2003 – Entre grogne et affection
Mercredi 1er janvier, 4h15
De
retour avec ma BB d’une joyeuse soirée toute en complicité à Saint-Cyr, chez Ornelle,
avec Jérôme et Shaïna. Une bien belle façon d’enterrer 2002. La morosité
ambiante du monde a été boutée hors de cette parenthèse festive. Musique,
gueuleton et rigolade : triptyque à l’honneur dans la maison des Cargeaud. La
petite Lydia (bientôt onze mois), fille de la sœur d’Ornelle, a pris sa dimension
de bébé vif et convivial. Que d’espoir pour l’humanité si elle se basait sur
ces modèles…
23h37.
La respiration de ma BB est à la limite du ronflement, mais je ne perturberai
pas ce sommeil qu’elle a, en ce moment, tant de mal à trouver. Avec West
Side Story en V.O. sur Arte comme fond sonore, la voilà bercée pour des
rêves truculents… « in America ! ».
Nous
avons décliné une invitation à partager une glace chez les F. (le message de Jérôme
précisait que l’on pouvait venir me chercher à Perrache, comme si j’allais
laisser seule ma BB pour ce jour férié, curieux… il faudra que je me fasse
expliquer ce point par Ornelle…). Journée de farniente et de récupération après
cette série de festives réunions. En fin d’après-midi, début d’initiation de BB
aux échecs sur le magnifique (et lourd) jeu en onyx offert par mon père… noël.
Merci ‘pa !
Bush
fils a modéré son discours belliqueux à l’endroit du tyran Hussein : trêve
des confiseurs ou conscience du gouffre financier de cette expédition
guerrière ? Le timbre de Nathalie Wood laisserait bien croire à l’humanité
« tonight ! ». Brève illusion pour ce premier jour de 2003.
Eu,
entre autres personnes, ma grand-mère au téléphone pour lui adresser mes vœux
les meilleurs pour cette année. Elle m’informe avoir reçu une carte de Sandre
et elle ajoute (sans doute inconsciente de l’incongruité de sa remarque) :
« Sans regret ? » Pas un chouia, pas une once ! Pour se
rattraper, elle nous souhaite tout le bonheur possible…
Samedi 4 janvier
Le
rythme pédagogique va bientôt reprendre ses droits. Dès lundi matin, je file à
Saint-Etienne pour une intervention exceptionnelle auprès des bts en culture générale. Petit appoint
pour une révision par la pratique de leurs épreuves.
Janvier
2003 sera-t-il enfin celui de la parution du Gâchis ? Le dernier
courriel de Heïm m’informait de problèmes techniques… nous verrons bien. Pour
une fois, j’attendrais qu’on se manifeste à moi (pour les gens du Nord, Sally
compris) avant d’envoyer mes vœux. On va quelque peu changer les habitudes pour
leur laisser l’initiative. Echange de bonne année avec Heïm seulement, pour
l’instant. L’affection distante et méfiante, voilà tout ce que je ressens
aujourd’hui pour eux. Je distingue bien l’engagement éditorial antérieur qui va
enfin s’accomplir et l’avenir de relations que je vais raréfier.
Avec
ma BB, tout est au beau fixe, mais je dois me brusquer un peu pour aller
au-delà de la tendresse affective et attiser chez moi la fibre érotique. Je
n’ai jamais atteint cette plénitude psychologique avec mes relations
antérieures.
Une
épiphanie partagée demain en fin d’après-midi avec la joyeuse troupe de la Saint
Sylvestre chez moi (ma BB nous rejoindra au sortir de sa journée de travail).
Je leur ferais découvrir les photos de la nuit et leurs commentaires :
reconstituer le fil de la soirée avec quelques notations amusantes permet
d’animer un peu la simple succession d’images muettes. Des agrandissements
d’une photo nous réunissant tous les cinq derrière la tablée, unis par le rire,
leur sont réservés, le mien étant déjà sous cadre. Belle image d’amitié que
j’espère très longue.
Mercredi 8 janvier
L’ambiance
hivernale est bien installée : après la baisse considérable de la
température depuis quelques jours (une quinzaine de degrés en moins) s’ajoute
aujourd’hui les flocons. Après un cours particulier donné à Charbonnières,
obligé de rallier Tassin à pied avec un réseau routier paralysé.
Toujours
édifiant sur la nature humaine, le premier jour des soldes : extravagantes
couvertures nocturnes et précipitation d’une population jusqu’à l’absurde,
comme cette dame venue de loin et qui dort à l’hôtel pour pouvoir être présente
à la première heure ! Sa marge a dû fondre sans qu’elle en prenne conscience.
Reçu
ce jour une carte de Bruno M. et de sa compagne, fidèles accointances de
l’époque avec Sandre, et les seules à avoir maintenu (à distance) le lien. Je
vais bien sûr leur répondre.
Avec
cette vie sereine, entourée amicalement, stabilisée sentimentalement, calmée
professionnellement, cela n’affadit-il pas cette écriture-témoin ? Sans
profonde source de désespoir, ayant rejeté tout ce qui participait à mon mal
être, n’ai-je pas du même coup annihilé, éradiqué la veine inspiratrice ?
Reste
une vision critique du monde, mais l’intimisme du Journal s’évanouit. Le
plus attractif dans cette dernière année, sur le plan littéraire, doivent être
mes poussées incendiaires contre les gens du Nord, passages voués à
rester longtemps dans la clandestinité. A ce propos, depuis l’allusion de Heïm
à des problèmes techniques pour la parution du Gâchis (il y a dix jours)
plus de nouvelles…
Amusant
appel de Karine G., après mon courriel de vœux. Je n’ai vu cette jeune femme
qu’une fois (en 94 ou 95) à Paris (contact Minitel) chez elle, dans la pénombre
et sans rapport sexuel. Depuis, quelques manifestations téléphoniques
sporadiques. Elle fait partie de cette époque inconstante où je cumulais les
entrevues éphémères, avec, parfois, quelques complicités charnelles à la clef. Curieux
d’essayer de faire une galerie de toutes ces demoiselles croisées, et dommage
de n’avoir pu maintenir un lien avec certaines d’entre elles, ou simplement
obtenir quelques nouvelles. Mon existence a tout de même produit une forte
proportion de déchets relationnels.
Mardi 14 janvier
Encore
un réquisitoire contre ces criminels d’automobilistes se soir sur TF1. Voilà
qui fait du bien. Vu du piéton, l’agressivité crétine et irrationnelle de ces
connards motorisés, de ces décervelés à neutraliser, donne des envies primaires
de tabassages. Les fourches patibulaires devraient agrémenter le bord des
routes pour ces inaptes tueurs en puissance. Exemple de cette femelle à étêter
qui s’obstine à continuer son appel tout en conduisant et brûle ainsi une
dizaine de feux rouges. L’inconscience poussée à ce degré ne doit faire l’objet
d’aucune pitié. Il faut interdire à vie la conduite à tous ces égoïstes
mortifères. Cette civilisation continue à me puer au nez.
Finalement,
je me félicite de ma misanthropie et je persiste dans ma haine du comportement
de ces crasses irresponsables. Le tout répressif, au tréfonds et sans pitié.
Jeudi 16 janvier
Quelques
longueurs dans la piscine municipale, rue Garibaldi, avec ma BB. Une façon de
raffermir le corps et de détendre le cortex.
Nouveau
message de Heïm faisant état de quelques soucis techniques pour la parution du Gâchis.
Le Sisyphe aurait-il son incarnation éditoriale ?
Dimanche 19 janvier
Les
liens amicaux ne se tarissent pas. Samedi soir, passage au Red Lion’s où Bonny se produit pour la dernière fois. Dès le 17
février, elle s’exile à Paris pour une demi-année, carrière artistique
oblige : elle intègre le prochain spectacle de Muriel Hermine, la nageuse
reconvertie. Le Red bondé offre toute
la palette de la gente féminine, certaines sans retenue par les verres
accumulés. À ses côtés, Yann chauffe aussi ses cordes, mais sans l’amplitude
vocale requise pour certains morceaux. Le Your Song n’a plus les atours
inspirés et se rabougrit par une fluette interprétation. Je décèle à ce moment,
dans le regard de Bonny, la transpiration de reproches irrités envers son
collègue de scène. Rien à faire, le talent doit irriguer l’artiste pour
transcender l’expérience besogneuse et pour transporter les destinataires. La
dernière cuvée de Lauryn Hill, voix et guitare comme seules présences,
culminent pour une densité interprétative, jusque dans ses quelques
défaillances sublimées. La création artistique réconcilie quelque peu avec
l’espèce humaine, laissant transparaître d’elle sa plus attachante facette,
délivrée des crasses et mesquineries habituelles. Sans doute la seule voie pour
tendre vers l’âge d’homme, vers la maturité pacifiée de l’humanité.
Nuit
achevée avec Eddy et Bonny, complétés de quelques accointances, dans l’antre du
vieux désuet aux rassasiants croque-Monsieur. Un spécimen d’incongruités avec
lequel j’ai quelques secondes polémiqué pour une porte mal fermée. Sa frousse
d’être pris en faute par les forces de l’ordre (sans doute encore ouvert hors
de l’horaire légal pour un café, à quatre heures du matin) rendait presque
pathétiques ses monomanies argumentatives.
Hier
soir, très joyeux et complices moments avec Ornelle et Jérôme, ma BB nous
accompagnant malgré son levé dominical programmé à 5h30. Après un apéritif
nourrissant, le quatuor s’est décidé pour un bowling ès déconnage, une agréable
sortie pour improviser les moments d’ivresse amicale.
Retour
au bercail respectif avant les douze coups, je finis ma soirée devant Ardisson
et sa flopée d’invités hétéroclites. Avec son sens affûté des réunions
détonantes, il débute son entretien avec l’auteur d’un réquisitoire contre la
tendance française à la censure par la loi des idées qui ne répondent pas à
l’idéologie dominante et aux principes de l’humanisme, alors qu’il serait préférable,
et plus digne, de les combattre par l’échange intellectuel. Avant tout
développement de sa position, Ardisson appelle l’allumé du barreau,
l’intolérant Arno Klarsfeld. Evidemment, l’animateur retient dans l’ouvrage,
pour galvaniser le débat, les deux exemples d’idées à ne pas bâillonner, même
si on les vomit (ce que l’auteur rappelle à plusieurs reprises) : le
révisionnisme et le racisme ! L’avocat, excité par ces deux chiffons
rouges, n’aura pas tenu longtemps sur le terrain du contradictoire intelligent.
A cours d’inspiration, il jette le contenu de son verre à la tête du
responsable de Reporters sans frontières. Cela lui vaut une réprobation
générale : il démontre, encore une fois, que la haine et la médiocrité
d’âme traînent aussi chez ceux qui s’érigent en maîtres ès droits de l’homme.
Dimanche 26 janvier, 1h30
La
naissance du jour du seigneur m’inspirerait-elle, ou n’est-ce, plus
prosaïquement, que le rare moment d’une pause littéraire (ou scribouillarde
selon l’inspiration de l’instant).
Un
samedi en dualité qui ne s’entache d’aucune contrariété avec ma BB : une
matinée relaxante, à midi piscine pour une heure d’efforts sains, une fin
d’après-midi à se divertir devant la trogne d’un de Niro déchaîné pour la
deuxième cuvée de Mafia blues ; une soirée dans le cocon pour
enchaîner Les chemins de la dignité avec le complice de Niro beaucoup
moins rigolo, une partie d’échec puis de jambes en l’air…
Époque
sereine donc, seule ombre légère : le tournis du temps qui file. Et
toujours rien à l’horizon éditorial des gens du Nord. L’inspiration
manque pour croquer les bonnes bribes existentielles. Pas d’acharnement pour
l’écriture diariste.
12h50.
Enfin, depuis quelques semaines, un acharnement médiatique appréciable.
L’insécurité routière avec son chargement de délinquance larvée de tous ces
bons français conducteurs qui, bien sûr, en savent plus que les autres et
maîtrisent comme personne leur sacro-sainte taule ondulée motorisée. On
rétorquera, là encore, le prisme déformateur des médias qui se focalisent sur
quelques écarts marginaux comparés au nombre astronomique de déplacements sans
dérive meurtrière. Piéton militant pour 95 % de mes trajets aujourd’hui,
je fulmine chaque jour contre ces petits excès prétendument calculés… jusqu’au
jour où : perte de maîtrise du véhicule qui vaudrait toutes les
absolutions, tous les pardons des assassinats commis. La préméditation
criminelle tient ici dans une prise de risque volontaire en dehors de la loi.
S’impose donc l’intention de mettre potentiellement en danger de mort ceux qui
croisent leur route. Quand la technologie et le progrès favorisent le plus
primaire des instincts : moi avant les autres et au sacrifice de ces
gêneurs, les piétons, les trop lents, les simples existants sur mon passage.
Pire même que les bêtes, que les charognards les plus infâmes, car l’objectif
n’est nullement la survie organique, mais le simple contentement d’arriver plus
vite. Comme si le boulot de merde de ces zombis, la distraction crasseuse de
ces arriérés, l’occupation inepte de ces inaptes majeurs valaient plus que le
respect de la vie de l’autre ! Pourquoi leur caricature comportementale
mériterait-elle de subtiles analyses et une législation modérée ? Non, il
faut se départir de la molle compréhension criminellement complice, se libérer
du si complaisant impondérable que l’on décèle dans tout accident, foutre en
l’air les incongruités législatives qui ouvrent des boulevards à la récidive
dans l’impunité. On nous a matraqués le cortex avec le divin Principe de
précaution. La semaine dernière encore, on a abattu plusieurs milliers de
chèvres après avoir déniché deux ou trois cas de tremblante qu’on pourrait
suspecter de lien avec un dérivé de l’esb.
La subtilité fonctionne ici à plein pour ériger le moindre soupçon en motif de
neutralisation définitive. Avec la meute d’automobilistes dangereux, inciviques
à tours de volant agressif, rien de cette volonté de les écarter. Un principe
de précaution social s’imposerait pourtant : on va laisser conduire celui
qui a tué ou blessé grièvement, manifestement (selon des témoins) sous alcool
mais que les ballons (baudruche technique) n’ont pas scientifiquement
confirmé, et ce tant qu’il n’a pas été jugé par un tribunal engorgé d’affaires.
Les autorités politico-administratives prennent donc le risque que s’ajoutent
d’autres victimes éclatées ou écrasée par le conducteur tueur !
Ahurissant ! Il faudrait systématiquement interdire la reprise du volant à
celui qui a occasionné un accident corporel, et ce préventivement avant tout
jugement. Aux chiottes les accusations d’autoritarisme : face au
terrorisme routier, c’est la sécurité vitale qui prime, avant tout autre
considération pseudo humaniste, républicaine ou démocratique. Aucune éthique de
comportement ne modérant nombre de conducteurs, l’accès quasi automatique à ce
statut de tueur potentiel quotidien, la tendance civilisationnelle
à laisser l’usage au maximum de gens d’engins dangereux, pour le bien-être
économique et la satisfaction égocentrique, tout cela mérite un coup
d’arrêt : il faut maintenant sévir sans pitié, éradiquer les petits
travers journaliers qui minent la conduite sociale, écarter de l’asphalte tous
ceux qui se jouent de la règle, qui se torchent avec le contrat social. Griller
un petit feu, pas grave, téléphoner en pleine action roulante, je le peux,
fumer du cannabis avant le voyage sur route, quelle conséquence… Chacun
légitime ses écarts si anodins et participe au fléau qui bousille l’existence
de trente-cinq mille personnes par an (morts et infirmes). Halte au
déchaînement de l’inconscience, à ces dégazages comportementaux qui
désespèrent de l’être humain !
Dimanche 2 février
Que ce
temps file ! Ne pas trop s’y arrêter, sous peine de malaise existentiel.
Février
s’amorce et à nouveau silence radio de Heïm. Sa nouvelle promesse éditoriale
va-t-elle aussi se limiter aux lyriques déclarations de principe ? Cela confinerait
alors à la bouffonnerie.
En
tout cas, de moins en moins d’inspiration pour remplir ces pages. Si cela doit
s’assimiler à une corvée, je préfère cesser.
Vendredi 7 février
Invités
avec quelques autres de leurs amis, chez Eddy et Bonny pour marquer le départ
de notre chère chanteuse à Paris pour le spectacle de Muriel Hermine. Joyeux
moments à l’horizon.
Demain
matin, voyage vers Lutèce : anniversaire de maman au programme et visite
habituelle chez papa le lendemain. Tout cela bien rôdé et avec un vrai plaisir
familial à chaque fois. L’exil lyonnais aura permis cette bénéfique
pérennisation de mes rapports affectifs avec mes vieux, comme l’on dit
peu joliment.
Message
téléphonique de Heïm faisant le point de la chronique éditoriale du Gâchis :
aucune mise à l’écart, mais des soucis de « stabilisation » du texte
et la découverte de multiples fautes. Communication du Journal à Franck Roc
pour un regard littéraire aguerri (quinze jours prévus), puis expédition d’un
exemplaire avec les propositions correctives. Nous verrons la teneur de cette
ingérence dans mon texte…
Samedi 8 février
Ma
tendance à attiser un thème polémique pour batailler verbalement avec les
interlocuteurs présents n’a pas disparu, seuls les sujets de prédilection
variant.
Hier
soir, au cours de la Raclette partie, début d’accrochage avec l’une des
convives à propos du comportement des automobilistes. Radical face à ses
tentations de minorer la gravité des déviances barbares au volant, j’ai dû me
censurer sous peine de saborder la joyeuse atmosphère. Au fond, c’est souvent
bien plus le plaisir de la confrontation argumentative qui motive mes
emballements, que la réelle et fondamentale défense d’idées, même si, dans le
domaine routier, des attitudes me révoltent sincèrement. L’écrit suit aussi le
même mouvement. Sans doute l’effet d’un tassement idéologique, d’un relativisme
en phase expansive qui me rapproche davantage du contempteur distancié.
« Mourir pour des idées » m’apparaît de plus en plus comme une
facilité intellectuelle, dans un confort jusqu’au boutiste à œillères.
Du
retournement d’opinion : en 1990, il fallait être pour l’intervention
contre l’Irak, sous prétexte de libérer l’Etat fantoche du Koweït. Mes
chroniques minitelliennes prenaient
alors le contre-pied. Aujourd’hui médias et population de l’hexagone
s’insurgent contre la démarche belliqueuse des Etats-Unis. Ne devrais-je pas me
réjouir que la majorité rejoigne l’approche minoritaire d’alors ? Le goût
de se nicher dans les brèches inconfortables m’inclinerait plutôt à soutenir
l’autoproclamé gendarme du monde quelles que soient les vaseuses
motivations.
Selon
le même principe, je tente de faire découvrir aux auditeurs de BTS, à travers
les thèmes de culture générale abordés, des sons de cloche marginaux, à
contre-courant, sur quelques grandes problématiques actuelles. Sur le clonage,
un extrait des fracassantes déclarations de Lewis Wolpert, professeur de
biologie appliquée dans une prestigieuse université londonienne, qui stigmatise
comme un argument « de merde » l’étendard de la dignité humaine pour
rejeter le clonage reproductif. Voilà des éthiciens qui s’insurgent, à juste
titre d’ailleurs, contre les thèses sociologiques qui font primer la génétique
sur l’acquis, et qui, dans un autre élan, vont hurler au « crime contre l’espèce
humaine » (selon la terminologie du projet de loi bioéthique voté
récemment à l’unanimité) dès qu’on ose toucher au sacro-saint inné
humain ! Dans un cas l’environnement est considéré comme déterminant,
balayant toutes les thèses racistes, mais d’un autre la base génétique est
érigée au-dessus de tout, comme intouchable sous peine d’atteinte à cette
dignité humaine à facettes variables. Curieux, non ? Pas question bien sûr
de les inciter à rallier cette position, mais seulement de les ouvrir à
d’autres traitements d’un sujet rabâché selon les mêmes réflexes idéologiques.
Même
chose pour l’image d’une nature bienfaitrice et du légitime combat de Bové. En
1959, Jean Fourastié sortait un Pourquoi travaillons-nous ? dans
lequel un extrait sur la réalité d’une nature hostile prend un relief encore
plus pertinent plus de quarante ans après. L’intervention de l’homme sur les
éléments naturels s’avère très majoritairement indispensable à sa survie.
Ainsi, le blé, tel qu’il est ne résisterait pas plus de vingt-cinq ans sans
l’attention agricole. Les croisements entre espèces se confondent presque, dans
l’ancienneté, avec l’histoire de l’humanité. Le remugle des OGM éclaire d’une
paradoxale manière cet argument : un peu dérisoire et inconséquent le
combat auto-promotionnel du moustachu !
Plonger
dans l’intellect des défenseurs de l’impossible vivifie et régénère son cortex.
Samedi 15 février
7h39.
En rail pour Lutry, trois jours d’immersion dans le cocon de Shue et John pour
une aide ultime à la finalisation de la thèse sorbonnarde.
Hier
soir, gourmande Saint-Valentin avec ma BB au Trocadéro, restaurant
gastronomique du sixième. Au cours du vagabondage intellectuel, j’évoque ma position
à l’égard des Gens du Nord, et de Heïm, en première ligne. La phase
véhémente de ces derniers mois, volontairement outrancière, s’explique aisément
par le besoin de contrebalancer des années d’adhésion a priori, à l’aveugle, à
tous les constituants de cette vie partagée ; une adéquation moléculaire
en quelque sorte. Démontrer aussi, par la mise en perspective des écrits et des
actes, qu’une distance critique, aussi affirmée soit-elle, ne se traduit pas
par de clandestins rapprochements avec ceux qui ont pris le large avant,
parfois de plus fracassante façon. Pas d’intention de nuire, de désespérer
davantage, mais l’impérative exigence de consigner un ressenti aux antipodes
des croyances fusionnelles antérieures. Honnêteté intellectuelle du diariste en
herbe, en fait. Très naturellement, au fil des années, ces assauts virulents
contre certains présupposés de Heïm s’émousseront au profit d’une plus
panoramique position.
Une
entrevue avec ceux qui ont rompu avec Heïm ne pourrait avoir lieu, de mon fait,
qu’après sa mort. Ne pas surajouter aux déchirures, par des rapprochements
incongrus, conditionne ma réserve. Aucun esprit de ligue anti Heïm chez moi.
Les
monomanies propagandistes des deux camps, sur le caractère inacceptable ou
impératif d’une guerre en Irak, s’accumulent jusqu’à l’écœurement. Bush assène
ses litanies à la manière d’une mécanique belliqueuse bloquée, Chirac
s’acharne, avec un incontestable accent gaulliste, à repousser l’inexorable,
Saddam peaufine un peu plus sa stature d’insoumis au diktat américain.
Oublié
d’indiquer l’appel inattendu, un soir de cette semaine, de la joyeuse Aurélie,
chère complice du binôme féminin rencontré avec Karl à Royan. Installée en
Allemagne pour son travail et sa relation de cœur, elle a pris l’initiative tardive
après mon envoi, courant décembre, d’un courriel de bons vœux avec reproduction
de la couverture du Gâchis. Finalement, je n’étale pas autant que cela
mes penchants scribouilleurs. Lui ayant toujours envoyé des courriels
lapidaires, au point que cela nourrissait ses moqueries, elle ne pouvait
imaginer une œuvre écrite. Occasion de nouvelles partagées et d’envisager une
entrevue prochaine.
Lundi 17 février
17h.
Fin du séjour studieux à Lutry. Phase terminale de la thèse, soutenance
programmée fin mai : l’aboutissement sur les chapeaux de roue d’une étude
source d’angoisse pour Shue.
Entr’aperçu
Marie ce matin. Heureuse de me revoir, même en coup de vent, enchantée de ma
publication, elle espère que nous trouverons une autre occasion d’une plus
large entrevue. Shue et John doivent quitter Lutry fin avril (c’est la grande
nouvelle du week-end) pour s’installer aux alentours de Nice : la
possibilité de revoir Marie (à moins
d’une invitation spécifique de sa part) s’amenuise. Elle rappelle quelques
instants plus tard pour programmer une nouvelle venue avant la fin mars :
occasion d’apprécier l’avancement de ses écrits, de me présenter à un ami,
auteur de poésies, et de passer quelques moments amicaux ensemble.
Pour
en revenir au départ prévisible du couple Cohen, il résulte de charges
locatives excessives et d’une reprise trop timide des affaires pour assumer à
long terme ces lourdes dépenses fixes.
