elle ajoute (sans doute inconsciente de l’incongruité de sa remarque) : « Sans regret ? » Pas un chouia, pas une once ! Pour se rattraper, elle nous souhaite tout le bonheur possible…

 

Samedi 4 janvier

Le rythme pédagogique va bientôt reprendre ses droits. Dès lundi matin, je file à Saint-Etienne pour une intervention exceptionnelle auprès des bts en culture générale. Petit appoint pour une révision par la pratique de leurs épreuves.

Janvier 2003 sera-t-il enfin celui de la parution du Gâchis ? Le dernier courriel de Heïm m’informait de problèmes techniques… nous verrons bien. Pour une fois, j’attendrais qu’on se manifeste à moi (pour les gens du Nord, Sally compris) avant d’envoyer mes vœux. On va quelque peu changer les habitudes pour leur laisser l’initiative. Echange de bonne année avec Heïm seulement, pour l’instant. L’affection distante et méfiante, voilà tout ce que je ressens aujourd’hui pour eux. Je distingue bien l’engagement éditorial antérieur qui va enfin s’accomplir et l’avenir de relations que je vais raréfier.

Avec ma BB, tout est au beau fixe, mais je dois me brusquer un peu pour aller au-delà de la tendresse affective et attiser chez moi la fibre érotique. Je n’ai jamais atteint cette plénitude psychologique avec mes relations antérieures.

Une épiphanie partagée demain en fin d’après-midi avec la joyeuse troupe de la Saint Sylvestre chez moi (ma BB nous rejoindra au sortir de sa journée de travail). Je leur ferais découvrir les photos de la nuit et leurs commentaires : reconstituer le fil de la soirée avec quelques notations amusantes permet d’animer un peu la simple succession d’images muettes. Des agrandissements d’une photo nous réunissant tous les cinq derrière la tablée, unis par le rire, leur sont réservés, le mien étant déjà sous cadre. Belle image d’amitié que j’espère très longue.

 

Mercredi 8 janvier

L’ambiance hivernale est bien installée : après la baisse considérable de la température depuis quelques jours (une quinzaine de degrés en moins) s’ajoute aujourd’hui les flocons. Après un cours particulier donné à Charbonnières, obligé de rallier Tassin à pied avec un réseau routier paralysé.

Toujours édifiant sur la nature humaine, le premier jour des soldes : extravagantes couvertures nocturnes et précipitation d’une population jusqu’à l’absurde, comme cette dame venue de loin et qui dort à l’hôtel pour pouvoir être présente à la première heure ! Sa marge a dû fondre sans qu’elle en prenne conscience.

Reçu ce jour une carte de Bruno M. et de sa compagne, fidèles accointances de l’époque avec Sandre, et les seules à avoir maintenu (à distance) le lien. Je vais bien sûr leur répondre.

Avec cette vie sereine, entourée amicalement, stabilisée sentimentalement, calmée professionnellement, cela n’affadit-il pas cette écriture-témoin ? Sans profonde source de désespoir, ayant rejeté tout ce qui participait à mon mal être, n’ai-je pas du même coup annihilé, éradiqué la veine inspiratrice ?

Reste une vision critique du monde, mais l’intimisme du Journal s’évanouit. Le plus attractif dans cette dernière année, sur le plan littéraire, doivent être mes poussées incendiaires contre les gens du Nord, passages voués à rester longtemps dans la clandestinité. A ce propos, depuis l’allusion de Heïm à des problèmes techniques pour la parution du Gâchis (il y a dix jours) plus de nouvelles…

Amusant appel de Karine G., après mon courriel de vœux. Je n’ai vu cette jeune femme qu’une fois (en 94 ou 95) à Paris (contact Minitel) chez elle, dans la pénombre et sans rapport sexuel. Depuis, quelques manifestations téléphoniques sporadiques. Elle fait partie de cette époque inconstante où je cumulais les entrevues éphémères, avec, parfois, quelques complicités charnelles à la clef. Curieux d’essayer de faire une galerie de toutes ces demoiselles croisées, et dommage de n’avoir pu maintenir un lien avec certaines d’entre elles, ou simplement obtenir quelques nouvelles. Mon existence a tout de même produit une forte proportion de déchets relationnels.

 

Mardi 14 janvier

Encore un réquisitoire contre ces criminels d’automobilistes se soir sur TF1. Voilà qui fait du bien. Vu du piéton, l’agressivité crétine et irrationnelle de ces connards motorisés, de ces décervelés à neutraliser, donne des envies primaires de tabassages. Les fourches patibulaires devraient agrémenter le bord des routes pour ces inaptes tueurs en puissance. Exemple de cette femelle à étêter qui s’obstine à continuer son appel tout en conduisant et brûle ainsi une dizaine de feux rouges. L’inconscience poussée à ce degré ne doit faire l’objet d’aucune pitié. Il faut interdire à vie la conduite à tous ces égoïstes mortifères. Cette civilisation continue à me puer au nez.

Finalement, je me félicite de ma misanthropie et je persiste dans ma haine du comportement de ces crasses irresponsables. Le tout répressif, au tréfonds et sans pitié.

 

Jeudi 16 janvier

Quelques longueurs dans la piscine municipale, rue Garibaldi, avec ma BB. Une façon de raffermir le corps et de détendre le cortex.

Nouveau message de Heïm faisant état de quelques soucis techniques pour la parution du Gâchis. Le Sisyphe aurait-il son incarnation éditoriale ?

 

Dimanche 19 janvier

Les liens amicaux ne se tarissent pas. Samedi soir, passage au Red Lion’s où Bonny se produit pour la dernière fois. Dès le 17 février, elle s’exile à Paris pour une demi-année, carrière artistique oblige : elle intègre le prochain spectacle de Muriel Hermine, la nageuse reconvertie. Le Red bondé offre toute la palette de la gente féminine, certaines sans retenue par les verres accumulés. À ses côtés, Yann chauffe aussi ses cordes, mais sans l’amplitude vocale requise pour certains morceaux. Le Your Song n’a plus les atours inspirés et se rabougrit par une fluette interprétation. Je décèle à ce moment, dans le regard de Bonny, la transpiration de reproches irrités envers son collègue de scène. Rien à faire, le talent doit irriguer l’artiste pour transcender l’expérience besogneuse et pour transporter les destinataires. La dernière cuvée de Lauryn Hill, voix et guitare comme seules présences, culminent pour une densité interprétative, jusque dans ses quelques défaillances sublimées. La création artistique réconcilie quelque peu avec l’espèce humaine, laissant transparaître d’elle sa plus attachante facette, délivrée des crasses et mesquineries habituelles. Sans doute la seule voie pour tendre vers l’âge d’homme, vers la maturité pacifiée de l’humanité.

Nuit achevée avec Eddy et Bonny, complétés de quelques accointances, dans l’antre du vieux désuet aux rassasiants croque-Monsieur. Un spécimen d’incongruités avec lequel j’ai quelques secondes polémiqué pour une porte mal fermée. Sa frousse d’être pris en faute par les forces de l’ordre (sans doute encore ouvert hors de l’horaire légal pour un café, à quatre heures du matin) rendait presque pathétiques ses monomanies argumentatives.

Hier soir, très joyeux et complices moments avec Ornelle et Jérôme, ma BB nous accompagnant malgré son levé dominical programmé à 5h30. Après un apéritif nourrissant, le quatuor s’est décidé pour un bowling ès déconnage, une agréable sortie pour improviser les moments d’ivresse amicale.

Retour au bercail respectif avant les douze coups, je finis ma soirée devant Ardisson et sa flopée d’invités hétéroclites. Avec son sens affûté des réunions détonantes, il débute son entretien avec l’auteur d’un réquisitoire contre la tendance française à la censure par la loi des idées qui ne répondent pas à l’idéologie dominante et aux principes de l’humanisme, alors qu’il serait préférable, et plus digne, de les combattre par l’échange intellectuel. Avant tout développement de sa position, Ardisson appelle l’allumé du barreau, l’intolérant Arno Klarsfeld. Evidemment, l’animateur retient dans l’ouvrage, pour galvaniser le débat, les deux exemples d’idées à ne pas bâillonner, même si on les vomit (ce que l’auteur rappelle à plusieurs reprises) : le révisionnisme et le racisme ! L’avocat, excité par ces deux chiffons rouges, n’aura pas tenu longtemps sur le terrain du contradictoire intelligent. A cours d’inspiration, il jette le contenu de son verre à la tête du responsable de Reporters sans frontières. Cela lui vaut une réprobation générale : il démontre, encore une fois, que la haine et la médiocrité d’âme traînent aussi chez ceux qui s’érigent en maîtres ès droits de l’homme.

 

Dimanche 26 janvier, 1h30

La naissance du jour du seigneur m’inspirerait-elle, ou n’est-ce, plus prosaïquement, que le rare moment d’une pause littéraire (ou scribouillarde selon l’inspiration de l’instant).

Un samedi en dualité qui ne s’entache d’aucune contrariété avec ma BB : une matinée relaxante, à midi piscine pour une heure d’efforts sains, une fin d’après-midi à se divertir devant la trogne d’un de Niro déchaîné pour la deuxième cuvée de Mafia blues ; une soirée dans le cocon pour enchaîner Les chemins de la dignité avec le complice de Niro beaucoup moins rigolo, une partie d’échec puis de jambes en l’air

Époque sereine donc, seule ombre légère : le tournis du temps qui file. Et toujours rien à l’horizon éditorial des gens du Nord. L’inspiration manque pour croquer les bonnes bribes existentielles. Pas d’acharnement pour l’écriture diariste.

12h50. Enfin, depuis quelques semaines, un acharnement médiatique appréciable. L’insécurité routière avec son chargement de délinquance larvée de tous ces bons français conducteurs qui, bien sûr, en savent plus que les autres et maîtrisent comme personne leur sacro-sainte taule ondulée motorisée. On rétorquera, là encore, le prisme déformateur des médias qui se focalisent sur quelques écarts marginaux comparés au nombre astronomique de déplacements sans dérive meurtrière. Piéton militant pour 95 % de mes trajets aujourd’hui, je fulmine chaque jour contre ces petits excès prétendument calculés… jusqu’au jour où : perte de maîtrise du véhicule qui vaudrait toutes les absolutions, tous les pardons des assassinats commis. La préméditation criminelle tient ici dans une prise de risque volontaire en dehors de la loi. S’impose donc l’intention de mettre potentiellement en danger de mort ceux qui croisent leur route. Quand la technologie et le progrès favorisent le plus primaire des instincts : moi avant les autres et au sacrifice de ces gêneurs, les piétons, les trop lents, les simples existants sur mon passage. Pire même que les bêtes, que les charognards les plus infâmes, car l’objectif n’est nullement la survie organique, mais le simple contentement d’arriver plus vite. Comme si le boulot de merde de ces zombis, la distraction crasseuse de ces arriérés, l’occupation inepte de ces inaptes majeurs valaient plus que le respect de la vie de l’autre ! Pourquoi leur caricature comportementale mériterait-elle de subtiles analyses et une législation modérée ? Non, il faut se départir de la molle compréhension criminellement complice, se libérer du si complaisant impondérable que l’on décèle dans tout accident, foutre en l’air les incongruités législatives qui ouvrent des boulevards à la récidive dans l’impunité. On nous a matraqués le cortex avec le divin Principe de précaution. La semaine dernière encore, on a abattu plusieurs milliers de chèvres après avoir déniché deux ou trois cas de tremblante qu’on pourrait suspecter de lien avec un dérivé de l’esb. La subtilité fonctionne ici à plein pour ériger le moindre soupçon en motif de neutralisation définitive. Avec la meute d’automobilistes dangereux, inciviques à tours de volant agressif, rien de cette volonté de les écarter. Un principe de précaution social s’imposerait pourtant : on va laisser conduire celui qui a tué ou blessé grièvement, manifestement (selon des témoins) sous alcool mais que les ballons (baudruche technique) n’ont pas scientifiquement confirmé, et ce tant qu’il n’a pas été jugé par un tribunal engorgé d’affaires. Les autorités politico-administratives prennent donc le risque que s’ajoutent d’autres victimes éclatées ou écrasée par le conducteur tueur ! Ahurissant ! Il faudrait systématiquement interdire la reprise du volant à celui qui a occasionné un accident corporel, et ce préventivement avant tout jugement. Aux chiottes les accusations d’autoritarisme : face au terrorisme routier, c’est la sécurité vitale qui prime, avant tout autre considération pseudo humaniste, républicaine ou démocratique. Aucune éthique de comportement ne modérant nombre de conducteurs, l’accès quasi automatique à ce statut de tueur potentiel quotidien, la tendance civilisationnelle à laisser l’usage au maximum de gens d’engins dangereux, pour le bien-être économique et la satisfaction égocentrique, tout cela mérite un coup d’arrêt : il faut maintenant sévir sans pitié, éradiquer les petits travers journaliers qui minent la conduite sociale, écarter de l’asphalte tous ceux qui se jouent de la règle, qui se torchent avec le contrat social. Griller un petit feu, pas grave, téléphoner en pleine action roulante, je le peux, fumer du cannabis avant le voyage sur route, quelle conséquence… Chacun légitime ses écarts si anodins et participe au fléau qui bousille l’existence de trente-cinq mille personnes par an (morts et infirmes). Halte au déchaînement de l’inconscience, à ces dégazages comportementaux qui désespèrent de l’être humain !

 

Dimanche 2 février

Que ce temps file ! Ne pas trop s’y arrêter, sous peine de malaise existentiel.

Février s’amorce et à nouveau silence radio de Heïm. Sa nouvelle promesse éditoriale va-t-elle aussi se limiter aux lyriques déclarations de principe ? Cela confinerait alors à la bouffonnerie.

En tout cas, de moins en moins d’inspiration pour remplir ces pages. Si cela doit s’assimiler à une corvée, je préfère cesser.

 

Vendredi 7 février

Invités avec quelques autres de leurs amis, chez Eddy et Bonny pour marquer le départ de notre chère chanteuse à Paris pour le spectacle de Muriel Hermine. Joyeux moments à l’horizon.

Demain matin, voyage vers Lutèce : anniversaire de maman au programme et visite habituelle chez papa le lendemain. Tout cela bien rôdé et avec un vrai plaisir familial à chaque fois. L’exil lyonnais aura permis cette bénéfique pérennisation de mes rapports affectifs avec mes vieux, comme l’on dit peu joliment.

Message téléphonique de Heïm faisant le point de la chronique éditoriale du Gâchis : aucune mise à l’écart, mais des soucis de « stabilisation » du texte et la découverte de multiples fautes. Communication du Journal à Franck Roc pour un regard littéraire aguerri (quinze jours prévus), puis expédition d’un exemplaire avec les propositions correctives. Nous verrons la teneur de cette ingérence dans mon texte…

 

Samedi 8 février

Ma tendance à attiser un thème polémique pour batailler verbalement avec les interlocuteurs présents n’a pas disparu, seuls les sujets de prédilection variant.

Hier soir, au cours de la Raclette partie, début d’accrochage avec l’une des convives à propos du comportement des automobilistes. Radical face à ses tentations de minorer la gravité des déviances barbares au volant, j’ai dû me censurer sous peine de saborder la joyeuse atmosphère. Au fond, c’est souvent bien plus le plaisir de la confrontation argumentative qui motive mes emballements, que la réelle et fondamentale défense d’idées, même si, dans le domaine routier, des attitudes me révoltent sincèrement. L’écrit suit aussi le même mouvement. Sans doute l’effet d’un tassement idéologique, d’un relativisme en phase expansive qui me rapproche davantage du contempteur distancié. « Mourir pour des idées » m’apparaît de plus en plus comme une facilité intellectuelle, dans un confort jusqu’au boutiste à œillères.

Du retournement d’opinion : en 1990, il fallait être pour l’intervention contre l’Irak, sous prétexte de libérer l’Etat fantoche du Koweït. Mes chroniques minitelliennes prenaient alors le contre-pied. Aujourd’hui médias et population de l’hexagone s’insurgent contre la démarche belliqueuse des Etats-Unis. Ne devrais-je pas me réjouir que la majorité rejoigne l’approche minoritaire d’alors ? Le goût de se nicher dans les brèches inconfortables m’inclinerait plutôt à soutenir l’autoproclamé gendarme du monde quelles que soient les vaseuses motivations.

Selon le même principe, je tente de faire découvrir aux auditeurs de BTS, à travers les thèmes de culture générale abordés, des sons de cloche marginaux, à contre-courant, sur quelques grandes problématiques actuelles. Sur le clonage, un extrait des fracassantes déclarations de Lewis Wolpert, professeur de biologie appliquée dans une prestigieuse université londonienne, qui stigmatise comme un argument « de merde » l’étendard de la dignité humaine pour rejeter le clonage reproductif. Voilà des éthiciens qui s’insurgent, à juste titre d’ailleurs, contre les thèses sociologiques qui font primer la génétique sur l’acquis, et qui, dans un autre élan, vont hurler au « crime contre l’espèce humaine » (selon la terminologie du projet de loi bioéthique voté récemment à l’unanimité) dès qu’on ose toucher au sacro-saint inné humain ! Dans un cas l’environnement est considéré comme déterminant, balayant toutes les thèses racistes, mais d’un autre la base génétique est érigée au-dessus de tout, comme intouchable sous peine d’atteinte à cette dignité humaine à facettes variables. Curieux, non ? Pas question bien sûr de les inciter à rallier cette position, mais seulement de les ouvrir à d’autres traitements d’un sujet rabâché selon les mêmes réflexes idéologiques.

Même chose pour l’image d’une nature bienfaitrice et du légitime combat de Bové. En 1959, Jean Fourastié sortait un Pourquoi travaillons-nous ? dans lequel un extrait sur la réalité d’une nature hostile prend un relief encore plus pertinent plus de quarante ans après. L’intervention de l’homme sur les éléments naturels s’avère très majoritairement indispensable à sa survie. Ainsi, le blé, tel qu’il est ne résisterait pas plus de vingt-cinq ans sans l’attention agricole. Les croisements entre espèces se confondent presque, dans l’ancienneté, avec l’histoire de l’humanité. Le remugle des OGM éclaire d’une paradoxale manière cet argument : un peu dérisoire et inconséquent le combat auto-promotionnel du moustachu !

Plonger dans l’intellect des défenseurs de l’impossible vivifie et régénère son cortex.

 

Samedi 15 février

7h39. En rail pour Lutry, trois jours d’immersion dans le cocon de Shue et John pour une aide ultime à la finalisation de la thèse sorbonnarde.

Hier soir, gourmande Saint-Valentin avec ma BB au Trocadéro, restaurant gastronomique du sixième. Au cours du vagabondage intellectuel, j’évoque ma position à l’égard des Gens du Nord, et de Heïm, en première ligne. La phase véhémente de ces derniers mois, volontairement outrancière, s’explique aisément par le besoin de contrebalancer des années d’adhésion a priori, à l’aveugle, à tous les constituants de cette vie partagée ; une adéquation moléculaire en quelque sorte. Démontrer aussi, par la mise en perspective des écrits et des actes, qu’une distance critique, aussi affirmée soit-elle, ne se traduit pas par de clandestins rapprochements avec ceux qui ont pris le large avant, parfois de plus fracassante façon. Pas d’intention de nuire, de désespérer davantage, mais l’impérative exigence de consigner un ressenti aux antipodes des croyances fusionnelles antérieures. Honnêteté intellectuelle du diariste en herbe, en fait. Très naturellement, au fil des années, ces assauts virulents contre certains présupposés de Heïm s’émousseront au profit d’une plus panoramique position.

Une entrevue avec ceux qui ont rompu avec Heïm ne pourrait avoir lieu, de mon fait, qu’après sa mort. Ne pas surajouter aux déchirures, par des rapprochements incongrus, conditionne ma réserve. Aucun esprit de ligue anti Heïm chez moi.

Les monomanies propagandistes des deux camps, sur le caractère inacceptable ou impératif d’une guerre en Irak, s’accumulent jusqu’à l’écœurement. Bush assène ses litanies à la manière d’une mécanique belliqueuse bloquée, Chirac s’acharne, avec un incontestable accent gaulliste, à repousser l’inexorable, Saddam peaufine un peu plus sa stature d’insoumis au diktat américain.

Oublié d’indiquer l’appel inattendu, un soir de cette semaine, de la joyeuse Aurélie, chère complice du binôme féminin rencontré avec Karl à Royan. Installée en Allemagne pour son travail et sa relation de cœur, elle a pris l’initiative tardive après mon envoi, courant décembre, d’un courriel de bons vœux avec reproduction de la couverture du Gâchis. Finalement, je n’étale pas autant que cela mes penchants scribouilleurs. Lui ayant toujours envoyé des courriels lapidaires, au point que cela nourrissait ses moqueries, elle ne pouvait imaginer une œuvre écrite. Occasion de nouvelles partagées et d’envisager une entrevue prochaine.

 

Lundi 17 février

17h. Fin du séjour studieux à Lutry. Phase terminale de la thèse, soutenance programmée fin mai : l’aboutissement sur les chapeaux de roue d’une étude source d’angoisse pour Shue.

Entr’aperçu Marie ce matin. Heureuse de me revoir, même en coup de vent, enchantée de ma publication, elle espère que nous trouverons une autre occasion d’une plus large entrevue. Shue et John doivent quitter Lutry fin avril (c’est la grande nouvelle du week-end) pour s’installer aux alentours de Nice : la possibilité de revoir Marie (à moins d’une invitation spécifique de sa part) s’amenuise. Elle rappelle quelques instants plus tard pour programmer une nouvelle venue avant la fin mars : occasion d’apprécier l’avancement de ses écrits, de me présenter à un ami, auteur de poésies, et de passer quelques moments amicaux ensemble.

Pour en revenir au départ prévisible du couple Cohen, il résulte de charges locatives excessives et d’une reprise trop timide des affaires pour assumer à long terme ces lourdes dépenses fixes.

La nuit dernière, l’idée incongrue de noter ici les instantanés qui me restent sur les multiples relations éphémères cumulées. La retenue générale en matière sexuelle, sous forme d’anecdotes, de ressentis charnels, de détails érotiques semble la règle dans ce Journal. Certes, je n’ai pas versé dans l’orgie des sens, dans la réalisation des plus inavouables fantasmes, mais ma gourmandise sexuelle, mon goût prononcé pour la femme, mon enclin pour la découverte de l’autre au féminin, peuvent constituer un témoignage attractif. En dehors de mes grands amours, Aurore, Kate, Sandre, Helen et aujourd’hui ma chère et tendre BB ; en dehors des quelques cas d’amorces sentimentales converties en affective amitié – Shue et Marianne, notamment – reste une galerie insoupçonnée de jeunes femmes croisées pour un ou quelques entremêlements de nos souffles et l’enserrement de nos corps. Si mon esprit n’a pas conservé intact leur souvenir, mon cœur les chérit encore par les quelques traces laissées comme un doux jalonnement initiatique : avec aucune (sauf Elena que j’ai omis involontairement, mais de façon très révélatrice, de mentionner dans les amours importants) la fin n’a été source de conflits ou de petites crasses réciproques, un éphémère exemplaire en quelque sorte. Que m’en reste-t-il donc, dans le désordre des surgissements cérébraux ?

Époque parisienne :

-                Quelques rondeurs naissantes, elle me mène à son logis, visiblement ravie de mon apparence (rencontre minitel). Je la sens gourmande et expansive. Son lit s’ouvre vite après notre arrivée, et la moiteur de ses courbes manifeste son excitation. Encore peu expérimentée, je découvre une intimité trempée aux accents musqués. L’appel intempestif d’une amie, à qui elle révèle ma présence et sa satisfaction de mes atours physiques, occulte le reste de l’échange.

-                Jeune fille menue qui m’entraîne dans quelques pôles nocturnes de Paris : elle me convainc, dans une boîte d’homosexuels, d’avaler un demi cachet d’ecstasy (en 1994) ce qui me laisse de marbre. Plus sainement ludique, elle me convie à partager ses glissements sur patinoire, ce baptême me valant quelques chutes bien senties. Aucune trace sexuelle, avons-nous même fait l’amour ? Une présence appréciée, en tout cas, qui m’a initié aux sorties parisiennes.

-                Coline, splendide liane noire du Ghana rencontrée dans un petit restaurant exotique à l’occasion d’une soirée en groupe parmi lesquels la patineuse en herbe. Relation à épisodes avec cette jeune black aux lignes envoûtantes. Paumée, sans le sou, je la soupçonnais de quelques extras sexuels contre rétributions, ce qui n’a jamais été évoqué pour nos coucheries. Sa peau, d’un grain ferme, me fascinait littéralement, notamment celui de son cul cambré, ferme et petit. Son affection sexuée me touchait, mais une méfiance indéfinissable, envers la partie immergée de son existence, n’a jamais permis de donner plus de consistance à ce lien. Cela se traduisait par une inclination puissante à la dorloter, la caresser, la malaxer, mais une retenue grandissante pour la pénétrer, dans quelque antre que ce soit. Découverte du labyrinthique cimetière du père Lachaise en sa compagnie, enlacés sous le regard réprobateur de quelques passants.

 

Samedi 8 mars

Carence dans le suivi de ces pages. Non point que la matière manque, mais une période d’intenses corrections de copies (examens blancs à Forpro).

Arrivée hier soir en Arles, chez Louise. Soirée chaleureuse avec les parents, la sœur et ma BB. Ce soir, la troupe festive vivifiera l’instant.

Avant de poursuivre ma galerie charnelle, quelques points importants.

Côté amical, la rupture entre Ornelle et Jérôme. Des signes se sont multipliés : une invitation de ce dernier, à l’adresse d’une amie, de dormir chez lui et le désistement pour des vacances d’hiver avec Ornelle. Un changement de sentiment a poussé Jérôme à rompre. La demoiselle a connu les phases de l’effondrement, de l’euphorie et de la haine (qui a failli mettre un terme à notre propre amitié après une demande de choisir entre les deux). Très mal écrit tout ça. Inscription pour le fond, j’aurais pu m’abstenir pour la forme.

L’annonce de la guerre en Irak s’étire encore. Jamais un conflit armé n’aura été autant préparé et planifié… cela tourne à la tragi-comédie.

Hier, au Conseil de sécurité de l’ONU, les quinze représentants ont réaffirmé leur position. De Villepin, pour la France, a dramatisé, avec beaucoup de talent, l’extrême folie qu’une action guerrière des Etats-Unis représenterait alors que les inspections des Onusiens de Hans Blix donnent des résultats. De part et d’autre, des arguments légitimes et des motivations inavouables. Doit-on laisser ce tyran en place sous prétexte qu’on ne s’occupe pas des autres ? Doit-on risquer le chaos dans la région ?

 

Dimanche 9 mars, 3h du mat.

De retour à l’hôtel du Musée pour une nuit régénérante, après un défoulement costumé. La troupe arlésienne, toujours aussi complice. Un plaisir renouvelé que leur compagnie. Après une revigorante promenade avec les B dans la Montagnette ventée, nous retrouvons la bande pétillante pour un gueuleton joyeux. Puis, direction, sans les parents B, chez une accointance qui organise une soirée privée pour ses trente-deux ans. Le déguisement est recommandé : Marie en chaperon rouge, Aude en spéléo, Ben en moule (!), Michel travailleur avec combinaison, Louise en étendoir à linge, et moi en casque blanc version cuisine (écumoire sur la tête, presse-citron au cou sur bavoir).

11h35. L’effleurement du soleil pré printanier réjouit l’âme. Sur la place de l’Hôtel de Ville d’Arles avec ma BB à goûter l’air doux au son des quelques passants, confortables sur un banc public, je guette la sortie des parents B de l’église qui jouxte (à une ruelle près) le bâtiment républicain en cours de rénovation. A nos côtés, une jeune femme croque la finesse du monument religieux avec quelques coups de crayon ajustés. Ce cumul du vivant à doses perlées, de la matière sculptée par l’homme et d’un climat tempéré cristallisent le bonheur à l’échappée. Un bougre, à la sortie de l’église, clame que son anniversaire sonne ce jour, pimentant ainsi l’antédiluvienne quête auprès des cœurs chrétiens.

Evocation ce matin avec BB et Louise du devenir du couple Aude & Ben dans sa version résurrection. Complexité des facteurs ayant motivé la résurgence sentimentale et l’envie d’une vie commune renouvelée.

 

Lundi 10 mars

15h. Première vraie journée chaude de l’année passée au Parc, plongé dans Léautaud. Une jouissive manière de m’immerger à nouveau dans mon projet de thèse. Peu de temps à accorder pour ces vagabondages diaristes, donc.

Cette coupure dans le volume III (phase relecture) tient à une volonté d’inscrire une petite formule en réponse à une campagne repérée en Arles. Sur les panneaux généralement voués aux tronches politiques, une affiche sobre à l’argumentation serrée (pour la grosseur de caractère) et chapeauté d’un titre qui se veut sans appel : « Il n’y a pas de guerre propre. » À cela une seule réponse : mais il existe des paix sales !

 

Mercredi 12 mars

Le tintamarre antiaméricain se poursuit. A trop critiquer l’allié outre-Atlantique, on se retrouve, de fait, avec ceux qui défendent le totalitarisme husseinnien..