La
nuit dernière, l’idée incongrue de noter ici les instantanés qui me restent sur
les multiples relations éphémères cumulées. La retenue générale en matière
sexuelle, sous forme d’anecdotes, de ressentis charnels, de détails érotiques
semble la règle dans ce Journal. Certes, je n’ai pas versé dans l’orgie des
sens, dans la réalisation des plus inavouables fantasmes, mais ma gourmandise
sexuelle, mon goût prononcé pour la femme, mon enclin pour la découverte de
l’autre au féminin, peuvent constituer un témoignage attractif. En dehors de mes
grands amours, Aurore, Kate, Sandre, Helen et aujourd’hui ma chère et tendre BB ;
en dehors des quelques cas d’amorces sentimentales converties en affective
amitié – Shue et Marianne, notamment – reste une galerie insoupçonnée de jeunes
femmes croisées pour un ou quelques entremêlements de nos souffles et
l’enserrement de nos corps. Si mon esprit n’a pas conservé intact leur
souvenir, mon cœur les chérit encore par les quelques traces laissées comme un
doux jalonnement initiatique : avec aucune (sauf Elena que j’ai omis
involontairement, mais de façon très révélatrice, de mentionner dans les amours
importants) la fin n’a été source de conflits ou de petites crasses
réciproques, un éphémère exemplaire en quelque sorte. Que m’en reste-t-il donc,
dans le désordre des surgissements cérébraux ?
Époque
parisienne :
-
Quelques
rondeurs naissantes, elle me mène à son logis, visiblement ravie de mon
apparence (rencontre minitel). Je la sens gourmande et expansive. Son lit
s’ouvre vite après notre arrivée, et la moiteur de ses courbes manifeste son
excitation. Encore peu expérimentée, je découvre une intimité trempée aux
accents musqués. L’appel intempestif d’une amie, à qui elle révèle ma présence
et sa satisfaction de mes atours physiques, occulte le reste de l’échange.
-
Jeune
fille menue qui m’entraîne dans quelques pôles nocturnes de Paris : elle
me convainc, dans une boîte d’homosexuels, d’avaler un demi cachet d’ecstasy
(en 1994) ce qui me laisse de marbre. Plus sainement ludique, elle me convie à
partager ses glissements sur patinoire, ce baptême me valant quelques chutes
bien senties. Aucune trace sexuelle, avons-nous même fait l’amour ? Une
présence appréciée, en tout cas, qui m’a initié aux sorties parisiennes.
-
Coline,
splendide liane noire du Ghana rencontrée dans un petit restaurant exotique à
l’occasion d’une soirée en groupe parmi lesquels la patineuse en herbe.
Relation à épisodes avec cette jeune black
aux lignes envoûtantes. Paumée, sans le sou, je la soupçonnais de quelques
extras sexuels contre rétributions, ce qui n’a jamais été évoqué pour nos
coucheries. Sa peau, d’un grain ferme, me fascinait littéralement, notamment
celui de son cul cambré, ferme et petit. Son affection sexuée me touchait, mais
une méfiance indéfinissable, envers la partie immergée de son existence, n’a
jamais permis de donner plus de consistance à ce lien. Cela se traduisait par
une inclination puissante à la dorloter, la caresser, la malaxer, mais une
retenue grandissante pour la pénétrer, dans quelque antre que ce soit.
Découverte du labyrinthique cimetière du père Lachaise en sa compagnie, enlacés
sous le regard réprobateur de quelques passants.
Samedi 8 mars
Carence
dans le suivi de ces pages. Non point que la matière manque, mais une période
d’intenses corrections de copies (examens blancs à Forpro).
Arrivée
hier soir en Arles, chez Louise. Soirée chaleureuse avec les parents, la sœur
et ma BB. Ce soir, la troupe festive vivifiera l’instant.
Avant
de poursuivre ma galerie charnelle, quelques points importants.
Côté
amical, la rupture entre Ornelle et Jérôme. Des signes se sont multipliés :
une invitation de ce dernier, à l’adresse d’une amie, de dormir chez lui et le
désistement pour des vacances d’hiver avec Ornelle. Un changement de sentiment a
poussé Jérôme à rompre. La demoiselle a connu les phases de l’effondrement, de
l’euphorie et de la haine (qui a failli mettre un terme à notre propre amitié
après une demande de choisir entre les deux). Très mal écrit tout ça.
Inscription pour le fond, j’aurais pu m’abstenir pour la forme.
L’annonce
de la guerre en Irak s’étire encore. Jamais un conflit armé n’aura été autant
préparé et planifié… cela tourne à la tragi-comédie.
Hier,
au Conseil de sécurité de l’ONU, les quinze représentants ont réaffirmé leur
position. De Villepin, pour la France, a dramatisé, avec beaucoup de talent,
l’extrême folie qu’une action guerrière des Etats-Unis représenterait alors que
les inspections des Onusiens de Hans Blix donnent des résultats. De part et
d’autre, des arguments légitimes et des motivations inavouables. Doit-on
laisser ce tyran en place sous prétexte qu’on ne s’occupe pas des autres ?
Doit-on risquer le chaos dans la région ?
Dimanche 9 mars, 3h du mat.
De
retour à l’hôtel du Musée pour une nuit régénérante, après un défoulement
costumé. La troupe arlésienne, toujours aussi complice. Un plaisir renouvelé
que leur compagnie. Après une revigorante promenade avec les B dans la Montagnette ventée, nous retrouvons la
bande pétillante pour un gueuleton joyeux. Puis, direction, sans les parents B,
chez une accointance qui organise une soirée privée pour ses trente-deux ans.
Le déguisement est recommandé : Marie en chaperon rouge, Aude en spéléo, Ben
en moule (!), Michel travailleur avec combinaison, Louise en étendoir à linge,
et moi en casque blanc version
cuisine (écumoire sur la tête, presse-citron au cou sur bavoir).
11h35.
L’effleurement du soleil pré printanier réjouit l’âme. Sur la place de l’Hôtel
de Ville d’Arles avec ma BB à goûter l’air doux au son des quelques passants,
confortables sur un banc public, je guette la sortie des parents B de l’église
qui jouxte (à une ruelle près) le bâtiment républicain en cours de rénovation.
A nos côtés, une jeune femme croque la finesse du monument religieux avec
quelques coups de crayon ajustés. Ce cumul du vivant à doses perlées, de la
matière sculptée par l’homme et d’un climat tempéré cristallisent le bonheur à
l’échappée. Un bougre, à la sortie de l’église, clame que son anniversaire
sonne ce jour, pimentant ainsi l’antédiluvienne quête auprès des cœurs
chrétiens.
Evocation
ce matin avec BB et Louise du devenir du couple Aude & Ben dans sa version
résurrection. Complexité des facteurs ayant motivé la résurgence sentimentale
et l’envie d’une vie commune renouvelée.
Lundi 10 mars
15h.
Première vraie journée chaude de l’année passée au Parc, plongé dans Léautaud.
Une jouissive manière de m’immerger à nouveau dans mon projet de thèse. Peu de
temps à accorder pour ces vagabondages diaristes, donc.
Cette
coupure dans le volume III (phase relecture) tient à une volonté d’inscrire une
petite formule en réponse à une campagne repérée en Arles. Sur les panneaux
généralement voués aux tronches politiques, une affiche sobre à l’argumentation
serrée (pour la grosseur de caractère) et chapeauté d’un titre qui se veut sans
appel : « Il n’y a pas de guerre propre. » À cela une seule
réponse : mais il existe des paix sales !
Mercredi 12 mars
Le
tintamarre antiaméricain se poursuit. A trop critiquer l’allié outre-Atlantique,
on se retrouve, de fait, avec ceux qui défendent le totalitarisme husseinnien..
Si
l’on refuse d’associer nos forces armées à celles de Bush Jr, on
devrait déployer quelques troupes autour des prisons archaïques. La nuit
dernière, celle de Fresnes a été la cible d’un groupe paramilitaire qui a fait
exploser les différentes portes, murs et barreaux pour libérer le dangereux
malfrat Ferrera.
Petite
digression vers la galerie charnelle que je ne parviens pas à étoffer.
-
Violette, violoniste aux longs cheveux bruns, blanche de corps, l’intimité en
broussaille à tel point que j’avais du mal à m’y frayer une voie pour ma langue
ou mon sexe. Très peu d’expérience sexuelle, et peut-être même vierge. Flirt
poussé plus que vrai partage sexuel. Conversion assez rapide en amitié suivie,
jusqu’à récemment.
-
Une
luxembourgeoise, étudiante à Paris. Rencontre minitellienne (comme Sophie) à visée purement charnelle. Joli
visage, assez sophistiquée, mais un bas du corps pas assez fin à mon goût.
Intense et brève relation sans ébauche de sentiment. Me revient son penchant
pour la sodomie, tendance rarissime chez les demoiselles croisées.
-
Séduction
contradictoire pour cette jeune femme élancée, aux lignes parfaites, les
petites lunettes sévères, allure cadre commerciale. Partage d’un restaurant
avant de finir la nuit chez elle. Souvenir de tergiversations de sa part avant
qu’elle ne m’ouvre son lit. Malgré l’apparent partage, elle ne renouvellera pas
l’intimité et le lien s’étiolera rapidement, malgré mon insistance. Chagrin sur
le moment, je pressentais aussi un caractère inconciliable avec le mien.
-
Mauriane, exemple d’une amitié (aujourd’hui perdue de vue depuis quelques années) qui
a dérivé à plusieurs reprises vers le sexuel. Petite blonde vive, aux taches de
rousseur multiples et à la finesse corporelle appréciable. Rencontré lors d’une
manifestation locale autour du livre, j’ai suivi son parcours professionnel
pendant plusieurs années. D’origine bretonne, elle tentait de trouver sa voie à
Paris. Nous avons toujours privilégié le lien amical, affectif, considérant les
quelques écarts sexuels accordés comme favorisant la baisse de tension à visée
séductrice entre nous. Entre la rue Vercingétorix et la rue Mouffetard,
quelques épisodes charnels agréables. Le dernier a réuni Sandre et Mauriane pour
un trio coquin où je me faisais davantage voyeur qu’acteur. De très érotiques
souvenirs, même si cela est resté très retenu, finalement. Il aurait fallu
renouveler pour créer un vrai lien sexuel.
-
Le
coup de billard… très vague souvenir. Une première fille qui, après partage
érotique, me conduit chez des amies et, parmi elles, une future conquête
charnelle. Cette dernière, une photographe gourmande, qui m’apprend chez elle à
jouer quelques airs de Satie à son piano. Relation assez suivie, mais absence
de sentiments suffisants de ma part. Elle prendra quelques clichés de moi que
je ne verrai jamais. Quelques années plus tard, au téléphone, elle me confiera
être la maîtresse d’un député, l’actuel ministre de la santé et de la
recherche, le dynamique Mattéi.
-
Après
échange épistolaire et photographique, venue pour une nuit de cette jeune
bretonne dans un hôtel proche de la Gare du Nord. Une vraie nuit charnelle avec
un goût prononcé chez elle pour la fellation. L’entrevue sera unique même si,
chez elle, germaient des sentiments. Je m’interdisais tout suivi tant qu’un
véritable penchant n’existait pas. Elle prit un train le lendemain matin, ayant
assimilé ma position.
-
Un
bon parti financier que cette toute jeune fille à l’aspect garçon manqué, aux
lignes du visage un peu trop masculines à mon goût, mais avec un appétit sexuel
communicatif. Avec un père dans l’immobilier, elle pouvait compter sur de
confortables rentes. Son physique peu attrayant ne lui garantissait aucune
histoire sentimentale sérieuse et durable. Regrettable situation, car elle
possédait un véritable sens de l’excitation débridée. Un suivi cordial avec cette
F. (le prénom me revient à l’instant) jalonné de quelques écarts sexuels sans
réelle motivation de ma part.
Dimanche 16 mars, 0h30
Très
gentil passage des parents de BB. Les plaisirs de la table ont été honorés par
les menus à domicile et, vendredi soir, un des bons bouchons lyonnais : le
Pique-Assiette.
L’esprit
n’a pas été négligé avec, ce soir au transbordeur, un match d’improvisation
théâtrale entre les équipes de France et de Lyon. Créativité, réactivité et
drôlerie nourrissent les prestations de ces jeunes gens, parmi lesquels Cécile,
amie de Bonny. Le hasard du remplissage de la salle me fait apercevoir
Lise-Marie et son mari. Mes courriels n’avaient pas suscité de réponse,
peut-être que cette brève entrevue relancera notre cordial rapport.
En vrac,
pour le reste : Ornelle, après sa rupture avec Jérôme, aurait une nouvelle
piste en vue. Si cela contribue à maintenir un équilibre psychique fragile,
qu’elle s’amuse. Shue m’a annoncé sa date de soutenance, le 10 mai
prochain, et m’a à nouveau remercié pour mes « coups de baguette
magique » pour son rédactionnel.
Jeudi 20 mars
À la
veille du printemps, les jours (et surtout les nuits) s’annoncent maussades
pour l’Irak. Vers quatre heures du matin, quelques points, jugés cruciaux par
la défense américaine, reçoivent une quarantaine de missiles. Une entrée
guerrière limitée qui, sitôt les conditions climatiques favorables (fin de la
tempête de sable et de la pleine lune), laissera place à un plat de résistance
très chargé en poudre.
Douze
ans après la guerre du Golfe, la guerre d’Irak se voudrait, côté américain,
plus expéditive et moins sanglante. La mauvaise foi propagandiste demeure la
règle : hier sérénade des « frappes chirurgicales », aujourd’hui
antienne des « bombes intelligentes » ! La dialectique pour
maquiller l’ensanglantement barbare programmé ne
tarit pas en inspirateurs. Le cynisme des deux camps amène parfois à songer que
ne pas s’informer serait peut-être plus salutaire. En tout état de cause,
l’être ou ne pas l’être n’influe en rien sur l’événement. Cela ne fait que
soulager sa fibre voyeuriste et donne de l’importance aux actants des
événements.
21h30. Les tics médiatiques
des événements de crise ont repris place. L’intervention terrestre plus
bombardements sur Bagdad ont attisé la machine journalistique. En France, des
manifestations anti-guerres cultivent un anti-américanisme primaire. Le
« ni Bush ni Saddam » laisse songeur.
Samedi 22 mars, 0h05
Phase
d’intensification des bombardements sur Bagdad et déclenchement de l’offensive
terrestre. Les premiers morts côté alliés ont été causés par l’écrasement
accidentel d’un hélico, je crois. Au-delà de cet épisode absurde et terrible,
de multiples faits nourrissent chaque journée de guerre.
11h30.
La tristesse doit prévaloir face au cynisme des deux parties à la tête de la
confrontation guerrière, mais à choisir, le camp américain s’impose à moi,
naturellement. Que sa puissance l’ait amené à des manœuvres méprisables qui
jalonnent sa politique extérieure, nous ne pouvons l’éluder. Doit-on pour autant
préférer le totalitarisme sanglant (un pléonasme) de Saddam ? La voie des
inspections nous conduisait insidieusement vers la tolérance passive sous
couvert de bonne conscience onusienne. Les intérêts des Américains sont là,
c’est incontestable, mais pas plus que les intérêts des autres nations à
travers le monde. La différence ? Les Etats-Unis ont, eux, les moyens de
leurs ambitions. L’Europe, elle peut tout juste s’accorder sur des évidences en
forme de poncifs diplomatiques du genre, « il faut aider les
Irakiens » ! Quel pays ne voudrait pas de ce programme
post-guerre ! Besoin d’une réunion pour cela ? Pour avoir quelque
chose à afficher autre que les déchirements cumulés ces dernières
semaines ? Le grotesque ne pouvait être plus imposant. Il aurait été plus
sage d’annuler toute rencontre plutôt que d’offrir ce spectacle.
A
l’inverse, les Etats-Unis ont affiché à leur tête une détermination sans
faille : seule recette qui vaille face au charismatique tyran.
14h45.
La masse d’informations délivrées ne doit pas faire oublier la règle décuplée
en temps de guerre : le minimum d’annonces antérieures à l’action et la
maximalisation des résultats obtenus.
Dimanche 23 mars
9h30. Comme un principe
événementiel, ce qui se réalise correspond toujours au contraire de ce qui
était espéré, programmé ou redouté. La guerre du Golfe se plaçait sous le signe
d’une armée irakienne redoutable : elle fut balayée par la Tempête du
désert en quelques jours après, certes, avoir subi une longue campagne aérienne
de bombardements. Avec la guerre en Irak, les clairons médiatiques, nourris par
les responsables militaires, ont annoncé une guerre-éclair agrémentée par
l’accueil chaleureux d’une population libérée du joug, comme à Bassorah. Or, là
encore, le terrain tâté apporte son lot d’imprévus : ainsi les poches de
résistance qui se maintiennent au port Oum Kash ( ?) alors que cette ville
se situait dans la zone démilitarisée occupée par l’ONU. Cinq jours d’abandon
par les casques bleus auraient suffi pour que les forces irakiennes se
reconstituent. Ainsi Bassorah qui, loin d’accueillir les Américains en
libérateurs triomphants, telle une Normandie irakienne, résiste au point
d’obliger les troupes alliées à contourner l’objectif en espérant pouvoir
négocier la reddition avec les forces républicaines de Saddam. Alors,
faut-il évoquer un enlisement du conflit, voire une retraite des forces
anglo-américaines après moult pertes conséquentes et un embrasement
général ?
La
puissance de l’armada déployée et le professionnalisme des hommes engagés ont
tellement été serinés que les écarts grippant, de cette impressionnante
puissance de feu, qui s’accumulent, peuvent apparaître comme des signes
néfastes : deux accidents d’hélicoptère, un avion de la Royale Air Force
abattu par un missile américain, un sergent américain de confession musulmane
qui canarde ses frères d’armes de la cent unième division aéroportée. Tout cela
aboutit aujourd’hui à un nombre de morts dans le camp des alliés occasionnés en
interne largement plus conséquent (de l’ordre de 95 %) que ceux morts au
combat contre les Irakiens. On connaît le poids du psychologique dans les
troupes, et tous ces accidents ne contribueront pas à la sérénité
combative.
Ne pas
oublier, cependant, que le moral de l’armée irakienne ne doit pas être mieux
logé face au rouleau compresseur américain, mais là aucune information ne
filtre.
Mardi 25 mars
Les
signes d’un enlisement du conflit se multiplient : là où les forces de la
coalition devaient être accueillies en libérateurs du tyran, l’opposition guerrière
s’est durcie. L’étalement des troupes en Irak laisse craindre une certaine
faiblesse face à la garde républicaine. Des doutes émergent çà et là sans
qu’aucun expert ne se risque à prophétiser une victoire inatteignable par les
anglo-américains, voire une défaite.
Pourtant,
jusqu’ici, tout est allé différemment, et parfois à l’inverse, des présupposés
militaires. La bataille de Bagdad sera évidemment déterminante. Les
bombardements aériens auront-ils suffi à préparer le terrain des combats ?
Une population déchaînée contre les troupes, au-delà de l’affrontement
militaire programmé, risque d’aboutir à un carnage inextricable des deux côtés.
Par ailleurs, la détermination suicidaire de la garde républicaine pourrait
occasionner de bien plus profonds traumatismes aux alliés. Le mental fera tout,
la technique ne pouvant pallier à une démobilisation grandissante. Une seule
certitude : les sombres et tragiques jours qui se dessinent au sang frais.
Jeudi 26 mars
Anniversaire
de ma BB en osmose à domicile. Tendres moments agrémentés d’une boustifaille
marine en excès. Fin de soirée à l’horizontal dans un charnel tourbillon.
Le
moral d’Ornelle s’améliore sous l’influence bénéfique de son nouveau petit ami, un
certain Ivan. Le prochain vendredi, soirée festive avec la miss, Shaïna et le
nouveau copain. BB partagera un petit instant.
Ornelle m’annonce au téléphone qu’elle me remettra un écrit très personnel sur
l’affaire sentimentale qui vient de s’achever et sur mes actes d’amitié. Un peu
ego dans l’âme, j’attends avec impatience de les découvrir.
11h30.
D’ici, les échos des combats en cours se banalisent presque. On ne peut, sauf
pour les familles impliquées, s’immerger à tout instant dans cette tragédie. La
pollution informative est telle qu’elle obscurcit la réalité du drame humain
qui se joue en Irak. Pourquoi les médias chargent-ils leurs interventions de ce
jeu sordide entre les deux camps. Le black
out devrait s’imposer pour tout ce qui n’a pas été directement constaté par
les journalistes. Le tragique en serait ainsi préservé.
Vendredi 27 mars naissant, 0h
Les
semaines, voire les mois, qui s’annoncent pour les troupes anglo-américaines
vont être atroces si le tyran d’Irak n’est pas abattu. Avant même de parvenir
jusqu’à Bagdad, où se concentrent les forces irakiennes les plus crédibles, la
résistance n’a pas été symbolique. La détermination des militaires fonctionne
en vases communicants entre les deux camps : plus les projets américains
seront contrariés meilleur le moral irakien en résultera. A trop avoir contourné
les villes jugées militairement dangereuses pour mieux filer vers la capitale,
les troupes américaines se sont étalées sur plusieurs centaines de kilomètres
non sécurisés et risquent de se faire prendre en tenailles par les belligérants
laissés à l’arrière. A trop avoir claironné son programme d’action, les
Etats-Unis ont offert aux forces de Saddam Hussein la marge nécessaire pour se
préparer. Ainsi la bataille de Bagdad renouera avec la pire des traditions
belliqueuses de bain de sang. Si la population cultive sa fibre nationaliste et
son anti-américanisme, l’enlisement inextricable rendra cauchemardesque
l’aventure anglo-américaine. Espérons que le chaos n’atteindra pas ces
extrémités.
21h. Nouvelle bavure aérienne des
alliés sur Bagdad : un marché canardé, une cinquantaine de morts. Les
jours passant marquent certes des avancées anglo-américaines, mais renforcent
surtout le nationalisme irakien, jusqu’à fournir une jouvence au charismatique
Saddam érigé en grand défenseur de l’intégrité du pays. Un comble : les
services secrets anglais avaient prévenu les autorités américaines des
difficultés qui les attendaient. Encore un paramètre négligé par la super, de
moins en moins hyper, puissance. Le régime du tyran sombrera certainement, mais
le match nul psychologique s’annonce, avec même un léger avantage pour les
barouds d’honneur des forces irakiennes à venir.
À trop
vouloir manifester leur puissance, même pour de justes causes, les Américains
perdent le peu de sympathie qu’il leur restait dans les pays arabes.
Ce
carnet de guerre (à grande distance) tenu dans l’attente du trio festif :
Ornelle, son nouveau copain Ivan et la toute belle Shaïna, à nouveau célibataire.
Ma BB ne passera qu’un instant pour un coucou amical : hier, obligée de
rester à domicile suite à un jeudi éprouvant, avec mélange de nausées et de
vertiges. Passage du médecin relativement rassurant : un problème passager
de vésicule biliaire ; les détails techniques m’échappent. La voilà en
tout cas remise sur pied, prête pour son week-end de labeur.
Lundi 31 mars
Malgré
ces jours sombres où tous les chaos définitifs semblent mouler le quotidien
médiatique, la dualité humaine peut réconcilier avec l’humanité. L’intensité
divine d’un échange où la séduction entretient la tension offre un vrai contraste
bénéfique. Si l’on ne pouvait retenir que ces tendres et harmonieux instants…
Le visage enfoui entre les cuisses de l’aimée, de la désirée, les lèvres roses
ou brunes, le parfum envoûtant, donnent des élans gourmands pour submerger
encore plus de plaisir. Plutôt que d’insuffler du religieux dans cet
affrontement guerrier, adoptons la vraie communion, celle du sexe sans retenue.
Comme une beauté intime qu’il faut laisser s’épanouir.
A
noter la persistance des médias (et des militaires) à désigner les forces
tyranniques à la botte de Saddam selon le vocable imposé par le
sanguinaire : la « garde républicaine ». Ainsi, plusieurs
milliers de fois par jour, les médias internationaux participent à la
propagande du régime totalitaire, sans penser
à rebaptiser ces forces d’une expression plus adéquate.
Pour
les antirépublicains, cela peut amuser…
Jeudi 3 avril
23h30.
La bataille de Bagdad connaît ses prémices via l’aéroport. Les jours passant,
cette guerre égrène ses tueries massives, ses bavures effroyables dans
une opacité variable. Rien n’arrêtera plus l’écrasante supériorité
anglo-américaine. Certes la guerre éclair technologique n’a pas eu lieu, mais
les coups de boutoir aériens portés contre les forces irakiennes s’avéreront
décisifs.
Vendredi 4 avril
Semaine
chargée en enseignements barbants. Le public des BEP au BTS m’irrite et me
navre de plus en plus par la couenne en double couches que la plupart
trimballent en lieu et place de cortex. De moins en moins de parcelle d’intérêt
pour cette occupation. Ecrire sur le sujet ne peut me catalyser bien longtemps.
Je laisse s’écouler les semaines sans aucune accroche pour ce métier. Je me
sens toujours dans le provisoire. Exit donc ces apartés professionnels.
Samedi 5 avril, à peu de minuit
L’angoisse
du Bagdadi, et des autres civils irakiens, ne peut être imaginé dans son
intensité. La menace permanente doit influer sur l’état dégradé de santé. Comme
notre confort est précaire !
Dimanche 6 avril
La
propagande du régime irakien atteint le surréalisme avec la menace grandissante
d’anéantissement. On pouvait ainsi entendre le ministre de l’information
assurer que les troupes américaines avaient été boutées hors de l’aéroport
international Saddam et que ces dernières avaient profité d’un retrait des
forces irakiennes pour revenir filmer et servir ainsi la propagande ennemie. Le
délire argumentatif s’accroît donc…
Plusieurs
appels aujourd’hui : Shue qui, suite à la regrettable omission d’envoyer
un exemplaire de la thèse à son directeur furieux de cet oubli, a besoin d’une
aide rédactionnelle pour un courriel d’excuse. Ornelle m’apprend le gros mensonge
de Jérôme : il avait bien couché avec son ex le fameux soir de son accueil
chez lui de la demoiselle. Depuis un mois, il sort avec elle et se mure dans le
silence, ce qui peut s’expliquer par une certaine honte. De mon côté, je ne
tenterai aucune démarche d’approche. Aucune envie et aucun intérêt pour moi.
Dernière
manifestation téléphonique : la joyeuse Aurélie qui devrait nous rendre
visite, avec Liselle, le week-end de Pâques, dans quinze jours. Un grand
plaisir de retrouver ces deux jeunes femmes. Liselle semble, d’après Aurélie,
avoir apprécié ma persévérance à conserver ce lien amical, malgré les silences
renouvelés.
Mardi 8 avril, bientôt minuit
Ce
soir, encore une réunion pédagogique pour le suivi de formation des auditeurs.
Je n’ai vraiment pas l’état d’esprit du salariat revendicatif et critique, par
en dessous, des employeurs. Cela me répugne même d’avoir à entendre leurs pics
vaseux. Je sais trop ce que représente d’angoisse et de combats constants le
fait d’être en charge d’une PME.
Une
partie de l’équipe pédagogique de vautre dans cette pitoyable performance
consistant à critiquer ceux qui vous emploient. Aucun intérêt pour moi de
rentrer dans ces enfantillages dialectiques. Si j’ai à défendre quelque chose,
je le ferai seul et sans chercher ces complicités de parade. Voilà qui m’incite
à demeurer très individualiste dans la sphère professionnelle.
Mercredi 9 avril
20h. La guerre en Irak touche à
sa fin. La bataille de Bagdad ressemble fort à une déliquescence des forces
irakiennes. La liesse des Bagdadis devrait, j’espère, calmer les
anti-américains. Malheureusement, le comportement populacier rappelle la
connerie humaine fondamentale et que la loi du plus fort est toujours la
meilleure.
Le
déboulonnage des statuts de Saddam, les Irakiens crachant, piétinant et
insultant les portraits du dictateur, devraient retourner les peuples arabes.
Il faudra qu’un certain nombre de dirigeants et de populations anti-guerre reconnaissent
s’être trompés et que la mauvaise foi cesse.
23h30.
Profil bas devrait s’imposer aux dirigeants politiques qui redoutaient un
embrasement général, voire un inextricable embourbement des Anglo-américains.
Certes bavures, dommages collatéraux et dégommages injustes ont atteint
les civils : cela ne pèse pourtant pas lourd face aux presque trente-cinq
ans de terreur. Le sommet des anti-guerres à Saint Pétersbourg avec Chirac, Schröder
et Poutine apparaît aujourd’hui, s’il est maintenu, totalement déplacé et
dérisoire. Mea culpa des quelques délires aberrés que ces pages portent :
le conditionnement socio médiatique influe puissamment sur les consciences.
Ce
jour, sous de plus ludiques auspices, découverte du cadeau collectif (parents,
moi et François) pour BB : un VTC d’esthétisme sobre.
Ce
mois, des week-ends chargés en visites : le prochain mon père et sa petite
famille font une halte à Lyon pour une nuit. Le suivant Aurélia et Liselle
seront réunis à Lyon pour des moments pétaradants comme au bon temps de
Royan ; et le dernier d’avril, Marie et sa sœur découvriront les beautés
mystiques de la région.
Samedi 12 avril
Spectacle
édifiant des pillages qui confirme bien la nature abjecte de l’humanité. Que ce
peuple s’en prenne aux bâtiments publics se comprend, certes, mais en profiter
pour s’attaquer au domaine privé et dévaliser le contenu amènerait à regretter
la poigne de fer du Saddam introuvable.
Hier
soir, très agréable et sonore soirée au bar de la radio, cours Gambetta, avec
Gérald à la voix, Eddy et accointances (dont Rita de Forpro) pour le
relationnel, quelques cordes vocales de passage (dont les miennes) au micro, et
même le passage de quatre auditrices de Forpro qui passent leur BTS cette
année. Moments joyeux à renouveler le 16 mai.
Dimanche 13 avril, 23h40
Affective
réunion pour le passage de mon père, Anna et leurs deux bouts d’chou.
Découverte de ma ville d’ancrage sous un bleu printanier. La gourmandise
honorée avec le réputé bouchon lyonnais Le Pique Assiette le samedi soir, puis
détente au soleil via les parfums enchanteurs du glacier Nardone ce midi avant
leur départ pour Courchevel. Des préliminaires de vacances de Pâques qu’ils ont
bien appréciés.
Côté
découvertes : le parc de la tête d’Or, la basilique de Fourvière et son
panoramique point de vue, descente par les allées verdoyantes vers le vieux
Lyon, retour par la place des Terreaux et détour par mon lieu professionnel…
Mon
père a bien apprécié le calme de cette ville qui a fait pour beaucoup mon
attachement : ni l’entassement parisien, ni l’exubérance marseillaise,
Lyon la réservée. La plus belle des séductions ne se fait-elle pas dans la
retenue ?
Dans
un état beaucoup moins enviable, les villes d’Irak n’en finissent pas de subir
les assauts minables des pilleurs. Difficile de reprocher aux troupes
anglo-américaines de ne pas faire respecter l’ordre alors que la guerre n’est
pas encore achevée (Tikrit résiste encore, mais plus pour très longtemps).
Facile, en revanche, de souligner l’absence totale d’éthique, de responsabilisation
moralisée chez beaucoup de congénères sitôt des conditions anarchiques à
portée. Et ne croyons pas que nos pays occidentaux y échapperaient si le
terrain favorable aux comportements débridés s’offrait.
Jeudi 17 avril
Si les
Anglo-Américains ont magistralement mené leur guerre éclair, l’enlisement
risque de ternir la phase de rétablissement de l’ordre et des services publics.
La gestion d’un Irak à reconstruire ajoutée au coût global de la guerre devrait
avoisiner les deux cent milliards de dollars alors que le revenu annuel de la
vente du pétrole irakien ne s’élève, au meilleur débit, qu’à dix-huit de ces
mêmes milliards. Les pays européens qui n’ont pas versé le prix du sang
devraient aligner quelques biffetons pour être pardonnés par le grand
allié.
A voir,
hier, la guerre secrète entre la CIA et le FBI, on est pris de dégoûts en
chaîne. Ces services qui devraient travailler de façon complémentaire et qui
sabotent les indices qui auraient pu faire éviter les cataclysmes comme le 11
septembre…
A cela
s’ajoute le rapport avec le président en place qui peut atteindre le rejet
total comme le fit, criminellement, Clinton qui ne tînt aucun compte d’alertes
graves. Au regard de l’histoire, il faudrait replacer certains personnages à
leur juste valeur ou à leur médiocrité consubstantielle.
Vendredi 18 avril
Appel
d’Ornelle cette semaine pour m’informer des derniers rebondissements de la
chronique jérômiesque. À la fête du centenaire du lycée Belmont, à Lyon,
il s’est montré plus exécrable et ambigu que jamais. Quel gâchis cette histoire
avortée, même si le sympathique Ivan a comblé le vide sentimental. En regardant
l’agrandissement de nous cinq (les deux couples et Shaïna) à la Saint
Sylvestre, un pincement au cœur s’est imposé. Comment une si vive complicité
a-t-elle pu tourner aussi vite en eau de boudin ? Dérisoires lamentations
face aux drames mondiaux, mais la proximité affective justifie toutes les
focalisations littéraires. Notre amitié affective avec Ornelle aura survécu, et
c’est pour moi l’essentiel.
Samedi 19 avril
7h30.
Un réveil tendrement charnel avec ma BB ennoblit ce début de matinée ; le
début d’après-midi accueillera les joyeuses Aurélie et Liselle (et peut-être
une copine, C.). Elles demeurent en place d’honneur dans les moments les plus
festifs de mon existence. Le quatuor royannais pour quelques jours de vacances
aoûtienne, avec ce cher Karl qui manquera au tableau lyonnais de ce week-end,
fonctionnait dans une pétillante symbiose séductrice. Nous avions trouvé là,
par le hasard d’une boîte et la volonté empressée de Karl, les plus idéales
complices que nous pouvions espérer. Les désirs se transmuaient en débordements
verbaux allusifs, ce qui évita que cette réunion ne se marquât (couronnement ou
délitement ?) de coucheries à partenaires variables. Seul le temps trop
court assombrit un peu la fin, mais avec sa perspective comme donnée préalable,
il participa certainement à densifier les instants partagés.
Autre
registre d’émotions, hier après-midi, lors du test de quatre heures sur une
synthèse de documents des BTS 2002-2004. ayant imposé l’éparpillement des
auditeurs selon le scolaire principe du un-par-table, je me retrouve avec juste
face à moi, à moins d’un mètre, avec l’une des plus mignonnes du groupe, une
certaine Diane R. Blonde au visage d’une beauté impeccable, elle me rappelait
Kate dans sa manière d’être et ses mimiques expressives. La fragrance qui me
parvenait lors de certains de ses gestes, les rares effleurements de pied
(toujours de son fait !) suivis d’excuses, les regards plus ou moins appuyés
pour la concentration, les sourires magnifiques accordés, tous ces écarts
entretenaient, malgré moi, un trouble délicieux.
Hier
soir, idée de plonger un instant dans le Voyage de Céline, lu beaucoup
plus jeune. Accroche immédiate, je vais m’accorder cette digression littéraire
avant de revenir à Léautaud. Tous ces livres dont la lecture me manque… que la
fuite du temps détruit nos espérances.
Mardi 22 avril, à bientôt minuit
Un
sain colletage avec le groupe des Bac pro du matin que j’ai en français :
ces incompétences crasses prêtes à critiquer l’organisme de formation n’ont pas
une once d’autocritique. Leur existence résumée à une insignifiante traçouillette
merdeuse ne les dissuade pas de s’ériger en petits juges minables. A trop
accorder de libertés, notre système produit des lavettes revendicatrices et
incommodantes.
Ma
mise au point de ce matin a pu éclaircir ma détermination à ne rien laisser
passer qui pourrait faire croire à de la complaisance quant à leur comportement
et à leurs jugements dérisoires. Je suis, par apriorisme, un ennemi de l’espèce
humaine confirmé chaque jour par la justification de cette posture. C’est
vraiment un public pédagogique de merde que ces auditeurs à renvoyer à leur
petite envergure existentielle. L’enseignement à ce type d’humanoïdes aura eu
le mérite de me conforter dans mes méfiances misanthropiques pour les groupes.
La vie
offre heureusement d’autres êtres d’une épaisseur, d’une qualité et d’un talent
incomparables, à des univers de ces ratouillets en formation par
alternance. Côté scène, le crépuscule a emporté la divine Nina Simone, mais
l’éternité humaine captera ses sons et modulations pour notre plus grand
bonheur. Côté débutants prometteurs, la première représentation du Corps à
corps, écrits et mis en scène par Judith L., a révélé des comédiens
magistraux, jouant de leur corps (souvent nu) et de leur voix dans un ballet
troublant.
L’Irak
laisse s’exprimer les chiites, tous persécutés sous l’ex successeur de
lui-même. Dorénavant, c’est la république islamiste qui menace. Les Américains
vont devoir surveiller tous ces fanatiques.
Mercredi 23 avril, minuit proche
Sans
excuser les atrocités sanguinaires de Saddam, on peut comprendre le choix du
répressif impitoyable pour étouffer les dérives islamistes de Chiites. Le
laissez-faire américain à Kerbala risque d’engendrer la naissance d’une
nouvelle plaque tournante pour les fous de dieu. Cette régression annoncée de
la société, et en premier lieu pour les femmes, ne provoque aucune
manifestation de condamnation dans le monde, et notamment chez tous ces
occidentaux déchaînés dès qu’il s’agit de vilipender les pratiques américaines.
Le noyautage clandestin des mouvements religieux par des iraniens très mal
intentionnés, défendant une société talibane, ne soulève aucune
protestation des si impartiaux pacifistes.
Et
qu’on ne leur demande surtout pas de s’expliquer sur l’incohérence manifeste de
leur réactivité à deux mesures, ils nous accuseraient illico d’être à la solde
de l’oncle Sam...
Samedi 26 avril
Petite
pause dans la correction des quelques lamentables copies ramenées de Forpro. Le
gros de l’espèce humaine n’a d’attrait ni pour son fond barbare prêt à
s’exacerber au moindre lâchage de bride, ni pour sa vertigineuse inculture
affadie d’amnésie. Une platitude ennuyeuse alliée à une dangereuse animalité
(cf. les automobilistes) : voilà le tableau désespérant de l’humanité du
XXIe siècle, dans le droit fil du XXe, avec un retour en force des
religieux de tous dieux comme substitut pernicieux aux idéologies totalitaires.
Démocraties permissives contre rigidités pseudo mystiques, voilà le pitoyable
duel d’arrière-garde que les décennies nous réservent. Pas encore pour ce
siècle notre évolution morale.
Me
voilà m’improvisant prophète comme dirait la pieuse Marie arrivée
vendredi soir avec sa sœur et son frère. Nouvelle bombance au Pique Assiette
de la rue de la Baleine : très agréable et bavarde soirée jalonnée de la
lecture d’extraits du Gâchis et d’une lettre de Marie adressée à son
futur ex compagnon de route et mari… Je découvre les rapports affectifs,
mais parfois un peu tendus, entre Marie et ses collatéraux qui n’hésitent pas à
critiquer ses délires interprétatifs ou l’absurde acharnement à vouloir
envisager une histoire sentimentalo-transcendantalo-mystique avec cet esbroufeur
de première classe. Marie ne cache d’ailleurs pas l’escroquerie intellectuelle
du jeune homme qui, sept ans avant, lui adressait une déclaration enflammée
d’un amour absolu pour, trois semaines plus tard, la prévenir par une télécopie
lapidaire qu’il se mariait. On fait difficilement plus goujat ! Esprits
très vifs de la belle et sculpturale sœur et du sympathique frère aux yeux d’un
bleu éclatant, tous deux loin des déviances fantasques de leur aînée. Dommage
que cette jeune femme s’entête jusqu’au gâchis d’années entières à attendre
l’inspiration divine et l’improbable révélation sentimentale côté réchauffé.
Dimanche 27 avril
Hier
soir, au Red Lion’s, une Marie
transfigurée et renouant avec le penchant de ses jeunes années : dans les
transes de la danse, elle semble mettre un moment en réserve la rigidité
apparente de sa posture intellectuelle. Très attachante dans cette détente
provisoire.
Ma BB
a passé quelques moments avec nous pour le repas à domicile.
Départ
du trio suisse et un grand plaisir d’avoir pu les accueillir. A noter la
tension sous-jacente qui perle parfois dans l’attitude des deux collatéraux à
l’égard de leur grande sœur. Il semble que sa trajectoire existentielle et son
jusqu’au boutisme religieux n’épousent pas leur teneur affective. Les réunions
doivent demeurer exceptionnelles.
Dernière
semaine épuisante en son début pour une détente festive à partir du premier mai
et de l’arrivée de Louise et François et, d’une façon plus hypothétique, d’Aude
et Mylène. Les réceptions se succèdent mais n’altèrent en rien la qualité des
entrevues. Ces échanges privilégiés, loin du grégarisme bêtifiant, me
réconcilient avec l’humanité. L’univers affectivo-amical que l’on entretient
s’avère primordial pour extraire de l’existence quelques parenthèses
favorables.
Lundi 28 avril, avant minuit
De
Saint-Etienne à Lyon pour le pro. À la fin du cours du CR BEP, réunion
improvisée des formateurs et des responsables administratifs. Mesdames V. et L.
nous apprennent que le mari de J.S., la troisième associée, responsable du
secteur commercial, vient de mourir d’un cancer à 53 ans. Une collecte est
proposée pour qu’une gerbe de fleurs, au nom du personnel administratif et de
l’équipe pédagogique, soit déposée à l’enterrement ce mercredi. J’y suis bien
évidemment allé de ma contribution, avec une réelle peine pour cette fin
brutale.
Ce
cher Antoine Sfer, habitué de l’émission C dans l’air d’Yves Calvi, a
encore une fois nourri l’intelligence par ses analyses limpides et solides.
Vendredi 2 mai, vers 2h30
Séjour
de Louise et François, Aude et Mylène ayant finalement renoncé aux charmes
lyonnais. Evocation ce soir d’un médecin urgentiste de la clinique, un certain
L., infection humanoïde qui concentre les plus éprouvants défauts, à commencer
par la crasse corporelle.
Jeudi 8 mai
Journée
de détente printanière avec ma BB avant mon séjour parisien, en l’honneur de la
soutenance de Shue.
Cette
nuit, rêve qui révèlerait mon attachement profond à ma dulcinée : à Paris,
pressé comme l’exige le rythme conditionnant, j’en arrive à perdre de vue BB en
prenant un RER. L’angoisse de ne pouvoir la joindre, qu’il lui arrive quelque
chose, puis le contact téléphonique avec une bouderie de sa part et ma peine en
résultant… enfin le réveil. Rassuré lorsque je vois ma belle en cheveux à mes
côtés, nue sous la couette !
Deuxième
fois que nous pédalons jusqu’au parc de Miribel. La piste cyclable aménagée au
bord du Rhône cumule les surfaces et les paysages. Peu d’enclin pour la
population qui se dore sur les étendues mi vertes mi nsablonneuses, mais mon
style de vie, l’urbain modeste, me contraint à ces promiscuités, mince
désagrément au regard de la sérénité psychologique retrouvée. Au fond de
l’étendue, tournée vers les bois qui le bordent, je pourrais, le son coupé, me croire
dans un plus isolé endroit.
Visionné
ce matin un documentaire sur la genèse de la fin tragique de Bérégovoy. A le
voir si heureux dans son bureau de Premier ministre, entouré de petits-enfants
adorables d’innocence, on aurait voulu que ce parcours exemplaire ne s’achevât
pas dans la gabegie suicidaire. L’acharnement politico-médiatico-judiciaire
aura miné l’ex tourneur-ajusteur (ou fraiseur) qui voulait purger un peu les
financements politiques.
23h30. Presque
machinalement, je décide de revenir une troisième fois aujourd’hui dans ces
pages. J’aurais dû m’abstenir, car rien n’accroche plus mon esprit à cette
heure. Eviter le remplissage sans saillance. Les mélodies vivaces de Fréquence
Jazz n’ont même pas d’effets catalyseurs pour une plume amorphe qui se répand
sans nécessité. La légitimité d’écrire m’abandonnerait-elle ?
Vendredi 9 mai
Le
train qui, quelques années plus tôt, berçait le rythme de mes phrases,
n’apparaît plus aujourd’hui que rarement comme un lieu d’inspiration.
L’événement qui motive mon déplacement : la soutenance demain à 14h30
salle Bourgeac de la Sorbonne, de la thèse sur la place de la langue-culture
française en Iran par ma très chère Shue. L’occasion d’une immersion éphémère
dans la Big Lutèce et dans son
quartier estudiantin aux nostalgiques accents. La matière juridique, puis
littéraire ont retenu mes passages furtifs, et souvent critiques, à Paris I et
III. Mon état psychologique et mes engagements affectivo-professionnels
minoraient ma facette d’étudiant, jusque dans ces pages. Un peu plus d’allant
et d’initiatives dans cet univers fourmillant auraient peut-être modifié ma
perception condescendante d’alors. Quelques amitiés en sont tout de même restées :
Melycia et Sonia, cette dernière que je dois voir dimanche soir,
pour celles qui ont survécu.
Samedi 10 mai
Arrivé
hier dans l’appartement de la tante de Shue (quai de Grenelle), je suis
accueilli très affectueusement. Ma chère amie me remet un exemplaire de sa
lourde thèse en didactologie des langues et des cultures : La langue française en Iran : histoire,
situation actuelle et perspectives d’avenir.
Dans
les remerciements, après celui classiquement adressé à son directeur de
recherche, le professeur Robert Galisson, cette mention : « Mes amis
qui n’ont pas cessé de me soutenir durant ces dernières années et plus
particulièrement LD pour son aide précieuse dans la relecture de cette thèse et
pour le témoignage de son amitié sincère ». Très touchante attention qui
me fait m’approprier un chouia cette étude.
Le
soir, invitation, avec sa tante L. et John, au Spoon food & wine, restaurant gastronomique sous la tutelle
talentueuse d’Alain Ducasse. L’idée de cette enseigne récente (avec quatre
établissements : Paris, Londres, Iles Maurice et Japon) est synthétisée
sur leur carton de présentation : « Véritable invitation au voyage. Spoon revendique la liberté culinaire. À
chacun de composer son itinéraire en créant un métissage inédit avec des
produits et des techniques du monde entier. » La carte propose
effectivement une liste de plats avec suggestion des trois éléments
constituants (le plat, son assaisonnement et sa garniture) mais le « 1 + 2
+ 3 » peut faire l’objet d’une recomposition en piochant parmi tous ceux
proposés. Faisant confiance aux harmonies culinaires mitonnées nous découvrons
la succulence à enchaînements démultipliés pour les papilles. Ma marmite de
légumes frais aux saveurs tourbillonnantes, les Saint-Jacques révélées par
l’action gustative combinée d’une sauce enivrante et d’une salade composée de
fraîches denrées, le Récré ‘o’ choc
et ses quatre mini desserts au chocolat qui obtiennent la fonte jouissive (la
fameux « o ») du convive : le parcours culinaire réalisé depuis
la rue de Marignan m’a propulsé vers les cimes de l’art gastronomique, avec une
mention de satisfecit total pour le Shiraz qui a souligné le voyage en bouche.
Comme
toujours, lors de mes venues à Paris, je tente quelques appels aux
accointances, plus ou moins entretenues, pour obtenir une éventuelle entrevue
qui rafraîchirait le lien. Pour le moins inespéré, je parviens à entendre
Karen, à qui j’avais envoyé tant de messages lors de sa sombre période
d’anorexie mentale. Voix posée, détachée, comme si rien d’anormal n’avait
entaché l’amorce de notre relation amicale, elle me demande des nouvelles et
m’apprend sa merveilleuse situation : elle doit accoucher en juin !
Voilà une résurrection productive. Promesse de se voir lors de sa prochaine
venue à Lyon où réside la sœur de son compagnon. Je ne serais pas étonné que cet
engagement reste lettre morte, comme les précédentes. Je reste en effet un peu
échaudé par les multiples tentatives passées pour maintenir un lien avec elle
et qui ont embrassé le néant. Méfiance donc : la personnalité est
attractive sans conteste, mais sans fiabilité, sans détermination dans le
maintien de rapports humains qui ont pourtant été déclarés bénéfiques. Je me
dois aujourd’hui d’être détaché et d’attendre une éventuelle preuve de sa
volonté… J’en ai déjà trop écrit…
Dimanche 11 mai
Soulagement :
après des critiques parfois très vives de trois membres sur quatre du jury,
contrebalancées par une défense magistrale de Robert Galisson, Shue devient
docteur de l'Université Sorbonne nouvelle avec la mention très honorable.