Si l’on refuse d’associer nos forces armées à celles de Bush Jr, on devrait déployer quelques troupes autour des prisons archaïques. La nuit dernière, celle de Fresnes a été la cible d’un groupe paramilitaire qui a fait exploser les différentes portes, murs et barreaux pour libérer le dangereux malfrat Ferrera.

Petite digression vers la galerie charnelle que je ne parviens pas à étoffer.

-                Violette, violoniste aux longs cheveux bruns, blanche de corps, l’intimité en broussaille à tel point que j’avais du mal à m’y frayer une voie pour ma langue ou mon sexe. Très peu d’expérience sexuelle, et peut-être même vierge. Flirt poussé plus que vrai partage sexuel. Conversion assez rapide en amitié suivie, jusqu’à récemment.

-                Une luxembourgeoise, étudiante à Paris. Rencontre minitellienne (comme Sophie) à visée purement charnelle. Joli visage, assez sophistiquée, mais un bas du corps pas assez fin à mon goût. Intense et brève relation sans ébauche de sentiment. Me revient son penchant pour la sodomie, tendance rarissime chez les demoiselles croisées.

-                Séduction contradictoire pour cette jeune femme élancée, aux lignes parfaites, les petites lunettes sévères, allure cadre commerciale. Partage d’un restaurant avant de finir la nuit chez elle. Souvenir de tergiversations de sa part avant qu’elle ne m’ouvre son lit. Malgré l’apparent partage, elle ne renouvellera pas l’intimité et le lien s’étiolera rapidement, malgré mon insistance. Chagrin sur le moment, je pressentais aussi un caractère inconciliable avec le mien.

-                Mauriane, exemple d’une amitié (aujourd’hui perdue de vue depuis quelques années) qui a dérivé à plusieurs reprises vers le sexuel. Petite blonde vive, aux taches de rousseur multiples et à la finesse corporelle appréciable. Rencontré lors d’une manifestation locale autour du livre, j’ai suivi son parcours professionnel pendant plusieurs années. D’origine bretonne, elle tentait de trouver sa voie à Paris. Nous avons toujours privilégié le lien amical, affectif, considérant les quelques écarts sexuels accordés comme favorisant la baisse de tension à visée séductrice entre nous. Entre la rue Vercingétorix et la rue Mouffetard, quelques épisodes charnels agréables. Le dernier a réuni Sandre et Mauriane pour un trio coquin où je me faisais davantage voyeur qu’acteur. De très érotiques souvenirs, même si cela est resté très retenu, finalement. Il aurait fallu renouveler pour créer un vrai lien sexuel.

-                Le coup de billard… très vague souvenir. Une première fille qui, après partage érotique, me conduit chez des amies et, parmi elles, une future conquête charnelle. Cette dernière, une photographe gourmande, qui m’apprend chez elle à jouer quelques airs de Satie à son piano. Relation assez suivie, mais absence de sentiments suffisants de ma part. Elle prendra quelques clichés de moi que je ne verrai jamais. Quelques années plus tard, au téléphone, elle me confiera être la maîtresse d’un député, l’actuel ministre de la santé et de la recherche, le dynamique Mattéi.

-                Après échange épistolaire et photographique, venue pour une nuit de cette jeune bretonne dans un hôtel proche de la Gare du Nord. Une vraie nuit charnelle avec un goût prononcé chez elle pour la fellation. L’entrevue sera unique même si, chez elle, germaient des sentiments. Je m’interdisais tout suivi tant qu’un véritable penchant n’existait pas. Elle prit un train le lendemain matin, ayant assimilé ma position.

-                Un bon parti financier que cette toute jeune fille à l’aspect garçon manqué, aux lignes du visage un peu trop masculines à mon goût, mais avec un appétit sexuel communicatif. Avec un père dans l’immobilier, elle pouvait compter sur de confortables rentes. Son physique peu attrayant ne lui garantissait aucune histoire sentimentale sérieuse et durable. Regrettable situation, car elle possédait un véritable sens de l’excitation débridée. Un suivi cordial avec cette F. (le prénom me revient à l’instant) jalonné de quelques écarts sexuels sans réelle motivation de ma part.

 

Dimanche 16 mars, 0h30

Très gentil passage des parents de BB. Les plaisirs de la table ont été honorés par les menus à domicile et, vendredi soir, un des bons bouchons lyonnais : le Pique-Assiette.

L’esprit n’a pas été négligé avec, ce soir au transbordeur, un match d’improvisation théâtrale entre les équipes de France et de Lyon. Créativité, réactivité et drôlerie nourrissent les prestations de ces jeunes gens, parmi lesquels Cécile, amie de Bonny. Le hasard du remplissage de la salle me fait apercevoir Lise-Marie et son mari. Mes courriels n’avaient pas suscité de réponse, peut-être que cette brève entrevue relancera notre cordial rapport.

En vrac, pour le reste : Ornelle, après sa rupture avec Jérôme, aurait une nouvelle piste en vue. Si cela contribue à maintenir un équilibre psychique fragile, qu’elle s’amuse. Shue m’a annoncé sa date de soutenance, le 10 mai prochain, et m’a à nouveau remercié pour mes « coups de baguette magique » pour son rédactionnel.

 

Jeudi 20 mars

À la veille du printemps, les jours (et surtout les nuits) s’annoncent maussades pour l’Irak. Vers quatre heures du matin, quelques points, jugés cruciaux par la défense américaine, reçoivent une quarantaine de missiles. Une entrée guerrière limitée qui, sitôt les conditions climatiques favorables (fin de la tempête de sable et de la pleine lune), laissera place à un plat de résistance très chargé en poudre.

Douze ans après la guerre du Golfe, la guerre d’Irak se voudrait, côté américain, plus expéditive et moins sanglante. La mauvaise foi propagandiste demeure la règle : hier sérénade des « frappes chirurgicales », aujourd’hui antienne des « bombes intelligentes » ! La dialectique pour maquiller l’ensanglantement barbare programmé ne tarit pas en inspirateurs. Le cynisme des deux camps amène parfois à songer que ne pas s’informer serait peut-être plus salutaire. En tout état de cause, l’être ou ne pas l’être n’influe en rien sur l’événement. Cela ne fait que soulager sa fibre voyeuriste et donne de l’importance aux actants des événements.

21h30. Les tics médiatiques des événements de crise ont repris place. L’intervention terrestre plus bombardements sur Bagdad ont attisé la machine journalistique. En France, des manifestations anti-guerres cultivent un anti-américanisme primaire. Le « ni Bush ni Saddam » laisse songeur.

 

Samedi 22 mars, 0h05

Phase d’intensification des bombardements sur Bagdad et déclenchement de l’offensive terrestre. Les premiers morts côté alliés ont été causés par l’écrasement accidentel d’un hélico, je crois. Au-delà de cet épisode absurde et terrible, de multiples faits nourrissent chaque journée de guerre.

11h30. La tristesse doit prévaloir face au cynisme des deux parties à la tête de la confrontation guerrière, mais à choisir, le camp américain s’impose à moi, naturellement. Que sa puissance l’ait amené à des manœuvres méprisables qui jalonnent sa politique extérieure, nous ne pouvons l’éluder. Doit-on pour autant préférer le totalitarisme sanglant (un pléonasme) de Saddam ? La voie des inspections nous conduisait insidieusement vers la tolérance passive sous couvert de bonne conscience onusienne. Les intérêts des Américains sont là, c’est incontestable, mais pas plus que les intérêts des autres nations à travers le monde. La différence ? Les Etats-Unis ont, eux, les moyens de leurs ambitions. L’Europe, elle peut tout juste s’accorder sur des évidences en forme de poncifs diplomatiques du genre, « il faut aider les Irakiens » ! Quel pays ne voudrait pas de ce programme post-guerre ! Besoin d’une réunion pour cela ? Pour avoir quelque chose à afficher autre que les déchirements cumulés ces dernières semaines ? Le grotesque ne pouvait être plus imposant. Il aurait été plus sage d’annuler toute rencontre plutôt que d’offrir ce spectacle.

A l’inverse, les Etats-Unis ont affiché à leur tête une détermination sans faille : seule recette qui vaille face au charismatique tyran.

14h45. La masse d’informations délivrées ne doit pas faire oublier la règle décuplée en temps de guerre : le minimum d’annonces antérieures à l’action et la maximalisation des résultats obtenus.

 

Dimanche 23 mars

9h30. Comme un principe événementiel, ce qui se réalise correspond toujours au contraire de ce qui était espéré, programmé ou redouté. La guerre du Golfe se plaçait sous le signe d’une armée irakienne redoutable : elle fut balayée par la Tempête du désert en quelques jours après, certes, avoir subi une longue campagne aérienne de bombardements. Avec la guerre en Irak, les clairons médiatiques, nourris par les responsables militaires, ont annoncé une guerre-éclair agrémentée par l’accueil chaleureux d’une population libérée du joug, comme à Bassorah. Or, là encore, le terrain tâté apporte son lot d’imprévus : ainsi les poches de résistance qui se maintiennent au port Oum Kash ( ?) alors que cette ville se situait dans la zone démilitarisée occupée par l’ONU. Cinq jours d’abandon par les casques bleus auraient suffi pour que les forces irakiennes se reconstituent. Ainsi Bassorah qui, loin d’accueillir les Américains en libérateurs triomphants, telle une Normandie irakienne, résiste au point d’obliger les troupes alliées à contourner l’objectif en espérant pouvoir négocier la reddition avec les forces républicaines de Saddam. Alors, faut-il évoquer un enlisement du conflit, voire une retraite des forces anglo-américaines après moult pertes conséquentes et un embrasement général ?

La puissance de l’armada déployée et le professionnalisme des hommes engagés ont tellement été serinés que les écarts grippant, de cette impressionnante puissance de feu, qui s’accumulent, peuvent apparaître comme des signes néfastes : deux accidents d’hélicoptère, un avion de la Royale Air Force abattu par un missile américain, un sergent américain de confession musulmane qui canarde ses frères d’armes de la cent unième division aéroportée. Tout cela aboutit aujourd’hui à un nombre de morts dans le camp des alliés occasionnés en interne largement plus conséquent (de l’ordre de 95 %) que ceux morts au combat contre les Irakiens. On connaît le poids du psychologique dans les troupes, et tous ces accidents ne contribueront pas à la sérénité combative.

Ne pas oublier, cependant, que le moral de l’armée irakienne ne doit pas être mieux logé face au rouleau compresseur américain, mais là aucune information ne filtre.

 

Mardi 25 mars

Les signes d’un enlisement du conflit se multiplient : là où les forces de la coalition devaient être accueillies en libérateurs du tyran, l’opposition guerrière s’est durcie. L’étalement des troupes en Irak laisse craindre une certaine faiblesse face à la garde républicaine. Des doutes émergent çà et là sans qu’aucun expert ne se risque à prophétiser une victoire inatteignable par les anglo-américains, voire une défaite.

Pourtant, jusqu’ici, tout est allé différemment, et parfois à l’inverse, des présupposés militaires. La bataille de Bagdad sera évidemment déterminante. Les bombardements aériens auront-ils suffi à préparer le terrain des combats ? Une population déchaînée contre les troupes, au-delà de l’affrontement militaire programmé, risque d’aboutir à un carnage inextricable des deux côtés. Par ailleurs, la détermination suicidaire de la garde républicaine pourrait occasionner de bien plus profonds traumatismes aux alliés. Le mental fera tout, la technique ne pouvant pallier à une démobilisation grandissante. Une seule certitude : les sombres et tragiques jours qui se dessinent au sang frais.

 

Jeudi 26 mars

Anniversaire de ma BB en osmose à domicile. Tendres moments agrémentés d’une boustifaille marine en excès. Fin de soirée à l’horizontal dans un charnel tourbillon.

Le moral d’Ornelle s’améliore sous l’influence bénéfique de son nouveau petit ami, un certain Ivan. Le prochain vendredi, soirée festive avec la miss, Shaïna et le nouveau copain. BB partagera un petit instant.

Ornelle m’annonce au téléphone qu’elle me remettra un écrit très personnel sur l’affaire sentimentale qui vient de s’achever et sur mes actes d’amitié. Un peu ego dans l’âme, j’attends avec impatience de les découvrir.

11h30. D’ici, les échos des combats en cours se banalisent presque. On ne peut, sauf pour les familles impliquées, s’immerger à tout instant dans cette tragédie. La pollution informative est telle qu’elle obscurcit la réalité du drame humain qui se joue en Irak. Pourquoi les médias chargent-ils leurs interventions de ce jeu sordide entre les deux camps. Le black out devrait s’imposer pour tout ce qui n’a pas été directement constaté par les journalistes. Le tragique en serait ainsi préservé.

 

Vendredi 27 mars naissant, 0h

Les semaines, voire les mois, qui s’annoncent pour les troupes anglo-américaines vont être atroces si le tyran d’Irak n’est pas abattu. Avant même de parvenir jusqu’à Bagdad, où se concentrent les forces irakiennes les plus crédibles, la résistance n’a pas été symbolique. La détermination des militaires fonctionne en vases communicants entre les deux camps : plus les projets américains seront contrariés meilleur le moral irakien en résultera. A trop avoir contourné les villes jugées militairement dangereuses pour mieux filer vers la capitale, les troupes américaines se sont étalées sur plusieurs centaines de kilomètres non sécurisés et risquent de se faire prendre en tenailles par les belligérants laissés à l’arrière. A trop avoir claironné son programme d’action, les Etats-Unis ont offert aux forces de Saddam Hussein la marge nécessaire pour se préparer. Ainsi la bataille de Bagdad renouera avec la pire des traditions belliqueuses de bain de sang. Si la population cultive sa fibre nationaliste et son anti-américanisme, l’enlisement inextricable rendra cauchemardesque l’aventure anglo-américaine. Espérons que le chaos n’atteindra pas ces extrémités.

21h. Nouvelle bavure aérienne des alliés sur Bagdad : un marché canardé, une cinquantaine de morts. Les jours passant marquent certes des avancées anglo-américaines, mais renforcent surtout le nationalisme irakien, jusqu’à fournir une jouvence au charismatique Saddam érigé en grand défenseur de l’intégrité du pays. Un comble : les services secrets anglais avaient prévenu les autorités américaines des difficultés qui les attendaient. Encore un paramètre négligé par la super, de moins en moins hyper, puissance. Le régime du tyran sombrera certainement, mais le match nul psychologique s’annonce, avec même un léger avantage pour les barouds d’honneur des forces irakiennes à venir.

À trop vouloir manifester leur puissance, même pour de justes causes, les Américains perdent le peu de sympathie qu’il leur restait dans les pays arabes.

Ce carnet de guerre (à grande distance) tenu dans l’attente du trio festif : Ornelle, son nouveau copain Ivan et la toute belle Shaïna, à nouveau célibataire. Ma BB ne passera qu’un instant pour un coucou amical : hier, obligée de rester à domicile suite à un jeudi éprouvant, avec mélange de nausées et de vertiges. Passage du médecin relativement rassurant : un problème passager de vésicule biliaire ; les détails techniques m’échappent. La voilà en tout cas remise sur pied, prête pour son week-end de labeur.

 

Lundi 31 mars

Malgré ces jours sombres où tous les chaos définitifs semblent mouler le quotidien médiatique, la dualité humaine peut réconcilier avec l’humanité. L’intensité divine d’un échange où la séduction entretient la tension offre un vrai contraste bénéfique. Si l’on ne pouvait retenir que ces tendres et harmonieux instants… Le visage enfoui entre les cuisses de l’aimée, de la désirée, les lèvres roses ou brunes, le parfum envoûtant, donnent des élans gourmands pour submerger encore plus de plaisir. Plutôt que d’insuffler du religieux dans cet affrontement guerrier, adoptons la vraie communion, celle du sexe sans retenue. Comme une beauté intime qu’il faut laisser s’épanouir.

A noter la persistance des médias (et des militaires) à désigner les forces tyranniques à la botte de Saddam selon le vocable imposé par le sanguinaire : la « garde républicaine ». Ainsi, plusieurs milliers de fois par jour, les médias internationaux participent à la propagande du régime totalitaire, sans penser  à rebaptiser ces forces d’une expression plus adéquate.

Pour les antirépublicains, cela peut amuser…

 

Jeudi 3 avril

23h30. La bataille de Bagdad connaît ses prémices via l’aéroport. Les jours passant, cette guerre égrène ses tueries massives, ses bavures effroyables dans une opacité variable. Rien n’arrêtera plus l’écrasante supériorité anglo-américaine. Certes la guerre éclair technologique n’a pas eu lieu, mais les coups de boutoir aériens portés contre les forces irakiennes s’avéreront décisifs.

 

Vendredi 4 avril

Semaine chargée en enseignements barbants. Le public des BEP au BTS m’irrite et me navre de plus en plus par la couenne en double couches que la plupart trimballent en lieu et place de cortex. De moins en moins de parcelle d’intérêt pour cette occupation. Ecrire sur le sujet ne peut me catalyser bien longtemps. Je laisse s’écouler les semaines sans aucune accroche pour ce métier. Je me sens toujours dans le provisoire. Exit donc ces apartés professionnels.

 

Samedi 5 avril, à peu de minuit

L’angoisse du Bagdadi, et des autres civils irakiens, ne peut être imaginé dans son intensité. La menace permanente doit influer sur l’état dégradé de santé. Comme notre confort est précaire !

 

Dimanche 6 avril

La propagande du régime irakien atteint le surréalisme avec la menace grandissante d’anéantissement. On pouvait ainsi entendre le ministre de l’information assurer que les troupes américaines avaient été boutées hors de l’aéroport international Saddam et que ces dernières avaient profité d’un retrait des forces irakiennes pour revenir filmer et servir ainsi la propagande ennemie. Le délire argumentatif s’accroît donc…

Plusieurs appels aujourd’hui : Shue qui, suite à la regrettable omission d’envoyer un exemplaire de la thèse à son directeur furieux de cet oubli, a besoin d’une aide rédactionnelle pour un courriel d’excuse. Ornelle m’apprend le gros mensonge de Jérôme : il avait bien couché avec son ex le fameux soir de son accueil chez lui de la demoiselle. Depuis un mois, il sort avec elle et se mure dans le silence, ce qui peut s’expliquer par une certaine honte. De mon côté, je ne tenterai aucune démarche d’approche. Aucune envie et aucun intérêt pour moi.

Dernière manifestation téléphonique : la joyeuse Aurélie qui devrait nous rendre visite, avec Liselle, le week-end de Pâques, dans quinze jours. Un grand plaisir de retrouver ces deux jeunes femmes. Liselle semble, d’après Aurélie, avoir apprécié ma persévérance à conserver ce lien amical, malgré les silences renouvelés.

 

Mardi 8 avril, bientôt minuit

Ce soir, encore une réunion pédagogique pour le suivi de formation des auditeurs. Je n’ai vraiment pas l’état d’esprit du salariat revendicatif et critique, par en dessous, des employeurs. Cela me répugne même d’avoir à entendre leurs pics vaseux. Je sais trop ce que représente d’angoisse et de combats constants le fait d’être en charge d’une PME.

Une partie de l’équipe pédagogique de vautre dans cette pitoyable performance consistant à critiquer ceux qui vous emploient. Aucun intérêt pour moi de rentrer dans ces enfantillages dialectiques. Si j’ai à défendre quelque chose, je le ferai seul et sans chercher ces complicités de parade. Voilà qui m’incite à demeurer très individualiste dans la sphère professionnelle.

 

Mercredi 9 avril

20h. La guerre en Irak touche à sa fin. La bataille de Bagdad ressemble fort à une déliquescence des forces irakiennes. La liesse des Bagdadis devrait, j’espère, calmer les anti-américains. Malheureusement, le comportement populacier rappelle la connerie humaine fondamentale et que la loi du plus fort est toujours la meilleure.

Le déboulonnage des statuts de Saddam, les Irakiens crachant, piétinant et insultant les portraits du dictateur, devraient retourner les peuples arabes. Il faudra qu’un certain nombre de dirigeants et de populations anti-guerre reconnaissent s’être trompés et que la mauvaise foi cesse.

23h30. Profil bas devrait s’imposer aux dirigeants politiques qui redoutaient un embrasement général, voire un inextricable embourbement des Anglo-américains. Certes bavures, dommages collatéraux et dégommages injustes ont atteint les civils : cela ne pèse pourtant pas lourd face aux presque trente-cinq ans de terreur. Le sommet des anti-guerres à Saint Pétersbourg avec Chirac, Schröder et Poutine apparaît aujourd’hui, s’il est maintenu, totalement déplacé et dérisoire. Mea culpa des quelques délires aberrés que ces pages portent : le conditionnement socio médiatique influe puissamment sur les consciences.

Ce jour, sous de plus ludiques auspices, découverte du cadeau collectif (parents, moi et François) pour BB : un VTC d’esthétisme sobre.

Ce mois, des week-ends chargés en visites : le prochain mon père et sa petite famille font une halte à Lyon pour une nuit. Le suivant Aurélia et Liselle seront réunis à Lyon pour des moments pétaradants comme au bon temps de Royan ; et le dernier d’avril, Marie et sa sœur découvriront les beautés mystiques de la région.

 

Samedi 12 avril

Spectacle édifiant des pillages qui confirme bien la nature abjecte de l’humanité. Que ce peuple s’en prenne aux bâtiments publics se comprend, certes, mais en profiter pour s’attaquer au domaine privé et dévaliser le contenu amènerait à regretter la poigne de fer du Saddam introuvable.

Hier soir, très agréable et sonore soirée au bar de la radio, cours Gambetta, avec Gérald à la voix, Eddy et accointances (dont Rita de Forpro) pour le relationnel, quelques cordes vocales de passage (dont les miennes) au micro, et même le passage de quatre auditrices de Forpro qui passent leur BTS cette année. Moments joyeux à renouveler le 16 mai.

 

Dimanche 13 avril, 23h40

Affective réunion pour le passage de mon père, Anna et leurs deux bouts d’chou. Découverte de ma ville d’ancrage sous un bleu printanier. La gourmandise honorée avec le réputé bouchon lyonnais Le Pique Assiette le samedi soir, puis détente au soleil via les parfums enchanteurs du glacier Nardone ce midi avant leur départ pour Courchevel. Des préliminaires de vacances de Pâques qu’ils ont bien appréciés.

Côté découvertes : le parc de la tête d’Or, la basilique de Fourvière et son panoramique point de vue, descente par les allées verdoyantes vers le vieux Lyon, retour par la place des Terreaux et détour par mon lieu professionnel…

Mon père a bien apprécié le calme de cette ville qui a fait pour beaucoup mon attachement : ni l’entassement parisien, ni l’exubérance marseillaise, Lyon la réservée. La plus belle des séductions ne se fait-elle pas dans la retenue ?

Dans un état beaucoup moins enviable, les villes d’Irak n’en finissent pas de subir les assauts minables des pilleurs. Difficile de reprocher aux troupes anglo-américaines de ne pas faire respecter l’ordre alors que la guerre n’est pas encore achevée (Tikrit résiste encore, mais plus pour très longtemps). Facile, en revanche, de souligner l’absence totale d’éthique, de responsabilisation moralisée chez beaucoup de congénères sitôt des conditions anarchiques à portée. Et ne croyons pas que nos pays occidentaux y échapperaient si le terrain favorable aux comportements débridés s’offrait.

 

Jeudi 17 avril

Si les Anglo-Américains ont magistralement mené leur guerre éclair, l’enlisement risque de ternir la phase de rétablissement de l’ordre et des services publics. La gestion d’un Irak à reconstruire ajoutée au coût global de la guerre devrait avoisiner les deux cent milliards de dollars alors que le revenu annuel de la vente du pétrole irakien ne s’élève, au meilleur débit, qu’à dix-huit de ces mêmes milliards. Les pays européens qui n’ont pas versé le prix du sang devraient aligner quelques biffetons pour être pardonnés par le grand allié.

A voir, hier, la guerre secrète entre la CIA et le FBI, on est pris de dégoûts en chaîne. Ces services qui devraient travailler de façon complémentaire et qui sabotent les indices qui auraient pu faire éviter les cataclysmes comme le 11 septembre…

A cela s’ajoute le rapport avec le président en place qui peut atteindre le rejet total comme le fit, criminellement, Clinton qui ne tînt aucun compte d’alertes graves. Au regard de l’histoire, il faudrait replacer certains personnages à leur juste valeur ou à leur médiocrité consubstantielle.

 

Vendredi 18 avril

Appel d’Ornelle cette semaine pour m’informer des derniers rebondissements de la chronique jérômiesque. À la fête du centenaire du lycée Belmont, à Lyon, il s’est montré plus exécrable et ambigu que jamais. Quel gâchis cette histoire avortée, même si le sympathique Ivan a comblé le vide sentimental. En regardant l’agrandissement de nous cinq (les deux couples et Shaïna) à la Saint Sylvestre, un pincement au cœur s’est imposé. Comment une si vive complicité a-t-elle pu tourner aussi vite en eau de boudin ? Dérisoires lamentations face aux drames mondiaux, mais la proximité affective justifie toutes les focalisations littéraires. Notre amitié affective avec Ornelle aura survécu, et c’est pour moi l’essentiel.

 

Samedi 19 avril

7h30. Un réveil tendrement charnel avec ma BB ennoblit ce début de matinée ; le début d’après-midi accueillera les joyeuses Aurélie et Liselle (et peut-être une copine, C.). Elles demeurent en place d’honneur dans les moments les plus festifs de mon existence. Le quatuor royannais pour quelques jours de vacances aoûtienne, avec ce cher Karl qui manquera au tableau lyonnais de ce week-end, fonctionnait dans une pétillante symbiose séductrice. Nous avions trouvé là, par le hasard d’une boîte et la volonté empressée de Karl, les plus idéales complices que nous pouvions espérer. Les désirs se transmuaient en débordements verbaux allusifs, ce qui évita que cette réunion ne se marquât (couronnement ou délitement ?) de coucheries à partenaires variables. Seul le temps trop court assombrit un peu la fin, mais avec sa perspective comme donnée préalable, il participa certainement à densifier les instants partagés.

Autre registre d’émotions, hier après-midi, lors du test de quatre heures sur une synthèse de documents des BTS 2002-2004. ayant imposé l’éparpillement des auditeurs selon le scolaire principe du un-par-table, je me retrouve avec juste face à moi, à moins d’un mètre, avec l’une des plus mignonnes du groupe, une certaine Diane R. Blonde au visage d’une beauté impeccable, elle me rappelait Kate dans sa manière d’être et ses mimiques expressives. La fragrance qui me parvenait lors de certains de ses gestes, les rares effleurements de pied (toujours de son fait !) suivis d’excuses, les regards plus ou moins appuyés pour la concentration, les sourires magnifiques accordés, tous ces écarts entretenaient, malgré moi, un trouble délicieux.

Hier soir, idée de plonger un instant dans le Voyage de Céline, lu beaucoup plus jeune. Accroche immédiate, je vais m’accorder cette digression littéraire avant de revenir à Léautaud. Tous ces livres dont la lecture me manque… que la fuite du temps détruit nos espérances.

 

Mardi 22 avril, à bientôt minuit

Un sain colletage avec le groupe des Bac pro du matin que j’ai en français : ces incompétences crasses prêtes à critiquer l’organisme de formation n’ont pas une once d’autocritique. Leur existence résumée à une insignifiante traçouillette merdeuse ne les dissuade pas de s’ériger en petits juges minables. A trop accorder de libertés, notre système produit des lavettes revendicatrices et incommodantes.

Ma mise au point de ce matin a pu éclaircir ma détermination à ne rien laisser passer qui pourrait faire croire à de la complaisance quant à leur comportement et à leurs jugements dérisoires. Je suis, par apriorisme, un ennemi de l’espèce humaine confirmé chaque jour par la justification de cette posture. C’est vraiment un public pédagogique de merde que ces auditeurs à renvoyer à leur petite envergure existentielle. L’enseignement à ce type d’humanoïdes aura eu le mérite de me conforter dans mes méfiances misanthropiques pour les groupes.

La vie offre heureusement d’autres êtres d’une épaisseur, d’une qualité et d’un talent incomparables, à des univers de ces ratouillets en formation par alternance. Côté scène, le crépuscule a emporté la divine Nina Simone, mais l’éternité humaine captera ses sons et modulations pour notre plus grand bonheur. Côté débutants prometteurs, la première représentation du Corps à corps, écrits et mis en scène par Judith L., a révélé des comédiens magistraux, jouant de leur corps (souvent nu) et de leur voix dans un ballet troublant.

L’Irak laisse s’exprimer les chiites, tous persécutés sous l’ex successeur de lui-même. Dorénavant, c’est la république islamiste qui menace. Les Américains vont devoir surveiller tous ces fanatiques.