Retrouvailles
très affectives de Sally et mon papa qui ne s’étaient pas revus depuis vingt
ans. Du travail éditorial de qualité exceptionnelle pour la maison d’édition de
Sally : la dernière réédition, une œuvre gigantesque (par la taille, le
poids et le contenu) d’Alphand sur les jardins de Paris, est saluée comme une
exhumation très réussie (sauf par Heïm).
Dernière
crasse du magistrat foldingue, ersatz du procureur d’Amiens : en janvier,
alors qu'Hermione et Angel se retrouvent au poste de police après un contrôle
qui a dégénéré, le compagnon d'Hermione est placé en garde à vue pour un
prétendu délit de fuite. En réalité, l’un des flics s’est acharné sur
l’essuie-glace arrière du véhicule comme premier contact, ce qui s’est soldé,
après un échange verbal vif, par un départ un peu rapide du jeune homme.
L’occasion était trop belle pour défouler ses frustrations : prise en
chasse, sortie violente du véhicule, passage des menottes et placement au trou.
Là où le magistrat crapule intervient, après avoir été contacté pour se porter
garant de l’intégrité d’Angel, ni trafiquant, ni criminel, ni délinquant, c’est
pour appuyer la garde à vue ! Le beauf ne trouve rien de plus
légitime que d’enfoncer le compagnon de sa sœur… Qu’il le bouffe jusqu’au
trognon son droit tordu. Confirmation, en tout cas, qu’il entretient sa
répugnante nature d’écœurement vivant.
Pour
revenir à de plus humaines et nobles âmes, la soutenance de Shue m’a permis,
lors du pot qui a suivi, de dialoguer avec son directeur de thèse, vieil homme
longiligne, plein d’éloges (comme les autres membres du jury) à l’égard de mon
aide littéraire que Shue n’a pas cachée. Comme un soutien indirect à ma propre
amorce de thèse en stagnation...
Le
soir, dans l’appartement de la tante Lima, avec deux couples d’amis, échanges
divers dans un plurilinguisme qui entremêle farsi, anglais et français. Deux
fois sur trois, je me laisse bercer par les sons de ma langue musicale préférée
et des consonances du farsi, beaucoup plus doux que l’arabe, la prononciation
ne systématisant pas les espèces de raclements de gorge. A la fin, sujet à se
faire peur : la présence, dans la salle Bourgeac, d’un barbu, étudiant aux allures islamistes
et multipliant les questions indiscrètes auprès de Shue, de John et des perses
présents. Certains passages de la thèse n’ont rien de l’encensement du régime
actuel : de là à voir dans cette présence suspecte un missi dominici de
l’Etat religieux pour de plus ou moins avouables intentions, les hôtes du soir
s’y sont ingéniés, avec parfois une certaine jubilation. Au final, j’ai senti Shue
peu rassurée...
Une
courte villégiature à Deauville jusqu'à lundi soir, au somptueux hôtel Normandy, devrait apaiser les angoisses.
A mon départ de l’appartement, je trouve une grande boîte de chocolats et un
joli plumier. Gâté, trop gâté depuis vendredi, je leur laisse un mot de
remerciements et une photo noire et blanc d’Himiko dont ils avaient apprécié
l’esthétisme. Des amis très chers à mon cœur qui se confirment dans leur
extrême gentillesse.
Lundi 12 mai
Retour
au bercail lyonnais, tympans imbibés par les envolées lyrico-musicales de
Coldplay.
Quatorze
années d’amitiés avec Sonia et rien ne semble pouvoir l’affadir. Découverte,
hier soir, du magnifique résultat de mois d’efforts, de courage et de combats
avec le voisinage : un appartement rue Tournefort aux lignes multiples
(sous les toits), aux tomettes et poutres rénovées, à l’espace chaleureux. Nid
de 70m2 idéal pour cette chère avocate : n’y manque plus que le
complice masculin à la bonne dimension physique et psychologique.
Cœur
de notre entrevue dans un confortable restaurant japonais : une
renaissance sentimentale après des années d’hibernation charnelle et de
léthargie relationnelle. A voir ses amies se mettre en ménage, programmer des
naissances de bambins, elle perd espoir. Sans volonté destructrice, elle
n’entrevoit pas l’amorce d’un renouveau du contact. Je lui révèle, à sa grande
surprise, mes pratiques passées du minitel, puis d’Internet, pour créer les
liens ouvrant sur toute la palette de la complicité humaine : depuis le
grand amour (Sandre) jusqu’à l’entremêlement sexuel éphémère en passant par
l’amitié durable (Violette). Cette voie abolit la contrainte de l’abordage
réel, souvent incongru, dans une rue, un café, un musée. Les présents sur ces
sites sont là pour aborder et se laisser contacter sous couvert d’un anonymat
sécurisant.
Dans
un petit mot très gentil laissé ce matin, elle m’indique qu’elle y réfléchira.
Espérons que la résurrection de la demoiselle s’accomplisse.
Avant
mon départ, déjeuner partagé avec Magalie, autre exemple d’amante, convertie
à l’amitié, rencontrée via XYZ sur minitel en 94 (probablement). Sa situation
sentimentale ne connaît pas non plus de saillance probante. L’instant partagé
au bar douillet du Train bleu nous permet un panorama de notre actualité
réciproque.
Très
agréable promenade dans le parc meurtri du château de Versailles avec la troupe
familiale paternelle, Jim et Aurélia. Redécouverte de ce lieu imposant et
historiquement incontournable.
Enfin,
ma BB qui m’attendra à la sortie du train pour des baisers de tendres
retrouvailles après un week-end de labeur nocturne.
Léautaud
doit redevenir ma focalisation littéraire pour ces mois estivaux. Alors pas de
prolongations inutiles sur ce Clairefontaine velouté !
Mardi 13 mai, 0h…
Les fonctionnaires, si chevillés à leurs avantages,
même au détriment de l’intérêt national, vont paralyser une partie du pays pour
cette journée de grève. Mes pieds, eux, me conduiront normalement à P, pour
13h.
Le courage politique de la réforme vitale se trouve
encore une fois confronté aux privilèges de secteurs, aux niches
professionnelles incapables de sacrifices pour sauver le système. Seule la
préservation de leurs satanés acquis compte…
Après Delon, Fogiel reçoit Bardot. Sa malhonnêteté
le conduit à réaliser toute son émission dans la guimauve, pour exploiter au maximum le filon, puis, pour le dernier quart
d’heure, à saborder le mythe en citant les virulences pamphlétaires du dernier
ouvrage de Bardot. S’il connaissait un tant soit peu l’éthique, et quoi qu’on
puisse penser des positions de BB, il aurait dû commencer par ce qui fâche, au
risque de ne pouvoir faire l’émission suite au refus de Bardot. Non, il attend
la fin et récolte ainsi le double apport : une émission complète et une
fin détonante. Une salauderie opportuniste, en somme.
Samedi 17 mai
La
grisaille basse derrière les stores, le bruit de fond des voitures filant sur
l’asphalte trempé m’incitent, couchée près de ma BB, à poursuivre ce
rendez-vous littéraire pour le moins nombriliste.
Reçu
un long mail de Sonia, me remerciant de cette si longue amitié, de la confiance
qu’elle a engendrée lui permettant de se confier sans retenue. Je la crois au
début d’une « nouvelle vie », comme dirait Jonasz que j’écoute en
fond avec Daho et Bashung, le sentimental régénéré.
Wallibi
à l’eau pour ce jour, le dimanche devrait nous conduire, avec le duo Ornelle et Ivan
(Shaïna trop épuisée pour nous accompagner), aux jeux d’eau.
Mai
voit germer les grèves plus ou moins légales et légitimes : les
fonctionnaires, en tête de proue, revendiquent le maintien de leurs avantages
divers pour la retraite, malgré les faits démographiques incontestables. Ces
simagrées sociales n’inclinent pas à redorer l’image des employés de l’Etat.
Cet esprit à œillères désespère et n’incite pas à rallier le corps enseignant
du public.
Thalassa
dénonçait, hier soir, le « littoral assassiné », un puissant
révélateur de la petite pourriture qui gangrène la beauté d’être et ne laissera
jamais subsister une voie plus noble pour l’humanité, celle qui détacherait
l’individu de sa jouissance au détriment de l’intérêt général et de son
inclination grégaire pour animer ses planques occupationnelles.
23h30.
La nébuleuse Al-Qaïda commet-elle sa première erreur stratégique ou est-ce le
début d’une palestinisation du Proche Orient, et peut-être d’autres
régions du monde ? En une semaine, deux séries d’attentats dans deux Etats
arabes occasionnant des pertes civiles côté autochtones. L’Arabie saoudite et
le Maroc ont certes été désignés par Ben Laden comme faisant partie des nations
apostâtes à combattre, mais en étendant la terreur terroriste aux pays arabes,
et en visant à l’aveugle des musulmans présents sur les lieux des explosions
kamikazes, les groupements et groupuscules se revendiquant ben ladénistes vont
perdre les importants soutiens (plus ou moins implicites) des populations
arabo-musulmanes, jusque dans les contrées occidentales. La radicalisation des
offensives va-t-elle marginaliser ce mouvement jusqu’à raréfier ses adhésions
nouvelles ou intensifier les recrutements au regard de l’efficacité
médiatico-mortifère des attaques clandestines ?
Dimanche 18 mai
10h10. Attente de ma BB,
alors que les nuages matinaux se dissipent, pour notre départ vers Walibi où
nous retrouverons les joyeux Ornelle et Ivan. Une journée festive pour marquer
l’amorce d’une saison estivale bien remplie et diversifiée pour nous.
Se
distraire pour oublier une parenthèse de temps la folie meurtrière de notre
bien misérable espèce humaine. La guerre des Cent ans israélo-palestinienne
vient encore de faucher quelques vies. Rien, jamais, ne justifiera que le sang
coule et que les vies soient sacrifiées. Tant que ce paramètre de
hiérarchisation éthique ne prévaudra pas, on ne pourra entrevoir un quelconque
progrès de civilisation. Fric et religion : les voies du pire pour le
pouvoir procuré.
Dimanche 25 mai, vers 1h30
Une
semaine sans écrire, voilà qui devient rare ! Seul dans mon dodo, alors
que ma BB trime, je profite de cette veillée tardive après quelques
inconsistances échangées sur le tchat.
Plus efficace
que l’évanescente Al-Qaïda, plus démonstrative que l’armada américaine, dame
Nature a grimpé l’échelle de Richter pour créer le chaos et plusieurs milliers
de victimes, mortes ou blessées. L’Algérie, tout comme la Turquie quelques
années plus tôt, panse ses plaies dans la désorganisation étatique et la
carence des moyens de secours. En outre, des promoteurs immobiliers ont été les
complices du tremblement en lui offrant
des immeubles fragilisés par les économies faites sur leur construction.
Lundi 26 mai, vers 0h30
Ma
tendre toujours sur la brèche alors que j’essaye de me croire inspiré à
l’horizontal. Pas très turgide le gars, à première vue. Ne pas s’acharner et
revenir à une démarche plus simple et plus saine…
Juin
approche et rien n’annonce la publication du Gâchis… j’aurais mieux fait
de conserver l’info pour moi tant que l’ouvrage n’était pas effectivement
sorti. À trop étaler des perspectives irréalisées, je dois apparaître un peu léger
ou incapable d’obtenir les choses promises.
Là,
c’est vrai, je n’irai jamais réclamer quoi que ce soit à Heïm. Plus aucune
relation d’attente. Je demeure juste attentif à la réalisation d’une promesse
vieille de presque trois ans. Que cela aboutisse ne serait que normalité ;
si cela rejoignait les oubliettes, je me conforterais dans la défiance pour cet
univers.
Rabâcher,
un peu limité comme inspiration.
Petite
semaine professionnelle avant un séjour avec BB, Jim et Aurélia à Fontès. Cette
visite de mon frère et de sa dulcinée m’enchante. J’aurais le temps de leur
révéler les charmes de Lyon avant la route vers la Provence et grand-mère dans
sa quatre-vingt onzième année.
Il
faudra que je demande à Jim comment il a ressenti les retrouvailles avec Sally.
Fréquence
Jazz diffuse quelques douceurs mélodiques, mais cela ne suffit pas pour attiser
la bonne veine littéraire. L’impression d’un noircissement machinal s’exacerbe
un peu plus les lignes passant. Mais quoi, alors ? Abandonner ce
griffonnage pour une nuit à ellipses ? Soit. Revenir pour de plus
pressantes occasions.
23h50.
Les parallèles de l’actualité dans le sordide domaine des catastrophes naturelles,
mais totalement dénuées de charme, soulignent l’inégalité cruelle des pays
pauvres ou riches. L’Algérie aligne plus de onze mille victimes (décédées ou
blessées) alors que le Japon ne déplore, pour un tremblement à l’intensité
légèrement supérieure, que soixante-douze blessés. Le je m’en foutisme
immobilier d’un côté, le sérieux et l’effectivité des normes antisismiques dans
le bâtiment de l’autre. (N’oublions pas, cependant, les six mille morts de Kobé
qui relativisent l’efficacité de ces efforts face aux déchaînements des
plaques.) Et lorsqu’à cette injustice, somme toute humaine, s’ajoutent des
facteurs physiques et géologiques pour expliquer la différence de portée de ces
deux frottements cataclysmiques, le contraste entre les deux régions du
monde en devient d’autant plus cynique. Malheureuse Algérie, victime des hommes
et de la nature… à moins d’y voir une sentence divine…
Jeudi 29 mai, 0h30
Face
aux braillards inconséquents de la rue, je trouve un certain panache au
Raffarin. Passé chez notre institution journalistique, l’inaltérable Poivre
d’Arvor, le Premier ministre a communiqué très limpidement, sans pathos
excessif, sans technocratisme rébarbatif, mais en remettant les réformes
vitales proposées en perspective : une réforme des retraites, étalées sur
dix-sept ans, ne peut s’assimiler à un coup de massue ou de poignard comme le
beuglent les fonctionnaires grévistes. A ne revendiquer que pour la sauvegarde
de leurs illégitimes privilèges et faire accroire qu’ils se battent aussi pour
le secteur privé, les employés à vie confirment la pesanteur pachydermique du
système public. Le corps enseignant du public abonde dans cette sale manie de
rejeter tout changement au nom d’un ensemble disparate dont le socle commun
fantasme dans des interprétations abusives des intentions du gouvernement. Les
mises au point ont donc été faites, ce qui ne calmera pas les excités sociaux.
Samedi 31 mai, 22h50
Séjour
à Fontès très largement entamé en double couple harmonieux. Le climat estival
sans les estivants rend le golfe du Lion quasi paradisiaque. Nous prélassons
nos chairs diversement teintées sous les rayons régénérants. Entre la plage,
les promenades à nuitée, le tennis en défoulement, les passages à la Providence
pour embrasser grand-mère : le planning catapulte aux oubliettes
temporaires les monomanies de la vie urbaine.
Premier
bouleversement purgatif : une déconnexion totale de l’actualité mâchée par
Big Media, plus rien du tintouin
régurgité. Le silence du monde lointain, hors de portée, fantasmagorique,
recentre sur l’essentiel local qui nous accroche sans intermédiaire. Se forger
son événementiel, tout dérisoire soit-il, libère l’esprit du nivellement
collectif.
En
dehors de ces vagues et très illusoires changements, je retrouve l’atmosphère
du village avec ses têtes vieillissantes, ses agrandissements immobiliers face
aux inaltérables demeures d’un autre temps. Lors de notre première promenade,
passage au cimetière dans ses parties antiques et nouvelles. Je découvre à côté
du caveau B., dans lequel repose grand-père, celui des Hospitalier qui, en
2002, a accueilli l’ancien maire de la commune, André, qui eut grand-père comme
premier adjoint. Proches dans la vie et rapprochés pour l’éternité.
Dimanche 1er juin
A la
mi année dans ce lieu qui me rend plus aigu le passage du temps et ses
couperets toujours recommencés. A fouiner dans les placards à la recherche
d’une ceinture, je tombe sur des photos d’époques entremêlées au hasard
d’albums improvisés, de boîtes métalliques où s’intercalent correspondance et
cartes postales. Tous ces parcours existentiels résumés à quelques lignes de
moins en moins lus, à diverses images s’offrant de plus en plus rarement aux
regards distraits. Nostalgie absurde que d’essayer une plongée mentale dans ces
univers fixés plus ou moins côtoyés. Ce témoignage brouillon lui aussi ne se
justifie par rien d’autre que la satisfaction d’un ego. Aucun intérêt pour le lambda
égaré.
Ce
midi, pour une parenthèse dans son quotidien, nous « invitons » (mais
elle tient à payer) grand-mère dans un restaurant de Pézenas au cadre douillet.
Un moral bien plus sombre que l’an dernier : son handicap, qui la prive de
motricité, accentue l’épreuve de cette vieillesse à horizon réduit. Cette
dépendance extrême à la fragilité d’un corps usé doit résonner comme une
insulte à tout ce qui a animé ses décennies de vivance infatigable. Nous
essaierons d’insuffler la convivialité à ce repos dominical pour ajouter
quelques notes affectives aux rares moments passés avec elle.
Hier
soir, ballade avec ma BB dans quelques rues périphériques du centre où nous
résidons. Les doux moments cumulés confortent un peu plus notre lien. Devant
l’église éclairée sous toutes ses arêtes, nous laissons les petits bruits
nocturnes envelopper l’évidence de notre union.
Vers
21h. Un bon régal culinaire avec une grand-mère aux anges. Après le déluge a tenu ses promesses semi-gastronomiques. Après une
nouvelle tentative de chemin pour parvenir jusqu’à la plage, nous rencontrons
un brouillard de chaleur qui hypothèque notre projet de pique-nique.
Finalement, l’assombrissement n’est que passager et nous pouvons goûter le
sable une dernière fois, ma BB s’offrant même quelques longueurs dans la bleue
ventée.
À
notre retour, l’oncle Paul et Mariette arrivés. Présence inattendue qui va
finir notre séjour bien rempli.
Demain,
à chacun sa ville : Lugdunum ou Big Lutèce.
Vers
23h30. Agréables échanges autour d’une bouteille de blanc liquoreux de 95.
Toujours aussi convivial le père Paul : les années semblent sans prise sur
sa bonhomie et son enthousiasme. Avec quatre mille pieds de vigne, il fait d’un
loisir une passion à grande échelle. Une façon de renouer avec l’activité de nos
ancêtres côté grand-père. Une fortune acquise par certains, dilapidés par les
suivants, et dont la maison de Fontès est un bien pâle reflet. Mariette, le
visage toujours aussi gentil, l’aide tant qu’elle peut dans cette activité
distractivo-productive.
Ces
contacts amicaux et familiaux ont aisément remplacé le suivi affectif des gens
du nord. Quelle distance cosmologique avec ma raideur d’antan face à tout ce
qui pouvait atteindre mon adhésion forcenée, et à œillères, à cet univers.
Aucun regret de ce passage formateur, mais un sentiment, avec le recul, d’avoir
rendu léthargiques certaines de mes capacités critiques. À trop protéger une
zone, cela confinait à la caricature existentielle. Le système reposant sur le
principe de la légitimité, rien ne pouvait contrecarrer le dit, le pensé, le
vécu. Un dogmatisme aux oripeaux de l’anticonformisme admiré.
Demain
matin, un dernier bisou à cette chère grand-mère dont les yeux s’embueront, et
qui nous regardera partir en doutant de tenir un an de plus pour nous retrouver.
A 91 ans, elle garde une vaillance intellectuelle exemplaire, mais la Camarde
se soucie peu de la capacité à vivre de ses proies. Advienne que pourra, donc…
Mercredi 4 juin, 1h08
Hier,
réception d’un courriel d’Heïm m’informant des dernières dégradations
physiques : le risque de paralysie d’un pied et le soin apporté par un
produit réservé normalement aux enfants épileptiques. Rappel de la quarantaine
d’heures de travail pour la mise en page du Gâchis et qu’il n’y peut
consacrer qu’une heure par jour ouvrable… autant dire un report minimum de deux
mois, avant la coupure d’août et une rentrée surchargée !
Le
refrain m’est familier. J’ai renvoyé un courriel affectif, mais lapidaire. Pour
l’anecdote, ces quarante heures de labeur m’avaient été annoncées il y a
quelques semaines déjà, par message téléphonique. Elles semblent ne pas avoir
réduit d’une seconde depuis lors : un labeur sisyphien en quelque sorte…
ou une argumentation de moins en moins subtile… A la recherche d’un Gâchis
perdu pourrait baptiser cette chronique éditoriale épisodique.
Quand
le syndicalisme protège les privilégiés sociaux. La grève d’hier, reconduite
aujourd’hui, trouve aux avant-postes les feignasses protégées de la SNCF, de la
RATP et de diverses sociétés semi privées de transport. Pas directement
concernés par l’indispensable réforme des retraites, ils s’adonnent à la grève
préventive, au cas où le gouvernement voudrait porter atteinte à des privilèges
parfois vieux comme le rail en France.
Ces
régimes ne tiennent pas compte de l’évolution positive des métiers du chemin de
fer qui ne nécessitent plus d’arrêts précoces du travail. Bien recroquevillés
sur ces fiefs, ils revendiquent, sans le dire, la sauvegarde de leur régime
d’exception. Minable solidarité d’apparat.
Samedi 7 juin, 0h30
Alors
que trime ma BB, je ne vais pas résister longtemps au sommeil, malgré
l’atmosphère étouffante de cette fin de printemps.
Jour
après jour, la mobilisation du corps public, pour combattre les projets de
réforme du gouvernement, s’étiole, fond. Pour compenser cette perte de masse,
les fonctionnaires butés opèrent des actions coups de poing, éminemment
réfléchies et adultes : ainsi quelques pneus enflammés déposés contre un
immeuble occupé par le Medef, provoquent l’incendie du bâtiment avec le risque
physique pour huit personnes. Un modèle de sagesse donc…
Entre
l’émeraude du lac d’Aiguebelette et la façade montagneuse au vert touffu, le
prélassement s’impose sous une chauffe astrale. Avec Ornelle et Ivan, dans
l’attente de ma BB, le pique-nique va intensifier la consonance estivale du
moment.
Dimanche 8 juin
Me
voilà, comme un bon chrétien que je ne suis pas, debout, au fond de la jolie
petite église de La Boisse, pour la communion de la filleule de BB. Bondée,
l’antre religieuse, estivales les tenues, et une jeune femme à la robe
aguicheuse qui lit les paroles d’un apôtre : notamment « la chair
s’oppose à l’esprit ». Pour le moins risible, mais in petto, chut…
Familles,
amis, accointances : tous en rangs serrés pour ces petits communiants dont
on peut douter de l’authenticité de l’engagement. Entre habitude sociale et
folklore, je n’arrive pas à adhérer à ces pompeuses déclarations.
Qui,
ici, fait réellement attention au contenu du message ? Si, tout de
même : un suivi unanime (sauf pour ceux qui n’ont pas trouvé de place) aux
ordres de se lever et de s’asseoir.
La
métaphore obscène qui justifie le rite : « recevoir le corps de dieu
en soi » ! Un programme non charnel, bien sûr. Les paroles du prêtre
raisonnent ici, et légitime cette communion, avec une suite d’explications
effarantes, et qui fonctionnent encore.
Le
béni oui-oui excuserait tous les massacres, toutes les dérives passées… Toutes
ces fois au nom d’un postulat de vie supérieure et, bien sûr, dieu innocent et
les hommes coupables !
Pitrerie
de l’esprit sans une once de distance avec les élucubrations assénées.
Démonstration éclatante, sous couvert d’un message prétendu d’amour, d’un
système manipulatoire où le confort de l’esprit consiste à pouvoir tout
expliquer, tout justifier, alors que nous ne sommes qu’à l’âge primaire de la
compréhension du monde. La fiction, voilà ce qui conduit tous ces systèmes
rivaux. Et les antiennes enflent grâce au cadre matériel, et le grégarisme fait
son œuvre.
Décidément,
que ce soit dans ses manifestations ludiques ou vaguement spirituelles,
l’humanité en bandes m’effraie. Rien ne pourra vraiment évoluer, au sens d’un
changement d’ère humaine, tant que ces religions auront une place autre qu’une
curiosité muséologique, à la manière des mythologies grecque et romaine.
La
clochette du prêtre rythme le cirque eucharistique… Et cette assemblée en chœur,
qui recèle toutes les trahisons, les coups fourrés, les médiocrités rampantes,
les excuses vaseuses, représente toute la contradiction humaine, rarement
capable d’assumer une ligne de conduite cohérente.
Tout
cela glisse, et la poussière, nullement divine, recouvrira l’ensemble de ces
fariboles d’apparat.
À
noter que ces lignes ont été largement inspirées par la coloration intégriste
qui officie ici. Amen.
Mardi 10 juin, depuis peu
Etouffante
chaleur nocturne, malgré les fenêtres ouvertes. Un gant humide posé sur le
front devrait aider à trouver le sommeil.
Une
semaine très allégée en cours à donner qui doit me permettre une replongée dans
les premiers volumes du Journal littéraire. Déjà, ce jour, lu au bord du
lac de la Tête d’or la moitié du cinquième volume. Le regard plus affûté qu’à
mon adolescence, je découvre un Léautaud pétri de contradictions dans sa gestion
personnelle de la réussite formidable de Paul Valéry, qu’il a fréquenté très
amicalement jusqu’en 1906 ou 1907. Des entrevues plus épisodiques par la suite,
et un parcours littéraire contrasté, presque aux antipodes.
Sans
l’avouer, Léautaud ressent la médiocrité de sa posture face aux consécrations de
son confrère de plume. Profiter de cette célébrité pour vendre à un bon prix
les lettres et autres traces écrites de Valéry qu’il possède lui donne quelques
scrupules, tout de même. Ramener les élans critiques à de plus prosaïques
préoccupations est bien le propre du Journal, antichambre révélatrice qui
relativise toutes les intellectualisations trop propres, toutes les fictions
trop programmées.
Voilà
qui mérite de retenir ce genre littéraire comme le plus proche de la nature
humaine : imparfait, contradictoire et imprévisible.
Mercredi 11 juin, depuis peu
Hormis
les informations de la Une et quelques films de Canal +, l’essentiel de mon
attention télévisuelle se porte sur la Cinquième et Arte, selon les heures.
Comble de la fiente programmée, les diverses émissions pseudo divertissantes
sur TF1 ; en réalité un condensé de la médiocrité festive pour primaires.
En face, heureusement pour le PAF, des documentaires variés, des thèmes
multiples qui comblent la gourmandise de connaissances. Ainsi, ce soir, un De
quoi j’me mêle consacré au climat : tout ce qu’on nous cache. Le
deuxième documentaire diffusé remet en cause l’opportunité des alarmistes sur
les changements climatiques attendus. Une série d’idées préconçues sont ainsi
balayées d’efficace manière et avec le souci scientifique d’en rester aux faits
observables. Et si l’influence des activités humaines sur le climat restait
marginale ? Et si un réchauffement de la surface ne rimait pas avec
cataclysmes en série ? Des réflexions ô combien plus roboratives que les
simagrées à paillettes d’autres show…
Jeudi 12 juin, 0h20
La
chienlit persiste et notre déplacement à Paris s’annonce éprouvant côté
transports. Quel méprisable spectacle donné au monde que ces hordes
catégorielles arque boutées sur leurs privilèges sociaux ou revendiquant
d’irréalistes mesures. L’action de cette très minoritaire portion du pays va
coûter très cher à l’économie nationale. Eux s’en foutent, leur emploi est
protégé par nos impôts. En revanche, tout le tissu économique privé devra se
battre pour regagner sa crédibilité au-delà des frontières.
23h50 :
l’étouffoir climatique s’intensifie. Ce soir de pleine lune contraint à suer au
plus petit geste.
Ecouter
les justifications des enseignants grévistes édifie sur la fragilité
fantasmatique de leurs craintes. Une décentralisation de certains personnels
mettrait en péril le service public national de l’éducation ! Rien que
ça ! Et lorsqu’on creuse un peu au fond, que l’on observe ce qui se passe
déjà dans l’école primaire où la décentralisation s’applique déjà sans chaos,
que l’on compare à la situation anglaise où ce délestage a réussi, on saisit un
peu mieux l’artifice du branle-bas de combat syndical. Quant à la
retraite : les exigences de ces privilégiés (quant à la sécurité de
l’emploi) confinent à l’égoïsme irresponsable pour les générations à venir.
Ce
pays surfonctionnarisé subit les gesticulations opportunistes de ceux à
qui il faudrait rappeler leurs devoirs. Plein la gueule ils en ont des
solutions simplistes (du type faire payer les retraites par les produits du
capital) sans aucune appréhension des conséquences économiques et sociales que
cela aurait.
Samedi 14 juin, vers 1h
Un
vendredi en ballade en amoureux à Montmartre. Début au cœur du sacrément
racoleur établissement religieux : la bâtisse éclatante d’extérieur
propose les produits les plus variés pour se recueillir ou emporter un souvenir
numismatique de son passage. La densité des troncs proposés au mètre carré pour
la méditation, l’impossible accès à la crypte sans versement préalable ratatine
ce lieu à une banale entreprise commerciale.
Certes,
ces fonds servent à la rénovation et à l’entretien de la basilique, mais les
formes prises discréditent l’opportunité qui en devient opportunisme.
Après
le spirituel sonnant et trébuchant, l’artistique monnayable place du Tertre. Le
fourmillement touristique alimente les vendeurs concepteurs de toiles et les croqueurs
de portraits. Une ambiance bon enfant sur cette place emplie en son milieu de
terrasses pour consommateurs assoiffés.
En
élargissant la zone du vagabondage, nous profitons de ruelles plus villageoises
où maisonnées et jardins intérieurs amplifient le charme du cadre.
Pour
couronner l’escapade, nous poussons jusqu’au cimetière de Montmartre où les
plus impressionnants mausolées rivalisent.
Quelques
grandes personnalités s’y reposent comme Berlioz, Guitry, Truffaut, Dumas
fils… et nous rencontrons, au bout d’une allée, tout à son affaire, le bénévole
qui maintient en état la tombe fleurie avec statue en pied de Dalida.
Vingt
mètres avant, celle, ô combien originale, et ressemblant à tout sauf à un lieu
de repos éternel, de son psychanalyste.
9h15. Le cimetière est
surplombé à un endroit par une énorme construction métallique qui, à l’époque
du projet, a dû enflammer les riverains à défaut des âmes en repos.
Vers
11 heures. Les nuages menaçant du matin n’étaient que de la brume. Une chaude
journée à Parmain pour fêter les trente ans de Bruce, que je n’avais pas revu
depuis plusieurs mois. Le piano mobilise tous ses efforts et il commence à se
produire dans quelques cafés parisiens. Deux frères dans la musique, moi à
l’écriture, la fibre artistique donne quelque sens à notre existence même si
nous n’en vivons pas. A l’écart du circuit économique, nous cultivons peut-être
davantage les élans bruts en fidélité avec nos envies créatives.
Sans
doute que rien ne percera vraiment, l’ambition ne nous tenaillant pas jusqu’à
la compromission, mais cette confidentialité n’entame en rien la sensibilité
que l’acte créatif aiguise. Voilà probablement le point d’ancrage fraternel,
au-delà des divergences, parfois véhémentes, qui ont pu exister. L’expression
singulière, et si possible esthétique, de ce qui bout ou mijote en nous, la
consolidation (et au départ la quasi construction) d’un schéma existentiel par
la manifestation subjective d’une complexité intérieure. Un peu pompeux le
registre, je ferais s’envenimer Léautaud que je relis (les premiers volumes
découverts à la fin des années 80) avec délice.
Ce
matin, au sortir de la douche, j’entends Comte-Sponville sur Europe 1 s’étonner
que la génération qui voulait tout changer en 68, défile aujourd’hui pour que
rien ne bouge. Ceux, révoltés à l’époque, à qui l’on aurait dit que 35 ans plus
tard ils se mobiliseraient pour des problèmes de retraite et pour une
centralisation préservée, nous auraient ri au nez pour les plus cool et craché
à la figure pour les plus authentiques.
Vendredi 20 juin, vers 1h
Le
printemps aura été caniculaire et n’aura pas rendu l’action très efficace
de mon côté. La relecture du Journal
littéraire de Léautaud s’éternise, et rien de la rédaction thésarde n’a été
amorcé. En fond musical, à cet instant, Henri Salvador attriste son registre
via le temps nostalgique de Léo. Pas pour égayer le moral donc…
La vie
perso coule doucement, dans l’entente pérennisée avec ma BB, seul pôle
constructif actuel de mon existence. À comparer avec les tourments endurés par
Léautaud auprès de sa « chère amie », je m’érige en privilégié
sentimental. Lors de ma première lecture, je n’avais probablement pas bien
ingéré cette histoire déglinguée, car cette expérience aurait dû m’inspirer une
méfiance décuplée à l’égard de Kate aux signes négatifs multiples.
Samedi 21 juin
9h30.
Eté intégral sur l’hexagone, la musique va pouvoir inonder toutes les niches et
tous les recoins du pays et de nombreux pays européens. Voilà pour la prise
d’altitude culturo-climatologique.
Face
au lac de la Tête d’Or, je goûte à une chaleur encore raisonnable. Aux autres
le footing matinal, à moi la plume aux courbes littéraires.
Encore
une fête de la musique sans ma BB appelée pour ses nocturnes laborieux. À tout
hasard, et pour prendre quelques nouvelles, j’ai envoyé hier un courriel
Liselle pour lui proposer de venir partager ces festivités avec moi, dans le
cas où elle aussi se retrouverait en célibat provisoire. Réponse rapide ne
laissant aucun doute sur la noirceur de son moral. L’inextricable affaire
sentimentale avec cet homme marié n’en finit pas d’amputer la part joyeuse,
pétillante et heureuse de vivre de cette chère Liselle. La tonalité de son
refus révèle un repli sur soi, extrême et dangereux, un découragement apathique
qui pourrait bien dériver, avec une nature propice, vers l’irréparable. Pour me
rassurer, je la contacterai de vive voix dans la journée.
22h50. Une fête de la
musique en solitaire, comme au sale temps de mon célibat misanthropique. Ma BB
sur le pont des urgences, Eddy et Bonny retirés dans les alentours de
Villefranche, Ornelle et Ivan n’ayant donné aucun signe à mon message, Liselle
restée au repos, je n’ai pas tenté de contacter d’autres relations, et
notamment de plus évasives accointances.
Je
retrouve sans peine mes réflexes d’isolement forcené dans la foule festive. Ma
nature profonde ne varie pas, elle se maquille pour ne pas forcer la tendance à
se jeter du pont.
Pas à
me plaindre, pourtant. La qualité du contact doit prévaloir et l’amour de ma BB
relativise l’écorchure existentielle.
La
foule de la gorgée rue de la République, de la pleine place Bellecour et de
l’encombrée rue Victor Hugo donne un panel multicolore de la population. Pas de
quoi s’ériger contre, mais la méfiance prévaut face aux groupes bêtifiants et
aux masses incontrôlables.
À la
terrasse du Sur le pouce, une bière pour s’hydrater, un petit vent pour
apaiser préventivement les records de chaleur attendus pour ce premier jour
d’été, je me suis humanisé quelque peu. Le seul à occuper seul ma table, mais
l’agitation du Bic me sert d’alibi créatif pour pallier cette solitude du soir.
Face
au Bar Américain, une collègue de Forpro, Rita, avec son mari et un autre
guitariste, renoue avec sa jeunesse musicale et obtient un bon succès au regard
du demi-cercle épais d’auditeurs captivés. Je ne reste que l’instant de
quelques mélodies, avant de replonger dans un vagabondage sans but, les
écouteurs chargés des rythmiques entraînants fixées par le hasard du zapping
des quelques stations préréglées. Une façon d’animer avec plus d’esthétisme
sonore la faune urbaine et de fixer la cadence des pas.
Vu ce
matin l’ex infirmière qui rédige un essai dénonçant les méfaits qu’aurait
occasionnés la vaccination systématique de la jeunesse contre l’hépatite B. Je
lui remets les feuilles confiées pour lecture et éventuelle correction. Mon
sentiment sur les arguments peut se résumer mon inadéquation à ce qu’elle
dégage. J’ai beaucoup de mal à supporter cette présence collante, obséquieuse,
maladroitement féminine et en décalage total avec sa corporalité. De là
une critique exacerbée de sa démonstration, et notamment de la justification de
toutes les dérives d’une jeunesse angoissée, malade par cette prétendue infecte
vaccination. Un raccourci qui suggère l’irresponsabilité de cette pauvre
délinquance juvénile. Un pseudo déterminisme qui nie la salauderie
consubstantielle de certains êtres, peu important leur état de
vaccination !
J’ai
fait au plus vite pour abréger l’entretien et fuir cette Josiane et son
intérieur confiné. Toujours une curieuse expérience de ressentir son instinct,
que ce soit dans l’inclination obsédante ou dans le rejet viscéral. L’observation
de soi n’est jamais plus incisive que dans son rapport à l’autre.
Dimanche 22 juin, 0h53
La nuit reste lourde et le sommeil se fait
attendre.
Ce dimanche, l’ombre du parc n’a pas réussi à
rendre plus réactive ma lecture de Léautaud. Etat quasi comateux dans cet air
brûlant. Le climat ne doit pas être un prétexte à ma démobilisation. Dès ce
matin, je m’impose une activité plus soutenue, après ces deux semaines de pause
pédagogique. Le très net allègement de mes interventions à Forpro, compensé par
quelques versements Assedic, doit me permettre d’avancer dans mes relectures et
dans la répartition thématique des citations.
Courriel de Laurence, toujours en Angleterre, mais qui
devrait passer à Lyon début juillet. Et demain, verrais-je Aline en
déplacement professionnel furtif à Villeurbanne ?
Finalement, certains liens amicaux perdurent malgré
la distance.
Pour achever la dernière page de ce Manus XI, une tendre pensée à ma BB dont la nuit sera, je l’espère, plus calme
que la précédente qui lui a fait gérer vingt-quatre cas (soixante-dix pour tout
le service) et ne lui a laissé qu’une demi-heure de répit. Une tendresse
méritée, donc.
Lundi 23 juin
Devant l’émission C
dans l’air qui accueille mes deux
intervenants préférés, tant par leur personnalité qui transparaisse, que par la
précision de leurs raisonnements : Antoine Sfer, responsable des Cahiers de l’Orient, et Roland Jacquard de l’Observatoire
international du terrorisme.
Après la saisie, ce jour, par les Grecs, de 680
tonnes d’explosifs sur un navire fantôme, il convenait de réunir ces deux
pointures de qualité habituées du plateau de Calvi. Al
Qaïda : vacances polluées en
est le titre du jour et l’alarmisme des analystes n’augure aucune accalmie de
la terreur sanglante. À quand des kamikazes se faisant exploser dans des pays
européens, ou l’utilisation d’un avion subtilisé et bourré d’explosifs (680
tonnes équivaut à la puissance d’une bombe atomique), comme une bombe volante,
sur une capitale européenne ? Voilà quelques pistes terrifiantes abordées.
Mardi 24 juin, après minuit
Courriel de Heïm m’informant de l’évolution des
dégradations physiques, et notamment un œil gauche quasi aveugle et des pieds
en cours de paralysie. Avec autodérision, et pour résumer le nom de la maladie
générale qui le ronge, elle est propre aux vieillards obèses.
Evidemment, la mise en page du Gâchis ne peut qu’être ralentie, mais il espère pouvoir m’envoyer
prochainement le premier exemplaire, plus de trois ans après avoir fixé ce
projet éditorial.
Mercredi 25 juin, 0h30
Entrevue d’Aline qui occupe une haute fonction
chez Philipp Morris France, Senior
Councel, équivalent d’un directeur de
département juridique. Belle réussite pour ma copine de lycée, célibataire
depuis octobre dernier. Toujours aussi douce et agréable de contact, elle
semble séduite par Lyon qu’elle découvre. L’effet attractif n’opère pas que sur
moi. Rafraîchissant détour chez Nardonne où je découvre leur succulent parfum
coquelicot. Une reprise du TGV à seize heures avec le sympathique avocat qui
l’accompagnait, elle me promet de m’envoyer par courriel l’adresse de notre
ancienne professeur de français en première, Hélène Sabbah, qui prend sa
retraite cette année.
Découverte avec ma BB, ce soir, du créatif dessin
animé français Les
triplettes de Belleville, au graphisme
poétique caricatural, aux lignes se prolongeant pour mieux suggérer l’essentiel
des situations où la parole se réduit au minimum.
Vendredi 27 juin
Nouvelle inespérée : Ornelle a son diplôme de DUT.
Arrivés ce soir à Arles, nous logeons dans le
charmant appartement de Romy.
À bientôt minuit : de retour d’une tendre
soirée en amoureux. Dîner puis promenade sur les bords arlésiens du Rhône pour
un retour dans les rues de la ville. Même si la symbiose ne peut être absolue,
l’entente demeure majeure et tend à s’amplifier avec le temps. Un signe pour
aller au-delà de mes trois ans fatidiques pour l’épuisement des dualités.
Dimanche 29 juin
Sur une plage de sable noir des Saintes Maries,
présentée comme la capitale de la Camargue, je reçois sans angoisse la dose de
radioactivité que ces étendues recèleraient. Ces innombrables grains noirs,
mélangés à des blancs et des marron, rendent la surface brûlante, ce qui incite
au farniente sur serviette.
Hier soir, dîner sur la vaste terrasse d’Aude,
ennoblie d’une douceur ventée qui nous a comblés après la surchauffe
arlésienne. L’action combinée de deux Pineau
des Charentes et de quelques
verres d’un bon rouge régional, m’a fait dériver vers les zones polémiques.
Face à moi BB, sa sœur et notre hôte ont égrené leurs arguments
anti-américains : j’ai graduellement cabré mon propos jusqu’à ne plus
pouvoir renouer avec l’apaisante convivialité de l’amorce. Point que je tienne
par-dessus tout aux opinions défendues, nos deux analyses étant
fondamentalement complémentaires, il me fallait, par principe buté, tenir le
cap que je m’étais assigné. Voilà un vrai défaut de caractère, rogaton d’une
adolescence boudeuse.
La quarantaine verbale que je me suis imposé pour
la fin de soirée, ruminant le bon aloi de mes coups d’éclat, s’est prolongée
jusqu’au dodo, ce qui a fait pleurer ma BB. Réalisant alors la sottise de
l’autarcie intellectuelle, j’ai consolé ma douce en retrouvant la parole.
Ce soir, virée à Marseille où nous devons retrouver
Mylène dont l’inactivité indemnisée assombrit le moral.
Lundi 30 juin
Après une
joyeuse soirée à Marseille, où les spécialités libanaises ont comblé nos
papilles, nous partons en couple vers les Baux de Provence pour découvrir la Cathédrale d’images. La température de l’endroit devrait trancher avec
la chaleur provençale. Du culturel frais pour ainsi dire.
La vision très partielle et rapide de Marseille ne
m’a donné aucune envie d’y résider. Quelques signes révélateurs me
suffisent : l’abandon de tout marquage au sol qui intensifie l’anarchique
rapport piétons-voitures, la présence de détritus sur les grands boulevards (la
Canebière notamment) ou dans les rues plus modestes. Même si la ville est
sortie récemment d’une grève dure des éboueurs, Mylène me confirme la tendance
constante. L’espèce de je m’en foutisme décontracté qui s’en dégage, même si
cela doit être réduit à du cliché simpliste, ne me séduit pas un brin. Pour y
passer oui, pour y découvrir quelque monument, pourquoi pas, pour y vivre
sûrement pas. Une visite salutaire finalement, puisque cela me conforte dans
mon attachement à Lyon. Je n’occulte pas les défauts de la capitale des Gaules,
mais la balance séduction-répulsion s’incline largement vers l’attrait.
L’aspect grand bazar paradeur de Marseille m’irriterait chaque jour, et je
fulminerais contre cette ville comme je le faisais pour Paris, Big Lutèce comme
je la surnommais.
On pourrait synthétiser que la rencontre d’une
localité relève un peu du rapport amoureux, unilatéral dans ce cas… quoique.
Mardi 1er juillet
Belle réussite esthétique que la Cathédrale d’images. Une ancienne carrière dont une salle immense, aux
arêtes multiples, aux pans gigantesques, est aujourd’hui dédiée aux hommages
visuels. Pour cette année, les peintres
Bosch (Jérôme et non Victor comme j’ai dû le noter dans ce Journal à propos de la couverture du Gâchis) et Bruegel se partagent les attentions des
metteurs en scène de ce lieu insolite. Projection grossissante de leurs œuvres
torturées dans une gradation sur la destinée humaine, soulignée par un son
adéquat aux prolongements cathédralesques. A chacun de se positionner dans
l’espace offert, de diversifier les points de vue, de se mouvoir au rythme des
tableaux successifs, de s’arrêter devant un antre inspirateur où l’image
projetée semble ne plus finir. Quand l’art se laisse découvrir hors des
postures conventionnelles.
Petite promenade dans les Baux de Provence
parfaitement tenus et dont les autochtones commerçants se tiennent prêts à
accueillir les touristes dépensiers. De belles pierres blanches, des ruelles
charmantes, une église cumulant les Xe, XIIe et XVe
siècles dans ses murs, une chapelle des pénitents moins séduisante, et des
panoramas ventés, sur le val d’Enfer, impressionnants.
Pour achever cette journée découverte, un groupe de
Biskra se produit au musée de l’Arles (et de la Provence) antique(s). Une
espèce de biniou à double sorties pour le leader, des percussions diverses.
Musique de transe pour certaines festivités, la représentation a comblé mes
passions rythmiques. De l’atrium au seuil du musée, les musiciens ne semblaient
pas vouloir s’arrêter d’académique façon, et ce pour notre plus grand bonheur.
Le soir, apéritif improvisé chez Louise avec une
partie de la troupe du musée. Echange édifiant avec F, cadre du lieu, sur la
pléthore de fonctionnaires au conseil général et à la mairie d’Arles.
18h. Découverte du cœur historique d’Avignon. Bien
autre chose que Marseille : de l’espace pour circuler, des lieux
impeccables, des monuments respectés, en bref une douceur de vie s’exhale de
l’ancienne cité des papes.
Pour revenir un instant aux révélations faites sur
la gestion d’Arles : lors de l’arrivée au pouvoir municipal d’une équipe
communiste, il y a quelques décennies, doublement des employés municipaux avec,
pour principe, le paiement des jours de grève. Une incitation à ne rien branler
et à tout contester. Bravo les cocos ! Depuis, les habitudes n’ont pas
cessé…
Mercredi 2 juillet, 23h50
Notre
Premier ministre a le sens de la formule, de l’image choc, de la métaphore
scandaleuse, et cela irrite les pâles socialistes. Lorsqu’une opposition n’a
plus comme offensive que des réactions de vierge effarouchée par la crudité de
certains propos, cela révèle l’impossible alternance, un deuil incomplet de la
claque électorale dont les effets secondaires perdurent.
Des
réformes fondamentales (qu’on les approuve ou pas) sont en route sur le plan
législatif et la clique socialiste, François Hollande en tête, s’adonne à de
mesquines réactions faute d’avoir pu mobiliser le pays durablement contre le
fond de la politique menée. Je les soupçonne d’appréhender grandement les
prochaines échéances électorales et de tenter de plus artificielles stratégies
pour déstabiliser la charge gouvernementale.
Retour
à Lyon, pour ma seule intervention pédagogique de la semaine demain matin. Sur
l’autoroute, radio trafic comme fond sonore pour égrener les accidents et leurs
conséquences sur la circulation, le ballet dangereux des poids lourds se
doublant les uns les autres, les quelques excités qui placent le dépassement du
tiers (notamment et surtout s’il est moins couillu, heu non… cylindré) comme
leur priorité existentielle, jusqu’à, parfois, devenir l’assassin avec
préméditation via sa clinquante caisse tueuse ! Pitoyable tragédie
vulgaire et sanglante de cette civilisation véhiculée…
Samedi 5 juillet
13h45. Face au lac de la
Tête d’Or, un parc vide du fait des premiers grands départs estivaux, je viens
d’achever la relecture du septième volume du Journal littéraire. Encore
six avant de pouvoir songer à la rédaction de cette thèse.