 

Mercredi 23 avril, minuit proche

Sans excuser les atrocités sanguinaires de Saddam, on peut comprendre le choix du répressif impitoyable pour étouffer les dérives islamistes de Chiites. Le laissez-faire américain à Kerbala risque d’engendrer la naissance d’une nouvelle plaque tournante pour les fous de dieu. Cette régression annoncée de la société, et en premier lieu pour les femmes, ne provoque aucune manifestation de condamnation dans le monde, et notamment chez tous ces occidentaux déchaînés dès qu’il s’agit de vilipender les pratiques américaines. Le noyautage clandestin des mouvements religieux par des iraniens très mal intentionnés, défendant une société talibane, ne soulève aucune protestation des si impartiaux pacifistes.

Et qu’on ne leur demande surtout pas de s’expliquer sur l’incohérence manifeste de leur réactivité à deux mesures, ils nous accuseraient illico d’être à la solde de l’oncle Sam...

 

Samedi 26 avril

Petite pause dans la correction des quelques lamentables copies ramenées de Forpro. Le gros de l’espèce humaine n’a d’attrait ni pour son fond barbare prêt à s’exacerber au moindre lâchage de bride, ni pour sa vertigineuse inculture affadie d’amnésie. Une platitude ennuyeuse alliée à une dangereuse animalité (cf. les automobilistes) : voilà le tableau désespérant de l’humanité du XXIe siècle, dans le droit fil du XXe, avec un retour en force des religieux de tous dieux comme substitut pernicieux aux idéologies totalitaires. Démocraties permissives contre rigidités pseudo mystiques, voilà le pitoyable duel d’arrière-garde que les décennies nous réservent. Pas encore pour ce siècle notre évolution morale.

Me voilà m’improvisant prophète comme dirait la pieuse Marie arrivée vendredi soir avec sa sœur et son frère. Nouvelle bombance au Pique Assiette de la rue de la Baleine : très agréable et bavarde soirée jalonnée de la lecture d’extraits du Gâchis et d’une lettre de Marie adressée à son futur ex compagnon de route et mari… Je découvre les rapports affectifs, mais parfois un peu tendus, entre Marie et ses collatéraux qui n’hésitent pas à critiquer ses délires interprétatifs ou l’absurde acharnement à vouloir envisager une histoire sentimentalo-transcendantalo-mystique avec cet esbroufeur de première classe. Marie ne cache d’ailleurs pas l’escroquerie intellectuelle du jeune homme qui, sept ans avant, lui adressait une déclaration enflammée d’un amour absolu pour, trois semaines plus tard, la prévenir par une télécopie lapidaire qu’il se mariait. On fait difficilement plus goujat ! Esprits très vifs de la belle et sculpturale sœur et du sympathique frère aux yeux d’un bleu éclatant, tous deux loin des déviances fantasques de leur aînée. Dommage que cette jeune femme s’entête jusqu’au gâchis d’années entières à attendre l’inspiration divine et l’improbable révélation sentimentale côté réchauffé.

 

Dimanche 27 avril

Hier soir, au Red Lion’s, une Marie transfigurée et renouant avec le penchant de ses jeunes années : dans les transes de la danse, elle semble mettre un moment en réserve la rigidité apparente de sa posture intellectuelle. Très attachante dans cette détente provisoire.

Ma BB a passé quelques moments avec nous pour le repas à domicile.

Départ du trio suisse et un grand plaisir d’avoir pu les accueillir. A noter la tension sous-jacente qui perle parfois dans l’attitude des deux collatéraux à l’égard de leur grande sœur. Il semble que sa trajectoire existentielle et son jusqu’au boutisme religieux n’épousent pas leur teneur affective. Les réunions doivent demeurer exceptionnelles.

Dernière semaine épuisante en son début pour une détente festive à partir du premier mai et de l’arrivée de Louise et François et, d’une façon plus hypothétique, d’Aude et Mylène. Les réceptions se succèdent mais n’altèrent en rien la qualité des entrevues. Ces échanges privilégiés, loin du grégarisme bêtifiant, me réconcilient avec l’humanité. L’univers affectivo-amical que l’on entretient s’avère primordial pour extraire de l’existence quelques parenthèses favorables.

 

Lundi 28 avril, avant minuit

De Saint-Etienne à Lyon pour le pro. À la fin du cours du CR BEP, réunion improvisée des formateurs et des responsables administratifs. Mesdames V. et L. nous apprennent que le mari de J.S., la troisième associée, responsable du secteur commercial, vient de mourir d’un cancer à 53 ans. Une collecte est proposée pour qu’une gerbe de fleurs, au nom du personnel administratif et de l’équipe pédagogique, soit déposée à l’enterrement ce mercredi. J’y suis bien évidemment allé de ma contribution, avec une réelle peine pour cette fin brutale.

Ce cher Antoine Sfer, habitué de l’émission C dans l’air d’Yves Calvi, a encore une fois nourri l’intelligence par ses analyses limpides et solides.

 

Vendredi 2 mai, vers 2h30

Séjour de Louise et François, Aude et Mylène ayant finalement renoncé aux charmes lyonnais. Evocation ce soir d’un médecin urgentiste de la clinique, un certain L., infection humanoïde qui concentre les plus éprouvants défauts, à commencer par la crasse corporelle.

 

Jeudi 8 mai

Journée de détente printanière avec ma BB avant mon séjour parisien, en l’honneur de la soutenance de Shue.

Cette nuit, rêve qui révèlerait mon attachement profond à ma dulcinée : à Paris, pressé comme l’exige le rythme conditionnant, j’en arrive à perdre de vue BB en prenant un RER. L’angoisse de ne pouvoir la joindre, qu’il lui arrive quelque chose, puis le contact téléphonique avec une bouderie de sa part et ma peine en résultant… enfin le réveil. Rassuré lorsque je vois ma belle en cheveux à mes côtés, nue sous la couette !

Deuxième fois que nous pédalons jusqu’au parc de Miribel. La piste cyclable aménagée au bord du Rhône cumule les surfaces et les paysages. Peu d’enclin pour la population qui se dore sur les étendues mi vertes mi nsablonneuses, mais mon style de vie, l’urbain modeste, me contraint à ces promiscuités, mince désagrément au regard de la sérénité psychologique retrouvée. Au fond de l’étendue, tournée vers les bois qui le bordent, je pourrais, le son coupé, me croire dans un plus isolé endroit.

Visionné ce matin un documentaire sur la genèse de la fin tragique de Bérégovoy. A le voir si heureux dans son bureau de Premier ministre, entouré de petits-enfants adorables d’innocence, on aurait voulu que ce parcours exemplaire ne s’achevât pas dans la gabegie suicidaire. L’acharnement politico-médiatico-judiciaire aura miné l’ex tourneur-ajusteur (ou fraiseur) qui voulait purger un peu les financements politiques.

23h30. Presque machinalement, je décide de revenir une troisième fois aujourd’hui dans ces pages. J’aurais dû m’abstenir, car rien n’accroche plus mon esprit à cette heure. Eviter le remplissage sans saillance. Les mélodies vivaces de Fréquence Jazz n’ont même pas d’effets catalyseurs pour une plume amorphe qui se répand sans nécessité. La légitimité d’écrire m’abandonnerait-elle ?

 

Vendredi 9 mai

Le train qui, quelques années plus tôt, berçait le rythme de mes phrases, n’apparaît plus aujourd’hui que rarement comme un lieu d’inspiration. L’événement qui motive mon déplacement : la soutenance demain à 14h30 salle Bourgeac de la Sorbonne, de la thèse sur la place de la langue-culture française en Iran par ma très chère Shue. L’occasion d’une immersion éphémère dans la Big Lutèce et dans son quartier estudiantin aux nostalgiques accents. La matière juridique, puis littéraire ont retenu mes passages furtifs, et souvent critiques, à Paris I et III. Mon état psychologique et mes engagements affectivo-professionnels minoraient ma facette d’étudiant, jusque dans ces pages. Un peu plus d’allant et d’initiatives dans cet univers fourmillant auraient peut-être modifié ma perception condescendante d’alors. Quelques amitiés en sont tout de même restées : Melycia et Sonia, cette dernière que je dois voir dimanche soir, pour celles qui ont survécu.

 

Samedi 10 mai

Arrivé hier dans l’appartement de la tante de Shue (quai de Grenelle), je suis accueilli très affectueusement. Ma chère amie me remet un exemplaire de sa lourde thèse en didactologie des langues et des cultures : La langue française en Iran : histoire, situation actuelle et perspectives d’avenir.

Dans les remerciements, après celui classiquement adressé à son directeur de recherche, le professeur Robert Galisson, cette mention : « Mes amis qui n’ont pas cessé de me soutenir durant ces dernières années et plus particulièrement LD pour son aide précieuse dans la relecture de cette thèse et pour le témoignage de son amitié sincère ». Très touchante attention qui me fait m’approprier un chouia cette étude.

Le soir, invitation, avec sa tante L. et John, au Spoon food & wine, restaurant gastronomique sous la tutelle talentueuse d’Alain Ducasse. L’idée de cette enseigne récente (avec quatre établissements : Paris, Londres, Iles Maurice et Japon) est synthétisée sur leur carton de présentation : « Véritable invitation au voyage. Spoon revendique la liberté culinaire. À chacun de composer son itinéraire en créant un métissage inédit avec des produits et des techniques du monde entier. » La carte propose effectivement une liste de plats avec suggestion des trois éléments constituants (le plat, son assaisonnement et sa garniture) mais le « 1 + 2 + 3 » peut faire l’objet d’une recomposition en piochant parmi tous ceux proposés. Faisant confiance aux harmonies culinaires mitonnées nous découvrons la succulence à enchaînements démultipliés pour les papilles. Ma marmite de légumes frais aux saveurs tourbillonnantes, les Saint-Jacques révélées par l’action gustative combinée d’une sauce enivrante et d’une salade composée de fraîches denrées, le Récré ‘o’ choc et ses quatre mini desserts au chocolat qui obtiennent la fonte jouissive (la fameux « o ») du convive : le parcours culinaire réalisé depuis la rue de Marignan m’a propulsé vers les cimes de l’art gastronomique, avec une mention de satisfecit total pour le Shiraz qui a souligné le voyage en bouche.

Comme toujours, lors de mes venues à Paris, je tente quelques appels aux accointances, plus ou moins entretenues, pour obtenir une éventuelle entrevue qui rafraîchirait le lien. Pour le moins inespéré, je parviens à entendre Karen, à qui j’avais envoyé tant de messages lors de sa sombre période d’anorexie mentale. Voix posée, détachée, comme si rien d’anormal n’avait entaché l’amorce de notre relation amicale, elle me demande des nouvelles et m’apprend sa merveilleuse situation : elle doit accoucher en juin ! Voilà une résurrection productive. Promesse de se voir lors de sa prochaine venue à Lyon où réside la sœur de son compagnon. Je ne serais pas étonné que cet engagement reste lettre morte, comme les précédentes. Je reste en effet un peu échaudé par les multiples tentatives passées pour maintenir un lien avec elle et qui ont embrassé le néant. Méfiance donc : la personnalité est attractive sans conteste, mais sans fiabilité, sans détermination dans le maintien de rapports humains qui ont pourtant été déclarés bénéfiques. Je me dois aujourd’hui d’être détaché et d’attendre une éventuelle preuve de sa volonté… J’en ai déjà trop écrit…

 

Dimanche 11 mai

Soulagement : après des critiques parfois très vives de trois membres sur quatre du jury, contrebalancées par une défense magistrale de Robert Galisson, Shue devient docteur de l'Université Sorbonne nouvelle avec la mention très honorable.

Retrouvailles très affectives de Sally et mon papa qui ne s’étaient pas revus depuis vingt ans. Du travail éditorial de qualité exceptionnelle pour la maison d’édition de Sally : la dernière réédition, une œuvre gigantesque (par la taille, le poids et le contenu) d’Alphand sur les jardins de Paris, est saluée comme une exhumation très réussie (sauf par Heïm).

Dernière crasse du magistrat foldingue, ersatz du procureur d’Amiens : en janvier, alors qu'Hermione et Angel se retrouvent au poste de police après un contrôle qui a dégénéré, le compagnon d'Hermione est placé en garde à vue pour un prétendu délit de fuite. En réalité, l’un des flics s’est acharné sur l’essuie-glace arrière du véhicule comme premier contact, ce qui s’est soldé, après un échange verbal vif, par un départ un peu rapide du jeune homme. L’occasion était trop belle pour défouler ses frustrations : prise en chasse, sortie violente du véhicule, passage des menottes et placement au trou. Là où le magistrat crapule intervient, après avoir été contacté pour se porter garant de l’intégrité d’Angel, ni trafiquant, ni criminel, ni délinquant, c’est pour appuyer la garde à vue ! Le beauf ne trouve rien de plus légitime que d’enfoncer le compagnon de sa sœur… Qu’il le bouffe jusqu’au trognon son droit tordu. Confirmation, en tout cas, qu’il entretient sa répugnante nature d’écœurement vivant.

Pour revenir à de plus humaines et nobles âmes, la soutenance de Shue m’a permis, lors du pot qui a suivi, de dialoguer avec son directeur de thèse, vieil homme longiligne, plein d’éloges (comme les autres membres du jury) à l’égard de mon aide littéraire que Shue n’a pas cachée. Comme un soutien indirect à ma propre amorce de thèse en stagnation...

Le soir, dans l’appartement de la tante Lima, avec deux couples d’amis, échanges divers dans un plurilinguisme qui entremêle farsi, anglais et français. Deux fois sur trois, je me laisse bercer par les sons de ma langue musicale préférée et des consonances du farsi, beaucoup plus doux que l’arabe, la prononciation ne systématisant pas les espèces de raclements de gorge. A la fin, sujet à se faire peur : la présence, dans la salle Bourgeac, d’un barbu, étudiant aux allures islamistes et multipliant les questions indiscrètes auprès de Shue, de John et des perses présents. Certains passages de la thèse n’ont rien de l’encensement du régime actuel : de là à voir dans cette présence suspecte un missi dominici de l’Etat religieux pour de plus ou moins avouables intentions, les hôtes du soir s’y sont ingéniés, avec parfois une certaine jubilation. Au final, j’ai senti Shue peu rassurée...

Une courte villégiature à Deauville jusqu'à lundi soir, au somptueux hôtel Normandy, devrait apaiser les angoisses. A mon départ de l’appartement, je trouve une grande boîte de chocolats et un joli plumier. Gâté, trop gâté depuis vendredi, je leur laisse un mot de remerciements et une photo noire et blanc d’Himiko dont ils avaient apprécié l’esthétisme. Des amis très chers à mon cœur qui se confirment dans leur extrême gentillesse.

 

Lundi 12 mai

Retour au bercail lyonnais, tympans imbibés par les envolées lyrico-musicales de Coldplay.

Quatorze années d’amitiés avec Sonia et rien ne semble pouvoir l’affadir. Découverte, hier soir, du magnifique résultat de mois d’efforts, de courage et de combats avec le voisinage : un appartement rue Tournefort aux lignes multiples (sous les toits), aux tomettes et poutres rénovées, à l’espace chaleureux. Nid de 70m2 idéal pour cette chère avocate : n’y manque plus que le complice masculin à la bonne dimension physique et psychologique.

Cœur de notre entrevue dans un confortable restaurant japonais : une renaissance sentimentale après des années d’hibernation charnelle et de léthargie relationnelle. A voir ses amies se mettre en ménage, programmer des naissances de bambins, elle perd espoir. Sans volonté destructrice, elle n’entrevoit pas l’amorce d’un renouveau du contact. Je lui révèle, à sa grande surprise, mes pratiques passées du minitel, puis d’Internet, pour créer les liens ouvrant sur toute la palette de la complicité humaine : depuis le grand amour (Sandre) jusqu’à l’entremêlement sexuel éphémère en passant par l’amitié durable (Violette). Cette voie abolit la contrainte de l’abordage réel, souvent incongru, dans une rue, un café, un musée. Les présents sur ces sites sont là pour aborder et se laisser contacter sous couvert d’un anonymat sécurisant.

Dans un petit mot très gentil laissé ce matin, elle m’indique qu’elle y réfléchira. Espérons que la résurrection de la demoiselle s’accomplisse.

Avant mon départ, déjeuner partagé avec Magalie, autre exemple d’amante, convertie à l’amitié, rencontrée via XYZ sur minitel en 94 (probablement). Sa situation sentimentale ne connaît pas non plus de saillance probante. L’instant partagé au bar douillet du Train bleu nous permet un panorama de notre actualité réciproque.

Très agréable promenade dans le parc meurtri du château de Versailles avec la troupe familiale paternelle, Jim et Aurélia. Redécouverte de ce lieu imposant et historiquement incontournable.

Enfin, ma BB qui m’attendra à la sortie du train pour des baisers de tendres retrouvailles après un week-end de labeur nocturne.

Léautaud doit redevenir ma focalisation littéraire pour ces mois estivaux. Alors pas de prolongations inutiles sur ce Clairefontaine velouté !

 

Mardi 13 mai, 0h…

Les fonctionnaires, si chevillés à leurs avantages, même au détriment de l’intérêt national, vont paralyser une partie du pays pour cette journée de grève. Mes pieds, eux, me conduiront normalement à P, pour 13h.

Le courage politique de la réforme vitale se trouve encore une fois confronté aux privilèges de secteurs, aux niches professionnelles incapables de sacrifices pour sauver le système. Seule la préservation de leurs satanés acquis compte…

Après Delon, Fogiel reçoit Bardot. Sa malhonnêteté le conduit à réaliser toute son émission dans la guimauve, pour exploiter au maximum le filon, puis, pour le dernier quart d’heure, à saborder le mythe en citant les virulences pamphlétaires du dernier ouvrage de Bardot. S’il connaissait un tant soit peu l’éthique, et quoi qu’on puisse penser des positions de BB, il aurait dû commencer par ce qui fâche, au risque de ne pouvoir faire l’émission suite au refus de Bardot. Non, il attend la fin et récolte ainsi le double apport : une émission complète et une fin détonante. Une salauderie opportuniste, en somme.

 

Samedi 17 mai

La grisaille basse derrière les stores, le bruit de fond des voitures filant sur l’asphalte trempé m’incitent, couchée près de ma BB, à poursuivre ce rendez-vous littéraire pour le moins nombriliste.

Reçu un long mail de Sonia, me remerciant de cette si longue amitié, de la confiance qu’elle a engendrée lui permettant de se confier sans retenue. Je la crois au début d’une « nouvelle vie », comme dirait Jonasz que j’écoute en fond avec Daho et Bashung, le sentimental régénéré.

Wallibi à l’eau pour ce jour, le dimanche devrait nous conduire, avec le duo Ornelle et Ivan (Shaïna trop épuisée pour nous accompagner), aux jeux d’eau.

Mai voit germer les grèves plus ou moins légales et légitimes : les fonctionnaires, en tête de proue, revendiquent le maintien de leurs avantages divers pour la retraite, malgré les faits démographiques incontestables. Ces simagrées sociales n’inclinent pas à redorer l’image des employés de l’Etat. Cet esprit à œillères désespère et n’incite pas à rallier le corps enseignant du public.

Thalassa dénonçait, hier soir, le « littoral assassiné », un puissant révélateur de la petite pourriture qui gangrène la beauté d’être et ne laissera jamais subsister une voie plus noble pour l’humanité, celle qui détacherait l’individu de sa jouissance au détriment de l’intérêt général et de son inclination grégaire pour animer ses planques occupationnelles.

23h30. La nébuleuse Al-Qaïda commet-elle sa première erreur stratégique ou est-ce le début d’une palestinisation du Proche Orient, et peut-être d’autres régions du monde ? En une semaine, deux séries d’attentats dans deux Etats arabes occasionnant des pertes civiles côté autochtones. L’Arabie saoudite et le Maroc ont certes été désignés par Ben Laden comme faisant partie des nations apostâtes à combattre, mais en étendant la terreur terroriste aux pays arabes, et en visant à l’aveugle des musulmans présents sur les lieux des explosions kamikazes, les groupements et groupuscules se revendiquant ben ladénistes vont perdre les importants soutiens (plus ou moins implicites) des populations arabo-musulmanes, jusque dans les contrées occidentales. La radicalisation des offensives va-t-elle marginaliser ce mouvement jusqu’à raréfier ses adhésions nouvelles ou intensifier les recrutements au regard de l’efficacité médiatico-mortifère des attaques clandestines ?

 

Dimanche 18 mai

10h10. Attente de ma BB, alors que les nuages matinaux se dissipent, pour notre départ vers Walibi où nous retrouverons les joyeux Ornelle et Ivan. Une journée festive pour marquer l’amorce d’une saison estivale bien remplie et diversifiée pour nous.

Se distraire pour oublier une parenthèse de temps la folie meurtrière de notre bien misérable espèce humaine. La guerre des Cent ans israélo-palestinienne vient encore de faucher quelques vies. Rien, jamais, ne justifiera que le sang coule et que les vies soient sacrifiées. Tant que ce paramètre de hiérarchisation éthique ne prévaudra pas, on ne pourra entrevoir un quelconque progrès de civilisation. Fric et religion : les voies du pire pour le pouvoir procuré.

 

Dimanche 25 mai, vers 1h30

Une semaine sans écrire, voilà qui devient rare ! Seul dans mon dodo, alors que ma BB trime, je profite de cette veillée tardive après quelques inconsistances échangées sur le tchat.

Plus efficace que l’évanescente Al-Qaïda, plus démonstrative que l’armada américaine, dame Nature a grimpé l’échelle de Richter pour créer le chaos et plusieurs milliers de victimes, mortes ou blessées. L’Algérie, tout comme la Turquie quelques années plus tôt, panse ses plaies dans la désorganisation étatique et la carence des moyens de secours. En outre, des promoteurs immobiliers ont été les complices  du tremblement en lui offrant des immeubles fragilisés par les économies faites sur leur construction.

 

Lundi 26 mai, vers 0h30

Ma tendre toujours sur la brèche alors que j’essaye de me croire inspiré à l’horizontal. Pas très turgide le gars, à première vue. Ne pas s’acharner et revenir à une démarche plus simple et plus saine…

Juin approche et rien n’annonce la publication du Gâchis… j’aurais mieux fait de conserver l’info pour moi tant que l’ouvrage n’était pas effectivement sorti. À trop étaler des perspectives irréalisées, je dois apparaître un peu léger ou incapable d’obtenir les choses promises.

Là, c’est vrai, je n’irai jamais réclamer quoi que ce soit à Heïm. Plus aucune relation d’attente. Je demeure juste attentif à la réalisation d’une promesse vieille de presque trois ans. Que cela aboutisse ne serait que normalité ; si cela rejoignait les oubliettes, je me conforterais dans la défiance pour cet univers.

Rabâcher, un peu limité comme inspiration.

Petite semaine professionnelle avant un séjour avec BB, Jim et Aurélia à Fontès. Cette visite de mon frère et de sa dulcinée m’enchante. J’aurais le temps de leur révéler les charmes de Lyon avant la route vers la Provence et grand-mère dans sa quatre-vingt onzième année.

Il faudra que je demande à Jim comment il a ressenti les retrouvailles avec Sally.

Fréquence Jazz diffuse quelques douceurs mélodiques, mais cela ne suffit pas pour attiser la bonne veine littéraire. L’impression d’un noircissement machinal s’exacerbe un peu plus les lignes passant. Mais quoi, alors ? Abandonner ce griffonnage pour une nuit à ellipses ? Soit. Revenir pour de plus pressantes occasions.

23h50. Les parallèles de l’actualité dans le sordide domaine des catastrophes naturelles, mais totalement dénuées de charme, soulignent l’inégalité cruelle des pays pauvres ou riches. L’Algérie aligne plus de onze mille victimes (décédées ou blessées) alors que le Japon ne déplore, pour un tremblement à l’intensité légèrement supérieure, que soixante-douze blessés. Le je m’en foutisme immobilier d’un côté, le sérieux et l’effectivité des normes antisismiques dans le bâtiment de l’autre. (N’oublions pas, cependant, les six mille morts de Kobé qui relativisent l’efficacité de ces efforts face aux déchaînements des plaques.) Et lorsqu’à cette injustice, somme toute humaine, s’ajoutent des facteurs physiques et géologiques pour expliquer la différence de portée de ces deux frottements cataclysmiques, le contraste entre les deux régions du monde en devient d’autant plus cynique. Malheureuse Algérie, victime des hommes et de la nature… à moins d’y voir une sentence divine…

 

Jeudi 29 mai, 0h30

Face aux braillards inconséquents de la rue, je trouve un certain panache au Raffarin. Passé chez notre institution journalistique, l’inaltérable Poivre d’Arvor, le Premier ministre a communiqué très limpidement, sans pathos excessif, sans technocratisme rébarbatif, mais en remettant les réformes vitales proposées en perspective : une réforme des retraites, étalées sur dix-sept ans, ne peut s’assimiler à un coup de massue ou de poignard comme le beuglent les fonctionnaires grévistes. A ne revendiquer que pour la sauvegarde de leurs illégitimes privilèges et faire accroire qu’ils se battent aussi pour le secteur privé, les employés à vie confirment la pesanteur pachydermique du système public. Le corps enseignant du public abonde dans cette sale manie de rejeter tout changement au nom d’un ensemble disparate dont le socle commun fantasme dans des interprétations abusives des intentions du gouvernement. Les mises au point ont donc été faites, ce qui ne calmera pas les excités sociaux.

 

Samedi 31 mai, 22h50

Séjour à Fontès très largement entamé en double couple harmonieux. Le climat estival sans les estivants rend le golfe du Lion quasi paradisiaque. Nous prélassons nos chairs diversement teintées sous les rayons régénérants. Entre la plage, les promenades à nuitée, le tennis en défoulement, les passages à la Providence pour embrasser grand-mère : le planning catapulte aux oubliettes temporaires les monomanies de la vie urbaine.

Premier bouleversement purgatif : une déconnexion totale de l’actualité mâchée par Big Media, plus rien du tintouin régurgité. Le silence du monde lointain, hors de portée, fantasmagorique, recentre sur l’essentiel local qui nous accroche sans intermédiaire. Se forger son événementiel, tout dérisoire soit-il, libère l’esprit du nivellement collectif.

En dehors de ces vagues et très illusoires changements, je retrouve l’atmosphère du village avec ses têtes vieillissantes, ses agrandissements immobiliers face aux inaltérables demeures d’un autre temps. Lors de notre première promenade, passage au cimetière dans ses parties antiques et nouvelles. Je découvre à côté du caveau B., dans lequel repose grand-père, celui des Hospitalier qui, en 2002, a accueilli l’ancien maire de la commune, André, qui eut grand-père comme premier adjoint. Proches dans la vie et rapprochés pour l’éternité.

 

Dimanche 1er juin

A la mi année dans ce lieu qui me rend plus aigu le passage du temps et ses couperets toujours recommencés. A fouiner dans les placards à la recherche d’une ceinture, je tombe sur des photos d’époques entremêlées au hasard d’albums improvisés, de boîtes métalliques où s’intercalent correspondance et cartes postales. Tous ces parcours existentiels résumés à quelques lignes de moins en moins lus, à diverses images s’offrant de plus en plus rarement aux regards distraits. Nostalgie absurde que d’essayer une plongée mentale dans ces univers fixés plus ou moins côtoyés. Ce témoignage brouillon lui aussi ne se justifie par rien d’autre que la satisfaction d’un ego. Aucun intérêt pour le lambda égaré.

Ce midi, pour une parenthèse dans son quotidien, nous « invitons » (mais elle tient à payer) grand-mère dans un restaurant de Pézenas au cadre douillet. Un moral bien plus sombre que l’an dernier : son handicap, qui la prive de motricité, accentue l’épreuve de cette vieillesse à horizon réduit. Cette dépendance extrême à la fragilité d’un corps usé doit résonner comme une insulte à tout ce qui a animé ses décennies de vivance infatigable. Nous essaierons d’insuffler la convivialité à ce repos dominical pour ajouter quelques notes affectives aux rares moments passés avec elle.

Hier soir, ballade avec ma BB dans quelques rues périphériques du centre où nous résidons. Les doux moments cumulés confortent un peu plus notre lien. Devant l’église éclairée sous toutes ses arêtes, nous laissons les petits bruits nocturnes envelopper l’évidence de notre union.

Vers 21h. Un bon régal culinaire avec une grand-mère aux anges. Après le déluge a tenu ses promesses semi-gastronomiques. Après une nouvelle tentative de chemin pour parvenir jusqu’à la plage, nous rencontrons un brouillard de chaleur qui hypothèque notre projet de pique-nique. Finalement, l’assombrissement n’est que passager et nous pouvons goûter le sable une dernière fois, ma BB s’offrant même quelques longueurs dans la bleue ventée.

À notre retour, l’oncle Paul et Mariette arrivés. Présence inattendue qui va finir notre séjour bien rempli.

Demain, à chacun sa ville : Lugdunum ou Big Lutèce.

Vers 23h30. Agréables échanges autour d’une bouteille de blanc liquoreux de 95. Toujours aussi convivial le père Paul : les années semblent sans prise sur sa bonhomie et son enthousiasme. Avec quatre mille pieds de vigne, il fait d’un loisir une passion à grande échelle. Une façon de renouer avec l’activité de nos ancêtres côté grand-père. Une fortune acquise par certains, dilapidés par les suivants, et dont la maison de Fontès est un bien pâle reflet. Mariette, le visage toujours aussi gentil, l’aide tant qu’elle peut dans cette activité distractivo-productive.

Ces contacts amicaux et familiaux ont aisément remplacé le suivi affectif des gens du nord. Quelle distance cosmologique avec ma raideur d’antan face à tout ce qui pouvait atteindre mon adhésion forcenée, et à œillères, à cet univers. Aucun regret de ce passage formateur, mais un sentiment, avec le recul, d’avoir rendu léthargiques certaines de mes capacités critiques. À trop protéger une zone, cela confinait à la caricature existentielle. Le système reposant sur le principe de la légitimité, rien ne pouvait contrecarrer le dit, le pensé, le vécu. Un dogmatisme aux oripeaux de l’anticonformisme admiré.

Demain matin, un dernier bisou à cette chère grand-mère dont les yeux s’embueront, et qui nous regardera partir en doutant de tenir un an de plus pour nous retrouver. A 91 ans, elle garde une vaillance intellectuelle exemplaire, mais la Camarde se soucie peu de la capacité à vivre de ses proies. Advienne que pourra, donc…

 

Mercredi 4 juin, 1h08

Hier, réception d’un courriel d’Heïm m’informant des dernières dégradations physiques : le risque de paralysie d’un pied et le soin apporté par un produit réservé normalement aux enfants épileptiques. Rappel de la quarantaine d’heures de travail pour la mise en page du Gâchis et qu’il n’y peut consacrer qu’une heure par jour ouvrable… autant dire un report minimum de deux mois, avant la coupure d’août et une rentrée surchargée !

Le refrain m’est familier. J’ai renvoyé un courriel affectif, mais lapidaire. Pour l’anecdote, ces quarante heures de labeur m’avaient été annoncées il y a quelques semaines déjà, par message téléphonique. Elles semblent ne pas avoir réduit d’une seconde depuis lors : un labeur sisyphien en quelque sorte… ou une argumentation de moins en moins subtile… A la recherche d’un Gâchis perdu pourrait baptiser cette chronique éditoriale épisodique.

Quand le syndicalisme protège les privilégiés sociaux. La grève d’hier, reconduite aujourd’hui, trouve aux avant-postes les feignasses protégées de la SNCF, de la RATP et de diverses sociétés semi privées de transport. Pas directement concernés par l’indispensable réforme des retraites, ils s’adonnent à la grève préventive, au cas où le gouvernement voudrait porter atteinte à des privilèges parfois vieux comme le rail en France.

Ces régimes ne tiennent pas compte de l’évolution positive des métiers du chemin de fer qui ne nécessitent plus d’arrêts précoces du travail. Bien recroquevillés sur ces fiefs, ils revendiquent, sans le dire, la sauvegarde de leur régime d’exception. Minable solidarité d’apparat.

 

Samedi 7 juin, 0h30

Alors que trime ma BB, je ne vais pas résister longtemps au sommeil, malgré l’atmosphère étouffante de cette fin de printemps.

Jour après jour, la mobilisation du corps public, pour combattre les projets de réforme du gouvernement, s’étiole, fond. Pour compenser cette perte de masse, les fonctionnaires butés opèrent des actions coups de poing, éminemment réfléchies et adultes : ainsi quelques pneus enflammés déposés contre un immeuble occupé par le Medef, provoquent l’incendie du bâtiment avec le risque physique pour huit personnes. Un modèle de sagesse donc…

Entre l’émeraude du lac d’Aiguebelette et la façade montagneuse au vert touffu, le prélassement s’impose sous une chauffe astrale. Avec Ornelle et Ivan, dans l’attente de ma BB, le pique-nique va intensifier la consonance estivale du moment.

 

Dimanche 8 juin

Me voilà, comme un bon chrétien que je ne suis pas, debout, au fond de la jolie petite église de La Boisse, pour la communion de la filleule de BB. Bondée, l’antre religieuse, estivales les tenues, et une jeune femme à la robe aguicheuse qui lit les paroles d’un apôtre : notamment « la chair s’oppose à l’esprit ». Pour le moins risible, mais in petto, chut…

Familles, amis, accointances : tous en rangs serrés pour ces petits communiants dont on peut douter de l’authenticité de l’engagement. Entre habitude sociale et folklore, je n’arrive pas à adhérer à ces pompeuses déclarations.

Qui, ici, fait réellement attention au contenu du message ? Si, tout de même : un suivi unanime (sauf pour ceux qui n’ont pas trouvé de place) aux ordres de se lever et de s’asseoir.

La métaphore obscène qui justifie le rite : « recevoir le corps de dieu en soi » ! Un programme non charnel, bien sûr. Les paroles du prêtre raisonnent ici, et légitime cette communion, avec une suite d’explications effarantes, et qui fonctionnent encore.

Le béni oui-oui excuserait tous les massacres, toutes les dérives passées… Toutes ces fois au nom d’un postulat de vie supérieure et, bien sûr, dieu innocent et les hommes coupables !

Pitrerie de l’esprit sans une once de distance avec les élucubrations assénées. Démonstration éclatante, sous couvert d’un message prétendu d’amour, d’un système manipulatoire où le confort de l’esprit consiste à pouvoir tout expliquer, tout justifier, alors que nous ne sommes qu’à l’âge primaire de la compréhension du monde. La fiction, voilà ce qui conduit tous ces systèmes rivaux. Et les antiennes enflent grâce au cadre matériel, et le grégarisme fait son œuvre.

Décidément, que ce soit dans ses manifestations ludiques ou vaguement spirituelles, l’humanité en bandes m’effraie. Rien ne pourra vraiment évoluer, au sens d’un changement d’ère humaine, tant que ces religions auront une place autre qu’une curiosité muséologique, à la manière des mythologies grecque et romaine.

La clochette du prêtre rythme le cirque eucharistique… Et cette assemblée en chœur, qui recèle toutes les trahisons, les coups fourrés, les médiocrités rampantes, les excuses vaseuses, représente toute la contradiction humaine, rarement capable d’assumer une ligne de conduite cohérente.

Tout cela glisse, et la poussière, nullement divine, recouvrira l’ensemble de ces fariboles d’apparat.

À noter que ces lignes ont été largement inspirées par la coloration intégriste qui officie ici. Amen.

 

Mardi 10 juin, depuis peu

Etouffante chaleur nocturne, malgré les fenêtres ouvertes. Un gant humide posé sur le front devrait aider à trouver le sommeil.

Une semaine très allégée en cours à donner qui doit me permettre une replongée dans les premiers volumes du Journal littéraire. Déjà, ce jour, lu au bord du lac de la Tête d’or la moitié du cinquième volume. Le regard plus affûté qu’à mon adolescence, je découvre un Léautaud pétri de contradictions dans sa gestion personnelle de la réussite formidable de Paul Valéry, qu’il a fréquenté très amicalement jusqu’en 1906 ou 1907. Des entrevues plus épisodiques par la suite, et un parcours littéraire contrasté, presque aux antipodes.

Sans l’avouer, Léautaud ressent la médiocrité de sa posture face aux consécrations de son confrère de plume. Profiter de cette célébrité pour vendre à un bon prix les lettres et autres traces écrites de Valéry qu’il possède lui donne quelques scrupules, tout de même. Ramener les élans critiques à de plus prosaïques préoccupations est bien le propre du Journal, antichambre révélatrice qui relativise toutes les intellectualisations trop propres, toutes les fictions trop programmées.

Voilà qui mérite de retenir ce genre littéraire comme le plus proche de la nature humaine : imparfait, contradictoire et imprévisible.

 

Mercredi 11 juin, depuis peu

Hormis les informations de la Une et quelques films de Canal +, l’essentiel de mon attention télévisuelle se porte sur la Cinquième et Arte, selon les heures. Comble de la fiente programmée, les diverses émissions pseudo divertissantes sur TF1 ; en réalité un condensé de la médiocrité festive pour primaires. En face, heureusement pour le PAF, des documentaires variés, des thèmes multiples qui comblent la gourmandise de connaissances. Ainsi, ce soir, un De quoi j’me mêle consacré au climat : tout ce qu’on nous cache. Le deuxième documentaire diffusé remet en cause l’opportunité des alarmistes sur les changements climatiques attendus. Une série d’idées préconçues sont ainsi balayées d’efficace manière et avec le souci scientifique d’en rester aux faits observables. Et si l’influence des activités humaines sur le climat restait marginale ? Et si un réchauffement de la surface ne rimait pas avec cataclysmes en série ? Des réflexions ô combien plus roboratives que les simagrées à paillettes d’autres show…

 

Jeudi 12 juin, 0h20

La chienlit persiste et notre déplacement à Paris s’annonce éprouvant côté transports. Quel méprisable spectacle donné au monde que ces hordes catégorielles arque boutées sur leurs privilèges sociaux ou revendiquant d’irréalistes mesures. L’action de cette très minoritaire portion du pays va coûter très cher à l’économie nationale. Eux s’en foutent, leur emploi est protégé par nos impôts. En revanche, tout le tissu économique privé devra se battre pour regagner sa crédibilité au-delà des frontières.

23h50 : l’étouffoir climatique s’intensifie. Ce soir de pleine lune contraint à suer au plus petit geste.

Ecouter les justifications des enseignants grévistes édifie sur la fragilité fantasmatique de leurs craintes. Une décentralisation de certains personnels mettrait en péril le service public national de l’éducation ! Rien que ça ! Et lorsqu’on creuse un peu au fond, que l’on observe ce qui se passe déjà dans l’école primaire où la décentralisation s’applique déjà sans chaos, que l’on compare à la situation anglaise où ce délestage a réussi, on saisit un peu mieux l’artifice du branle-bas de combat syndical. Quant à la retraite : les exigences de ces privilégiés (quant à la sécurité de l’emploi) confinent à l’égoïsme irresponsable pour les générations à venir.

Ce pays surfonctionnarisé subit les gesticulations opportunistes de ceux à qui il faudrait rappeler leurs devoirs. Plein la gueule ils en ont des solutions simplistes (du type faire payer les retraites par les produits du capital) sans aucune appréhension des conséquences économiques et sociales que cela aurait.

 

Samedi 14 juin, vers 1h

Un vendredi en ballade en amoureux à Montmartre. Début au cœur du sacrément racoleur établissement religieux : la bâtisse éclatante d’extérieur propose les produits les plus variés pour se recueillir ou emporter un souvenir numismatique de son passage. La densité des troncs proposés au mètre carré pour la méditation, l’impossible accès à la crypte sans versement préalable ratatine ce lieu à une banale entreprise commerciale.

Certes, ces fonds servent à la rénovation et à l’entretien de la basilique, mais les formes prises discréditent l’opportunité qui en devient opportunisme.

Après le spirituel sonnant et trébuchant, l’artistique monnayable place du Tertre. Le fourmillement touristique alimente les vendeurs concepteurs de toiles et les croqueurs de portraits. Une ambiance bon enfant sur cette place emplie en son milieu de terrasses pour consommateurs assoiffés.

En élargissant la zone du vagabondage, nous profitons de ruelles plus villageoises où maisonnées et jardins intérieurs amplifient le charme du cadre.

Pour couronner l’escapade, nous poussons jusqu’au cimetière de Montmartre où les plus impressionnants mausolées rivalisent.

Quelques grandes personnalités s’y reposent comme Berlioz, Guitry, Truffaut, Dumas fils… et nous rencontrons, au bout d’une allée, tout à son affaire, le bénévole qui maintient en état la tombe fleurie avec statue en pied de Dalida.

Vingt mètres avant, celle, ô combien originale, et ressemblant à tout sauf à un lieu de repos éternel, de son psychanalyste.

9h15. Le cimetière est surplombé à un endroit par une énorme construction métallique qui, à l’époque du projet, a dû enflammer les riverains à défaut des âmes en repos.

Vers 11 heures. Les nuages menaçant du matin n’étaient que de la brume. Une chaude journée à Parmain pour fêter les trente ans de Bruce, que je n’avais pas revu depuis plusieurs mois. Le piano mobilise tous ses efforts et il commence à se produire dans quelques cafés parisiens. Deux frères dans la musique, moi à l’écriture, la fibre artistique donne quelque sens à notre existence même si nous n’en vivons pas. A l’écart du circuit économique, nous cultivons peut-être davantage les élans bruts en fidélité avec nos envies créatives.

Sans doute que rien ne percera vraiment, l’ambition ne nous tenaillant pas jusqu’à la compromission, mais cette confidentialité n’entame en rien la sensibilité que l’acte créatif aiguise. Voilà probablement le point d’ancrage fraternel, au-delà des divergences, parfois véhémentes, qui ont pu exister. L’expression singulière, et si possible esthétique, de ce qui bout ou mijote en nous, la consolidation (et au départ la quasi construction) d’un schéma existentiel par la manifestation subjective d’une complexité intérieure. Un peu pompeux le registre, je ferais s’envenimer Léautaud que je relis (les premiers volumes découverts à la fin des années 80) avec délice.

Ce matin, au sortir de la douche, j’entends Comte-Sponville sur Europe 1 s’étonner que la génération qui voulait tout changer en 68, défile aujourd’hui pour que rien ne bouge. Ceux, révoltés à l’époque, à qui l’on aurait dit que 35 ans plus tard ils se mobiliseraient pour des problèmes de retraite et pour une centralisation préservée, nous auraient ri au nez pour les plus cool et craché à la figure pour les plus authentiques.

 

Vendredi 20 juin, vers 1h

Le printemps aura été caniculaire et n’aura pas rendu l’action très efficace de  mon côté. La relecture du Journal littéraire de Léautaud s’éternise, et rien de la rédaction thésarde n’a été amorcé. En fond musical, à cet instant, Henri Salvador attriste son registre via le temps nostalgique de Léo. Pas pour égayer le moral donc…

La vie perso coule doucement, dans l’entente pérennisée avec ma BB, seul pôle constructif actuel de mon existence. À comparer avec les tourments endurés par Léautaud auprès de sa « chère amie », je m’érige en privilégié sentimental. Lors de ma première lecture, je n’avais probablement pas bien ingéré cette histoire déglinguée, car cette expérience aurait dû m’inspirer une méfiance décuplée à l’égard de Kate aux signes négatifs multiples.

 

Samedi 21 juin

9h30. Eté intégral sur l’hexagone, la musique va pouvoir inonder toutes les niches et tous les recoins du pays et de nombreux pays européens. Voilà pour la prise d’altitude culturo-climatologique.

Face au lac de la Tête d’Or, je goûte à une chaleur encore raisonnable. Aux autres le footing matinal, à moi la plume aux courbes littéraires.

Encore une fête de la musique sans ma BB appelée pour ses nocturnes laborieux. À tout hasard, et pour prendre quelques nouvelles, j’ai envoyé hier un courriel Liselle pour lui proposer de venir partager ces festivités avec moi, dans le cas où elle aussi se retrouverait en célibat provisoire. Réponse rapide ne laissant aucun doute sur la noirceur de son moral. L’inextricable affaire sentimentale avec cet homme marié n’en finit pas d’amputer la part joyeuse, pétillante et heureuse de vivre de cette chère Liselle. La tonalité de son refus révèle un repli sur soi, extrême et dangereux, un découragement apathique qui pourrait bien dériver, avec une nature propice, vers l’irréparable. Pour me rassurer, je la contacterai de vive voix dans la journée.

22h50. Une fête de la musique en solitaire, comme au sale temps de mon célibat misanthropique. Ma BB sur le pont des urgences, Eddy et Bonny retirés dans les alentours de Villefranche, Ornelle et Ivan n’ayant donné aucun signe à mon message, Liselle restée au repos, je n’ai pas tenté de contacter d’autres relations, et notamment de plus évasives accointances.

Je retrouve sans peine mes réflexes d’isolement forcené dans la foule festive. Ma nature profonde ne varie pas, elle se maquille pour ne pas forcer la tendance à se jeter du pont.

Pas à me plaindre, pourtant. La qualité du contact doit prévaloir et l’amour de ma BB relativise l’écorchure existentielle.

La foule de la gorgée rue de la République, de la pleine place Bellecour et de l’encombrée rue Victor Hugo donne un panel multicolore de la population. Pas de quoi s’ériger contre, mais la méfiance prévaut face aux groupes bêtifiants et aux masses incontrôlables.

À la terrasse du Sur le pouce, une bière pour s’hydrater, un petit vent pour apaiser préventivement les records de chaleur attendus pour ce premier jour d’été, je me suis humanisé quelque peu. Le seul à occuper seul ma table, mais l’agitation du Bic me sert d’alibi créatif pour pallier cette solitude du soir.

Face au Bar Américain, une collègue de Forpro, Rita, avec son mari et un autre guitariste, renoue avec sa jeunesse musicale et obtient un bon succès au regard du demi-cercle épais d’auditeurs captivés. Je ne reste que l’instant de quelques mélodies, avant de replonger dans un vagabondage sans but, les écouteurs chargés des rythmiques entraînants fixées par le hasard du zapping des quelques stations préréglées. Une façon d’animer avec plus d’esthétisme sonore la faune urbaine et de fixer la cadence des pas.

Vu ce matin l’ex infirmière qui rédige un essai dénonçant les méfaits qu’aurait occasionnés la vaccination systématique de la jeunesse contre l’hépatite B. Je lui remets les feuilles confiées pour lecture et éventuelle correction. Mon sentiment sur les arguments peut se résumer mon inadéquation à ce qu’elle dégage. J’ai beaucoup de mal à supporter cette présence collante, obséquieuse, maladroitement féminine et en décalage total avec sa corporalité. De là une critique exacerbée de sa démonstration, et notamment de la justification de toutes les dérives d’une jeunesse angoissée, malade par cette prétendue infecte vaccination. Un raccourci qui suggère l’irresponsabilité de cette pauvre délinquance juvénile. Un pseudo déterminisme qui nie la salauderie consubstantielle de certains êtres, peu important leur état de vaccination !

J’ai fait au plus vite pour abréger l’entretien et fuir cette Josiane et son intérieur confiné. Toujours une curieuse expérience de ressentir son instinct, que ce soit dans l’inclination obsédante ou dans le rejet viscéral. L’observation de soi n’est jamais plus incisive que dans son rapport à l’autre.

 

Dimanche 22 juin, 0h53

La nuit reste lourde et le sommeil se fait attendre.

Ce dimanche, l’ombre du parc n’a pas réussi à rendre plus réactive ma lecture de Léautaud. Etat quasi comateux dans cet air brûlant. Le climat ne doit pas être un prétexte à ma démobilisation. Dès ce matin, je m’impose une activité plus soutenue, après ces deux semaines de pause pédagogique. Le très net allègement de mes interventions à Forpro, compensé par quelques versements Assedic, doit me permettre d’avancer dans mes relectures et dans la répartition thématique des citations.

Courriel de Laurence, toujours en Angleterre, mais qui devrait passer à Lyon début juillet. Et demain, verrais-je Aline en déplacement professionnel furtif à Villeurbanne ?

Finalement, certains liens amicaux perdurent malgré la distance.

Pour achever la dernière page de ce Manus XI, une tendre pensée à ma BB dont la nuit sera, je l’espère, plus calme que la précédente qui lui a fait gérer vingt-quatre cas (soixante-dix pour tout le service) et ne lui a laissé qu’une demi-heure de répit. Une tendresse méritée, donc.

 

Lundi 23 juin

Devant l’émission C dans l’air qui accueille mes deux intervenants préférés, tant par leur personnalité qui transparaisse, que par la précision de leurs raisonnements : Antoine Sfer, responsable des Cahiers de l’Orient, et Roland Jacquard de l’Observatoire international du terrorisme.

Après la saisie, ce jour, par les Grecs, de 680 tonnes d’explosifs sur un navire fantôme, il convenait de réunir ces deux pointures de qualité habituées du plateau de Calvi. Al Qaïda : vacances polluées en est le titre du jour et l’alarmisme des analystes n’augure aucune accalmie de la terreur sanglante. À quand des kamikazes se faisant exploser dans des pays européens, ou l’utilisation d’un avion subtilisé et bourré d’explosifs (680 tonnes équivaut à la puissance d’une bombe atomique), comme une bombe volante, sur une capitale européenne ? Voilà quelques pistes terrifiantes abordées.

 

Mardi 24 juin, après minuit

Courriel de Heïm m’informant de l’évolution des dégradations physiques, et notamment un œil gauche quasi aveugle et des pieds en cours de paralysie. Avec autodérision, et pour résumer le nom de la maladie générale qui le ronge, elle est propre aux vieillards obèses.

Evidemment, la mise en page du Gâchis ne peut qu’être ralentie, mais il espère pouvoir m’envoyer prochainement le premier exemplaire, plus de trois ans après avoir fixé ce projet éditorial.

 

Mercredi 25 juin, 0h30

Entrevue d’Aline qui occupe une haute fonction chez Philipp Morris France, Senior Councel, équivalent d’un directeur de département juridique. Belle réussite pour ma copine de lycée, célibataire depuis octobre dernier. Toujours aussi douce et agréable de contact, elle semble séduite par Lyon qu’elle découvre. L’effet attractif n’opère pas que sur moi. Rafraîchissant détour chez Nardonne où je découvre leur succulent parfum coquelicot. Une reprise du TGV à seize heures avec le sympathique avocat qui l’accompagnait, elle me promet de m’envoyer par courriel l’adresse de notre ancienne professeur de français en première, Hélène Sabbah, qui prend sa retraite cette année.

Découverte avec ma BB, ce soir, du créatif dessin animé français Les triplettes de Belleville, au graphisme poétique caricatural, aux lignes se prolongeant pour mieux suggérer l’essentiel des situations où la parole se réduit au minimum.

 

Vendredi 27 juin

Nouvelle inespérée : Ornelle a son diplôme de DUT.

Arrivés ce soir à Arles, nous logeons dans le charmant appartement de Romy.

À bientôt minuit : de retour d’une tendre soirée en amoureux. Dîner puis promenade sur les bords arlésiens du Rhône pour un retour dans les rues de la ville. Même si la symbiose ne peut être absolue, l’entente demeure majeure et tend à s’amplifier avec le temps. Un signe pour aller au-delà de mes trois ans fatidiques pour l’épuisement des dualités.

 

Dimanche 29 juin

Sur une plage de sable noir des Saintes Maries, présentée comme la capitale de la Camargue, je reçois sans angoisse la dose de radioactivité que ces étendues recèleraient. Ces innombrables grains noirs, mélangés à des blancs et des marron, rendent la surface brûlante, ce qui incite au farniente sur serviette.

Hier soir, dîner sur la vaste terrasse d’Aude, ennoblie d’une douceur ventée qui nous a comblés après la surchauffe arlésienne. L’action combinée de deux Pineau des Charentes et de quelques verres d’un bon rouge régional, m’a fait dériver vers les zones polémiques. Face à moi BB, sa sœur et notre hôte ont égrené leurs arguments anti-américains : j’ai graduellement cabré mon propos jusqu’à ne plus pouvoir renouer avec l’apaisante convivialité de l’amorce. Point que je tienne par-dessus tout aux opinions défendues, nos deux analyses étant fondamentalement complémentaires, il me fallait, par principe buté, tenir le cap que je m’étais assigné. Voilà un vrai défaut de caractère, rogaton d’une adolescence boudeuse.

La quarantaine verbale que je me suis imposé pour la fin de soirée, ruminant le bon aloi de mes coups d’éclat, s’est prolongée jusqu’au dodo, ce qui a fait pleurer ma BB. Réalisant alors la sottise de l’autarcie intellectuelle, j’ai consolé ma douce en retrouvant la parole.

Ce soir, virée à Marseille où nous devons retrouver Mylène dont l’inactivité indemnisée assombrit le moral.

 

Lundi 30 juin

Après une joyeuse soirée à Marseille, où les spécialités libanaises ont comblé nos papilles, nous partons en couple vers les Baux de Provence pour découvrir la Cathédrale d’images. La température de l’endroit devrait trancher avec la chaleur provençale. Du culturel frais pour ainsi dire.

La vision très partielle et rapide de Marseille ne m’a donné aucune envie d’y résider. Quelques signes révélateurs me suffisent : l’abandon de tout marquage au sol qui intensifie l’anarchique rapport piétons-voitures, la présence de détritus sur les grands boulevards (la Canebière notamment) ou dans les rues plus modestes. Même si la ville est sortie récemment d’une grève dure des éboueurs, Mylène me confirme la tendance constante. L’espèce de je m’en foutisme décontracté qui s’en dégage, même si cela doit être réduit à du cliché simpliste, ne me séduit pas un brin. Pour y passer oui, pour y découvrir quelque monument, pourquoi pas, pour y vivre sûrement pas. Une visite salutaire finalement, puisque cela me conforte dans mon attachement à Lyon. Je n’occulte pas les défauts de la capitale des Gaules, mais la balance séduction-répulsion s’incline largement vers l’attrait. L’aspect grand bazar paradeur de Marseille m’irriterait chaque jour, et je fulminerais contre cette ville comme je le faisais pour Paris, Big Lutèce comme je la surnommais.

On pourrait synthétiser que la rencontre d’une localité relève un peu du rapport amoureux, unilatéral dans ce cas… quoique.

 

Mardi 1er juillet

Belle réussite esthétique que la Cathédrale d’images. Une ancienne carrière dont une salle immense, aux arêtes multiples, aux pans gigantesques, est aujourd’hui dédiée aux hommages visuels. Pour cette  année, les peintres Bosch (Jérôme et non Victor comme j’ai dû le noter dans ce Journal à propos de la couverture du Gâchis) et Bruegel se partagent les attentions des metteurs en scène de ce lieu insolite. Projection grossissante de leurs œuvres torturées dans une gradation sur la destinée humaine, soulignée par un son adéquat aux prolongements cathédralesques. A chacun de se positionner dans l’espace offert, de diversifier les points de vue, de se mouvoir au rythme des tableaux successifs, de s’arrêter devant un antre inspirateur où l’image projetée semble ne plus finir. Quand l’art se laisse découvrir hors des postures conventionnelles.

Petite promenade dans les Baux de Provence parfaitement tenus et dont les autochtones commerçants se tiennent prêts à accueillir les touristes dépensiers. De belles pierres blanches, des ruelles charmantes, une église cumulant les Xe, XIIe et XVe siècles dans ses murs, une chapelle des pénitents moins séduisante, et des panoramas ventés, sur le val d’Enfer, impressionnants.

Pour achever cette journée découverte, un groupe de Biskra se produit au musée de l’Arles (et de la Provence) antique(s). Une espèce de biniou à double sorties pour le leader, des percussions diverses. Musique de transe pour certaines festivités, la représentation a comblé mes passions rythmiques. De l’atrium au seuil du musée, les musiciens ne semblaient pas vouloir s’arrêter d’académique façon, et ce pour notre plus grand bonheur.

Le soir, apéritif improvisé chez Louise avec une partie de la troupe du musée. Echange édifiant avec F, cadre du lieu, sur la pléthore de fonctionnaires au conseil général et à la mairie d’Arles.

18h. Découverte du cœur historique d’Avignon. Bien autre chose que Marseille : de l’espace pour circuler, des lieux impeccables, des monuments respectés, en bref une douceur de vie s’exhale de l’ancienne cité des papes.

Pour revenir un instant aux révélations faites sur la gestion d’Arles : lors de l’arrivée au pouvoir municipal d’une équipe communiste, il y a quelques décennies, doublement des employés municipaux avec, pour principe, le paiement des jours de grève. Une incitation à ne rien branler et à tout contester. Bravo les cocos ! Depuis, les habitudes n’ont pas cessé…

 

Mercredi 2 juillet, 23h50

Notre Premier ministre a le sens de la formule, de l’image choc, de la métaphore scandaleuse, et cela irrite les pâles socialistes. Lorsqu’une opposition n’a plus comme offensive que des réactions de vierge effarouchée par la crudité de certains propos, cela révèle l’impossible alternance, un deuil incomplet de la claque électorale dont les effets secondaires perdurent.

Des réformes fondamentales (qu’on les approuve ou pas) sont en route sur le plan législatif et la clique socialiste, François Hollande en tête, s’adonne à de mesquines réactions faute d’avoir pu mobiliser le pays durablement contre le fond de la politique menée. Je les soupçonne d’appréhender grandement les prochaines échéances électorales et de tenter de plus artificielles stratégies pour déstabiliser la charge gouvernementale.

Retour à Lyon, pour ma seule intervention pédagogique de la semaine demain matin. Sur l’autoroute, radio trafic comme fond sonore pour égrener les accidents et leurs conséquences sur la circulation, le ballet dangereux des poids lourds se doublant les uns les autres, les quelques excités qui placent le dépassement du tiers (notamment et surtout s’il est moins couillu, heu non… cylindré) comme leur priorité existentielle, jusqu’à, parfois, devenir l’assassin avec préméditation via sa clinquante caisse tueuse ! Pitoyable tragédie vulgaire et sanglante de cette civilisation véhiculée…

 

Samedi 5 juillet

13h45. Face au lac de la Tête d’Or, un parc vide du fait des premiers grands départs estivaux, je viens d’achever la relecture du septième volume du Journal littéraire. Encore six avant de pouvoir songer à la rédaction de cette thèse.