Hier
soir, peu avant vingt heures, une information de poids délivrée par l’agence
AFP : l’homme le plus recherché de France depuis quatre ans, l’assassin
présumé du préfet Érignac, vient d’être arrêté. Les gendarmes du RAID ont
cueilli Yvan Colonna dans une bergerie isolée de Haute Corse. Le duo
Sarkozy-Raffarin ne pouvait rêver à meilleur soutien de leur politique en
Corse, et les esprits de l’île émergeront peut-être nettement du miasme ambiant
pour apporter un « oui » net au référendum de ce week-end. La
coïncidence arrestation-référendum a fait siffler les oreilles de Mamère qui ne
croit pas au hasard. N’empêche, le seul fait de sa capture mérite un coup de
chapeau. La concession accordée aux nationalistes par le nouveau statut
territorial proposé méritait bien d’obtenir la fin d’une cavale prolongée à la
barbe de la République. Peut-être une Corse apaisée lorsque nous découvrirons,
pour de plus légers motifs, les beautés de l’île.
Une
pensée pour le hors norme Barry White qui vient de s’éteindre, à 58 ans, des
suites d’une longue maladie rénale. Quand l’inébranlable physique cache une
fragilité extrême. Sa voix d’une profondeur gutturale inégalée vient de céder
face aux abysses de la Camarde.
Une
douceur d’été revenue à Lyon pour apprécier davantage les rayons. A lire le
déséquilibre relationnel de Léautaud avec son amante Le Fléau, je loue la
sérénité de mon lien avec BB. Cela n’affadit pas pour autant la complicité qui
s’ancre comme une évidence existentielle.
Dimanche 6 juillet
Ma BB
encore au labeur alors que je prélasse mes chairs au parc Miribel en compagnie
littéraire du huitième volume du Journal. Une étendue pas trop envahie
et une eau désertée.
Jeudi 10 juillet
Trop
vite ce temps, et des arrêts trop superficiels sur ces pages. L’inspiration se
rabougrit.
Le
relais de la CGT, celle-ci dépitée d’avoir dû abandonner sur les retraites,
constitué de quelques milliers d’intermittents du spectacle, démolit à
merveille les festivals phares de l’été. Francofolies, festival d’Avignon,
d’arts lyriques d’Aix en Provence… toutes ces machines culturelles anéanties
par leur grève. Un suicide au nom de la survie financière : le paradoxe
tiraille nombre de ces travailleurs à éclipses, et même lorsqu’ils représentent
la majorité pour reprendre la tenue des représentations, comme à Aix, la
minorité bruyante terrorise les spectateurs venus. Un sens aigu de la
démocratie syndicale ! Que se relèvera-t-il de ces décombres
culturelles ? Jean-Louis Foulquier, l’acharné passionné fondateur des
Francofolies, présentait une mine des plus sombres.
Vendredi 11 juillet
Le
tour de France s’est arrêté à Lyon, comme il y a un siècle, et nous partons
vers les terres bretonnes. Curieusement, BB n’a jamais aussi bien roulé pour
revenir rue Vauban. Le grand bleu du ciel laisse augurer un séjour de délices,
affectivement comblé et truffé de petits plaisirs et de doux moments.
Visite
de maman et Jean le samedi (ils ont séjourné autour de Quimper) au Cellier pour
un premier contact avec la famille de BB.
Nos
bagages tiennent du convoi exceptionnel : trois bouteilles des vins de
Fontès, un très bon whisky comme cadeau d’anniversaire pour François, le
portable pour travailler à la répartition des citations sélectionnées, deux
volumes du Journal littéraire, le nécessaire musical et tout le fatras
pour l’entretien et l’habillement estival. De ce fait, je laisse ce beau cahier
grand format au profit du Manus potable IV de plus légère facture.
Bové
goûtera la prison jusqu’aux abords de Noël, après une « grâce au
rabais » (selon une expression de son avocat ou d’un membre de la
Confédération paysanne) accordée par le chef de l’Etat. Si le bougre avait
accepté un aménagement de sa peine avec le j.a.p.,
il n’aurait pas à faire quémander ses troupes pour une sortie anticipée. Ne
veut-il pas apparaître comme le don Quichotte des déviances agricoles et
alimentaires ? Alors qu’il assume intégralement les conséquences et non à
temps partiel. Curieuse conception de l’engagement en cas contraire.
Ne doutons
pas que la couverture médiatique du tintamarre de ses sbires et des
sympathisants n’en fera jamais un détenu comme les autres. Cette prison
effectuée, il se la revendiquera comme une médaille d’intégrité dans son
combat. Quel bel exemple d’opportunisme !
Samedi 12 juillet, 23h50
Quand
la douceur de vivre n’obéit à aucun calcul stratégique, à aucun projet de
domination des autres, à aucune monomanie de juger le tiers, autant de
déviances ancrées comme une seconde nature chez certains et qui rendent le
cadre le plus paradisiaque tel un piège malfamé. Une journée au Cellier
débarrassée de tous ces avatars délétères dans la relation humaine.
Reste
l’essentiel, bon enfant, convivial, complice, qui insuffle ses plus beaux
atours à l’affection filiale. A midi, la famille B reçoit maman et Jean :
l’alchimie s’opère dans la générosité de chacun à rendre l’instant délicieux de
simplicité. Qu’on est loin des fastes d’autres endroits où ce qui prime est de
scruter l’hôte pour mieux stigmatiser ses travers.
Une soirée
avec cette famille, et une amie de la maman B, dans la chaleur estivale d’un
repas partagé : anecdotes, rires et évocations savoureuses prolongent le
dîner de truculente façon. La vivacité du père B à livrer quelques portraits
de son enfance renforce son image de vraie gentillesse paternelle. Pas un
soupçon de rapports glauques, hypocrites ou calculateurs. Malgré la myriade de
noms inconnus et de références propres, j’ai pu apprécier la texture affective
des réminiscences qui s’enchaînaient.
Le
dimanche se bretonnisera autour
de crêpes avant de lézarder sur une
plage de Sainte-Marie pour leur jeunots, et de rejoindre l’étendue sableuse par
le chemin des douaniers pour les plus
matures.
La
chimère éditoriale persiste…
Lundi 14 juillet
La
farandole des citations sélectionnées se poursuit au fil de la douzaine de
fichiers ouverts pour les sous parties de ma thèse. Un peu chaque matin pour ne
pas perdre l’entraînement.
Hier,
dégustation de crêpes dignes de la région et passage sur un sable surpeuplé. Ce
midi, les anniversaires de François et d’Annette fêtés à domicile, et ce soir, BB
et moi visitons ses amis, le couple Laure & Daniel, dans l’attente d’un
deuxième enfant, après sept ans de rapports sans contraceptif et, par le
mystère biologique, il y a six mois, une tombée enceinte. Pas forcément du
meilleur aloi cet événement, au regard de l’activité naissante dans la
restauration qui, après un an et une fréquentation en augmentation, ne dégage
pas encore la marge nécessaire pour vivre correctement. Les frais fixes d’achat
du restaurant canalisent la part financière mensuelle. Il ne faudrait pas que
cela assombrisse le moral du couple, car l’essentiel reste dans l’heureuse
naissance à venir.
Ma BB
réduit progressivement sa consommation journalière de cigarettes : l’arrêt
ouvrira la perspective de concevoir un bambin… voilà de l’étape existentielle
d’importance !
Mardi 15 juillet
Si le
festival des Vieilles Charrues devrait finalement se dérouler, après
renoncement des terroristes syndicaux de les achever, moi, je ne mérite pas le
prix de coureur sur meules de foin. Au détour d’une promenade improvisée, hier
à nuitée au Cellier, nous bifurquons vers l’entrée d’un champ où s’alignent
deux rangées de meules façon roues gargantuesques. Ni une, ni deux, François s’élance
à l’assaut de cet ensemble champêtre et je sens l’émulation me titiller les
gambettes pour le rejoindre au sommet. Parcours calme à l’aller, la gaminerie
prend le dessus lorsque j’appelle à la course pour le retour. Selon le principe
un-pied-une-meule pour atteindre la vitesse maximum, je parviens premier sans
peine, mais trop rapidement au bout de la demi-douzaine de supports : et
me voilà élancé dans l’air pour le saut final avec, dans la pénombre, non plus
un tapis moelleux, mais le dur plancher des vaches. Une mauvaise réception, un
peu trop focalisée sur le talon du pied gauche, et la parenthèse ludique amorce
une rentrée claudicante. Après l’application d’un baume Saint-Bernard le bien
nommé et la fonte buccale de quelques billes d’Arnica, le temps de la
convalescence réparatrice s’impose.
Avant
ce piètre exploit, passage avec ma BB chez Laure, Daniel et leur adorable
garçon, Erwan, qui, enfin, ne me boude plus. Enceinte de six mois, l’amie de BB
s’épanouit malgré le labeur à assumer au restaurant, le temps de trouver une
remplaçante au statut viable financièrement pour eux. Indépendants avec cette
« affaire » (selon les termes du mari qui ne veut pas parler de
restaurant, lui qui a travaillé dans les cuisines d’une brasserie nantaise
renommée), installés dans une belle maison familiale (côté Laure) lovée dans
son cocon de nature, ils s’attendent à une période difficile après la naissance
du deuxième enfant : le moral et l’enthousiasme persistent cependant.
Déconnecté
de l’actualité, je parcours ce matin le Ouest France du jour : une
synthèse de l’intervention du président, on ne peut plus classique, la triste
disparition de Compay Segundo à 95 ans et du saxophoniste King Benny Carter,
pour l’essentiel. Pensée, donc, pour ces artistes aux cieux et pour tous les
intermittents du spectacle non syndiqués et responsables dans leurs actions
revendicatrices.
12h15. Beaucoup plus
sordide : texto d’Ornelle m’annonçant que « Shaïna s’est fait tabasser
par son père. Elle a des bleus sur les bras et ne peut plus bouger la
tête ». Je dois m’attendre à un appel « si vraiment elle ne peut pas
supporter son père ». Nous étions à mille lieues de nous douter de
cet état de tension chez la fragile
Shaïna. Son hyperféminité, qui peut passer pour de la provocation, aurait-elle
poussé son père à cet impardonnable écart ?
La
violence envers les femmes, dans le cadre social, conjugal ou filial, m’a
toujours révolté au plus haut point. Elle traduit la misère intellectuelle du
mâle à court d’arguments et la médiocrité de l’âme, quel que soit le motif du
passage à l’acte. S’il me fallait intervenir pour neutraliser ce père à la
dérive, je le ferai sans l’once d’une hésitation et avec le sentiment de rendre
service pour sauvegarder la parcelle d’affection filiale qui pourrait l’être.
22h22. Amélioration du talon
pied gauche : une marche plus assurée ce soir. Appel de Shaïna à
l’apéritif pour me remercier du texto envoyé. Pas la première fois que son père
disjoncte. Cinq ans plus tôt, autre excès de violence. Cette fois-ci, alors qu’elle
est majeure (même si elle doit vivre à domicile en attendant d’avoir accès à
son studio) le motif tient à une rentrée vers quatre heures du matin. Je lui ai
proposé un pied à terre d’urgence dans mon appartement si elle a besoin. Ils
s’ignorent mutuellement depuis : elle va voir comment évolue la situation
et si le risque d’un nouveau dérapage ne se dessine pas. Elle semblait touchée
par mes attentions. Espérons qu’elle s’extrait rapidement des pattes impulsives
d’un géniteur certainement pétri d’un mélange de jalousie envers les petits
copains de la demoiselle, de désirs bassement sexuels refoulés et d’affection
inassumée. À suivre donc…
Mercredi 16 juillet
Hier
soir, toujours fascinant spectacle des orages de chaleur : les
gigantesques flashs illuminant les quatre coins du ciel, le tracé cisaillé et
fulgurant des éclairs, les quelques grondements cataclysmiques venus des cieux,
l’humilité s’impose face à ces déchaînements.
23h20. Un levé programmé à
5h30 pour un retour ferroviaire à Lyon, en escomptant une ponctualité
exemplaire pour compenser les 1h20 de retard à l’aller. Au total, un séjour
très agréable qui m’ancre un peu plus dans cette famille.
Jeudi 17 juillet
10h40.
Dans le TGV, alors que ma BB dort profondément et que je tente la lecture rapide
du volume IX de Léautaud, attention requise par une très jolie maman et ses
deux adorables enfants, bien qu’un peu bruyants par poussées. Cette petite
famille a laissé le père sur le quai, nécessitant des forts et répétés
« au r’voir papa ». Pour calmer les ardeurs du très jeune garçon et
de sa grande sœur, elle leur diffuse sur un ordinateur portable quelques
dessins animés (il me semble reconnaître Tom Sawers). L’effet attractif
s’amorce pour quelques temps. En entendant le long au revoir des personnages en
direction d’un bateau qui s’éloigne, je reconnais la tonalité de voix utilisée
par les deux marmots. Le tendre trio familial donnerait presque des envies de
bébé… À suivre.
Samedi 19 juillet
Appel
de mon père, cette semaine, pour m’informer que Jim et Aurélia ont vécu sur le
terrain le terrible orage sur Biscarosse, dans les Landes. Des premières
vacances partagées agitées. Ayant senti sur la plage qu’un risque climatique
s’annonçait, ils ont préféré l’hôtel au camping : une chambre miteuse à
cent euros qu’ils ne paieront pas et abandonneront après une engueulade avec le
directeur du lieu. Finalement, ils ont sympathisé avec un couple en caravane
qui les a invités pour la fin de leur séjour. L’inattendu, tant qu’il ne tourne
pas au dramatique, comme pour les quelques dizaines de victimes (décédées ou
blessées) de ces rugissements du ciel, épice favorablement les vacances.
Encore
des records de chaleur caniculaire à Lyon, et sur la France, aujourd’hui :
36 degrés à l’ombre ; sur le Tour, pour son centenaire et sa première
étape pyrénéenne, on doit avoisiner les cinquante degrés sous l’astre. Le lac
d’Aiguebelette cet après-midi, avec Ornelle et Ivan (ma BB travaille,
sniff !), devrait compenser la touffeur ambiante.
Shaïna,
dispensée de travail ce week-end, est privée de sortie après que son père ait
appris l’existence d’un nouveau découvert bancaire. Ornelle me confirme qu’elle est
incapable de vivre selon ses modestes moyens d’aide-soignante et multiplie les
dépassements de budget, parfois très conséquents : jusqu’à sept cents
euros.
Un peu
plates mes interventions, la sérénité de vie ne nourrit pas la densité
littéraire. Tant pis, restera l’élément factuel.
Dimanche 20 juillet,
18h30.
Avec 31°7 dans mon antre, et un ciel bas qui menace d’orage, l’atmosphère
lyonnaise étouffe. Ma BB rentre bientôt de sa journée de travail, et nous
partagerons apéritif, repas au cidre et tendre soirée. Hier soir, en montant à
l’aveugle chez elle comme je le fais dès qu’elle se lève tôt le lendemain, je
l’aperçois étendue dans le sommeil avec une simple culotte blanche pour tout
habit nocturne. Le moment de délice lorsque je m’allonge contre elle, humant sa
fragrance, le nez dans sa longue chevelure, les mains parcourant sa
cambrure ; et lorsque les songes s’annoncent, je me place sur le ventre,
gardant dans la main gauche un bout de fesse charnue, comme pour m’assurer de
sa présence.
Une
chose s’affirme plus sûrement chaque jour passant : l’envie et la volonté
de construire une vie avec ma BB.
Mardi 22 juillet
Edifiant
documentaire sur le Dr Kissinger que j’avais sur cassette depuis
quelques semaines. Si, par goût de la provocation, j’abonde ces derniers temps
dans le pro-américanisme comme moindre mal pour la planète, il faut reconnaître
la criminelle voyouserie de la politique étrangère américaine. L’idéologie
communiste a certes engendré, par les dévoiements de son application, jusqu’à
cent millions de morts, mais le chantre du capitalisme a laissé massacrer
quelques millions de civils pour la sauvegarde de ses intérêts stratégiques.
Finalement, le problème n’est pas dans l’idéologie, mais dans l’être humain qui
n’est pas à la hauteur de ses ambitions intellectuelles. Tout système sera
l’occasion, pour les intelligences malfaisantes, de nuire à autrui pour servir
leurs ambitions. Kissinger en est le parangon, mais parmi une liste
incommensurable à travers l’histoire de l’humanité.
Samedi 26 juillet
Alors
que ma BB s’occupe de son intérieur (ménage, repassage) je me suis fixé à
l’ombre face au lac Tête d’Or pour avancer dans la relecture du volume X du
père Léautaud. Une relative douceur dans cette canicule persistante, soulignée
par d’épisodiques coups de vent qui animent et sonorisent les denses
feuillages. A quatre jours de notre départ pour la Corse via Arles, Marseille
et Nice, un courriel de Heïm dont l’objet spécifié ne laisse aucun doute sur le
sujet du contact : « Gâchis ». Il m’annonce la parution pour
avant le 15 août et me rappelle à nouveau le « boulot colossal qui a ralenti
son travail de mise en page. » Si l’on ajoute un problème d’œil et sa
grande difficulté à « rencontrer » Karl pour qu’il l’aide à finaliser
le volume (entrevues qui seraient presque aussi rares que celles avec moi,
depuis quelques années : l’allusion s’imposait !), je dois comprendre
aisément le retard. A moins d’un nouvel impondérable, je devrais me lancer dans
une rentrée promotionnelle pour tenter d’en vendre quelques exemplaires.
Heïm
ajoute que s’atteler à publier un ouvrage qui traite d’un fiasco éditorial,
alors qu’aujourd’hui les affaires vont très bien, lui fait une drôle
d’impression. Hé ! Serait-ce une façon de charger un peu plus son ex
entourage du désastre occasionné, maintenant qu’il dirige directement les
activités ? A moi aussi, mais pour de toutes autres raisons, cette période
m’apparaît comme une préhistoire de mon existence. Combien je préfère, si
modeste soit-elle, mon atmosphère de vie actuelle. Pas l’impression d’être
rentré dans le rang, car je reste réfractaire au fonctionnement de notre
société, que j’ai fait des choix qui visent à me soumettre le moins possible à
ce système (refus de la conduite, d’une démarche carriériste) et à rester très
sélectif dans mon relationnel amical. Plutôt le sentiment de m’être trouvé,
dans un équilibre, certes précaire, qui ne repose que sur ma propre
responsabilité, sans dépendances ingérables.
Comme
à chaque fois depuis cette prise de distance par rapport à l’univers de Heïm,
je réponds sans m’étendre, assurant le minimum affectif, mais évinçant tout
épanchement qui pourrait donner prise à d’inutiles gloses. Je n’éprouve
d’ailleurs aucun chagrin. Salutaire éloignement pour les deux parties, ce qui
subsiste tient à une fidélité aux liens passés et à d’éventuelles accroches
intellectuelles, littéraires. Rien de plus ne pourrait germer, cela relèverait
du grotesque réchauffé, de l’artificiel inassumable pour moi. Quelques
manifestations écrites par an, une rencontre quelques jours à titre exceptionnel,
et de plus en plus espacée de la précédente si les mêmes monomanies cathartiques
s’imposent chez les hôtes : voilà ce qui a succédé à l’intense complicité
en premier acte et au névrotique rapport du deuxième acte.
Mercredi
soir à Vienne avec ma BB pour le bonus night du festival de jazz :
une Diane Reeves éblouissante dans ses scats improvisés, un Bobby Mc Ferrin aux
vocalises stupéfiantes, mais qui s’est un peu économisé pour seulement une
heure de concert.
À la
lecture du Journal littéraire, s’ajoute, depuis hier, l’écoute des Entretiens
avec Robert Mallet avec un œil sur le volume qui en a été tiré. Plaisir de
l’avoir un peu vivant, au-delà de ses écrits, avec son inaltérable naturel qui
résonne comme une modernité radiophonique face aux interventions empesées de
l’époque.
Dimanche 27 juillet
Nuit
infernale à suer de toute la tête, malgré les deux fenêtres ouvertes et la
nudité intégrale. Ce midi, c’est au ciel de goutter un peu avec quelques
sonorités grondantes. Espérons qu’il en émergera un semblant de fraîcheur.
Cette
après-midi, nous devons rendre visite à Mme Caravelli, notamment pour lui rendre un
panier d’osier prêté à notre dernière venue. Hier au tél, elle m’apprend que
Melycia est enceinte une deuxième fois, depuis peu. Par ailleurs, elle aurait
quelques soucis professionnels. Heureux d’avoir des nouvelles par sa mère, mais
je subodore qu’elle a mis de la distance depuis mes envois non appréciés (et
mal interprétés) de courriels. Les parcours de vie opèrent leur sélection
relationnelle : je ne vais sûrement pas m’acharner à restaurer un lien en
perdition.
Mardi 29 juillet
Ai été
m’informer des grandes tendances de mon planning à Forpro pour la rentrée
prochaine. Il semble que l’activité se soit réduite au regard du nombre
d’heures proposé. Il me faudra intensifier les cours particuliers ou dénicher
d’autres collaborations sous peine de végéter financièrement.
Pour
la deuxième fois, dans un petit coin charmant du parc, au début de la roseraie,
un banc entouré d’une nature luxuriante et variée, avec une herbe épaisse
fraîchement tondue, d’un vert éclatant ; on ne se figurerait pas en
période de sécheresse. Peu de passages, lieu calme, en retrait, idéal pour
quelques réflexions.
L’actualité
rappelle l’inconscience égoïste de certains : la multiplication
d’incendies infernaux dans plusieurs régions du sud, causées très probablement
par des actes criminels plus ou moins volontaires, mais communément et
tristement crétins. La guerre contre le feu, allié au vent, dévoreur d’une
flore desséchée, a montré ses limites. Impossible lutte, avec des moyens
dérisoires, face à l’ogre incendiaire.
Deuxième
phénomène dénoncé par la cour des comptes : la surmédication des
personnes âgées, avec une bonne part d’inutile, si ce n’est pour le confort
psychologique. Déresponsabilisation, là encore, sans songer que ces
comportements participent au déficit d’un système trop protecteur. Avec
l’augmentation des vieillards, il va falloir un certain courage politique pour
calmer l’hémorragie financière. Voilà deux domaines sans aucun lien, mais qui
révèlent ce penchant à satisfaire ses désirs et ses prétendus besoins sans
aucune considération du tout. Des Jean-foutre à la pelle qui légitiment une
sévérité accrue de la loi.
Appel
de Karl pour savoir où il peut envoyer l’épreuve avant tirage du Gâchis ;
il me demande également si je me rends à Royan cette année. Je lui confirme
(car il devait déjà le savoir par sa mère) ma défection. Si Sally avait fait un
effort pour apprécier ma BB, nous n’aurions pas hésité à revenir, mais là,
l’incompatibilité est trop forte et le choix se fait sans hésitation. Je ne
replongerai pas dans cette mécanique critique qui lamine le cœur de celle que
j’ai choisie. Royan pour moi seul, si le planning estival le permet, sinon le
lieu formera un autre pan de souvenirs.
Mercredi 30 juillet
Ma BB
étendue nue à mes côtés, dans un sommeil réparateur pour ouvrir sa période de
vacances, Fréquence Jazz en fond sonore, les vagues d’automobiles de la
rue Garibaldi et les quelques passages rue Vauban comme faune urbaine, voilà le
décor familier d’un soir ordinaire.
Prodigieuse
mémoire du père Léautaud qui lui permet, à l’oral ou à l’écrit, de relater avec
précision des anecdotes de vie, d’enrichir son propos de références précises,
de citer de longs poèmes comme s’il les avait sous les yeux, bref de posséder
un univers en lui-même. Si Artaud exposait à son éditeur son incapacité à
former sa pensée, j’ai moi l’impression d’un vide mémoriel, d’une déperdition
considérable de détails sur les choses vécues, ce qui simplifie d’autant les comptes
rendus effectués ici, d’une incapacité à retenir la masse de connaissances
croisées… Toile cirée, mon existence, et surtout la conscience de cette vie.
Cela expliquerait-il mon peu d’affectation par les changements fondamentaux
dans ma trajectoire ? Le présent, ou l’art de se substituer à soi-même,
impulserait l’essentiel de mes émotions sans trop s’attacher à l’antérieur. Un
peu plus subtil dans les faits, mais sans jouer les Hanussen (?), cela
préfigure une vieillesse extatique.
Ce
matin, très curieux demi sommeil où la sensation cauchemardesque de ne pas avoir
la faculté de membres déformés, de percevoir les choses plus grandes ou plus
loin qu’elles ne le sont, autant de points qui formaient certaines de mes
sombres contrées oniriques de mon enfance. Curieux rappel. Pas un gâtisme
prématuré, j’espère.
Jeudi 31 juillet, bientôt 1h
Arles.
De retour d’une agréable soirée à cinq (Romy et une de ses amies en hôtes du
soir) où l’apéritif sur une place arlésienne s’est naturellement prolongée en
dîner jusqu’à minuit.