Hier soir, peu avant vingt heures, une information de poids délivrée par l’agence AFP : l’homme le plus recherché de France depuis quatre ans, l’assassin présumé du préfet Érignac, vient d’être arrêté. Les gendarmes du RAID ont cueilli Yvan Colonna dans une bergerie isolée de Haute Corse. Le duo Sarkozy-Raffarin ne pouvait rêver à meilleur soutien de leur politique en Corse, et les esprits de l’île émergeront peut-être nettement du miasme ambiant pour apporter un « oui » net au référendum de ce week-end. La coïncidence arrestation-référendum a fait siffler les oreilles de Mamère qui ne croit pas au hasard. N’empêche, le seul fait de sa capture mérite un coup de chapeau. La concession accordée aux nationalistes par le nouveau statut territorial proposé méritait bien d’obtenir la fin d’une cavale prolongée à la barbe de la République. Peut-être une Corse apaisée lorsque nous découvrirons, pour de plus légers motifs, les beautés de l’île.

Une pensée pour le hors norme Barry White qui vient de s’éteindre, à 58 ans, des suites d’une longue maladie rénale. Quand l’inébranlable physique cache une fragilité extrême. Sa voix d’une profondeur gutturale inégalée vient de céder face aux abysses de la Camarde.

Une douceur d’été revenue à Lyon pour apprécier davantage les rayons. A lire le déséquilibre relationnel de Léautaud avec son amante Le Fléau, je loue la sérénité de mon lien avec BB. Cela n’affadit pas pour autant la complicité qui s’ancre comme une évidence existentielle.

 

Dimanche 6 juillet

Ma BB encore au labeur alors que je prélasse mes chairs au parc Miribel en compagnie littéraire du huitième volume du Journal. Une étendue pas trop envahie et une eau désertée.

 

Jeudi 10 juillet

Trop vite ce temps, et des arrêts trop superficiels sur ces pages. L’inspiration se rabougrit.

Le relais de la CGT, celle-ci dépitée d’avoir dû abandonner sur les retraites, constitué de quelques milliers d’intermittents du spectacle, démolit à merveille les festivals phares de l’été. Francofolies, festival d’Avignon, d’arts lyriques d’Aix en Provence… toutes ces machines culturelles anéanties par leur grève. Un suicide au nom de la survie financière : le paradoxe tiraille nombre de ces travailleurs à éclipses, et même lorsqu’ils représentent la majorité pour reprendre la tenue des représentations, comme à Aix, la minorité bruyante terrorise les spectateurs venus. Un sens aigu de la démocratie syndicale ! Que se relèvera-t-il de ces décombres culturelles ? Jean-Louis Foulquier, l’acharné passionné fondateur des Francofolies, présentait une mine des plus sombres.

 

Vendredi 11 juillet

Le tour de France s’est arrêté à Lyon, comme il y a un siècle, et nous partons vers les terres bretonnes. Curieusement, BB n’a jamais aussi bien roulé pour revenir rue Vauban. Le grand bleu du ciel laisse augurer un séjour de délices, affectivement comblé et truffé de petits plaisirs et de doux moments.

Visite de maman et Jean le samedi (ils ont séjourné autour de Quimper) au Cellier pour un premier contact avec la famille de BB.

Nos bagages tiennent du convoi exceptionnel : trois bouteilles des vins de Fontès, un très bon whisky comme cadeau d’anniversaire pour François, le portable pour travailler à la répartition des citations sélectionnées, deux volumes du Journal littéraire, le nécessaire musical et tout le fatras pour l’entretien et l’habillement estival. De ce fait, je laisse ce beau cahier grand format au profit du Manus potable IV de plus légère facture.

Bové goûtera la prison jusqu’aux abords de Noël, après une « grâce au rabais » (selon une expression de son avocat ou d’un membre de la Confédération paysanne) accordée par le chef de l’Etat. Si le bougre avait accepté un aménagement de sa peine avec le j.a.p., il n’aurait pas à faire quémander ses troupes pour une sortie anticipée. Ne veut-il pas apparaître comme le don Quichotte des déviances agricoles et alimentaires ? Alors qu’il assume intégralement les conséquences et non à temps partiel. Curieuse conception de l’engagement en cas contraire.

Ne doutons pas que la couverture médiatique du tintamarre de ses sbires et des sympathisants n’en fera jamais un détenu comme les autres. Cette prison effectuée, il se la revendiquera comme une médaille d’intégrité dans son combat. Quel bel exemple d’opportunisme !

 

Samedi 12 juillet, 23h50

Quand la douceur de vivre n’obéit à aucun calcul stratégique, à aucun projet de domination des autres, à aucune monomanie de juger le tiers, autant de déviances ancrées comme une seconde nature chez certains et qui rendent le cadre le plus paradisiaque tel un piège malfamé. Une journée au Cellier débarrassée de tous ces avatars délétères dans la relation humaine.

Reste l’essentiel, bon enfant, convivial, complice, qui insuffle ses plus beaux atours à l’affection filiale. A midi, la famille B reçoit maman et Jean : l’alchimie s’opère dans la générosité de chacun à rendre l’instant délicieux de simplicité. Qu’on est loin des fastes d’autres endroits où ce qui prime est de scruter l’hôte pour mieux stigmatiser ses travers.

Une soirée avec cette famille, et une amie de la maman B, dans la chaleur estivale d’un repas partagé : anecdotes, rires et évocations savoureuses prolongent le dîner de truculente façon. La vivacité du père B à livrer quelques portraits de son enfance renforce son image de vraie gentillesse paternelle. Pas un soupçon de rapports glauques, hypocrites ou calculateurs. Malgré la myriade de noms inconnus et de références propres, j’ai pu apprécier la texture affective des réminiscences qui s’enchaînaient.

Le dimanche se bretonnisera autour de  crêpes avant de lézarder sur une plage de Sainte-Marie pour leur jeunots, et de rejoindre l’étendue sableuse par le chemin des douaniers pour les plus matures.

La chimère éditoriale persiste…

 

Lundi 14 juillet

La farandole des citations sélectionnées se poursuit au fil de la douzaine de fichiers ouverts pour les sous parties de ma thèse. Un peu chaque matin pour ne pas perdre l’entraînement.

Hier, dégustation de crêpes dignes de la région et passage sur un sable surpeuplé. Ce midi, les anniversaires de François et d’Annette fêtés à domicile, et ce soir, BB et moi visitons ses amis, le couple Laure & Daniel, dans l’attente d’un deuxième enfant, après sept ans de rapports sans contraceptif et, par le mystère biologique, il y a six mois, une tombée enceinte. Pas forcément du meilleur aloi cet événement, au regard de l’activité naissante dans la restauration qui, après un an et une fréquentation en augmentation, ne dégage pas encore la marge nécessaire pour vivre correctement. Les frais fixes d’achat du restaurant canalisent la part financière mensuelle. Il ne faudrait pas que cela assombrisse le moral du couple, car l’essentiel reste dans l’heureuse naissance à venir.

Ma BB réduit progressivement sa consommation journalière de cigarettes : l’arrêt ouvrira la perspective de concevoir un bambin… voilà de l’étape existentielle d’importance !

 

Mardi 15 juillet

Si le festival des Vieilles Charrues devrait finalement se dérouler, après renoncement des terroristes syndicaux de les achever, moi, je ne mérite pas le prix de coureur sur meules de foin. Au détour d’une promenade improvisée, hier à nuitée au Cellier, nous bifurquons vers l’entrée d’un champ où s’alignent deux rangées de meules façon roues gargantuesques. Ni une, ni deux, François s’élance à l’assaut de cet ensemble champêtre et je sens l’émulation me titiller les gambettes pour le rejoindre au sommet. Parcours calme à l’aller, la gaminerie prend le dessus lorsque j’appelle à la course pour le retour. Selon le principe un-pied-une-meule pour atteindre la vitesse maximum, je parviens premier sans peine, mais trop rapidement au bout de la demi-douzaine de supports : et me voilà élancé dans l’air pour le saut final avec, dans la pénombre, non plus un tapis moelleux, mais le dur plancher des vaches. Une mauvaise réception, un peu trop focalisée sur le talon du pied gauche, et la parenthèse ludique amorce une rentrée claudicante. Après l’application d’un baume Saint-Bernard le bien nommé et la fonte buccale de quelques billes d’Arnica, le temps de la convalescence réparatrice s’impose.

Avant ce piètre exploit, passage avec ma BB chez Laure, Daniel et leur adorable garçon, Erwan, qui, enfin, ne me boude plus. Enceinte de six mois, l’amie de BB s’épanouit malgré le labeur à assumer au restaurant, le temps de trouver une remplaçante au statut viable financièrement pour eux. Indépendants avec cette « affaire » (selon les termes du mari qui ne veut pas parler de restaurant, lui qui a travaillé dans les cuisines d’une brasserie nantaise renommée), installés dans une belle maison familiale (côté Laure) lovée dans son cocon de nature, ils s’attendent à une période difficile après la naissance du deuxième enfant : le moral et l’enthousiasme persistent cependant.

Déconnecté de l’actualité, je parcours ce matin le Ouest France du jour : une synthèse de l’intervention du président, on ne peut plus classique, la triste disparition de Compay Segundo à 95 ans et du saxophoniste King Benny Carter, pour l’essentiel. Pensée, donc, pour ces artistes aux cieux et pour tous les intermittents du spectacle non syndiqués et responsables dans leurs actions revendicatrices.

12h15. Beaucoup plus sordide : texto d’Ornelle m’annonçant que « Shaïna s’est fait tabasser par son père. Elle a des bleus sur les bras et ne peut plus bouger la tête ». Je dois m’attendre à un appel « si vraiment elle ne peut pas supporter son père ». Nous étions à mille lieues de nous douter de cet  état de tension chez la fragile Shaïna. Son hyperféminité, qui peut passer pour de la provocation, aurait-elle poussé son père à cet impardonnable écart ?

La violence envers les femmes, dans le cadre social, conjugal ou filial, m’a toujours révolté au plus haut point. Elle traduit la misère intellectuelle du mâle à court d’arguments et la médiocrité de l’âme, quel que soit le motif du passage à l’acte. S’il me fallait intervenir pour neutraliser ce père à la dérive, je le ferai sans l’once d’une hésitation et avec le sentiment de rendre service pour sauvegarder la parcelle d’affection filiale qui pourrait l’être.

22h22. Amélioration du talon pied gauche : une marche plus assurée ce soir. Appel de Shaïna à l’apéritif pour me remercier du texto envoyé. Pas la première fois que son père disjoncte. Cinq ans plus tôt, autre excès de violence. Cette fois-ci, alors qu’elle est majeure (même si elle doit vivre à domicile en attendant d’avoir accès à son studio) le motif tient à une rentrée vers quatre heures du matin. Je lui ai proposé un pied à terre d’urgence dans mon appartement si elle a besoin. Ils s’ignorent mutuellement depuis : elle va voir comment évolue la situation et si le risque d’un nouveau dérapage ne se dessine pas. Elle semblait touchée par mes attentions. Espérons qu’elle s’extrait rapidement des pattes impulsives d’un géniteur certainement pétri d’un mélange de jalousie envers les petits copains de la demoiselle, de désirs bassement sexuels refoulés et d’affection inassumée. À suivre donc…

 

Mercredi 16 juillet

Hier soir, toujours fascinant spectacle des orages de chaleur : les gigantesques flashs illuminant les quatre coins du ciel, le tracé cisaillé et fulgurant des éclairs, les quelques grondements cataclysmiques venus des cieux, l’humilité s’impose face à ces déchaînements.

23h20. Un levé programmé à 5h30 pour un retour ferroviaire à Lyon, en escomptant une ponctualité exemplaire pour compenser les 1h20 de retard à l’aller. Au total, un séjour très agréable qui m’ancre un peu plus dans cette famille.

 

Jeudi 17 juillet

10h40. Dans le TGV, alors que ma BB dort profondément et que je tente la lecture rapide du volume IX de Léautaud, attention requise par une très jolie maman et ses deux adorables enfants, bien qu’un peu bruyants par poussées. Cette petite famille a laissé le père sur le quai, nécessitant des forts et répétés « au r’voir papa ». Pour calmer les ardeurs du très jeune garçon et de sa grande sœur, elle leur diffuse sur un ordinateur portable quelques dessins animés (il me semble reconnaître Tom Sawers). L’effet attractif s’amorce pour quelques temps. En entendant le long au revoir des personnages en direction d’un bateau qui s’éloigne, je reconnais la tonalité de voix utilisée par les deux marmots. Le tendre trio familial donnerait presque des envies de bébé… À suivre.

 

Samedi 19 juillet

Appel de mon père, cette semaine, pour m’informer que Jim et Aurélia ont vécu sur le terrain le terrible orage sur Biscarosse, dans les Landes. Des premières vacances partagées agitées. Ayant senti sur la plage qu’un risque climatique s’annonçait, ils ont préféré l’hôtel au camping : une chambre miteuse à cent euros qu’ils ne paieront pas et abandonneront après une engueulade avec le directeur du lieu. Finalement, ils ont sympathisé avec un couple en caravane qui les a invités pour la fin de leur séjour. L’inattendu, tant qu’il ne tourne pas au dramatique, comme pour les quelques dizaines de victimes (décédées ou blessées) de ces rugissements du ciel, épice favorablement les vacances.

Encore des records de chaleur caniculaire à Lyon, et sur la France, aujourd’hui : 36 degrés à l’ombre ; sur le Tour, pour son centenaire et sa première étape pyrénéenne, on doit avoisiner les cinquante degrés sous l’astre. Le lac d’Aiguebelette cet après-midi, avec Ornelle et Ivan (ma BB travaille, sniff !), devrait compenser la touffeur ambiante.

Shaïna, dispensée de travail ce week-end, est privée de sortie après que son père ait appris l’existence d’un nouveau découvert bancaire. Ornelle me confirme qu’elle est incapable de vivre selon ses modestes moyens d’aide-soignante et multiplie les dépassements de budget, parfois très conséquents : jusqu’à sept cents euros.

Un peu plates mes interventions, la sérénité de vie ne nourrit pas la densité littéraire. Tant pis, restera l’élément factuel.

 

Dimanche 20 juillet,

18h30. Avec 31°7 dans mon antre, et un ciel bas qui menace d’orage, l’atmosphère lyonnaise étouffe. Ma BB rentre bientôt de sa journée de travail, et nous partagerons apéritif, repas au cidre et tendre soirée. Hier soir, en montant à l’aveugle chez elle comme je le fais dès qu’elle se lève tôt le lendemain, je l’aperçois étendue dans le sommeil avec une simple culotte blanche pour tout habit nocturne. Le moment de délice lorsque je m’allonge contre elle, humant sa fragrance, le nez dans sa longue chevelure, les mains parcourant sa cambrure ; et lorsque les songes s’annoncent, je me place sur le ventre, gardant dans la main gauche un bout de fesse charnue, comme pour m’assurer de sa présence.

Une chose s’affirme plus sûrement chaque jour passant : l’envie et la volonté de construire une vie avec ma BB.

Mardi 22 juillet

Edifiant documentaire sur le Dr Kissinger que j’avais sur cassette depuis quelques semaines. Si, par goût de la provocation, j’abonde ces derniers temps dans le pro-américanisme comme moindre mal pour la planète, il faut reconnaître la criminelle voyouserie de la politique étrangère américaine. L’idéologie communiste a certes engendré, par les dévoiements de son application, jusqu’à cent millions de morts, mais le chantre du capitalisme a laissé massacrer quelques millions de civils pour la sauvegarde de ses intérêts stratégiques. Finalement, le problème n’est pas dans l’idéologie, mais dans l’être humain qui n’est pas à la hauteur de ses ambitions intellectuelles. Tout système sera l’occasion, pour les intelligences malfaisantes, de nuire à autrui pour servir leurs ambitions. Kissinger en est le parangon, mais parmi une liste incommensurable à travers l’histoire de l’humanité.

 

Samedi 26 juillet

Alors que ma BB s’occupe de son intérieur (ménage, repassage) je me suis fixé à l’ombre face au lac Tête d’Or pour avancer dans la relecture du volume X du père Léautaud. Une relative douceur dans cette canicule persistante, soulignée par d’épisodiques coups de vent qui animent et sonorisent les denses feuillages. A quatre jours de notre départ pour la Corse via Arles, Marseille et Nice, un courriel de Heïm dont l’objet spécifié ne laisse aucun doute sur le sujet du contact : « Gâchis ». Il m’annonce la parution pour avant le 15 août et me rappelle à nouveau le « boulot colossal qui a ralenti son travail de mise en page. » Si l’on ajoute un problème d’œil et sa grande difficulté à « rencontrer » Karl pour qu’il l’aide à finaliser le volume (entrevues qui seraient presque aussi rares que celles avec moi, depuis quelques années : l’allusion s’imposait !), je dois comprendre aisément le retard. A moins d’un nouvel impondérable, je devrais me lancer dans une rentrée promotionnelle pour tenter d’en vendre quelques exemplaires.

Heïm ajoute que s’atteler à publier un ouvrage qui traite d’un fiasco éditorial, alors qu’aujourd’hui les affaires vont très bien, lui fait une drôle d’impression. Hé ! Serait-ce une façon de charger un peu plus son ex entourage du désastre occasionné, maintenant qu’il dirige directement les activités ? A moi aussi, mais pour de toutes autres raisons, cette période m’apparaît comme une préhistoire de mon existence. Combien je préfère, si modeste soit-elle, mon atmosphère de vie actuelle. Pas l’impression d’être rentré dans le rang, car je reste réfractaire au fonctionnement de notre société, que j’ai fait des choix qui visent à me soumettre le moins possible à ce système (refus de la conduite, d’une démarche carriériste) et à rester très sélectif dans mon relationnel amical. Plutôt le sentiment de m’être trouvé, dans un équilibre, certes précaire, qui ne repose que sur ma propre responsabilité, sans dépendances ingérables.

Comme à chaque fois depuis cette prise de distance par rapport à l’univers de Heïm, je réponds sans m’étendre, assurant le minimum affectif, mais évinçant tout épanchement qui pourrait donner prise à d’inutiles gloses. Je n’éprouve d’ailleurs aucun chagrin. Salutaire éloignement pour les deux parties, ce qui subsiste tient à une fidélité aux liens passés et à d’éventuelles accroches intellectuelles, littéraires. Rien de plus ne pourrait germer, cela relèverait du grotesque réchauffé, de l’artificiel inassumable pour moi. Quelques manifestations écrites par an, une rencontre quelques jours à titre exceptionnel, et de plus en plus espacée de la précédente si les mêmes monomanies cathartiques s’imposent chez les hôtes : voilà ce qui a succédé à l’intense complicité en premier acte et au névrotique rapport du deuxième acte.

Mercredi soir à Vienne avec ma BB pour le bonus night du festival de jazz : une Diane Reeves éblouissante dans ses scats improvisés, un Bobby Mc Ferrin aux vocalises stupéfiantes, mais qui s’est un peu économisé pour seulement une heure de concert.

À la lecture du Journal littéraire, s’ajoute, depuis hier, l’écoute des Entretiens avec Robert Mallet avec un œil sur le volume qui en a été tiré. Plaisir de l’avoir un peu vivant, au-delà de ses écrits, avec son inaltérable naturel qui résonne comme une modernité radiophonique face aux interventions empesées de l’époque.

 

Dimanche 27 juillet

Nuit infernale à suer de toute la tête, malgré les deux fenêtres ouvertes et la nudité intégrale. Ce midi, c’est au ciel de goutter un peu avec quelques sonorités grondantes. Espérons qu’il en émergera un semblant de fraîcheur.

Cette après-midi, nous devons rendre visite à Mme Caravelli, notamment pour lui rendre un panier d’osier prêté à notre dernière venue. Hier au tél, elle m’apprend que Melycia est enceinte une deuxième fois, depuis peu. Par ailleurs, elle aurait quelques soucis professionnels. Heureux d’avoir des nouvelles par sa mère, mais je subodore qu’elle a mis de la distance depuis mes envois non appréciés (et mal interprétés) de courriels. Les parcours de vie opèrent leur sélection relationnelle : je ne vais sûrement pas m’acharner à restaurer un lien en perdition.

 

Mardi 29 juillet

Ai été m’informer des grandes tendances de mon planning à Forpro pour la rentrée prochaine. Il semble que l’activité se soit réduite au regard du nombre d’heures proposé. Il me faudra intensifier les cours particuliers ou dénicher d’autres collaborations sous peine de végéter financièrement.

Pour la deuxième fois, dans un petit coin charmant du parc, au début de la roseraie, un banc entouré d’une nature luxuriante et variée, avec une herbe épaisse fraîchement tondue, d’un vert éclatant ; on ne se figurerait pas en période de sécheresse. Peu de passages, lieu calme, en retrait, idéal pour quelques réflexions.

L’actualité rappelle l’inconscience égoïste de certains : la multiplication d’incendies infernaux dans plusieurs régions du sud, causées très probablement par des actes criminels plus ou moins volontaires, mais communément et tristement crétins. La guerre contre le feu, allié au vent, dévoreur d’une flore desséchée, a montré ses limites. Impossible lutte, avec des moyens dérisoires, face à l’ogre incendiaire.

Deuxième phénomène dénoncé par la cour des comptes : la surmédication des personnes âgées, avec une bonne part d’inutile, si ce n’est pour le confort psychologique. Déresponsabilisation, là encore, sans songer que ces comportements participent au déficit d’un système trop protecteur. Avec l’augmentation des vieillards, il va falloir un certain courage politique pour calmer l’hémorragie financière. Voilà deux domaines sans aucun lien, mais qui révèlent ce penchant à satisfaire ses désirs et ses prétendus besoins sans aucune considération du tout. Des Jean-foutre à la pelle qui légitiment une sévérité accrue de la loi.

Appel de Karl pour savoir où il peut envoyer l’épreuve avant tirage du Gâchis ; il me demande également si je me rends à Royan cette année. Je lui confirme (car il devait déjà le savoir par sa mère) ma défection. Si Sally avait fait un effort pour apprécier ma BB, nous n’aurions pas hésité à revenir, mais là, l’incompatibilité est trop forte et le choix se fait sans hésitation. Je ne replongerai pas dans cette mécanique critique qui lamine le cœur de celle que j’ai choisie. Royan pour moi seul, si le planning estival le permet, sinon le lieu formera un autre pan de souvenirs.

 

Mercredi 30 juillet

Ma BB étendue nue à mes côtés, dans un sommeil réparateur pour ouvrir sa période de vacances, Fréquence Jazz en fond sonore, les vagues d’automobiles de la rue Garibaldi et les quelques passages rue Vauban comme faune urbaine, voilà le décor familier d’un soir ordinaire.

Prodigieuse mémoire du père Léautaud qui lui permet, à l’oral ou à l’écrit, de relater avec précision des anecdotes de vie, d’enrichir son propos de références précises, de citer de longs poèmes comme s’il les avait sous les yeux, bref de posséder un univers en lui-même. Si Artaud exposait à son éditeur son incapacité à former sa pensée, j’ai moi l’impression d’un vide mémoriel, d’une déperdition considérable de détails sur les choses vécues, ce qui simplifie d’autant les comptes rendus effectués ici, d’une incapacité à retenir la masse de connaissances croisées… Toile cirée, mon existence, et surtout la conscience de cette vie. Cela expliquerait-il mon peu d’affectation par les changements fondamentaux dans ma trajectoire ? Le présent, ou l’art de se substituer à soi-même, impulserait l’essentiel de mes émotions sans trop s’attacher à l’antérieur. Un peu plus subtil dans les faits, mais sans jouer les Hanussen (?), cela préfigure une vieillesse extatique.

Ce matin, très curieux demi sommeil où la sensation cauchemardesque de ne pas avoir la faculté de membres déformés, de percevoir les choses plus grandes ou plus loin qu’elles ne le sont, autant de points qui formaient certaines de mes sombres contrées oniriques de mon enfance. Curieux rappel. Pas un gâtisme prématuré, j’espère.

 

Jeudi 31 juillet, bientôt 1h

Arles. De retour d’une agréable soirée à cinq (Romy et une de ses amies en hôtes du soir) où l’apéritif sur une place arlésienne s’est naturellement prolongée en dîner jusqu’à minuit.

Comme souvent, lors de ces entrevues, le nouvellement rebaptisé M.A.P.A. (Musée de l’Arles et de la Provence Antiques) capte l’essentiel des conversations. Occasion renouvelée de stigmatiser les incompétences épaisses d’une partie du personnel : un conservateur pour rire, imperméable à l’archéologie, concentrant son énergie pour se faire bien voir des pontes politiques et espérer un poste dans un ministère ; un responsable du service des publics aux idées fourmillantes, mais n’hésitant pas à jouer avec les êtres comme des pions sans importance ; une chargée de communication (recrutée par le précédent et désormais cornaquée par lui) inapte pour cette fonction d’initiatives et de globalisation de l’action, inconséquente jusqu’à désespérer ses collaboratrices subordonnées ; des services techniques tutoyant l’abus de bien social gratiné de fainéantise en double couche. Les portraits se succèdent et apparentent ce lieu à un musée des horreurs qui décourage inéluctablement les quelques bonnes volontés présentes. Terrible gâchis qui coûte quelques millions chaque année au Conseil général qui en a depuis peu la charge.

11h40. Ambiance des mouvements estivaux, destination Nice Ville sous un ciel demi laiteux. Aux places adjacentes, une mère et trois ados dont une donzelle élancées, au regard bleu vif et n’hésitant pas à exhiber son piercing au nombril : une main squelettique qui couvre la délicate anfractuosité charnelle. Que du plaisir visuel, donc !

Le vent annoncé, et ressenti lors de nos transits pédestres, augure le pire pour les embrasements en PACA. Notre trajet ferroviaire devrait nous dévoiler quelques sinistres paysages consumés. Le bicéphale exécutif a réclamé une extrême sévérité judiciaire pour les criminels du feu. Négligents ou volontaires, la poignée d’incendiaires ont traumatisé quelques dizaines de milliers de personnes et anéanti pour une décennie des contrées paradisiaques. Tout comme à l’extrême positif une minorité inventive apporte au monde pour qu’il vive mieux, au bout sombre de la voyouserie une mince frange suffit à parasiter le gros de la troupe humaine.

 

Samedi 2 août

Deuxième jour au cœur du relief corse. Le plaisir extatique du matin : à l’ouverture de la piscine, faire quelques tours de brasse dans l’étendue calme, le nez au ras du liquide et le regard plongé dans les hauteurs du Golfe de Saint-Florent. La sérénité embrassée, où toutes les composantes de la nature semblent vous offrir leur esthétique harmonie, canalise le meilleur de la vie.

Raph et Alex adorables, fins et longilignes pour pouvoir prendre de la hauteur, goûtent aux étapes respectives de leur âge. Avec ses dix ans, Alex se laisse prendre par l’univers de la lecture, Raph, lui, s’essaye à toutes sortes d’exercices ludiques et (après une période craintive) se débrouille comme un poisson dans l’eau de la piscine et de la mer.

Tentative de réflexion sur la première sous-partie de thèse, le goût de la relation : poussif !

Vers 21h. Canicule revenue qui n’a pas desséché la journée paradisiaque en trois actes : volet dégustation au début du cap corse (charcuterie locale, dos de raire avec mousseline de câpres, assiette de fromages du coin) ; phase culturelle avec la découverte de Nonza et sa tour paolienne sur les hauteurs ; final ludique sur la plage de Faranole qui cumule tous les attraits. Au retour, avec Like a bridge over trouble water en fond sonore, une moins joyeuse découverte, malheureusement quotidienne, quelques fumées au sommet d’une montagne. La dévastation criminelle continue.

 

Dimanche 3 août

8h45. Sur les table, chaises et serviettes à l’air, des cendres, reste d’un brasier alentour. Ne me couchant pas très tard, je n’éprouve aucun besoin de prolonger le dodo plus longtemps. Ma BB, elle, se prélasse encore. Moi, sur la terrassa, avec le petit air neuf du matin, doux, qui anime les couleurs du verdoyant au jaune sec, je laisse mes sens capter un peu plus qu’en période urbaine. Finalement, on s’accommode très bien, tant que cela ne nous touche pas directement, des deux mamelles corses dont on n’a que l’écho : incendies et attentats.

23h30. Spectacle terrible et fascinant de l’incendie en cours (débutée hier soir) sur les montagnes jouxtant les gîtes. La noirceur du ciel décuple l’effet des flammes, de cet animal qui dévore tout et grossit par l’effet de ce qu’il engloutit. Avec les jumelles de mon père, on a la sensation d’être aux abords des différents foyers. Le seul impact des trop rares passages de canadairs, dans la journée écoulée, a été de morceler ce qui constituait un front uni, mais la virulence des brasiers réduits demeure et se régénère avec la luxuriance de la nature qui se présente à eux. Heureusement que le vent s’est calmé pour cette nuit. Avec la fumée incommodante, allant jusqu’à voiler le soleil, et le danger immanent d’un développement soudain et meurtrier, le séjour élargit la palette des spectacles offerts, avant la désolation lunaire.