Comme
souvent, lors de ces entrevues, le nouvellement rebaptisé M.A.P.A. (Musée de
l’Arles et de la Provence Antiques) capte l’essentiel des conversations.
Occasion renouvelée de stigmatiser les incompétences épaisses d’une partie du
personnel : un conservateur pour rire, imperméable à l’archéologie, concentrant
son énergie pour se faire bien voir des pontes politiques et espérer un poste
dans un ministère ; un responsable du service des publics aux idées
fourmillantes, mais n’hésitant pas à jouer avec les êtres comme des pions sans
importance ; une chargée de communication (recrutée par le précédent et
désormais cornaquée par lui) inapte pour cette fonction d’initiatives et
de globalisation de l’action, inconséquente jusqu’à désespérer ses
collaboratrices subordonnées ; des services techniques tutoyant l’abus de
bien social gratiné de fainéantise en double couche. Les portraits se succèdent
et apparentent ce lieu à un musée des horreurs qui décourage inéluctablement
les quelques bonnes volontés présentes. Terrible gâchis qui coûte quelques
millions chaque année au Conseil général qui en a depuis peu la charge.
11h40. Ambiance des
mouvements estivaux, destination Nice Ville sous un ciel demi laiteux. Aux
places adjacentes, une mère et trois ados dont une donzelle élancées, au regard
bleu vif et n’hésitant pas à exhiber son piercing au nombril : une main
squelettique qui couvre la délicate anfractuosité charnelle. Que du plaisir
visuel, donc !
Le
vent annoncé, et ressenti lors de nos transits pédestres, augure le pire pour
les embrasements en PACA. Notre trajet ferroviaire devrait nous dévoiler
quelques sinistres paysages consumés. Le bicéphale exécutif a réclamé une
extrême sévérité judiciaire pour les criminels du feu. Négligents ou
volontaires, la poignée d’incendiaires ont traumatisé quelques dizaines de milliers
de personnes et anéanti pour une décennie des contrées paradisiaques. Tout
comme à l’extrême positif une minorité inventive apporte au monde pour qu’il
vive mieux, au bout sombre de la voyouserie une mince frange suffit à
parasiter le gros de la troupe humaine.
Samedi 2 août
Deuxième
jour au cœur du relief corse. Le plaisir extatique du matin : à
l’ouverture de la piscine, faire quelques tours de brasse dans l’étendue calme,
le nez au ras du liquide et le regard plongé dans les hauteurs du Golfe de Saint-Florent.
La sérénité embrassée, où toutes les composantes de la nature semblent vous
offrir leur esthétique harmonie, canalise le meilleur de la vie.
Raph et Alex adorables, fins et longilignes pour pouvoir prendre de la hauteur,
goûtent aux étapes respectives de leur âge. Avec ses dix ans, Alex se laisse
prendre par l’univers de la lecture, Raph, lui, s’essaye à toutes sortes
d’exercices ludiques et (après une période craintive) se débrouille comme un
poisson dans l’eau de la piscine et de la mer.
Tentative
de réflexion sur la première sous-partie de thèse, le goût de la
relation : poussif !
Vers 21h. Canicule revenue qui
n’a pas desséché la journée paradisiaque en trois actes : volet
dégustation au début du cap corse (charcuterie locale, dos de raire avec
mousseline de câpres, assiette de fromages du coin) ; phase culturelle
avec la découverte de Nonza et sa tour paolienne sur les hauteurs ; final
ludique sur la plage de Faranole qui cumule tous les attraits. Au retour, avec Like
a bridge over trouble water en fond sonore, une moins joyeuse découverte,
malheureusement quotidienne, quelques fumées au sommet d’une montagne. La
dévastation criminelle continue.
Dimanche 3 août
8h45. Sur les table,
chaises et serviettes à l’air, des cendres, reste d’un brasier alentour. Ne me
couchant pas très tard, je n’éprouve aucun besoin de prolonger le dodo plus
longtemps. Ma BB, elle, se prélasse encore. Moi, sur la terrassa, avec le petit
air neuf du matin, doux, qui anime les couleurs du verdoyant au jaune sec, je
laisse mes sens capter un peu plus qu’en période urbaine. Finalement, on
s’accommode très bien, tant que cela ne nous touche pas directement, des deux
mamelles corses dont on n’a que l’écho : incendies et attentats.
23h30.
Spectacle terrible et fascinant de l’incendie en cours (débutée hier soir) sur
les montagnes jouxtant les gîtes. La noirceur du ciel décuple l’effet des
flammes, de cet animal qui dévore tout et grossit par l’effet de ce qu’il
engloutit. Avec les jumelles de mon père, on a la sensation d’être aux abords
des différents foyers. Le seul impact des trop rares passages de canadairs,
dans la journée écoulée, a été de morceler ce qui constituait un front uni,
mais la virulence des brasiers réduits demeure et se régénère avec la luxuriance
de la nature qui se présente à eux. Heureusement que le vent s’est calmé pour
cette nuit. Avec la fumée incommodante, allant jusqu’à voiler le soleil, et le
danger immanent d’un développement soudain et meurtrier, le séjour élargit la
palette des spectacles offerts, avant la désolation lunaire.
Lundi,
journée en petit bateau pneumatique à moteur à la découverte des plus belles
plages du désert des Agriates. Voilà qui nous éloignera des foyers dont la
fumée commence à prendre à la gorge. Tentons le sommeil avant que le Big Ben du
réveil de mon portable résonne à 7h30.
Mardi 5 août
Journée
mémorable à bord du Bombard.
Un
départ joyeux tous les six nichés dans l’insubmersible d’Alain, loué à Dominique
Plaisance, direction les deux grandes plages du désert des Agriates :
le Loto et Saleccia. Avec notre moteur six chevaux (un chacun !) maximum
autorisé pour les non détenteurs d’un permis bateau, nous nous faisons doubler
à grande vitesse par toutes sortes d’embarcations, plus luxueuses les unes que
les autres. A chaque croisement ou passage, des vagues plus importantes qu’il
faut affronter de face pour éviter les tangages trop importants. Les décors
sublimes nous entourent : l’eau d’un bleu à chavirer, les abords sauvages
des monts des Agriates, une tour génoise détruite à moitié, un rocher à profil
de Sphinx et, enfin, une première plage à se pâmer. Les destinations lointaines
à étiquette paradisiaque n’ont rien de plus : le sable blanc, la nature
brute au second plan et la transparence turquoise de l’eau salée. Selon les
indications données par le personnel du loueur, les deuxième et troisième
étendues sableuses devaient être nos destinations, mais nous décidons d’une
première pause à ce primeur de beauté côtière, aux rares baigneurs venus pour
la plupart via les eaux. La mise en bouche esthétique nous comble, mais nous
reprenons rapidement le large pour rejoindre Saleccia (Lotto devant être la
halte du retour). L’heure de Bombard annoncée pour parvenir à destination se
double largement lorsque nous croyons parvenir à la bonne plage. Curieusement,
encore moins de monde (alors que des gros bateaux sont censés déposer quelques
dizaines de baigneurs pour la journée)
et un littoral sablonneux
largement inférieur au kilomètre annoncé. Le site enchanteur, avec vent et
vagues, formera notre chute pour le déjeuner.
Au
moment d’aborder la côte, quelques vagues inondent le fond du bateau dans
lequel traînaient mon appareil photo et ma sacoche avec les deux portables.
Premier désagrément : les trois appareils n’ont pas résisté. Un black-out
complet.
Le
Bombard tiré sur la plage, nous vidons le trop plein d’eau en le soulevant par
l’avant et les finitions s’opèrent grâce au frizbee.
Quelques moments de répit dans ce cadre magnifique, et déjà l’heure du retour
s’impose.
Une information
délivrée par un baigneur nous laisse circonspects : nous aurions largement
dépassé Saleccia. La première aperçue était en réalité et la deuxième et la
troisième comptée se situait bien au-delà du projet initial.
En
place dans l’embarcation semi pneumatique, avec vent de face et mer à remous,
nous entamons le chemin inverse. Au large de Saleccia, le moteur
s’arrête : panne sèche. La réserve de secours, bidon de cinq litres
visiblement loin d’être rempli, devait, d’après les dires du gars au départ,
nous permettre de rallier le port depuis cette plage. En réalité,
l’amphibologie du propos fixait la réserve comme un simple appoint. Après
l’épreuve du transfert d’essence d’un bidon à l’autre (aucun entonnoir ou bec
verseur intégré, évidemment !) sur un fond mouvant, l’angoisse de se
demander si cela suffirait.
Alex,
joyeux, s’amuse de cette situation, même après une demi-heure, lorsque nous
subissons notre second arrêt. Cette fois, plus d’autre solution que d’appeler
(avec le seul portable ayant évité le bain de mer) la location Dominique ou de
se faire remorquer par quelque âme généreuse. Après l’appel à un sbire de
Dominique, qui déclare que cela est une première (avec quasiment un ton de
reproche) nous poireautons au gré des mouvements trois quart d’heure. Pour BB
(peu rassurée depuis le départ) et moi, la nausée s’annonce croissante. A force
d’attendre, nous optons pour faire signe à un gros semi rigide de Dominique
location qui passe non loin. Avec ses deux cents chevaux, il peut nous remorquer
aisément, en gardant une vitesse raisonnable pour notre radeau Bombard à la
dérive. Ce sauvetage improvisé se prolonge jusqu’à la venue, très tardive, des
loueurs.
Réaction
curieuse de leur part : sans s’inquiéter de notre sort, et encore moins
nous faire part de leurs regrets, ils s’étonnent qu’on soit allé aussi loin,
nous accusant quasiment de mentir sur le parcours réalisé. Une première
anicroche de mauvais augure. Réapprovisionnés en carburant, nous rallions le
port avec un déplacement qui me semble un peu poussif.
Soulagés
du bon dénouement, il nous faudra subir les reproches du personnel qui
s’ingénie à nous charger de toute la responsabilité de cet écueil. Les voix
s’échauffent entre papa et quelques sous-fifres. Nous apprenons tout de même
deux carences révélatrices d’une suspecte façon de gérer : d’une part une
procédure pour baisser complètement le moteur (et avoir la puissance maximale)
qui ne nous a jamais été signalée ; d’autre part des réserves d’essence
qui ne sont jamais totalement remplies ! De plus en plus curieux. Louer un
bateau à la journée sans que l’on puisse effectivement naviguer à temps plein
constitue une tromperie sur l’objet du contrat ; ne pas avoir signalé
expressément le point limite au-delà duquel le carburant disponible manquerait,
et ne pas avoir correctement indiqué les manœuvres à faire caractérisent une
grave négligence.
Après
la réflexion de la nuit, papa avance une hypothèse qui relève de l’abus de
confiance, voire de l’escroquerie : la plupart n’allant pas au-delà de la
plage Saleccia alias « Sale à chier » selon le surnom donné par le paternel, le
Dominique, finalement peu plaisant, ne fournit pas le carburant annoncé et
facturé pour grossir les bourses de l’affaire. Se sentant pris en faute, ils
ont adopté l’attaque de mauvaise foi. Leur ironie trompeuse a gonflé jusqu’à
prétendre qu’une telle mésaventure n’était pas arrivée depuis quinze ans… à un
Anglais. Humour peu explosif et de mauvais aloi au regard de la réputation
maritime des Britanniques.
Voilà
les quelques petites crasses cumulées qui auront épicé la teneur d’une journée
prévue de plaisance.
18h25. Depuis la plage vers
Nonza, une grosse fumée s’élève au ciel, signe d’un nouvel embrasement.
De
l’actualité corse, à retenir la plaque commémorative de l’assassinat du préfet
Erignac brisée par des nationalistes. Une nouvelle provocation contre
l’hexagone qui cette fois-ci, heureusement, se limite au symbole.
Mercredi 6 août
Vers 9h. Après trempage dans
l’eau minérale, séchage à l’air libre et finitions au séchoir, aucune résurrection
technologique : nos deux portables et mon appareil photo ont bien trépassé
par le sel. Avoir laissé ces objets sans réelle protection contre l’eau de mer
confirme que nous n’avons pas un brin l’esprit marin.
Hier
soir, de retour de la plage avant Nonza,
un incendie dangereux par sa proximité d’un axe routier important (celui qui
fait le tour du cap Corse). Déjà, depuis le sable, nous apercevions une colonne
de fumée conséquente et le ballet des canadairs. La route nous a dévoilés
l’importance du brasier, avec des flammes ayant dévoré tout un pan de montagne.
Au passage de la circulation alternée par les pompiers, le point de départ de
l’incendie : encore un criminel, d’origine inconsciente ou volontaire,
comme souche du drame écologique.
Ce
jour, Alex et Raph au club du gîte, nous allons parcourir le cap Corse
en voiture, avec haltes sur quelques plages de notre choix. La chaleur lourde,
en ce début de matinée, préfigure une journée au mercure élevé. En espérant ne
pas croiser un fou du volant qui assombrirait cette expédition.
Jeudi 7 août
En
douceur automobile, le tour du cap Corse, mais dans une chaleur aux extrêmes.
La Corse doit certainement mieux s’apprécier aux saisons intermédiaires, et
notamment au printemps. L’absence de précipitations (depuis avril je crois) et
le prolongement de la canicule rend, par endroits, le maquis roussâtre de
dessèchement. Au cours de ce périple touristique, nous nous affligeons devant
des zones considérables devenues noirâtres
du sol pelé où seuls quelques cadavres dressés dans une raideur
carbonisée, comme surpris dans leur quiétude par les flammes, subsistent. Pour
les sites préservés, et heureusement encore très largement majoritaires, une
succession de vallées et de sommets, de communes comme perdues en leur sein, et
une mer qui entoure le tout, avec son gigantisme imprévisible.
Vers
19h50. Le nationalisme vu depuis une
voiture : les panneaux d’indication des localités avec les noms corse et
français, ce dernier étant plus ou moins efficacement couvert de peinture
noire, barbouillé de rage. Sur un local EDF, au bord de la route vers
Saint-Florent, un « Gloria a te Yvan » qu’on ne peut louper.
Inoffensives manifestations qui cachent de plus radicales actions.
Pour
finir en beauté, ce soir, restaurant au port de Saint-Florent avec une
dominante des produits de la mer pour régaler nos papilles.
Samedi 9 août
Après un retard de trois quarts d’heure du NGV,
nous avons passé la nuit dans un hôtel à Nice. Organisation déplorable à l’île
Rousse, sans aucune indication des procédures et lieu d’embarquement pour les
piétons sans automobile. Accroche verbale avec du personnel de la Société
Navrante des Cons Maritimes (SNCM) comme je l’ai déclamé en rage. Beaucoup plus
calme parcours, sans malaise et un gentil commissaire de bord qui m’a remis une
attestation de retard qui, j’espère, nous servira pour la SNCF (et peut-être le
remboursement de l’hôtel).
A la découverte de Nice…
13h24. Au coin des rues de Jésus et Sainte Reparate dans
la vieille ville pour se restaurer après une ballade amorcée sur la promenade
des Anglais et poursuivi dans l’artère verte aux ombrages salutaires pour
calmer les dégoulinements de tous pores.
Une ville riche où il semble faire bon vivre et qui
présente des façades et des voies aux antipodes de Marseille pour l’entretien
et la propreté.
Bilan très positif de la villégiature en Haute
Corse, générosité sans conteste de l’invitation, mais un trait de caractère de
mon père qui ne s’est pas atténué avec le temps : son côté râleur. La
capacité diplomatique d’Anna annihile l’éclatement en engueulade qui se
systématisait avec sa première épouse. Idem comme conducteur : lui si fin,
intelligent et sensible se laisse submerger par des énervements contre d’autres
au comportement qui ne lui convient pas à un instant T ; il aura le même
dérapage à T + 1 en étant dans la situation réprouvée auparavant contre ceux
qui ne s’harmonisent pas à sa lancée.
Des coups de sang amnésiques, en quelque sorte, où seule compte la satisfaction
immédiate sans entrave.
17h40. Dans un compartiment direction Avignon, descente
à Arles, avec ma BB qui dort et, depuis deux arrêts, une ravissante demoiselle.
Aux anges dans un brasier qui devient supportable en pleine course lorsque le
vent circule par à-coups bilatéraux. Le retour transitoire à Lyon, dès lundi,
s’annonce en ruissellement de sueur.
Lundi 11 août
De retour à Lyon, pour une pause de deux jours.
Vers 15 heures, au thermomètre digital avec capteur à l’ombre sur ma
fenêtre : 44°6 dehors, 34° dans l’appartement aux stores baissés.
Paradoxalement, la Corse figure parmi les endroits les moins chauds de
France ; Lyon culmine en tête de l’insupportable surchauffe.
À noter : aucun colis avec le Bon à tirer du Gâchis. Un envoi différé du fait de mon départ signalé à
Heïm ou nouvelle entourloupe ? Demain, j’enverrai un courriel pour
l’anniversaire et m’inquiéter de la bonne réception du colis posté jeudi soir
depuis Saint-Florent, malgré l’erreur de code postal qui a fusionné les
châteaux d’O et d’Au. Un PS signalera l’absence du paquet promis…
Nous devrions avoir au moins un portable pour notre
escapade germano-néerlandaise : le SAV d’Orange me reprend le modèle hors
service mercredi matin et m’en laisse un neuf (la carte SIM ne semble pas
atteinte).
Mercredi 13 août
Annulation du voyage en Allemagne et au Pays-Bas.
Hier, découverte d’un courriel de Helen (daté du 11 août) m’informant qu’elle
ne peut plus nous accueillir. La raison : son nouveau copain a dû quitter
plus tôt que prévu son appartement et venir habiter avec elle. La surface de
son logement ne permettrait pas une promiscuité à quatre. Elle le sait depuis
deux jours (le 9 août donc) mais n’a réagi qu’après réception de mon courriel
du 11 lui demandant de me confirmer le maintien de l’invitation. Sa seule
solution de remplacement : que l’on paie un hôtel sur place, soit 275
euros pour cinq nuits dans l’établissement le moins cher. Des frais non prévus
qui ne nous conviennent pas du tout. Qu’elle n’ait pas proposé autre chose rend
sa position suspecte : son ami ne souhaitant pas rencontrer un ex, par
exemple. J’aurais apprécié sa franchise et une vraie réactivité plutôt que
cette mise au pied du mur. La non-fiabilité de sa parole tient de la triste
découverte. Je ne crois pas qu’un quelconque lien à distance subsistera à ce
sale coup. Une déception humaine de plus ; le catalogue est varié !
Nous ne pouvons faire tant de route pour un séjour
de trois-quatre jours en Allemagne ! Encore plus désolé d’entendre
Aurélie, qui elle nous attendait sans défaillance, me révéler qu’elle vient
d’acheter les victuailles pour notre passage. Effets en chaîne du manquement
premier.
J’aurais moi eu à subir un impondérable ne me
permettant pas d’honorer une invitation, je n’aurais pas attendu deux jours
pour prévenir du changement, et ce par courriel (sans certitude de consultation
par le destinataire). J’aurais, au contraire, tout tenté pour joindre par
téléphone mes invités. On ne doit pas avoir le même sens de la relation humaine
avec la Néerlandaise. Exit donc !
Jeudi 14 août
De
retour en Arles après la défection de la néerlandaise. Le couple G. & F.,
en vacances, nous laisse leur vaste appartement pour dormir. Je sue toujours
autant, malgré la légère baisse des températures.
La
troupe arlésienne fonctionne toujours à merveille pour l’hospitalité tous
azimuts : Fanny & Kevin, Aude & Ben, Romy & Michel et nos
hôtes du séjour, autant de couples en amitié avec la sœur de BB qui nous
ouvrent leur porte par pure gentillesse.
Ce
soir, dîner chez Romy & Michel avec la famille B : de bons moments en
perspective qui se substituent confortablement aux plaisirs potentiels que nous
aurions retirés de notre petite villégiature nord européenne.
Vendredi 15 août
Vive
discussion sur l’art moderne et ses dérives simplistes et commerciales. Louise
en farouche partisane des expériences esthétiques explorées jusqu’au
minimalisme le plus suspect pour Romy et moi. Une bonne confrontation
argumentative, sans bouderie à la fin.
Eu
hier soir Ornelle au tél. Tout semble aller sauf son rapport aux parents qui
critiquent le choix sentimental de leur fille : un petit ami sans une
situation financière suffisante, sans charisme convivial… Insupportable
pression que j’ai bien connue, à une échelle plus subtile, avec Heïm. La non
prise en compte des sentiments d’Ornelle la braque légitimement. Et la voilà
bientôt repartie pour une année d’études sous le toit parental, et avec un père
en retraite. Les explosions s’annoncent fréquentes.
Samedi 16 août
A la
Paillote d’Arles avec les B, Grace (la sœur du père) et son mari Humphrey venus
en visite depuis Sanary. Le couple, aux membres plus qu’octogénaires, se porte
à merveille, forme physique et intellectuelle. L’époux, ancien ingénieur,
bénéficie d’une confortable retraite qui leur autorise des plaisirs variés en
voyages, restaurants…
Suis-je
vraiment en capacité intellectuelle de rédiger une thèse ? Il le faudra bien si je ne veux pas me
ridiculiser de fait aux yeux de tous. L’été n’aura pas galvanisé l’inspiration
de ce côté, ma plume préférant le vagabondage littéraire du Journal. La relecture
des treize premiers volumes du JL me fournit presque l’alibi d’une piètre
motivation à sortir des réflexions qui se tiennent face aux exigences
universitaires. De fermes résolutions à la rentrée calmeront, je l’espère,
cette tendance défaitiste chez moi.
Dimanche 17 août
Le
côtoiement plus prononcé de la famille B éclaire sur son propre caractère et
ma capacité à accepter certains systématismes. L’humour à répétition du château
laisse place à quelques dizaines d’anecdotes ou de bons mots qui reviennent à
fréquences diverses pour former le décor culturel du groupe, combler un blanc
dans la conversation ou relancer un thème abordé. Ces habitudes, qui ne sont
pas les vôtres, pourraient très vite former le ciment à critiques, et
l’auraient formé rapidement chez moi, il y a seulement cinq ans. Désormais, la
qualité humaine prime sur les manifestations extérieures plus ou moins
séduisantes.
Moi-même,
je dois passer à leurs yeux comme un peu taciturne, décalé dans certains cas,
violent du verbe dans l’autre, mais finalement l’intégration se poursuit.
L’immigration
familiale a parfois des allures cocasses : hier, le père B évoque le
journal Minute (il est aujourd’hui
plutôt de gauche et n’a jamais été d’extrême droite) qu’il a parfois lu, et
notamment la caricature de Mauriac avec cette légende, en substance : Dieu
a fait l’homme a son image ; on comprend pourquoi il tient à rester
invisible ! Allais-je apporter la touche de mon lien pseudo-familial avec
ce quotidien et la chronique éditoriale tenue un court temps par Heïm, La moutarde au nez ? Allais-je
déclamer mon adhésion d’alors à certaines plumes comme celle de Brigneau ?
J’ai préféré la discrétion. Peut-être qu’un jour je révélerai davantage ma
différence idéologique.
Dernier
jour en Arles, sans turbulence programmée : gueuletons, échanges et plage
aux Saintes Maries en fin d’après-midi.
Lundi 18 août
Pas de
plage hier avec l’orage pluvieux sur la région et la fraîcheur enfin retrouvée.
Nous nous rattraperons à Sanary que nous rejoignons aujourd’hui.
Aide
rédactionnelle à Louise pour une lettre adressée à la macif qui dénonce la tromperie sur travail prétendument
effectué du carrossier cqfd et la
courte vue (volontaire ?) de l’expert. La stratégie adoptée, en l’absence
de preuves matérielles solides, consiste à entremêler attaques lourdes du cqfd et ironie cinglante captatrice
d’attention pour faire prendre conscience à l’organisme qu’il en est la
première victime financière. Je prends un certain plaisir à concevoir ces
courriers polémiques, déterminés et à charpente semi-juridique solide. Reste à
attendre l’effet.
Hier
soir, verres partagés au bistrot arlésien (place du forum) avec les couples
toujours charmants Romy-Michel et Fanny-Kevin.