Lundi, journée en petit bateau pneumatique à moteur à la découverte des plus belles plages du désert des Agriates. Voilà qui nous éloignera des foyers dont la fumée commence à prendre à la gorge. Tentons le sommeil avant que le Big Ben du réveil de mon portable résonne à 7h30.

 

Mardi 5 août

Journée mémorable à bord du Bombard.

Un départ joyeux tous les six nichés dans l’insubmersible d’Alain, loué à Dominique Plaisance, direction les deux grandes plages du désert des Agriates : le Loto et Saleccia. Avec notre moteur six chevaux (un chacun !) maximum autorisé pour les non détenteurs d’un permis bateau, nous nous faisons doubler à grande vitesse par toutes sortes d’embarcations, plus luxueuses les unes que les autres. A chaque croisement ou passage, des vagues plus importantes qu’il faut affronter de face pour éviter les tangages trop importants. Les décors sublimes nous entourent : l’eau d’un bleu à chavirer, les abords sauvages des monts des Agriates, une tour génoise détruite à moitié, un rocher à profil de Sphinx et, enfin, une première plage à se pâmer. Les destinations lointaines à étiquette paradisiaque n’ont rien de plus : le sable blanc, la nature brute au second plan et la transparence turquoise de l’eau salée. Selon les indications données par le personnel du loueur, les deuxième et troisième étendues sableuses devaient être nos destinations, mais nous décidons d’une première pause à ce primeur de beauté côtière, aux rares baigneurs venus pour la plupart via les eaux. La mise en bouche esthétique nous comble, mais nous reprenons rapidement le large pour rejoindre Saleccia (Lotto devant être la halte du retour). L’heure de Bombard annoncée pour parvenir à destination se double largement lorsque nous croyons parvenir à la bonne plage. Curieusement, encore moins de monde (alors que des gros bateaux sont censés déposer quelques dizaines de baigneurs pour la journée)  et  un littoral sablonneux largement inférieur au kilomètre annoncé. Le site enchanteur, avec vent et vagues, formera notre chute pour le déjeuner.

Au moment d’aborder la côte, quelques vagues inondent le fond du bateau dans lequel traînaient mon appareil photo et ma sacoche avec les deux portables. Premier désagrément : les trois appareils n’ont pas résisté. Un black-out complet.

Le Bombard tiré sur la plage, nous vidons le trop plein d’eau en le soulevant par l’avant et les finitions s’opèrent grâce au frizbee. Quelques moments de répit dans ce cadre magnifique, et déjà l’heure du retour s’impose.

Une information délivrée par un baigneur nous laisse circonspects : nous aurions largement dépassé Saleccia. La première aperçue était en réalité et la deuxième et la troisième comptée se situait bien au-delà du projet initial.

En place dans l’embarcation semi pneumatique, avec vent de face et mer à remous, nous entamons le chemin inverse. Au large de Saleccia, le moteur s’arrête : panne sèche. La réserve de secours, bidon de cinq litres visiblement loin d’être rempli, devait, d’après les dires du gars au départ, nous permettre de rallier le port depuis cette plage. En réalité, l’amphibologie du propos fixait la réserve comme un simple appoint. Après l’épreuve du transfert d’essence d’un bidon à l’autre (aucun entonnoir ou bec verseur intégré, évidemment !) sur un fond mouvant, l’angoisse de se demander si cela suffirait.

Alex, joyeux, s’amuse de cette situation, même après une demi-heure, lorsque nous subissons notre second arrêt. Cette fois, plus d’autre solution que d’appeler (avec le seul portable ayant évité le bain de mer) la location Dominique ou de se faire remorquer par quelque âme généreuse. Après l’appel à un sbire de Dominique, qui déclare que cela est une première (avec quasiment un ton de reproche) nous poireautons au gré des mouvements trois quart d’heure. Pour BB (peu rassurée depuis le départ) et moi, la nausée s’annonce croissante. A force d’attendre, nous optons pour faire signe à un gros semi rigide de Dominique location qui passe non loin. Avec ses deux cents chevaux, il peut nous remorquer aisément, en gardant une vitesse raisonnable pour notre radeau Bombard à la dérive. Ce sauvetage improvisé se prolonge jusqu’à la venue, très tardive, des loueurs.

Réaction curieuse de leur part : sans s’inquiéter de notre sort, et encore moins nous faire part de leurs regrets, ils s’étonnent qu’on soit allé aussi loin, nous accusant quasiment de mentir sur le parcours réalisé. Une première anicroche de mauvais augure. Réapprovisionnés en carburant, nous rallions le port avec un déplacement qui me semble un peu poussif.

Soulagés du bon dénouement, il nous faudra subir les reproches du personnel qui s’ingénie à nous charger de toute la responsabilité de cet écueil. Les voix s’échauffent entre papa et quelques sous-fifres. Nous apprenons tout de même deux carences révélatrices d’une suspecte façon de gérer : d’une part une procédure pour baisser complètement le moteur (et avoir la puissance maximale) qui ne nous a jamais été signalée ; d’autre part des réserves d’essence qui ne sont jamais totalement remplies ! De plus en plus curieux. Louer un bateau à la journée sans que l’on puisse effectivement naviguer à temps plein constitue une tromperie sur l’objet du contrat ; ne pas avoir signalé expressément le point limite au-delà duquel le carburant disponible manquerait, et ne pas avoir correctement indiqué les manœuvres à faire caractérisent une grave négligence.

Après la réflexion de la nuit, papa avance une hypothèse qui relève de l’abus de confiance, voire de l’escroquerie : la plupart n’allant pas au-delà de la plage Saleccia alias « Sale à chier » selon le surnom donné par le paternel, le Dominique, finalement peu plaisant, ne fournit pas le carburant annoncé et facturé pour grossir les bourses de l’affaire. Se sentant pris en faute, ils ont adopté l’attaque de mauvaise foi. Leur ironie trompeuse a gonflé jusqu’à prétendre qu’une telle mésaventure n’était pas arrivée depuis quinze ans… à un Anglais. Humour peu explosif et de mauvais aloi au regard de la réputation maritime des Britanniques.

Voilà les quelques petites crasses cumulées qui auront épicé la teneur d’une journée prévue de plaisance.

18h25. Depuis la plage vers Nonza, une grosse fumée s’élève au ciel, signe d’un nouvel embrasement.

De l’actualité corse, à retenir la plaque commémorative de l’assassinat du préfet Erignac brisée par des nationalistes. Une nouvelle provocation contre l’hexagone qui cette fois-ci, heureusement, se limite au symbole.

 

Mercredi 6 août

Vers 9h. Après trempage dans l’eau minérale, séchage à l’air libre et finitions au séchoir, aucune résurrection technologique : nos deux portables et mon appareil photo ont bien trépassé par le sel. Avoir laissé ces objets sans réelle protection contre l’eau de mer confirme que nous n’avons pas un brin l’esprit marin.

Hier soir, de retour  de la plage avant Nonza, un incendie dangereux par sa proximité d’un axe routier important (celui qui fait le tour du cap Corse). Déjà, depuis le sable, nous apercevions une colonne de fumée conséquente et le ballet des canadairs. La route nous a dévoilés l’importance du brasier, avec des flammes ayant dévoré tout un pan de montagne. Au passage de la circulation alternée par les pompiers, le point de départ de l’incendie : encore un criminel, d’origine inconsciente ou volontaire, comme souche du drame écologique.

Ce jour, Alex et Raph au club du gîte, nous allons parcourir le cap Corse en voiture, avec haltes sur quelques plages de notre choix. La chaleur lourde, en ce début de matinée, préfigure une journée au mercure élevé. En espérant ne pas croiser un fou du volant qui assombrirait cette expédition.

 

Jeudi 7 août

En douceur automobile, le tour du cap Corse, mais dans une chaleur aux extrêmes. La Corse doit certainement mieux s’apprécier aux saisons intermédiaires, et notamment au printemps. L’absence de précipitations (depuis avril je crois) et le prolongement de la canicule rend, par endroits, le maquis roussâtre de dessèchement. Au cours de ce périple touristique, nous nous affligeons devant des zones considérables devenues noirâtres  du sol pelé où seuls quelques cadavres dressés dans une raideur carbonisée, comme surpris dans leur quiétude par les flammes, subsistent. Pour les sites préservés, et heureusement encore très largement majoritaires, une succession de vallées et de sommets, de communes comme perdues en leur sein, et une mer qui entoure le tout, avec son gigantisme imprévisible.

Vers 19h50. Le nationalisme  vu depuis une voiture : les panneaux d’indication des localités avec les noms corse et français, ce dernier étant plus ou moins efficacement couvert de peinture noire, barbouillé de rage. Sur un local EDF, au bord de la route vers Saint-Florent, un « Gloria a te Yvan » qu’on ne peut louper. Inoffensives manifestations qui cachent de plus radicales actions.

Pour finir en beauté, ce soir, restaurant au port de Saint-Florent avec une dominante des produits de la mer pour régaler nos papilles.

 

Samedi 9 août

Après un retard de trois quarts d’heure du NGV, nous avons passé la nuit dans un hôtel à Nice. Organisation déplorable à l’île Rousse, sans aucune indication des procédures et lieu d’embarquement pour les piétons sans automobile. Accroche verbale avec du personnel de la Société Navrante des Cons Maritimes (SNCM) comme je l’ai déclamé en rage. Beaucoup plus calme parcours, sans malaise et un gentil commissaire de bord qui m’a remis une attestation de retard qui, j’espère, nous servira pour la SNCF (et peut-être le remboursement de l’hôtel).

A la découverte de Nice…

13h24. Au coin des rues de Jésus et Sainte Reparate dans la vieille ville pour se restaurer après une ballade amorcée sur la promenade des Anglais et poursuivi dans l’artère verte aux ombrages salutaires pour calmer les dégoulinements de tous pores.

Une ville riche où il semble faire bon vivre et qui présente des façades et des voies aux antipodes de Marseille pour l’entretien et la propreté.

Bilan très positif de la villégiature en Haute Corse, générosité sans conteste de l’invitation, mais un trait de caractère de mon père qui ne s’est pas atténué avec le temps : son côté râleur. La capacité diplomatique d’Anna annihile l’éclatement en engueulade qui se systématisait avec sa première épouse. Idem comme conducteur : lui si fin, intelligent et sensible se laisse submerger par des énervements contre d’autres au comportement qui ne lui convient pas à un instant T ; il aura le même dérapage à T + 1 en étant dans la situation réprouvée auparavant contre ceux qui ne s’harmonisent pas à  sa lancée. Des coups de sang amnésiques, en quelque sorte, où seule compte la satisfaction immédiate sans entrave.

17h40. Dans un compartiment direction Avignon, descente à Arles, avec ma BB qui dort et, depuis deux arrêts, une ravissante demoiselle. Aux anges dans un brasier qui devient supportable en pleine course lorsque le vent circule par à-coups bilatéraux. Le retour transitoire à Lyon, dès lundi, s’annonce en ruissellement de sueur.

 

Lundi 11 août

De retour à Lyon, pour une pause de deux jours. Vers 15 heures, au thermomètre digital avec capteur à l’ombre sur ma fenêtre : 44°6 dehors, 34° dans l’appartement aux stores baissés. Paradoxalement, la Corse figure parmi les endroits les moins chauds de France ; Lyon culmine en tête de l’insupportable surchauffe.

À noter : aucun colis avec le Bon à tirer du Gâchis. Un envoi différé du fait de mon départ signalé à Heïm ou nouvelle entourloupe ? Demain, j’enverrai un courriel pour l’anniversaire et m’inquiéter de la bonne réception du colis posté jeudi soir depuis Saint-Florent, malgré l’erreur de code postal qui a fusionné les châteaux d’O et d’Au. Un PS signalera l’absence du paquet promis…

Nous devrions avoir au moins un portable pour notre escapade germano-néerlandaise : le SAV d’Orange me reprend le modèle hors service mercredi matin et m’en laisse un neuf (la carte SIM ne semble pas atteinte).

 

Mercredi 13 août

Annulation du voyage en Allemagne et au Pays-Bas. Hier, découverte d’un courriel de Helen (daté du 11 août) m’informant qu’elle ne peut plus nous accueillir. La raison : son nouveau copain a dû quitter plus tôt que prévu son appartement et venir habiter avec elle. La surface de son logement ne permettrait pas une promiscuité à quatre. Elle le sait depuis deux jours (le 9 août donc) mais n’a réagi qu’après réception de mon courriel du 11 lui demandant de me confirmer le maintien de l’invitation. Sa seule solution de remplacement : que l’on paie un hôtel sur place, soit 275 euros pour cinq nuits dans l’établissement le moins cher. Des frais non prévus qui ne nous conviennent pas du tout. Qu’elle n’ait pas proposé autre chose rend sa position suspecte : son ami ne souhaitant pas rencontrer un ex, par exemple. J’aurais apprécié sa franchise et une vraie réactivité plutôt que cette mise au pied du mur. La non-fiabilité de sa parole tient de la triste découverte. Je ne crois pas qu’un quelconque lien à distance subsistera à ce sale coup. Une déception humaine de plus ; le catalogue est varié !

Nous ne pouvons faire tant de route pour un séjour de trois-quatre jours en Allemagne ! Encore plus désolé d’entendre Aurélie, qui elle nous attendait sans défaillance, me révéler qu’elle vient d’acheter les victuailles pour notre passage. Effets en chaîne du manquement premier.

J’aurais moi eu à subir un impondérable ne me permettant pas d’honorer une invitation, je n’aurais pas attendu deux jours pour prévenir du changement, et ce par courriel (sans certitude de consultation par le destinataire). J’aurais, au contraire, tout tenté pour joindre par téléphone mes invités. On ne doit pas avoir le même sens de la relation humaine avec la Néerlandaise. Exit donc !

 

Jeudi 14 août

De retour en Arles après la défection de la néerlandaise. Le couple G. & F., en vacances, nous laisse leur vaste appartement pour dormir. Je sue toujours autant, malgré la légère baisse des températures.

La troupe arlésienne fonctionne toujours à merveille pour l’hospitalité tous azimuts : Fanny & Kevin, Aude & Ben, Romy & Michel et nos hôtes du séjour, autant de couples en amitié avec la sœur de BB qui nous ouvrent leur porte par pure gentillesse.

Ce soir, dîner chez Romy & Michel avec la famille B : de bons moments en perspective qui se substituent confortablement aux plaisirs potentiels que nous aurions retirés de notre petite villégiature nord européenne.

 

Vendredi 15 août

Vive discussion sur l’art moderne et ses dérives simplistes et commerciales. Louise en farouche partisane des expériences esthétiques explorées jusqu’au minimalisme le plus suspect pour Romy et moi. Une bonne confrontation argumentative, sans bouderie à la fin.

Eu hier soir Ornelle au tél. Tout semble aller sauf son rapport aux parents qui critiquent le choix sentimental de leur fille : un petit ami sans une situation financière suffisante, sans charisme convivial… Insupportable pression que j’ai bien connue, à une échelle plus subtile, avec Heïm. La non prise en compte des sentiments d’Ornelle la braque légitimement. Et la voilà bientôt repartie pour une année d’études sous le toit parental, et avec un père en retraite. Les explosions s’annoncent fréquentes.

 

Samedi 16 août

A la Paillote d’Arles avec les B, Grace (la sœur du père) et son mari Humphrey venus en visite depuis Sanary. Le couple, aux membres plus qu’octogénaires, se porte à merveille, forme physique et intellectuelle. L’époux, ancien ingénieur, bénéficie d’une confortable retraite qui leur autorise des plaisirs variés en voyages, restaurants…

Suis-je vraiment en capacité intellectuelle de rédiger une thèse ? Il le faudra bien si je ne veux pas me ridiculiser de fait aux yeux de tous. L’été n’aura pas galvanisé l’inspiration de ce côté, ma plume préférant le vagabondage littéraire du Journal. La relecture des treize premiers volumes du JL me fournit presque l’alibi d’une piètre motivation à sortir des réflexions qui se tiennent face aux exigences universitaires. De fermes résolutions à la rentrée calmeront, je l’espère, cette tendance défaitiste chez moi.

 

Dimanche 17 août

Le côtoiement plus prononcé de la famille B éclaire sur son propre caractère et ma capacité à accepter certains systématismes. L’humour à répétition du château laisse place à quelques dizaines d’anecdotes ou de bons mots qui reviennent à fréquences diverses pour former le décor culturel du groupe, combler un blanc dans la conversation ou relancer un thème abordé. Ces habitudes, qui ne sont pas les vôtres, pourraient très vite former le ciment à critiques, et l’auraient formé rapidement chez moi, il y a seulement cinq ans. Désormais, la qualité humaine prime sur les manifestations extérieures plus ou moins séduisantes.

Moi-même, je dois passer à leurs yeux comme un peu taciturne, décalé dans certains cas, violent du verbe dans l’autre, mais finalement l’intégration se poursuit.

L’immigration familiale a parfois des allures cocasses : hier, le père B évoque le journal Minute (il est aujourd’hui plutôt de gauche et n’a jamais été d’extrême droite) qu’il a parfois lu, et notamment la caricature de Mauriac avec cette légende, en substance : Dieu a fait l’homme a son image ; on comprend pourquoi il tient à rester invisible ! Allais-je apporter la touche de mon lien pseudo-familial avec ce quotidien et la chronique éditoriale tenue un court temps par Heïm, La moutarde au nez ? Allais-je déclamer mon adhésion d’alors à certaines plumes comme celle de Brigneau ? J’ai préféré la discrétion. Peut-être qu’un jour je révélerai davantage ma différence idéologique.

Dernier jour en Arles, sans turbulence programmée : gueuletons, échanges et plage aux Saintes Maries en fin d’après-midi.

 

Lundi 18 août

Pas de plage hier avec l’orage pluvieux sur la région et la fraîcheur enfin retrouvée. Nous nous rattraperons à Sanary que nous rejoignons aujourd’hui.

Aide rédactionnelle à Louise pour une lettre adressée à la macif qui dénonce la tromperie sur travail prétendument effectué du carrossier cqfd et la courte vue (volontaire ?) de l’expert. La stratégie adoptée, en l’absence de preuves matérielles solides, consiste à entremêler attaques lourdes du cqfd et ironie cinglante captatrice d’attention pour faire prendre conscience à l’organisme qu’il en est la première victime financière. Je prends un certain plaisir à concevoir ces courriers polémiques, déterminés et à charpente semi-juridique solide. Reste à attendre l’effet.

Hier soir, verres partagés au bistrot arlésien (place du forum) avec les couples toujours charmants Romy-Michel et Fanny-Kevin.

 

Mardi 19 août, 0h40

Curieuse coïncidence : sur la route vers Sanary, j’évoque à BB ma seule venue dans cette commune, en 1999 avec Sandre, comme dernières vacances partagées sous des auspices amicales puisque la séparation sentimentale avait été décidée. Je venais de m’installer rue Vauban lorsqu’elle me proposa de l’accompagner une semaine sur la côte varoise dans un studio d’une de ses amies. En parvenant à Sanary et en suivant les indications fournies par Grace nous arrivons (avec une erreur de sens puisque venant de Six-Four et non d’Ollioule) avenue de l’Europe unie. A la vue d’un tronçon de cette voie et d’une boulangerie qui le borde, je reconnais l’alentour du lieu de résidence de ces mini-vacances 99 avec mon ex. En tournant avenue des Prats, la Bastide et ses résidences : la grande pour Humphrey et Grace, la verte pour Sandre. Les deux lieux sont à moins de cent mètres l’un de l’autre. Incroyables retrouvailles avec cet endroit de villégiature.

Adorable hospitalité du couple d’octogénaires dans une forme olympique. Les voir ainsi, après soixante ans de mariage (en 2006), réconcilie avec la vieillesse et l’union maritale.

Pour qu’un Journal conserve une relative attractivité, ne faut-il pas s’exercer à la critique, même sur ses proches, ses familiers de l’instant ou de toujours ? A méditer.

 

Mercredi 20 août

Visite hier du village médiéval Le Castelet avec ses grappes de commerces à la climatisation bénéfique. Fin d’après-midi, arrêt à la plage de Bonne Grâce : un vent fort accentue la profondeur des vagues pour mon plus juvénile plaisir. Fin de soirée au port de Sanary : déambulation entre les rangées d’artisans dans cette zone rendue piétonne chaque soir ; réservation de quatre couverts à l’Esplanade pour le dîner du lendemain ; arrêt cocktail en plein air au café des Embriers avec en son de fond un groupe de jazz s’essayant avec réussite aux accélérations de Django Reinhardt. Lors de cette dernière étape, longue discussion avec ma BB (splendide dans sa longue robe en lin crème et avec sa brune chevelure en liberté) sur le ressenti des proches familiaux, les zones de contentieux du passé, les secrets gardés. Une façon de mieux connaître l’autre et d’entretenir la complicité transparente. J’apprends à cette occasion que ni ses parents, ni son frère ne sont au courant de la tromperie de son ex avec sa sœur, si celle-ci n’en a pas soufflé mot non plus.

Une des explications d’un certain retrait affectif de BB à l’égard de ses parents en comparaison des élans de Louise : lors des examens de son diplôme d’infirmière, sa mère passait l’équivalent du bac pour pouvoir s’inscrire à l’Université. Inquiète de ses résultats après la descente en règle d’une examinatrice (les notes seront d’ailleurs réévaluées en commission pour tous les candidats ayant subi ses foudres) elle se confie à son père. Celui-ci s’exclame alors : « on a déjà bien assez de souci avec ta mère ; toi tu n’as jamais eu de problèmes pour tes examens, donc tu n’as aucune raison de t’en voir ! » Une façon, sans doute involontaire sur le fond, de nier les angoisses de sa fille qui devait les assumer seule alors qu’on était aux petits soins pour sa mère. Sujet enterré qui n’a fait qu’amplifier la distance de BB née lorsque a suivi une sœur très entourée affectivement et un frère difficile accaparant l’attention. La sœur aînée condamnée à se forger toute seule.

Ces informations intimes ne modifient pas l’appréciation largement positive sur les membres familiaux mais subtilisent le tableau pour mieux comprendre les rapports existants.

Appel d’Aline pour me remercier du courriel envoyé avec la photo prise chez Nardone. En Corse pour ses débuts de vacances, elle sera en séminaire à Arles en octobre, débordant sur le samedi pour découvrir la ville le week-end où malheureusement je serai à Paris. Je demanderai à Louise de lui servir de guide. Moral pétillant, elle vient d’acheter un appartement parisien, situé entre Montmartre et l’Opéra, dans le neuvième arrondissement. Un coup de foudre immobilier qu’elle peut s’autoriser avec une si confortable situation professionnelle. Nous sommes évidemment invités à la pendaison de crémaillère.

Avec ma BB, au marché bric-à-brac de Sanary en fin de matinée, très porté sur le vêtement. Retour au café des Embrières pour deux Monaco, le temps d’échanger sur l’avenir, l’enfant éventuel, le déménagement avec achat d’appartement : une douceur de vivre annoncée.

Aux antipodes, côté sordide, l’attentat de salopards enragés contre la représentation de l’ONU à Bagdad. Rien de bon à venir pour ce bourbier irakien. Le coup d’éclat serait de les laisser se démerder tout seul. Un peu simpliste, mais face à des actes décervelés de ce genre, pas d’hésitation.

18h. De retour de Cassis pour une trempette à Beaugrâce. Impossible de retrouver le joli jardin dans lequel j’avais vagabondé avec Sandre. Très faiblarde mémoire des itinéraires sentimentaux passés.

Sur le retour par autoroute l’historique désordonné des imprudences routières se dessine au fil des kilomètres : les traces de gomme témoignent des trajectoires délétères pour éviter tel autre ou comme signe d’une perte de contrôle du véhicule lancé à vitesse excessive. Ces tracés plus noirs que l’asphalte, tel autant de deuils portés par les voies, forment les restes très discrets du crime des sociétés modernes.

 

Jeudi 21 août

Dernier jour plein à Sanary : un retour, en très simplifié, dans les lieux visités en 99 avec Sandre (dont le numéro de portable n’aboutit plus). Porquerolles la Grande nous accueille pour quelques heures, avec un premier bain sur la plus longue des plages. Dans les sentiers pour nous y mener, çà et là des détritus de porcs incurables. Toute parcelle accessible au public est marquée par quelques humanoïdes décérébrés qui n’ont même pas l’excuse des nécessités de l’instinct.

Dernier repas partagé avec Grace et Humphrey sur leur terrasse avec une brise agréable. Une texture de vacances qui éloigne un peu plus, dans l’illusion, la fin du compte à rebours de la reprise. La conversation en vagabondage réactif permet d’effleurer ou de culbuter des sujets très variés, et parfois récurrents, comme les défauts de la vie parisienne ; la gentillesse discrète de Louis de Funès dans ses apparitions au Cellier alors que son épouse (une de Maupassant) n’existait que dans la parade méprisante ; la découverte enthousiasmante de certains grands cimetières parisiens ; les tares de l’univers automobilistique…

 

Mardi 26 août

Et l’on serait encore dans un pays tempéré ? La chaleur de ce soir, et depuis trop longtemps, liquéfie de l’intérieur, fait dégouliner et ramollit cette merde d’écriture ! Si ces excès devaient se banaliser par un dérèglement climatique dû aux activités humaines, nous pourrons oublier le confort… J’écris vraiment n’importe quoi. Aucun intérêt ces poncifs de seconde main.

Cette semaine, accueil de la compagne du frère d’Anna, en quête urgente d’appartement. Très sympathique contact, mais, au deuxième jour, encore plus angoissée face à la raréfaction des offres.

 

Mercredi 27 août

Mal installé pour écrire, hier soir, j’ai abrégé mes réflexions pseudo universalisantes. Si j’avais retenu la lorgnette de l’anecdote, j’aurais évoqué mon après-midi au bord du lac de la Tête d’Or, dans un coin ombragé. Sur la branche au ras de l’eau d’un arbre couché, le cou d’un canard avec d’un côté un corps flottant et bougeant au gré des vibrations de l’eau, et de l’autre une tête invisible, car plongée sous la surface. Un canard mort, donc. Alors que je tente l’analyse des citations sélectionnées du Journal littéraire sur l’art de la relation, quelques personnes passent, sporadiquement, au bord de l’eau. Pour celles qui aperçoivent le corps du volatile, des réactions diverses et peut-être révélatrices d’un état d’esprit du moment, voire d’un trait profond du caractère : le gamin qui jette quelques pierres pour vérifier l’état de l’animal, la femme qui affirme à son mari qu’il est en train de boire, puis se retourne avec un terrible doute, la mère qui comprend très vite l’état cadavérique du canard et détourne l’attention de ses bambins vers les vivants… Une galerie de portraits qui vaut toutes les analyses psychologiques.

A nouveau, aucun signe de Heïm depuis que je lui ai envoyé livre et carte depuis la Corse pour son anniversaire et que, dans un courriel lui annonçant l’arrivée du paquet avec une erreur de code postal, je lui ai indiqué ne pas avoir reçu le bon à tirer du Gâchis. J’attends, j’attends : une promesse de plus en forme de trompe l’œil ?

 

Samedi 30 août

Premier jour en dessous des trente degrés depuis longtemps. Cela incite à la rentrée, commencée à un rythme très léger depuis une semaine. Forpro ne me propose plus beaucoup d’heures et, malgré ma thèse, il me faudra trouver d’autres collaborations sous peine d’assèchement financier. Toujours aucun goût pour la carrière alliant ambition et progression. Moins je suis en contact avec l’univers professionnel, plus en phase avec ma nature je me sens. Un matérialisme réduit au minimum vital, un désintérêt profond pour les voyages lointains, réfractaire à l’automobile, je me dispense de nombreux frais. Sans BB et nos perspectives, je pourrais vivre avec très peu.

Eu Sally au tél. hier, qui elle ne lésine pas sur les dépenses. Me remercie de la carte envoyée depuis la Corse, et me raconte ce qui la séduite en Iran, son dernier voyage. Pas un mot, pas une demande de nouvelles concernant BB. Il ne vaut finalement peut-être mieux pas, car à la moindre allusion perfide, je romprai.

A entendre son analyse, un peu manichéenne, en forme d’éloge, de l’Iran au regard de notre pays répandu dans la fange, je ne pouvais réfréner un détachement idéologique. La chape religieuse, si elle maintient la population dans une certaine tenue de vie, m’apparaît d’un archaïsme insupportable favorable aux dérives sanguinaires. Je n’approuve pas pour autant les relâchements occidentaux, dont le je m’en foutisme et la satisfaction à tout prix de ses désirs rongent la civilisation, mais une autre voie que la religieuse pourrait réinstaurer un peu plus d’humilité chez les peuples : une politique laïque bien plus sévère, sans accommodements façon ventre mou et qui contraigne l’individu à un peu moins de parade imbue. Seulement cette direction ne peut se suivre dans l’ornière démocratique où l’on s’embourbe à force de trop lâcher pour tous les corporatismes revendicateurs.

 

Mercredi 3 septembre

La reprise est légère pour moi, trop légère pour mes finances : douze heures hebdomadaires pendant ces quinze derniers jours, je passe, jusqu’en décembre, à huit heures rémunérées par semaine. Forpro a nettement diminué les heures d’enseignement allouées ; il me faut trouver des compléments… Inconscience (?), cela ne m’inquiète aucunement… j’aurais un enfant à charge, le ressenti changerait radicalement. Pour l’instant, cela me dégage du temps pour commencer l’analyse des citations sélectionnées dans le Journal de Léautaud.

Je relisais hier les courriels échangés ces derniers mois avec Heïm : ses promesses successives pour qu’une nouvelle fois je ne vois rien venir. Quelles que soient ses raisons, le silence à mon dernier message (pour son anniversaire) relève de la pignouferie affective. Impossible d’avoir avec lui un rapport sain et carré d’auteur à éditeur. Je comprends mieux qu’il ait centré son action, ces deux dernières décennies, sur la publication de feux écrivains…

Notre Président répond parfaitement au devoir de présence au nom de la nation : en hommage aux trois pompiers grillés dans leur véhicule lors d’un déplacement au sein d’un incendie de forêt, vers Cogolin ; en mémoire de la soixantaine de défunts par la canicule, non réclamés, abandonnés dans leur mort. Voilà bien deux travers gangrenant notre société : la satisfaction de ses plaisirs, même les plus criminels (du feu allumé au véhicule lancé à toute allure, le principe psychologique de l’actant s’apparente) ; et l’égoïsme exacerbé qui nie la vieillesse, la maladie grave de longue durée, tout ce qui assombrit sa propre existence, tout ce qui peut encombrer ou parasiter ses illusoires activités.

 

Samedi 6 septembre

8h30. Quiétude d’une matinée villageoise où le bruit automobile relève encore de l’exceptionnel. Séjour exprès à Fontès pour fêter demain les 91 ans de grand-mère. Couchés dans l’immense salle à manger du haut, où l’oncle Paul a installé un grand lit, deux tables de nuit et un paravent de bois, je me laisse imprégner par le silence, quasi inconnu dans la grande ville.

Ma BB tente de grignoter quelques minutes de sommeil après une nuit agitée de toussotements intempestifs. Nous devons consacrer l’essentiel de cette journée à la visite de Sète et à la plage pour une éventuelle dernière baignade cuvée 2003.

Ce matin doivent arriver l’oncle et Mariette : la période des vendanges commence. Nous égayerons un chouia la vie monotone de ma grand-mère qui souffre de plus en plus des jambes et dont chaque menu déplacement doit s’effectuer accrochée aux meubles, mains courantes, poignées et murs avoisinants. Elle qui « trottait » (selon son terme) toujours partout : cet immobilisme contraint influe prioritairement sur son psychisme assombri. En outre, une vue qui baisse et des lunettes inadaptées (elle traîne à prendre un rendez-vous chez l’ophtalmo) la prive de lectures jusqu’alors abondantes. Il ne lui reste donc plus grand à faire dans sa minuscule chambrée, hormis regarder la lucarne TV qui comble le vide.

Jeudi, reçu une carte postale d’Ornelle qui, à son tour, goûte les charmes corses dans une atmosphère plus douce, même si les incendiaires sévissent toujours. Elle nous demande de réserver les 20 et 21 septembre pour nos retrouvailles de rentrée avec découverte des photos respectives.

Eu hier Eddy au téléphone qui me confirme pendre sa crémaillère le 13 de ce mois avec sa chère Bonny et une soixantaine d’invités. Nécessité absolue d’un beau temps pour que le parc de la demeure puisse accueillir la troupe festive. Malheureusement, ma BB travaille ce samedi et ne pourra, au mieux, que faire un saut en soirée.

Les amitiés lyonnaises ne s’étiolent pas, donc.

22h45. Depuis le mou matelas de la chambre improvisée, je transcris les quelques faits notables du jour.

Côté perso. Visite de Sète et plage annulées suite à l’état nauséeux de ma BB. Journée calme à Fontès entre les passages à La Providence pour voir grand-mère, le farniente à la piscine de l’Evasion pour moi et le lit pour la malade. Le soir, un peu régénérée, ma BB m’invite pour une promenade improvisée dans les rues et ruelles : les lieux anciens ont été harmonieusement restaurés et la propreté règne. Bien agréable mise en valeur du patrimoine immobilier. Comme amorce du parcours, passage devant la maisonnette qu’occupaient en vacances Denise (la sœur de grand-mère) et Jacques. Petit pincement nostalgique en me revoyant toujours heureux de les visiter : une douce atmosphère m’érigeant ce lieu comme un refuge enthousiasmant. Bien lointain souvenir surgit en vague émotionnelle.

Demain, arrivée de Paul et Mariette pour un déjeuner festif au Pré Saint-Jean de Pézenas.

 

Dimanche 7 septembre

Vers 11h. Côté international : une rentrée aux rebondissements éculés. La démission du Premier ministre palestinien confirme l’indéboulonnable terreur réciproque comme mode de gestion des désaccords territoriaux. Quand les relations de voisinage s’accordent sur la nécessité du sang de l’autre répandu, aucun fla-fla diplomatique ne peut faire accroire à une once de parcelle d’espoir : la feuille de déroute s’envole pour l’automnale saison.

Vers 23h. Enfin dans le nid Vauban, section deuxième, après un trajet sous des trombes d’eau tant attendues pour nos nappes phréatiques.

Repas chaleureux au Pré Saint-Jean de Pézenas : décor feutré, menu semi gastronomique aux saveurs originales et aux quantités bien dosées, un personnel aux petits soins et un rouge 95 du domaine d’Ormesson, le tout gracieusement offert par mon oncle. Grand-mère a pu profiter de cette rupture dans son monotone quotidien.

Le feu fol Lucien, issu d’une liaison entre grand-père et une femme mariée décédée pendant la guerre, et reconnu comme fils légitime par grand-mère, a laissé une situation juridique vaseuse sur le plan successoral. En faisant de son compagnon de lit australien son héritier intégral avec la pernicieuse volonté d’évincer sa mère du quart qui lui revient (un notaire véreux entérinant la falsification des papiers remplis) il pond la première fiente ; l’héritier, en faisant valoir ses droits sur la succession de grand-mère, mitonne la seconde, sans conscience que l’affaire risque de lui coûter très cher. L’oncle Paul consulte un avocat lundi : le conflit s’ouvrira pour quelques années.

Pitoyable Lucien qui n’aura honoré aucune de ses promesses et dont le seul présent posthume a la forme d’un entubeur australien… Avec ce qui devait le faire grimper aux rideaux, on peut saisir, mais sans l’excuser, la très suspecte sélection en guise de cadeau empoisonné. Merci Luc !

 

Mercredi 10 septembre, 1h15

Une rentrée qui d’un coup, avant-hier, juste avant d’aller écouter les notes hésitantes, mais généreuses, de Woody Hallen, prend un tour de charnière : ma jeune propriétaire m’annonce la mise en vente prochaine de mon lieu de vie. Dès réception du courrier officiel, six mois pour lever les amarres et trouver un nid à partager avec ma BB. Notre projet de vie commune s’accélère et devrait prendre la forme d’un achat d’appartement, si un prêt est accordé. Malheureusement, ma situation professionnelle est au plus bas, après avoir volontairement abandonné certaines activités pour dégager du temps pour la thèse… La priorité : obtenir de Forpro la signature du CDI (à temps partiel annualisé) qui m’a été proposé il y a un an ; envoyer des candidatures tous azimuts dans mes trois secteurs de compétence (enseignement, édition, presse) et consulter nos amis les banquiers pour jauger leurs largesses financières au regard du profil proposé. Pour BB, la solidité de sa carrière devrait lui faciliter les négociations. Une franche étape dans notre histoire qu’il va falloir gérer au mieux.

Rester enthousiaste malgré le discours alarmiste tenu par mes chers Jacquard et Sfer dans C dans l’air d’Yves Calvi sur l’ombre mortifère de Ben Laden, l’icône terrifiante du XXIe siècle.

 

Jeudi 11 septembre

Dans le cœur avec les victimes de la barbarie extraordinaire d’une religion dévoyée. Choisir son camp sans tenter l’excuse tortillante qui légitimerait l’atroce. Aucun motif, aucune argumentation ne doit tenir face à ce qui se prépare encore dans l’ombre pour que, lorsqu’on y pensera le moins, une terreur encore plus magistrale nous prenne à la gorge. On ne raisonne pas avec des nihilistes sanguinaires prêts aux déchaînements chimiques, bactériologiques et peut-être même nucléaires. À ce jeu-là, il sera trop tard pour échapper au massacre, à l’extermination systématisée. Choisir la première puissance, c’est reconnaître le camp de la civilisation même si, là comme ailleurs, les cadavres d’innocents abondent. Les perspectives offertes par l’hyperpuissance semblent infiniment plus vivables, parce que justement critiquables en son sein, que celles aboyées par les islamistes al qaïdiens.

 

Lundi 15 septembre, vers 1h

Joyeuse pendaison de crémaillère chez Eddy et Bonny à Messimy. Pour l’occasion, écriture sur l’air de Sur la route de Sans un doute interprété pour le couple. Sympathique journée et cadre rêvé.

Week-end de labeur pour ma BB, sans saillance autre pour moi. Petit appel d’Ornelle : à Arcachon avec Ivan, entrevue le week-end prochain.

M6 et TF1 en cœur pour traiter du tragique gâchis des destins Trintignan-Cantat, et avant tout du crime commis par le chanteur de Noir Désir. Ignoble dérive impardonnable que cet acharnement à coups de poings bagués sur le visage si délicat et fragile de Marie. Le barbare a gagné celui qui se prétendait artiste sensible, à l’écoute des misères du monde : le voilà dévoilé en auteur de violences conjugales extrêmes, en batteur de femmes, d’une femme, sa passion. Et le motif ? Dérisoire : une méprisable jalousie mal placée. La belle Marie figurait dans ma bibliothèque par un ouvrage de photos consacré à Michel Jonasz, acquis lors de son spectacle Unis vers l’uni. La douce Marie a malheureusement rejoint trop tôt l’univers du néant par celui qui prétendait l’aimer.

 

Mercredi 17 septembre

L’émotion charnelle est à entretenir…

Première idée de ce qui pourrait nous être prêté pour l’achat d’un T4. Reste à comparer les propositions et à partir en recherche de l’appartement retenu.

Clôture du compte Histoire locale qui ne fonctionne évidemment plus depuis belle lurette. Une façon de m’écarter définitivement de Heïm and Cie. Aucune manifestation de leur part, manquement complet à leurs engagements : qu’ils aillent se faire foutre tous autant qu’ils sont. Désintérêt total désormais, si ce n’est comme sujet de défoulement.

 

Vendredi 19 septembre, 23h45

Une douzaine de propositions de prêt immobilier, entre les rendez-vous traditionnels et les demandes via Internet ; une vingtaine d’agences contactées dans le sixième : le branle-bas de recherches est lancé avant même d’avoir reçu la lettre de ma propriétaire à partir de laquelle courra un délai de six mois.

Encore une coïncidence curieuse : la première proposition de visite faite par l’une des agences concerne un appartement sis rue de Sèze, au cœur du sixième, là même (l’adresse) où j’ai donné mon premier cours particulier de la rentrée à une jeune fille d’origine indienne. Lorsque le promoteur m’incite à aller voir l’immeuble avant tout projet de visite, je réalise peu après le singulier hasard. Quartier idéal, mais l’immeuble n’est pas très esthétique de façade (du crépis marron un peu sordide). Reste à découvrir l’intérieur proposé.

Appris ce soir par téléphone l’installation de maman et Jean dans leur nouvelle maison, réellement en campagne puisque les portables sont inutilisables ! Pour nous, au contraire, le cœur de Lyon s’impose et nous sied très bien.

 

Samedi 27 septembre

Un soleil automnal pour rompre l’ellipse temporelle. Les journées libres sont vouées à la visite d’appartements, une dizaine pour la semaine. Rien de séduisant tous azimuts, toujours un facteur qui nous fait hésiter : la surface, le quartier, l’état, l’excentration, l’immeuble, etc. Le seul qui nous aurait séduit, d’après les dires élogieux de l’agent immobilier et notre propre découverte de la bâtisse et de ses alentours, vient d’être vendu avant même que nous ayons pu le visiter. Petit coup au moral qui ne doit pas occulter le temps qu’il nous reste pour trouver notre nid : trois mois pleins hors délai de finalisation du dossier.

Côté relationnel, tout va bien : dîner samedi dernier avec Joëlle et son compagnon, déjeuner et après-midi le lendemain avec Ornelle et Ivan. Ces amitiés contribuent aussi à ma détermination de m’ancrer à Lyon.

Nouvelles de Shue : le couple a finalement opté pour Deauville comme lieu de résidence. Je devrais les revoir lors de mon passage à Paris, le 12 octobre.

Marianne m’informe de la suite de son tour du monde : depuis la Chine, elle s’inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles.

Moins enthousiasmant, un énième message de Heïm, peu compréhensible à l’enregistrement, mais dont je saisis l’essentiel des antiennes : ses difficultés à obtenir l’exécution des ordres donnés (ainsi le contrat d’édition que Monique doit m’envoyer depuis un an, mais « tu la connais… »), le travail incommensurable, les aléas de santé… Heureusement que ce rythme éditorial n’est pas celui adopté pour MVVF, sinon la prestigieuse collection compterait vaillamment trois titres et demi depuis quinze ans, et non les presque trois mille. Quelle bouffonnerie, ce projet !

 

Jeudi 2 octobre

Le lendemain de mes 34 ans, signature d’un compromis de vente pour un appartement de cent mètres carré. Lundi soir, après une dizaine de jours de recherches et une quinzaine d’appartements visités, coup de cœur pour ce T3 aux dimensions confortables, (…)… tout cela nous a conquis. Une avenue calme dans cette portion, aucun vis-à-vis ont conforté notre choix. Certes, nous atteignons le plafond financier que nous nous étions fixés, mais la douceur de vivre à venir mérite amplement cet effort, sur deux décennies… Fin janvier 2004, ma période d’exil volontaire laissera la place à une phase d’ancrage existentiel, loin, très loin du passé.

 

Dimanche 5 octobre, 0h10

Dernier jour pour mes 33 ans, avec une BB câline à mes côtés. Légère angoisse à l’approche de la signature du compromis : en espérant qu’aucune désillusion ne vienne  avorter ou assombrir ce beau projet. Après, ce sera le temps de l’obtention du prêt, (…).

Point de matérialisme aigu chez moi, juste l’envie de m’épanouir dans un lieu adéquat, à notre dimension et ne regardant que notre union, sans ingérence manipulatrice au nom d’une pseudo affection. La limpidité de cette vie ouverte m’offre une sérénité inégalée, sans doute au détriment de l’intérêt testimonial.

Découverte de quelques sordides arcanes de la politique extérieure française des années soixante-dix. Les Escadrons de la mort, selon le titre du documentaire, nés et perfectionnés lors de la guerre d’Algérie, ont inspiré une véritable école française de la terreur. Celle-ci a exporté ses savoirs barbares de la guerre révolutionnaire à une grande partie de l’Amérique latine. Le général Aussaresses confirme que les têtes politiques de l’époque (des ministres concernés au Premier d’entre eux, et jusqu’au Président) étaient nécessairement, au minimum, avertis, et plus certainement favorables à cette collaboration avec les plus dures dictatures afin qu’elles pérennisent leurs fondements.

Nouvel attentat sanglant en Israël, par un être sexué femelle (mais rien de féminin dans l’âme) qui s’est fait exploser dans un restaurant bondé : dix-neuf morts, dont des enfants. La rétorque israélienne ne tardera pas, et le bouclage des territoires palestiniens risque de rendre difficile le retour d’Aude, la grande amie de Louise, qui restaure des mosaïques à Gaza.

 

Mercredi 8 octobre, vers 0h30

Une pluie sans discontinuer pour fêter la signature de ce compromis. Grosse circulation pour parvenir jusqu’à Saint-Laurent de Mure et une heure trente de rendez-vous pour obtenir une version complète du document. Toujours un très bon contact avec le vendeur, un ingénieur d’origine brestoise. Dernier obstacle : l’accord pour le prêt (…).

 

Vendredi 10 octobre

Ma BB sur le pont des urgences ce week-end, je rejoins pour trois jours Big Lutèce, l’âme plus lyonnaise que jamais. Cet achat partagé me lie, plus déterminé les jours passant, à celle qui favorise la plus douce et tendre quotidienneté.

Le dimanche, je dois retrouver, chez papa, Sally et Karl : j’avais hésité à leur révéler cette nouvelle phase d’existence. Finalement, la transparence des actes qui servent la construction du chemin choisi m’apparaît comme la plus éclatante démonstration du salutaire éloignement, en douceur, d’un univers en trompe l’œil. Rien à cacher, donc : communiquer mon enthousiasme, au contraire, et bien insuffler le message (pour Sally, notamment) que je n’admettrai aucune attaque ad hominem concernant ma BB. Shue et John me feront l’immense plaisir d’être également présents à cette réunion dominicale inédite pour mes 34 ans, centrée autour de l’affectif.

Ce soir, du musical fraternel vers la Bastille : Jim et Bruce réunis pour jouer dans un café parisien, une rareté à ne pas manquer. Maman, Jean, sa fille Candy et Aurélia présents.

 

Samedi 11 octobre, 2h30

Bien tard, mais il me faut fixer mes premières impressions sur la nouvelle demeure de maman et Jean à Saint-Crépin : charmé par les volumes, les poutres et l’apparence de fermette avec grange et dépendances. Des travaux multiples à effectuer sur une base séduisante. Une vraie campagne pour une douceur de vie.

Ce soir, Jim, Bruce et un batteur ont interprété quelques standards du jazz : Bruce au piano force le respect par sa dextérité autodidacte. Sa voie semble être vraiment celle de la musique. L’espoir paraît donc toujours possible.

 

Dimanche 12 octobre

Retour dans les limbes semi alcoolisées d’une après-midi effectivement très entourée. Shue et John adorables de gentillesse, Karl généreux et plein d’humour, Sally aux conversations très nourrissantes, papa et Anna en hôtes de choix, les petits frères appréciés de tous, et des présents m’obligeant à emprunter une grosse valise pour ramener le tout.

Plus déterminé encore pour cette construction avec ma BB, malgré les remugles mondiaux qui pourraient incliner au nihilisme. (…) Les gestes conjugués de proches laissent espérer une humanité en phase avec le meilleur de mes aspirations.

 

Mardi 14 octobre, minuit passé

Concert de Keziah Jones : agile en rapidité d’exécution, mais avare en retours sur scène après le temps réglementaire. Un public majoritairement assis, pour écouter ces frénésies musicales, a peut-être déçu l’artiste, se limitant alors au minimum.

 

Vendredi 17 octobre

La douceur de vivre avec ma BB me comble pour l’équilibre et la sérénité existentiels, mais me prive certainement d’inspirations littéraires. Je dois me tourner vers l’extérieur pour y puiser et exploiter des thèmes propices à l’indignation, à la fascination, et en sortir quelques lignes.

Ainsi la personnalité de Pierre Chanal, le disparu de Mourmelon comme le titrait l’émission d’Yves Calvi juste après son suicide « professionnellement » accompli. Cet enfermement absolu, cette fuite du relationnel, et la part d’ombre qui a coûté la vie, et a sans doute privé à jamais les familles en deuil des corps, à de jeunes hommes ayant croisé son chemin et son regard vide d’humanité. Ouaille d’une Armée qui a refusé des années durant d’admettre l’homo galeux en son sein, une justice et des services d’enquête tutoyant la criminelle incompétence, l’affaire s’achève selon la détermination de celui qui restera, légalement, présumé innocent. Un parcours effroyable, une froideur sans faille qui rendent bien ridicules des fulminations comme les miennes. Je conserve, heureusement pour mes proches, un penchant pour les êtres dans leur individualité qui m’interdit ce nihilisme pathologique.

Un rappel de l’inefficacité affligeante de la force publique, quelles que soient les gesticulations ministérielles : un tiers des condamnées à de la prison n’effectue pas sa peine. La parade sarkozienne (selon la tradition de son ministère et de celui de la Justice) se limite à l’arrestation et à la sentence rendue au nom du peuple français. Après, c’est le rideau glauque des lâchés dans la nature pour bien les inciter à ne pas répondre aux convocations judiciaires, c’est le petit jeu procédurier qui transmue le droit en une infecte caution des criminels aux dépens des victimes, c’est la bouffonne perturbation et remise en cause de la justice rendue par les grâces présidentielles...

Le vrai courage politique consisterait à supprimer les jap et imposer que tout condamné à de la prison ferme soit incarcéré immédiatement, et non après des circonvolutions qui méprisent le droit bien plus légitime de la victime à être effectivement réparé dans son dramatique préjudice par la punition sans bavure du fautif. L’éthique présidentielle devrait commander d’arrêter cette mascarade annuelle des grâces, telles des carottes régaliennes qui reviennent à la négation de la justice rendue. L’individu n’a pas abandonné la justice personnelle pour ce type de système dévoyé !

 

Lundi 27 octobre

Un bon moment, hier soir, chez Jean-Luc (le frère d’Anna) et son amie Barbara en petite forme après l’abandon d’une formation en parfumerie, à l’origine de leur installation lyonnaise. Désillusion face au contenu de cet enseignement et au public rassemblé. Installés dans un bel immeuble cossu rue J.-M. Perret, à dix minutes à pied de chez nous, ils ne semblent pas vouloir rester de longues années dans la Capitale des Gaules. Cela me blesse presque lorsque j’entends des critiques sur cette ville qui m’a accueilli pour une étape tellement plus douce de mon existence. Si leur appartement a tous les avantages du neuf de bon standing et se situe à deux minutes du parc, le choix de notre futur grand nid s’en trouve renforcé dans ses volumes confortables et l’alliance du neuf dans l’ancien.

Quelques manifestations téléphoniques, plus ou moins inattendues : Ornelle qui veut quitter son école de comptabilité suite, là aussi, à une déception sur les contenus pédagogiques ; Sally qui voulait m’inviter, lors de notre prochain passage à Paris, pour un déjeuner chez Suzelle ; Heïm, juste avant un de mes cours particuliers, pour une prise de rendez-vous téléphonique au lendemain, restée lettre-morte. Les manifestations sporadiques de Heïm (la dernière probablement provoquée par sa mise au courant par Karl que j’allais devenir propriétaire) ne me touchent plus. Je me sens totalement étranger à son univers, sans aucune envie d’avoir des nouvelles, ni moins encore de le visiter. Cet équilibre lyonnais m’a sans doute définitivement vacciné de tout regret envers ce monde idéalisé durant presque trente ans. Seules des relations duales, avec Karl notamment, pourront subsister. Même avec Sally la distance est en marche : à chaque entrevue d’inacceptables sous-entendus (la perfidie féminine) sur celle que j’ai choisie. Je devrai, un jour ou l’autre, recadrer les choses en posant comme condition à toute poursuite relationnelle la cessation de cette vase allusive. Relations qui se clairsemeront de fait puisqu’il est exclu que j’incite ma BB à m’accompagner. La hiérarchie s’impose naturellement : je ne verrai Sally que  lorsque l’absence de ma dulcinée me le permettra. Mon existence s’affirme, depuis plusieurs années, ailleurs que dans ces rogatons de pressions pseudo affectives. Mon engagement pour BB doit au moins équivaloir en détermination (d’autant plus qu’il s’affirme dans la sérénité) celui de la défunte adhésion pour le monde de Heïm. Si je n’éprouve plus un iota de penchant pour cet univers, est-ce parce que je suis devenu un monstre insensible ou parce que l’épuisement réciproque a été tel que rien ne peut faire renaître chez moi une amertume, un regret, une envie… ?

 

Mardi 28 octobre, vers 0h30

De retour du complexe cinéma de Brignais, seul endroit de la région pour voir Elephant en version française. Grande déception face au navet palmé : des longueurs qui se voudraient porteuses de subtilités, mais qui ne sont que des longueurs ; un volontaire retrait du cinéaste qui affadit le tout. Un film à la façon d’un terne documentaire. Le dernier quart d’heure centré sur le massacre, perpétré par les deux déjantés, ne parvient même pas à captiver. Pour le reste, une journée ordinaire filmée sans relief.

 

Dimanche 9 novembre

Nous laissons Saint-Crépin pour retrouver Rueil.

Hier, grosse journée physique pour Jean, Jim et moi : début d’évacuation avec tri des briques du mur effondré côté voisin. Extraire, gratter, transporter : mon corps a perdu l’habitude de ces efforts sur longue durée et d’un séjour prolongé en extérieur par fraîche température. Résultats : mains et poignets endoloris (la forme calligraphique s’en ressent), joues et lèvres irritées, mais un bien-être de participer à la réfection de ce doux lieu.

 

Mardi 11 novembre

Avec comme Q.G. le bel appartement de Sonia (qui rentre ce soir) nous découvrons quelques expositions : de Delacroix à Matisse, dessins en provenance du Musée des Beaux Arts d’Alger, au Louvres, et Cocteau sur le fil du siècle au centre Pompidou. Les ébauches en vue de tableaux futurs ont parfois plus de charme, avec les imperfections de l’artiste qui cherche, que l’œuvre finale. Chez Cocteau, les multiples angles de la créativité sont densément dévoilés, passant sur les actes opportunistes moins reluisants. Parmi ses envois pour l’une de ses œuvres, une enveloppe à l’attention de Léautaud avec un petit ajout en haut de l’enveloppe rappelant, sous forme d’hommage, sa haine de la guerre et son affection pour les animaux.

Hier soir, retour au Café bleu (dont les travaux de peinture vont bientôt le rendre saumon !) pour entendre jouer Bruce au piano, Jim à la guitare et une accointance à la basse : des standards de jazz loin d’être défigurés par l’interprétation.

Ce matin, avec ma BB, exposition Doisneau, puis sur Cuba, et peut-être une visite commentée des Catacombes pour le début d’après-midi. À seize heures, rendez-vous chez Aurore, porte des Lilas, dont le petit a un an.

 

Mercredi 12 novembre

La ferraille de précision se met en branle pour que l’on retrouve nos contrées lyonnaises. Le bout d’chou d’Aurore et de Ramos a le sourire enjôleur et la vivacité d’une heureuse première année. La maman, plus belle les années passant, et le compagnon au français en nette amélioration, nous convient à fêter cette première bougie qui trône sur une généreuse Charlotte au chocolat, de quoi bien décorer le pourtour des lèvres du bambin. Quelques photos pour fixer l’instant et nous nous en retournons vers la rue Tournefort où Sonia nous attend.

Le soir, dîner à quatre (Aline nous rejoint) au Petit Prince, restaurant à la dense décoration et aux lumières tamisées comme je les apprécie. Occasion de renforcer la complicité et de découvrir l’autre, notamment cette chère Aline dont j’ignorais des pans entiers d’existence. Née au Maroc (mais d’origine et de nationalité françaises), ses parents ne sont retournés dans l’hexagone que pour lui permettre de préparer son bac, à 17 ans : un déracinement presque traumatisant, pour elle, de se retrouver dans la ville nouvelle de Cergy Saint-Christophe dans la grisaille de la banlieue parisienne. Cela explique, au-delà des jalousies qu’elle pouvait engendrer chez d’autres filles de la classe, sa mise à l’écart par une partie du groupe scolaire. Un peu en marge, comme moi finalement, même si les causes divergent totalement et si la gestion de ce retrait a différé.

Regret de mon attitude involontaire lorsqu’elle me confirme son impression d’alors : elle était persuadé que je la méprisais, ce qui expliquait mon manque de rapprochement. Que d’occasions, de complicité perdues par ces non-dits, moi qui croyais, au contraire, ennuyer les autres par un côtoiement jugé inopportun.

Cette quarantaine volontaire a sans doute favorisé ma créativité poétique de l’époque, mais a considérablement retardé ma socialisation sélective qui fait aujourd’hui mon équilibre. Un déphasage entretenu dans le culte du château et qui m’a occulté d’attachantes personnalités au point de n’en retenir, bien plus tard dans mon Journal, que d’inexactes déductions. Un mea culpa littéraire minimum pour rétablir l’image de cette brillante jeune femme avec qui j’ai partagé, de plus loin que je l’aurais souhaité, les bancs et sièges des années bac et fac. Nostalgie largement compensée par le rare privilège de ne pas l’avoir perdue de vue et de pouvoir aujourd’hui maintenir, voire approfondir, les liens amicaux.

 

Lundi 17 novembre

L’affaire des frégates vendues à Taiwan surpasserait de très loin le dossier Elf que la justice vient de refermer. Le secret-défense, réitéré par les politiques de gauche ou de droite pour dissimuler de gigantesques détournements de fonds, voilerait aussi quelques éliminations de témoins gênants. Les terreurs hirsutes de Sergio Leone paraissent bien fadasses à côté de la crapulerie de ces cols blancs.

 

Mardi 18 novembre

Finalement, au risque de me ridiculiser ou de passer pour un défaitiste, un fainéant ou que sais-je encore, je ne ferai pas de thèse.

Je ruminais cela depuis quelques mois, et le déjeuner au Convivium avec ma BB et Shue a provoqué l’expression de cet abandon. Ma chère amie thésarde m’a avoué le regret qu’elle avait d’avoir passé autant de temps sur ce travail dont la récompense universitaire ne lui sert strictement à rien socialement. Certes, cela fait bien et ceux qui en sont informés vous considèrent avec un certain respect, mais rien de plus qu’une flatterie pour l’égo.

Ma détermination à ne pas intégrer le mammouth public de l’enseignement secondaire, l’impossibilité d’embrasser durablement l’université de son choix sans agrégation, la signature d’un CDI (même à temps partiel) avec Forpro, la perspective du remboursement du prêt immobilier (nous signons vendredi prochain) et l’éventuelle monopolisation existentielle par un nourrisson : tous ces facteurs me détournent naturellement du projet égoïste de thèse. La motivation n’y est vraiment plus.

En revanche, rien n’anéantit l’idée d’un écrit sur le genre du journal, via celui de Léautaud. Cela se fera au rythme des plages de temps libre (comme la tenue de celui-ci) et en fonction de l’envie et de l’inspiration. Voilà dont tournée la page universitaire ouverte en septembre 1988 avec de nombreuses ellipses et quelques changements de trajectoire. Tournée, à moins que la retraite me ramène à ce projet… Le temps de voir venir, donc.

Appel d’Ornelle pour m’informer du malaise, peut-être cardiaque, de sa maman hospitalisée hier. J’espère que rien de grave ne sera décelé.

 

Samedi 22 novembre, 1h45

Le prêt immobilier semble consenti (…). Une charmante interlocutrice de la direction du réseau de Lyon doit nous expédier toute la paperasse valant offre de prêt. Après divers paraphes et quelques signatures, retour après un délai de onze jours pour la réflexion, selon les dispositions de la loi Scrivener.

Notre projet va réellement aboutir : (…)… De curieux contrastes dans ma situation, tout de même : (…). L’inconciliable a priori s’harmonise finalement très bien.

 

Lundi 24 novembre

Le gouvernement ressort son ventre mou face aux protestations catégorielles : quelques grappes d’étudiants pour que Ferry face passer à la trappe son projet de réforme ; quelques indécentes gueulantes de buralistes souhaitant la reprise de la consommation de tabac pour qu’une batterie de mesures financières ne parviennent pas à les calmer. Un porte-parole de cette profession fixe l’ultimatum avant toute négociation : accepter sans condition leur principale revendication (annulation de la hausse programmée pour janvier) et ils pourront discuter... de l’air du temps sans doute ! Voilà une très démocratique conception du compromis.

L’objectif restant la baisse de la consommation, cette profession devra se reconvertir à autre chose ou trouver d’autres ouvertures à son activité. Quelle politique de santé publique pourrait prôner une baisse des tarifs, ou l’arrêt des campagnes anti-tabac pour le simple et criminel confort financier de ces charognards légaux !

L’alcool ! rétorque-t-on, pourquoi ne pas être aussi sévère avec ce produit. Parce que la dépendance au tabac est quasi systématique et qu’une seule cigarette quotidienne reste nocive pour la santé. L’alcoolisme est une dérive extrême, mais un petit consommateur occasionnel ne risque aucune accoutumance, et cela peut même être bénéfique (pour la microcirculation, par exemple). Le tabac est une saloperie en soi, l’alcool devient dangereux pour les salauds de pochtron : une différence essentielle.

 

Mercredi 26 novembre, minuit dépassé

Reçu hier, par courrier simple, l’offre de prêt signée par notre interlocutrice de la direction du pôle immobilier. La propriétarisation se confirme.

Toujours dans Les plats de saison de Revel, quand l’intelligence et la clarté percutantes atteignent les sommets. Sitôt achevés ce mets littéraire, je me prépare une plongée dans d’autres de ses œuvres réunis par la collection Bouquins et qui s’empoussièrent depuis plusieurs années dans ma bibliothèque.

Vu le premier volet de 1900, à la gloire du communisme via l’Italie : fresque ennuyeuse et à parti-pris caricatural. Sorti en 1976, en pleine indulgence pour la terreur rouge dans les milieux gauchistes du bloc de l’Ouest. Qu’il aurait fallu leur faire renifler du miséreux russe, de l’intellectuel bulgare traqué et de tous ces peuples spoliés et massacrés par cette si généreuse idéologie. Le passé d’une illusion et Le livre noir du communisme retiendront bientôt mon attention…

 

Vendredi 28 novembre

L’amalgame beuglé par l’opposition comme un scandale de régression des droits de la femme.

Les faits : un projet de loi voulant ouvrir un droit à réparation à la femme ayant subi, par la négligence ou la maladresse d’un tiers, une interruption involontaire de grossesse. Le cas exemplaire : un accident de voiture qui fait perdre son fœtus à la femme enceinte, drame ignoré par la loi actuellement. Le projet vise ce type de cas et c’est tout ! Sitôt proposé dans l’hémicycle, les idéologues baveux hurlent à la tentative pernicieuse d’atteinte à l’ivg. L’ânerie est reprise par les médias, sans toujours expliquer la réalité de la règle proposée. Vraie injustice pour le député à l’origine du texte qui ne souhaite que protéger et garantir la femme enceinte dans la légitimité défendable de son état face à des agresseurs (involontaires) possibles. Les féministes d’arrière-garde et l’opposition malhonnête préfèrent qu’on laisse crever dans l’indifférence les progénitures perdues contre le gré de celles qui souhaitaient devenir maman. Curieuse conception de l’humanité de ces agitateurs dont le tour de passe-passe sémantique, bien que sans subtilité, a fait illusion.

 

Mercredi 3 décembre, 0h50

Une pluie dense depuis lundi soir, sans pause : un dérèglement climatique de plus ou l’anodine conjonction de facteurs favorisant ces précipitations exceptionnelles. Saône et Rhône gardent encore bien leur lit à Lyon, mais cela n’empêche pas la ville d’être détrempée jusqu’au plus fin interstice de l’asphalte.

Hier soir, réunion pédagogique à Forpro. Evocation de l’accord professionnel, signé par tous les syndicats représentatifs, qui remet en cause les contrats de qualification diplômant. Menace éventuelle sur le métier de formateur… À suivre.

 

Jeudi 4 décembre

16h. (…) Signature en cœur des offres de prêt et renvoi au siège de la banque samedi prochain, pour respecter les délais légaux.

Ce soir, nous fêtons nos deux ans d’amour au Gabion, à cinq minutes à pied. Finalement, les chiffres, nombres et dates peuvent aussi se colorer de tendres connotations.

Prochaine et dernière étape, la signature, le 28 ou le 29 janvier 2004 de l’acte authentique de vente en l’étude B.

Dieudonné à nouveau embêté parce qu’il ose faire de l’humour sur des sionistes extrémistes de droite, ce qui, là, n’est pas une vue de l’esprit : ils existent bien ! Marre de cette pression inquisitoriale qui empêche toute démarche critique (et aujourd’hui même humoristique) sous peine de se faire étiqueter d’antisémitisme. Même le parallélisme communisme-nazisme, qui vous valait avant, systématiquement, d’être improprement accusé de fascisme, peut désormais s’écrire, s’éditer et se défendre dans les médias. La zone sioniste, impossible à tourner en dérision, ne peut qu’irriter et attiser davantage les ressentiments.

À voir le calme de l’humoriste face à une grappe surexcitée d’étudiants juifs, le premier les invitant à entrer pour discuter, les second hurlant « Dieudonné antisémite ! » dans un parfait ballet de terrorisme verbal, on n’hésite pas longtemps pour identifier le camp de l’intolérance, du sectarisme et de l’apriorisme revendicateur.

 

Dimanche 7 décembre, plus de 4h30…

Le cycle de l’endormissement se fait attendre. Deux soirées consécutives à vagabonder dans Lyon pour découvrir les manifestations lumineuses puis à rejoindre un lieu festif et son chanteur ou sa chanteuse de choix : vendredi au bar de la radio avec Gérald et le lendemain au Saint Louis avec Bonny (et Elvis).

 

Jeudi 11 décembre, 0h15

Le factuel rongerait-il ma plume au point de la rendre insipide ?

Replongée dans l’univers de Tolkien via Peter Jackson, volet I. Les grandes forces du bien et du mal et ses passerelles ambivalentes pour la saveur captatrice.

Ce matin, dernier intervention à Forpro pour 2003. Le rythme professionnel demeure très léger, et les rentrées financières également. Heureusement qu’un revenu de remplacement complète les ressources. Toutes mes candidatures spontanées à l’eau ! Ma thèse bazardée ! Mes ambitions littéraires au panier… Allégé et serein, j’entrevois l’avenir dans la douceur partagée avec ma BB, au sein d’un beau nid. Le reste m’indiffère.

 

Samedi 13 décembre, 0h40

Gentillet troisième volet des Ripoux de Zidi, avec quelques rides bien assumées par Lhermitte et quelques relâchements faciaux au charme jovial du père Noiret. Le petit dernier, Lorànt Deutsch, tient son rang sans fausse note.

Liselle (accompagnée d’une amie) nous rend visite ce jour pour partager un joyeux moment. Ornelle connaît une difficile période familiale (tension extrême avec ses parents et une grand-mère maternelle atteinte de paralysie partielle). Eddy et Bonny demeure en forte complicité. Barbara et Jean-Luc consolident leur installation. Joëlle et Charly partagent encore nombre de leurs week-ends. Le relationnel lyonnais ne faiblit donc pas, même si la plume n’approfondit en rien les composantes subtiles des évolutions de rapports.

Quant au reste septentrional aucun signe et cela me convient parfaitement. Comme me semble loin cette période vécue pourtant si intensément ! L’impression d’un univers si étranger à moi aujourd’hui, qu’aucune parcelle de regret ne pourrait germer, même en me forçant. Contrairement à mon père qui a toujours conservé une certaine nostalgie de l’aventure humaine partagée avec Heïm, je n’éprouve moi que soulagement à m’être éloigné et indifférence pour leur devenir. Alors pourquoi écrire dessus ? Parce qu’intellectuellement cette transmutation spontanée m’intrigue et que je veux inscrire ma révolution psychologique en rupture extrême avec l’état qui a prévalu pendant les dix premières années de ce Journal. Les témoignages successifs sur mon ressenti forment une mosaïque littéraire à finalité purgative pour l’esprit.

 

Dimanche 14 décembre

Nouvelle majeure en ce jour du seigneur : hier soir, l’opération Aube rouge (quel sens poétique chez les militaires !) a permis au responsable des forces armées présentes en Irak de s’écrier « On l’a eu ». S.H. passera son Noël en taule et Bush Jr goûtera avec plus de décontraction les mets proposés. L’extase serait atteinte si les troupes présentes en Afghanistan lui faisaient le présent d’un Ben Laden menotté avec recherche de poux dans la tignasse et la barbe grises par un médecin militaire. Ce doublé créerait la stupeur dans les milieux et arcanes terroristes qui, peut-être, finiraient par se déliter… jusqu’au prochain gros drame mondial.

Laissons de côté ces extrapolations géopolitiques pour ne saluer, en ce week-end historique, que la victoire parachevée des Américains sur le Satan Hussein. Lui, si maniaque pour les questions d’hygiène, a été retrouvé dans un fin fond de cave sordide aux environs de Tikrit, dans sa terre natale, la barbe blanche, les cheveux hirsutes et l’apparence négligée. Quoi de plus normal avec cette traque forcenée… Six cents hommes mobilisés pour cette opération, avec un premier coup raté et, deux heures plus tard, une arrestation en douceur, sans un coup de feu, et un Saddam coopératif lors de l’inspection médicale.

Alors que ces événements cruciaux se déroulaient sur les terres irakiennes, ma contrée lyonnaise entretenait mon insouciance jouissive. Liselle, Line et ma BB pour se régaler au Pique Assiette (saucisson chaud aux lentilles suivi d’une quenelle lyonnaise pour moi), se balader dans le vieux Lyon, monter en funiculaire à la basilique de Fourvière, puis redescendre par les jardins en espaliers avant de rejoindre le bercail via la place Bellecour, la rue de la République et la place des Terreaux. Un apéritif copieux dans mon antre pour achever en joie cette belle journée. Une complicité de tous les instants que je prolonge la nuit au Red Lions avec Eddy et Bonny.

Autant de festivités amicales ne pouvaient qu’être la célébration anticipée, simultanée, puis avant toute divulgation, de l’heureux événement pour le camp occidental, une bonne partie de la population irakienne et quelques dirigeants arabes.

 

Mardi 16 décembre, 23h30

La morphologie du visage barbu de Saddam Hussein m’a rappelé un visage naguère familier…

 

Mercredi 17 décembre

Fatigue, quand tu court-circuites la déjà faiblarde inspiration !

Mardi, vers 18h, message de Heïm sur mon portable. Auditivement alcoolisé, quelques rasades de Bison flûté ayant imbibé le désespéré, il m’adresse un discours peu cohérent, mais chargé d’antiennes. La non-parution du Gâchis ? C’est maintenant la faute de Karl ! Cela ferait trois mois que Heïm se battrait vainement pour cette parution. Se rend-il compte du ridicule de cette justification ? Depuis quand sa détermination ne peut-elle plus obtenir une tâche professionnelle de son fils ?

 

Jeudi 18 décembre, 0h15

Mon intérêt pour rendre compte du message délirant semble pour le moins étiolé. Le contenu en vrac n’attire en rien la fibre enthousiaste, mais ferait plutôt remonter des atmosphères fuies. Les quelques photos de la réunion à Rueil, envoyées par courriel à Karl, lui sont tombées sous les yeux fortuitement et l’amène à la déclaration confuse de trouver ma « petite amie magnifique » (attribution à Shue d’un statut imaginaire), de faire allusion à ma mère (évidemment absente à cet endroit), d’évoquer le regret d’avoir payé un avortement (allusion à un sordide événement qu’il aurait géré avec Sally ?) et quelques autres énigmes du même acabit. Seule vraie et terrible information délivrée : le mari de Béatrice (la fille de Maddy chargée de l’intendance du château d’O, lorsqu’elle y était) s’est pendu ! Heïm ajoute qu’il me révélera, si un jour je le revois, le nombre de gens qui, autour de lui, se sont supprimés « derrière leur dégoût ». Voilà en plein la logorrhée verbale à l’œuvre.

Décidément, rien ne va plus dans ma perception du personnage… L’indifférence doit expliquer ma difficulté à rapporter ces propos. Qu’à chacune de ses interventions il m’avance une nouvelle raison à la non-parution du Gâchis confine au comique. Il lui faut bien tenir la promesse faite à mon père que ce Journal ne sera jamais édité. Dérisoire gesticulation épisodique. Je n’en veux pas de son incertaine volonté affichée de me publier. Restons-en là, et que mon engagement à ses côtés croupisse à l’endroit adéquat.

 

Dimanche 21 décembre, 9h

Après mon courriel expéditif à Heïm, le premier du genre, nouvel appel que j’ai volontairement laissé pour ma messagerie. En résumé : il souhaite vraiment que ce Journal paraisse, mais il faut me tourner vers Karl, car lui ne peut plus rien et que le reste de la maisonnée (en clair Monique, son épouse et, peut-être, en seconde ligne, le couple Hermione-Angel) me voue une haine qui fait bloc contre cette parution.

Voilà qui me ravit ! Qu’il est doux d’être détesté par ceux que l’on découvre avec le temps pour ne plus éprouver à leur endroit que mépris et indifférence. Pour Heïm, il reste de l’affection et un intérêt humain qui me poussent à rapporter ses tergiversations plus ou moins alcoolisées, mais ses compagnes monomaniaques, quel terne sujet ! Leur abhorration  (si cela est exact) m’est donc d’une douceur infinie…

Je vais donc suivre les conseils de Heïm, pour voir… Me tourner vers mon ami Karl et tenter de donner la dernière impulsion pour la sortie de ce malheureux Journal, dont la tonalité décennale s’éloigne de plus en plus de ce que j’écris aujourd’hui. Peu importe. Comme nous le répétions en cœur avec mon père lors d’une vive discussion avec Jim (et BB secondairement) sur le château, quelles que soient nos critiques actuelles, nous ne rejetons rien de ce qui a été vécu, sinon ce serait se renier un peu soi-même.

Flotte et faible luminosité incitent à rester sous la couette pour ces perverses pensées.

Vendredi soir, je retrouve quelques formateurs de Forpro pour une choucroute à la brasserie Georges. Occasion d’affûter mes arguments pour défendre la politique étrangère des Américains, et ce sans connaître leur dernier coup de maître, tout en diplomatie cette fois, à l’égard de la Libye. Kadhafi renonce à toute arme de destruction massive : la trogne hirsute de Saddam a dû accélérer la cogitation de cette autre fripouille sanguinaire.

 

Mardi 23 décembre

Du sec, du froid, dans les plaines qui défilent, quelques sommets blanchis au loin dans un mouvement beaucoup plus lent, chaque plan du paysage hivernal progresse au rythme de sa distance relative du pur-sang Alsthom, grand metteur en mobilité de cette nature domestiquée. Le Cdivers XII m’entraîne, lui aussi, vers des contrées changeantes, mais d’ordre musical : Sting, Alanis Morissette, Buena Vista Social Club, Björk… La tournée des fêtes s’amorce sous de bons auspices.

 

Mercredi 24 décembre

11h30. Quelques travaux conséquents réalisés par Jean dans la grande pièce chauffée par un feu de cheminée à notre arrivée (Jim et Aurélia s’étant joints à la dernière étape de notre voyage). Puisque le diariste se distingue par la spontanéité sans fard, je dois confier préférer l’ambiance bon enfant de Saint-Crépin à l’atmosphère parfois crispée (bien que toujours basée sur l’accueil convivial) de Rueil. Pas un problème d’importance affective, mais du ressenti de situations accumulées et d’adéquation de caractères multiples. L’espace de vie doit aussi constituer un facteur favorable au pôle maternel : du volume pour évoluer, des chambres pour chaque couple. Encore une fois, nulle intention de hiérarchiser les liens familiaux, mais de faire part d’un impact différent des cadres et des gens côtoyés.

Revel mettant au jour les arcanes inavoués des systèmes philosophiques qui se sont succédés au fil de l’histoire humaine, voilà de l’ardu captivant. Pourquoi des philosophes ?, essai polémique paru en 1957, conforte mon enclin littéraire pour cet esprit à la fois alerte, profond et insoumis aux pensées ambiantes. Son démontage, point par point, de l’approche lacaniste de la psychanalyse freudienne m’a remémoré la seule image de Lacan. Lors d’une conférence devant une assemblée d’étudiants, un barbu-chevelu s’invite sur l’estrade et, bousculant un peu l’esprit fort, inonde et recouvre les notes étalées sur la table de liquides et détritus variés. A Lacan qui, très calme, lui demande de s’exprimer aussi par la voie plus intelligible de la parole, l’hirsute soixante-huitard improvise la légitimation de son coup de force et quelques revendications plus ou moins absconses. Image sympathique de l’exégète de Freud aujourd’hui largement ternie par la cristallisation revellienne de ses approximations intellectuelles pour servir la pseudo cohérence de son système d’approche du freudisme.

 

Vendredi 26 décembre

Le ferroviaire à nouveau pour rejoindre les terres nantaises, en prévision de la troisième réunion familiale, versant B.

Bilan festif, entre deux rails : de la bonne boustifaille en proportion pantagruélique, bœufs musicaux portés sur le vacarme rythmique et Loto avec animations délirantes filmées pour partie chez maman ; confrontation réchauffante au ping-pong et rallyes à toute berzingue à travers les paysages de Grèce, de Monaco et d’Argentine via la console de jeux Sony chez papa.

Projet d’agrandissement de la maisonnette de Rueil avec création d’un vrai premier étage par la surélévation du toit et l’extension de l’immeuble sur l’arrière pour augmenter la surface de la pièce principale et créer une terrasse. La demande de permis de construire vient d’être déposée dans l’urgence pour cause de prochain P.O.S. plus restrictif qui hypothéquerait l’élévation de la hauteur du bien. Si le tout se réalise, l’adorable maison de poupée deviendra un nid très confortable pour ses hôtes. De quoi supprimer la promiscuité et contredire une partie de mes réflexions du 24 courant.

Alex et Raph poussent toujours, et les caractères s’affirment.

 

Samedi 27 décembre

Sans nouvelle du monde, nous apprenons sur la route, vers la gare de Méru, le tremblement de terre qui a secoué le sud de l’Iran, vers Bam. Le premier bilan avancé, dix mille morts, s’enfle au double ce matin dans Ouest France. Ma première pensée va à Shue et à sa famille qui vit encore là-bas. Je lui adresse un texto : « Mes plus affectives pensées après le drame arrivé dans ton pays natal. Biz de nous 2 ». Puis je songe à tous ces religieux qui continuent de croire à une force intelligente supérieure. Pourquoi avoir frappé ce coin pauvre, chargé de trésors archéologiques réduits en poussières ? Les infidèles ont, eux, repris deux fois de la dinde ! C’est la position du laisser-faire rétorquent les croyants : l’être humain est responsable de sa destinée (et du jeu mortifère des plaques terrestres bien sûr). Il est vrai que la cause de l’hécatombe se trouve non dans l’agitation du sol, mais dans le type d’habitations édifiées. N’avaient qu’à se payer des demeures à fondements antisismiques ou vivre dans des cahutes légères qui ne tuent pas en s’écroulant ! Argument pas plus cynique que ceux des monomaniaques de la foi. Si, effectivement, le dieu n’a de sens que pour laisser l’homme se dépatouiller tout seul, aucune raison ne justifie de croire en lui, si ce n’est la perte de temps pour vivre plus densément le temps imparti.

 

Dimanche 28 décembre

La fin d’année approche au Cellier. Hier soir, sortie avec Louise (ma BB ne se sentant pas très bien) pour retrouver, dans un pub nantais, François et son amie Emma. Au cours du trajet, j’expose les raisons qui m’ont décidé à abandonner ma thèse sur Léautaud. Avant tout, une absence, de plus en plus ancrée, d’ambition. Et puis, en vrac, mon allergie au secteur public (sauf le domaine universitaire et là, seule une inatteignable agrégation me servirait), l’inutilité de ce diplôme dans ma position professionnelle, les petits accrocs avec celui faisant office de directeur de thèse, à propos de mon style, et une démotivation générale. Les priorités des années à venir : rembourser le prêt immobilier et assumer l’éventuel bambin à venir. Ce dernier sujet fait d’ailleurs l’objet, de la part de la famille B, d’une gentille pression pour que je ne m’arrête pas à l’unité. Je n’en démordrai pas : il n’en est tout simplement pas question. Seul l’accident de jumeaux m’obligerait à cumuler les progénitures. Si ma fibre paternelle m’avait tenaillé, je m’y serais pris beaucoup plus tôt. J’envisageais très sereinement une existence sans descendance et mon acceptation de concevoir UN enfant n’est que le couronnement d’un amour et non la finalité de la reproduction en elle-même. Aller au-delà de l’unité risquerait d’entacher l’épanouissement fragile trouvé dans ce lien.

 

Lundi 29 décembre, 0h15

La galerie humaine offre parfois, dans une même journée, des contrastes abyssaux.

Ce midi, alors que nous nous apprêtions à entamer l’apéritif, la sonnette d’entrée dérange la sérénité harmonieuse de la réunion. Une accointance des parents B à la recherche d’un Ave Maria. En possession d’une interprétation de ce morceau par Joan Baez, la mère B invite ce monsieur V. à l’étage pour partager un verre avec nous. Dès la poignée de main échangée, j’ai senti que pas la moindre parcelle de complicité, ni l’ombre d’une once de sympathie ne pouvait germer avec ce bougre : une verbalisation bruyante et sans intérêt, une volonté de placer quelques mots ou répliques au sens de la répartie plus qu’émoussé, une inconscience de soi rendant impossible toute amorce de dialogue raisonné, un rapport à l’autre fondé sur le rabaissement d’autrui pour mieux gonfler sa propre médiocrité… Le summum est atteint lorsqu’il nous révèle les surnoms donnés à ses enfants (aujourd’hui dans la vie active) : « pétasse » pour l’aînée, « pétassine » pour la cadette et « pétassou » pour le benjamin ! Quelle magnifique preuve d’affection. Archétype de la grande gueule vieillissante, baudruche sonore à éviter au plus vite.

Ne voulant pas mettre les B dans l’embarras, j’ai limité la charge de mes attaques à quelques remarques légèrement cyniques, juste pour marquer mon détachement de sa lourde prestation.

Au moment de son départ, ayant sans doute ressenti mon hostilité, il me tend une main à regret en ajoutant « à vous je ne vous dis pas au plaisir ». Ce qui ne m’inspire rien d’autre qu’un « au revoir et à jamais ! ».

14h. Le soir, dîner chez une Nathalie, retrouvailles pour BB d’une copine d’études d’infirmière, et son mari Philippe. Aux antipodes du braillard précité, ils permettent une soirée agréable. Je décèle même des affinités intellectuelles avec  le mari aussi peu séduit que moi par l’univers automobile et ayant passé à contrecœur et tardivement son permis.

Le penchant cyclothymique n’a pas disparu : je traverse toujours des phases de morosité sans cause déterminée. Le vague à l’âme ternit des moments d’existence et tout ce qui m’entoure perd sa saveur habituelle.

23h35. De retour de chez Laure et Daniel. Leur petite Lina vit sereinement ses premiers mois de bébé, alors que ses parents cumulent les angoisses financières. Leur affaire, pourtant en progression de 20% sur un an pour le volume d’activité, ne peut toujours pas leur dégager un salaire décent. En écoutant Daniel me détailler ses mésaventures avec son banquier, je me retrouvais dans mes affres passées de chef d’entreprise. Ô combien je n’étais pas fait pour ce statut. Du petit commerçant au gérant de PME, le combat quotidien avec les administrations publiques et les banquiers monopolise un temps précieux dont l’activité principale est privée.

 

Mardi 30 décembre, 23h

Pour finir l’année, rien ne vaut une bonne confirmation de ses certitudes. Dès notre arrivée à Lyon, je vais consulter mes nouveaux courriels. Parmi eux, un de Heïm dont la méprisable tonalité m’a poussé à l’effacer sans l’imprimer, tellement écœuré par la tournure d’esprit malfaisante.

Il m’offre un petit tour d’horizon des échecs de ceux qui se sont éloignés de son univers : les Béatrice, Alice, Hubert, Maddy et Sally comme autant de confortation dans ce qu’il avait prévu pour chacun, comme autant de petites merdes rendant plus brillant son parcours. Le discours à la Pomponnette, me visant indirectement comme l’un des « ratés », s’impose en caricature.

Ce racleur d’informations, qu’il tourne à sa sauce pour maquiller sa propre déchéance, me donne la nausée. Il a dû bien gratter Karl et Sally, pour en savoir un maximum sur mon actualité professionnelle et sentimentale, le tout l’autorisant à ce dégueulis indirect sur mon compte. Eh bien je l’emmerde le vieil alcoolo ! Et je ne veux plus entendre parler de son projet éditorial de merde ! Et qu’il ne dérange plus ma douce et tendre existence avec ces remugles d’une préhistoire de vie.

Ce qui le dérange dans la publication du Gâchis ? Que je malmène, vers la fin, un banquier de la Caisse d’épargne qui tardait à débloquer un prêt pour la SCI et qui, aujourd’hui, est tout amour et aurait permis de sauver la situation de cette structure et des finances du château, pour laquelle le feu patriarche n’était aucunement responsable ! Bien sûr, bouse et trahison ne sont les pratiques que des autres. Si ce n’est pas le modèle le plus détestable de l’opportunisme affectif et social… qu’est-ce ? À l’époque, il se contentait très bien que je m’occupe de ce dossier, et les retards existaient objectivement. Au prisme d’aujourd’hui, cela ne compte plus et mieux : cela n’a jamais existé. Le révisionnisme malhonnête et permanent de son histoire ne pourra que laisser perplexe ceux qui voudront, sans parti-pris préalable, étudier l’être dans sa globalité. Tout ce qu’il souhaite, c’est que je renonce moi-même à ce projet d’édition, le dispensant de renier sa parole, ou que j’accepte de repasser sous ses délires pseudo purgatifs. Il a gagné pour l’option première : je ne veux plus du Gâchis [le rebaptisé Journal à œillères] sans À l’aune de soi [le Journal à taire] qui contrebalance la vision. Cela ne se fera donc jamais du vivant de Heïm. Je n’ai pas envie de lui offrir ce dernier plaisir ! Je cultiverai jusqu’au bout l’apparente distance affective pour mieux noter ici mon rejet grandissant. Berner un manipulateur ne peut soulever l’indignation.

 

Mercredi 31 décembre, 18h30

Aux antipodes de cette fulmination, je m’apprête à rejoindre l’auberge des Tours avec ma BB et Liselle. Eddy, Bonny et Gérald doivent nous y attendre pour une soirée chaleureuse et en mélodies dansantes. Voilà qui me retient à Lyon sans retour possible. L’année 2004 initie la construction avec ma dulcinée… Perspective idéale.

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