Mardi 19 août, 0h40
Curieuse
coïncidence : sur la route vers Sanary, j’évoque à BB ma seule venue dans
cette commune, en 1999 avec Sandre, comme dernières vacances partagées sous des
auspices amicales puisque la séparation sentimentale avait été décidée. Je
venais de m’installer rue Vauban lorsqu’elle me proposa de l’accompagner une
semaine sur la côte varoise dans un studio d’une de ses amies. En parvenant à
Sanary et en suivant les indications fournies par Grace nous arrivons (avec une
erreur de sens puisque venant de Six-Four et non d’Ollioule) avenue de l’Europe
unie. A la vue d’un tronçon de cette voie et d’une boulangerie qui le borde, je
reconnais l’alentour du lieu de résidence de ces mini-vacances 99 avec mon ex.
En tournant avenue des Prats, la Bastide et ses résidences : la grande
pour Humphrey et Grace, la verte pour Sandre. Les deux lieux sont à moins de cent
mètres l’un de l’autre. Incroyables retrouvailles avec cet endroit de
villégiature.
Adorable
hospitalité du couple d’octogénaires dans une forme olympique. Les voir ainsi,
après soixante ans de mariage (en 2006), réconcilie avec la vieillesse et
l’union maritale.
Pour
qu’un Journal conserve une relative attractivité, ne faut-il pas
s’exercer à la critique, même sur ses proches, ses familiers de l’instant ou de
toujours ? A méditer.
Mercredi 20 août
Visite
hier du village médiéval Le Castelet avec ses grappes de commerces à la
climatisation bénéfique. Fin d’après-midi, arrêt à la plage de Bonne
Grâce : un vent fort accentue la profondeur des vagues pour mon plus
juvénile plaisir. Fin de soirée au port de Sanary : déambulation entre les
rangées d’artisans dans cette zone rendue piétonne chaque soir ;
réservation de quatre couverts à l’Esplanade pour le dîner du lendemain ;
arrêt cocktail en plein air au café des Embriers avec en son de fond un groupe
de jazz s’essayant avec réussite aux accélérations de Django Reinhardt. Lors de
cette dernière étape, longue discussion avec ma BB (splendide dans sa longue
robe en lin crème et avec sa brune chevelure en liberté) sur le ressenti des
proches familiaux, les zones de contentieux du passé, les secrets gardés. Une
façon de mieux connaître l’autre et d’entretenir la complicité transparente.
J’apprends à cette occasion que ni ses parents, ni son frère ne sont au courant
de la tromperie de son ex avec sa sœur, si celle-ci n’en a pas soufflé mot non
plus.
Une
des explications d’un certain retrait affectif de BB à l’égard de ses parents
en comparaison des élans de Louise : lors des examens de son diplôme
d’infirmière, sa mère passait l’équivalent du bac pour pouvoir s’inscrire à
l’Université. Inquiète de ses résultats après la descente en règle d’une
examinatrice (les notes seront d’ailleurs réévaluées en commission pour tous
les candidats ayant subi ses foudres) elle se confie à son père. Celui-ci
s’exclame alors : « on a déjà bien assez de souci avec ta mère ;
toi tu n’as jamais eu de problèmes pour tes examens, donc tu n’as aucune raison
de t’en voir ! » Une façon, sans doute involontaire sur le fond, de
nier les angoisses de sa fille qui devait les assumer seule alors qu’on était
aux petits soins pour sa mère. Sujet enterré qui n’a fait qu’amplifier la
distance de BB née lorsque a suivi une sœur très entourée affectivement et un
frère difficile accaparant l’attention. La sœur aînée condamnée à se forger
toute seule.
Ces
informations intimes ne modifient pas l’appréciation largement positive sur les
membres familiaux mais subtilisent le tableau pour mieux comprendre les
rapports existants.
Appel
d’Aline pour me remercier du courriel envoyé avec la photo prise chez
Nardone. En Corse pour ses débuts de vacances, elle sera en séminaire à Arles
en octobre, débordant sur le samedi pour découvrir la ville le week-end où
malheureusement je serai à Paris. Je demanderai à Louise de lui servir de
guide. Moral pétillant, elle vient d’acheter un appartement parisien, situé
entre Montmartre et l’Opéra, dans le neuvième arrondissement. Un coup de foudre
immobilier qu’elle peut s’autoriser avec une si confortable situation
professionnelle. Nous sommes évidemment invités à la pendaison de crémaillère.
Avec
ma BB, au marché bric-à-brac de Sanary en fin de matinée, très porté sur le
vêtement. Retour au café des Embrières pour deux Monaco, le temps
d’échanger sur l’avenir, l’enfant éventuel, le déménagement avec achat
d’appartement : une douceur de vivre annoncée.
Aux
antipodes, côté sordide, l’attentat de salopards enragés contre la
représentation de l’ONU à Bagdad. Rien de bon à venir pour ce bourbier irakien.
Le coup d’éclat serait de les laisser se démerder tout seul. Un peu simpliste,
mais face à des actes décervelés de ce genre, pas d’hésitation.
18h.
De retour de Cassis pour une trempette à Beaugrâce. Impossible de retrouver le
joli jardin dans lequel j’avais vagabondé avec Sandre. Très faiblarde mémoire
des itinéraires sentimentaux passés.
Sur le
retour par autoroute l’historique désordonné des imprudences routières se
dessine au fil des kilomètres : les traces de gomme témoignent des
trajectoires délétères pour éviter tel autre ou comme signe d’une perte de
contrôle du véhicule lancé à vitesse excessive. Ces tracés plus noirs que
l’asphalte, tel autant de deuils portés par les voies, forment les restes très
discrets du crime des sociétés modernes.
Jeudi 21 août
Dernier jour plein à Sanary : un retour, en
très simplifié, dans les lieux visités en 99 avec Sandre (dont le numéro de
portable n’aboutit plus). Porquerolles la Grande nous accueille pour quelques
heures, avec un premier bain sur la plus longue des plages. Dans les sentiers
pour nous y mener, çà et là des détritus de porcs incurables. Toute parcelle
accessible au public est marquée par quelques humanoïdes décérébrés qui n’ont
même pas l’excuse des nécessités de l’instinct.
Dernier repas partagé avec Grace et Humphrey sur leur
terrasse avec une brise agréable. Une texture de vacances qui éloigne un peu
plus, dans l’illusion, la fin du compte à rebours de la reprise. La
conversation en vagabondage réactif permet d’effleurer ou de culbuter des
sujets très variés, et parfois récurrents, comme les défauts de la vie
parisienne ; la gentillesse discrète de Louis de Funès dans ses
apparitions au Cellier alors que son épouse (une de Maupassant) n’existait que
dans la parade méprisante ; la découverte enthousiasmante de certains grands
cimetières parisiens ; les tares de l’univers automobilistique…
Mardi 26 août
Et l’on serait encore dans un pays tempéré ?
La chaleur de ce soir, et depuis trop longtemps, liquéfie de l’intérieur, fait
dégouliner et ramollit cette merde d’écriture ! Si ces excès devaient se
banaliser par un dérèglement climatique dû aux activités humaines, nous
pourrons oublier le confort… J’écris vraiment n’importe quoi. Aucun intérêt ces
poncifs de seconde main.
Cette semaine, accueil de la compagne du frère
d’Anna, en quête urgente d’appartement. Très sympathique contact, mais, au
deuxième jour, encore plus angoissée face à la raréfaction des offres.
Mercredi 27 août
Mal installé pour écrire, hier soir, j’ai abrégé
mes réflexions pseudo universalisantes. Si j’avais retenu la lorgnette de
l’anecdote, j’aurais évoqué mon après-midi au bord du lac de la Tête d’Or, dans
un coin ombragé. Sur la branche au ras de l’eau d’un arbre couché, le cou d’un
canard avec d’un côté un corps flottant et bougeant au gré des vibrations de
l’eau, et de l’autre une tête invisible, car plongée sous la surface. Un canard
mort, donc. Alors que je tente l’analyse des citations sélectionnées du Journal littéraire sur l’art de la relation, quelques personnes
passent, sporadiquement, au bord de l’eau. Pour celles qui aperçoivent le corps
du volatile, des réactions diverses et peut-être révélatrices d’un état
d’esprit du moment, voire d’un trait profond du caractère : le gamin qui
jette quelques pierres pour vérifier l’état de l’animal, la femme qui affirme à
son mari qu’il est en train de boire, puis se retourne avec un terrible doute,
la mère qui comprend très vite l’état cadavérique du canard et détourne
l’attention de ses bambins vers les vivants… Une galerie de portraits qui vaut
toutes les analyses psychologiques.
A nouveau, aucun signe de Heïm depuis que je lui ai
envoyé livre et carte depuis la Corse pour son anniversaire et que, dans un
courriel lui annonçant l’arrivée du paquet avec une erreur de code postal, je
lui ai indiqué ne pas avoir reçu le bon à
tirer du Gâchis. J’attends,
j’attends : une promesse de plus en forme de trompe l’œil ?
Samedi 30 août
Premier
jour en dessous des trente degrés depuis longtemps. Cela incite à la rentrée,
commencée à un rythme très léger depuis une semaine. Forpro ne me propose plus
beaucoup d’heures et, malgré ma thèse, il me faudra trouver d’autres
collaborations sous peine d’assèchement financier. Toujours aucun goût pour la
carrière alliant ambition et progression. Moins je suis en contact avec
l’univers professionnel, plus en phase avec ma nature je me sens. Un matérialisme
réduit au minimum vital, un désintérêt profond pour les voyages lointains,
réfractaire à l’automobile, je me dispense de nombreux frais. Sans BB et nos
perspectives, je pourrais vivre avec très peu.
Eu
Sally au tél. hier, qui elle ne lésine pas sur les dépenses. Me remercie de la
carte envoyée depuis la Corse, et me raconte ce qui la séduite en Iran, son
dernier voyage. Pas un mot, pas une demande de nouvelles concernant BB. Il ne
vaut finalement peut-être mieux pas, car à la moindre allusion perfide, je
romprai.
A
entendre son analyse, un peu manichéenne, en forme d’éloge, de l’Iran au regard
de notre pays répandu dans la fange, je ne pouvais réfréner un détachement
idéologique. La chape religieuse, si elle maintient la population dans une
certaine tenue de vie, m’apparaît d’un archaïsme insupportable favorable aux
dérives sanguinaires. Je n’approuve pas pour autant les relâchements
occidentaux, dont le je m’en foutisme et la satisfaction à tout prix de ses
désirs rongent la civilisation, mais une autre voie que la religieuse pourrait
réinstaurer un peu plus d’humilité chez les peuples : une politique laïque
bien plus sévère, sans accommodements façon ventre mou et qui contraigne
l’individu à un peu moins de parade imbue. Seulement cette direction ne peut se
suivre dans l’ornière démocratique où l’on s’embourbe à force de trop lâcher
pour tous les corporatismes revendicateurs.
Mercredi 3 septembre
La
reprise est légère pour moi, trop légère pour mes finances : douze heures
hebdomadaires pendant ces quinze derniers jours, je passe, jusqu’en décembre, à
huit heures rémunérées par semaine. Forpro a nettement diminué les heures
d’enseignement allouées ; il me faut trouver des compléments… Inconscience
(?), cela ne m’inquiète aucunement… j’aurais un enfant à charge, le
ressenti changerait radicalement. Pour l’instant, cela me dégage du temps pour
commencer l’analyse des citations sélectionnées dans le Journal de
Léautaud.
Je
relisais hier les courriels échangés ces derniers mois avec Heïm : ses
promesses successives pour qu’une nouvelle fois je ne vois rien venir. Quelles
que soient ses raisons, le silence à mon dernier message (pour son
anniversaire) relève de la pignouferie affective. Impossible d’avoir
avec lui un rapport sain et carré d’auteur à éditeur. Je comprends mieux qu’il
ait centré son action, ces deux dernières décennies, sur la publication de feux
écrivains…
Notre
Président répond parfaitement au devoir de présence au nom de la nation :
en hommage aux trois pompiers grillés dans leur véhicule lors d’un déplacement
au sein d’un incendie de forêt, vers Cogolin ; en mémoire de la
soixantaine de défunts par la canicule, non réclamés, abandonnés dans leur
mort. Voilà bien deux travers gangrenant notre société : la satisfaction
de ses plaisirs, même les plus criminels (du feu allumé au véhicule lancé à
toute allure, le principe psychologique de l’actant s’apparente) ; et
l’égoïsme exacerbé qui nie la vieillesse, la maladie grave de longue durée,
tout ce qui assombrit sa propre existence, tout ce qui peut encombrer ou
parasiter ses illusoires activités.
Samedi 6 septembre
8h30. Quiétude d’une
matinée villageoise où le bruit automobile relève encore de l’exceptionnel.
Séjour exprès à Fontès pour fêter demain les 91 ans de grand-mère. Couchés dans
l’immense salle à manger du haut, où l’oncle Paul a installé un grand lit, deux
tables de nuit et un paravent de bois, je me laisse imprégner par le silence,
quasi inconnu dans la grande ville.
Ma BB
tente de grignoter quelques minutes de sommeil après une nuit agitée de
toussotements intempestifs. Nous devons consacrer l’essentiel de cette journée
à la visite de Sète et à la plage pour une éventuelle dernière baignade cuvée
2003.
Ce
matin doivent arriver l’oncle et Mariette : la période des vendanges
commence. Nous égayerons un chouia la vie monotone de ma grand-mère qui souffre
de plus en plus des jambes et dont chaque menu déplacement doit s’effectuer
accrochée aux meubles, mains courantes, poignées et murs avoisinants. Elle qui
« trottait » (selon son terme) toujours partout : cet
immobilisme contraint influe prioritairement sur son psychisme assombri. En
outre, une vue qui baisse et des lunettes inadaptées (elle traîne à prendre un
rendez-vous chez l’ophtalmo) la prive de lectures jusqu’alors abondantes. Il ne
lui reste donc plus grand à faire dans sa minuscule chambrée, hormis regarder
la lucarne TV qui comble le vide.
Jeudi,
reçu une carte postale d’Ornelle qui, à son tour, goûte les charmes corses dans une
atmosphère plus douce, même si les incendiaires sévissent toujours. Elle nous
demande de réserver les 20 et 21 septembre pour nos retrouvailles de rentrée
avec découverte des photos respectives.
Eu
hier Eddy au téléphone qui me confirme pendre sa crémaillère le 13 de ce mois
avec sa chère Bonny et une soixantaine d’invités. Nécessité absolue d’un beau
temps pour que le parc de la demeure puisse accueillir la troupe festive.
Malheureusement, ma BB travaille ce samedi et ne pourra, au mieux, que faire un
saut en soirée.
Les
amitiés lyonnaises ne s’étiolent pas, donc.
22h45.
Depuis le mou matelas de la chambre improvisée, je transcris les quelques faits
notables du jour.
Côté
perso. Visite de Sète et plage annulées suite à l’état nauséeux de ma BB.
Journée calme à Fontès entre les passages à La Providence pour voir grand-mère,
le farniente à la piscine de l’Evasion pour moi et le lit pour la malade. Le
soir, un peu régénérée, ma BB m’invite pour une promenade improvisée dans les
rues et ruelles : les lieux anciens ont été harmonieusement restaurés et
la propreté règne. Bien agréable mise en valeur du patrimoine immobilier. Comme
amorce du parcours, passage devant la maisonnette qu’occupaient en vacances
Denise (la sœur de grand-mère) et Jacques. Petit pincement nostalgique en me
revoyant toujours heureux de les visiter : une douce atmosphère m’érigeant
ce lieu comme un refuge enthousiasmant. Bien lointain souvenir surgit en vague
émotionnelle.
Demain,
arrivée de Paul et Mariette pour un déjeuner festif au Pré Saint-Jean de
Pézenas.
Dimanche 7 septembre
Vers 11h.
Côté international : une rentrée aux rebondissements éculés. La démission
du Premier ministre palestinien confirme l’indéboulonnable terreur réciproque
comme mode de gestion des désaccords territoriaux. Quand les relations de
voisinage s’accordent sur la nécessité du sang de l’autre répandu, aucun
fla-fla diplomatique ne peut faire accroire à une once de parcelle
d’espoir : la feuille de déroute s’envole pour l’automnale saison.
Vers
23h. Enfin dans le nid Vauban, section deuxième, après un trajet sous des
trombes d’eau tant attendues pour nos nappes phréatiques.
Repas
chaleureux au Pré Saint-Jean de Pézenas : décor feutré, menu semi
gastronomique aux saveurs originales et aux quantités bien dosées, un personnel
aux petits soins et un rouge 95 du domaine d’Ormesson, le tout gracieusement
offert par mon oncle. Grand-mère a pu profiter de cette rupture dans son
monotone quotidien.
Le feu
fol Lucien, issu d’une liaison entre grand-père et une femme mariée décédée
pendant la guerre, et reconnu comme fils légitime par grand-mère, a laissé une
situation juridique vaseuse sur le plan successoral. En faisant de son
compagnon de lit australien son héritier intégral avec la pernicieuse volonté
d’évincer sa mère du quart qui lui revient (un notaire véreux entérinant la
falsification des papiers remplis) il pond la première fiente ;
l’héritier, en faisant valoir ses droits sur la succession de grand-mère,
mitonne la seconde, sans conscience que l’affaire risque de lui coûter très
cher. L’oncle Paul consulte un avocat lundi : le conflit s’ouvrira pour
quelques années.
Pitoyable
Lucien qui n’aura honoré aucune de ses promesses et dont le seul présent
posthume a la forme d’un entubeur australien… Avec ce qui devait le faire grimper
aux rideaux, on peut saisir, mais sans l’excuser, la très suspecte
sélection en guise de cadeau empoisonné. Merci Luc !
Mercredi 10 septembre, 1h15
Une
rentrée qui d’un coup, avant-hier, juste avant d’aller écouter les notes
hésitantes, mais généreuses, de Woody Hallen, prend un tour de charnière :
ma jeune propriétaire m’annonce la mise en vente prochaine de mon lieu de vie.
Dès réception du courrier officiel, six mois pour lever les amarres et trouver
un nid à partager avec ma BB. Notre projet de vie commune s’accélère et devrait
prendre la forme d’un achat d’appartement, si un prêt est accordé.
Malheureusement, ma situation professionnelle est au plus bas, après avoir
volontairement abandonné certaines activités pour dégager du temps pour la
thèse… La priorité : obtenir de Forpro la signature du CDI (à temps
partiel annualisé) qui m’a été proposé il y a un an ; envoyer des
candidatures tous azimuts dans mes trois secteurs de compétence (enseignement,
édition, presse) et consulter nos amis les banquiers pour jauger leurs
largesses financières au regard du profil proposé. Pour BB, la solidité de sa
carrière devrait lui faciliter les négociations. Une franche étape dans notre
histoire qu’il va falloir gérer au mieux.
Rester
enthousiaste malgré le discours alarmiste tenu par mes chers Jacquard et Sfer
dans C dans l’air d’Yves Calvi sur l’ombre mortifère de Ben Laden, l’icône
terrifiante du XXIe siècle.
Jeudi 11 septembre
Dans
le cœur avec les victimes de la barbarie extraordinaire d’une religion dévoyée.
Choisir son camp sans tenter l’excuse tortillante qui légitimerait l’atroce.
Aucun motif, aucune argumentation ne doit tenir face à ce qui se prépare encore
dans l’ombre pour que, lorsqu’on y pensera le moins, une terreur encore plus
magistrale nous prenne à la gorge. On ne raisonne pas avec des nihilistes
sanguinaires prêts aux déchaînements chimiques, bactériologiques et peut-être
même nucléaires. À ce jeu-là, il sera trop tard pour échapper au massacre, à
l’extermination systématisée. Choisir la première puissance, c’est reconnaître
le camp de la civilisation même si, là comme ailleurs, les cadavres d’innocents
abondent. Les perspectives offertes par l’hyperpuissance semblent infiniment
plus vivables, parce que justement critiquables en son sein, que celles aboyées
par les islamistes al qaïdiens.
Lundi 15 septembre, vers 1h
Joyeuse
pendaison de crémaillère chez Eddy et Bonny à Messimy. Pour l’occasion,
écriture sur l’air de Sur la route de Sans un doute interprété
pour le couple. Sympathique journée et cadre rêvé.
Week-end
de labeur pour ma BB, sans saillance autre pour moi. Petit appel d’Ornelle : à
Arcachon avec Ivan, entrevue le week-end prochain.
M6 et
TF1 en cœur pour traiter du tragique gâchis des destins Trintignan-Cantat, et
avant tout du crime commis par le chanteur de Noir Désir. Ignoble dérive
impardonnable que cet acharnement à coups de poings bagués sur le visage si
délicat et fragile de Marie. Le barbare a gagné celui qui se prétendait artiste
sensible, à l’écoute des misères du monde : le voilà dévoilé en auteur de
violences conjugales extrêmes, en batteur de femmes, d’une femme, sa passion.
Et le motif ? Dérisoire : une méprisable jalousie mal placée. La
belle Marie figurait dans ma bibliothèque par un ouvrage de photos consacré à
Michel Jonasz, acquis lors de son spectacle Unis vers l’uni. La douce
Marie a malheureusement rejoint trop tôt l’univers du néant par celui qui
prétendait l’aimer.
Mercredi 17 septembre
L’émotion
charnelle est à entretenir…
Première
idée de ce qui pourrait nous être prêté pour l’achat d’un T4. Reste à comparer
les propositions et à partir en recherche de l’appartement retenu.
Clôture
du compte Histoire locale qui ne fonctionne évidemment plus depuis belle
lurette. Une façon de m’écarter définitivement de Heïm and Cie.
Aucune manifestation de leur part, manquement complet à leurs
engagements : qu’ils aillent se faire foutre tous autant qu’ils sont.
Désintérêt total désormais, si ce n’est comme sujet de défoulement.
Vendredi 19 septembre, 23h45
Une douzaine de propositions de prêt immobilier,
entre les rendez-vous traditionnels et les demandes via Internet ; une
vingtaine d’agences contactées dans le sixième : le branle-bas de
recherches est lancé avant même d’avoir reçu la lettre de ma propriétaire à
partir de laquelle courra un délai de six mois.
Encore une coïncidence curieuse : la première
proposition de visite faite par l’une des agences concerne un appartement sis rue de Sèze, au cœur du sixième, là même (l’adresse) où j’ai donné mon
premier cours particulier de la rentrée à une jeune fille d’origine indienne.
Lorsque le promoteur m’incite à aller voir l’immeuble avant tout projet de
visite, je réalise peu après le singulier hasard. Quartier idéal, mais
l’immeuble n’est pas très esthétique de façade (du crépis marron un peu
sordide). Reste à découvrir l’intérieur proposé.
Appris ce soir par téléphone l’installation de
maman et Jean dans leur nouvelle maison, réellement en campagne puisque les
portables sont inutilisables ! Pour nous, au contraire, le cœur de Lyon
s’impose et nous sied très bien.
Samedi 27 septembre
Un soleil automnal pour rompre l’ellipse
temporelle. Les journées libres sont vouées à la visite d’appartements, une
dizaine pour la semaine. Rien de séduisant tous azimuts, toujours un facteur
qui nous fait hésiter : la surface, le quartier, l’état, l’excentration,
l’immeuble, etc. Le seul qui nous aurait séduit, d’après les dires élogieux de
l’agent immobilier et notre propre découverte de la bâtisse et de ses alentours,
vient d’être vendu avant même que nous ayons pu le visiter. Petit coup au moral
qui ne doit pas occulter le temps qu’il nous reste pour trouver notre
nid : trois mois pleins hors délai de finalisation du dossier.
Côté relationnel, tout va bien : dîner samedi
dernier avec Joëlle et son compagnon, déjeuner et après-midi le lendemain avec Ornelle et Ivan. Ces amitiés contribuent aussi à ma détermination de m’ancrer à
Lyon.
Nouvelles de Shue : le couple a finalement
opté pour Deauville comme lieu de résidence. Je devrais les revoir lors de mon
passage à Paris, le 12 octobre.
Marianne m’informe de la suite de son tour du
monde : depuis la Chine, elle s’inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles.
Moins enthousiasmant, un énième message de Heïm,
peu compréhensible à l’enregistrement, mais dont je saisis l’essentiel des
antiennes : ses difficultés à obtenir l’exécution des ordres donnés (ainsi
le contrat d’édition que Monique doit m’envoyer depuis un an, mais « tu la
connais… »), le travail incommensurable, les aléas de santé… Heureusement
que ce rythme éditorial n’est pas celui adopté pour MVVF, sinon la prestigieuse
collection compterait vaillamment trois titres et demi depuis quinze ans, et
non les presque trois mille. Quelle bouffonnerie, ce projet !
Jeudi 2 octobre
Le lendemain de mes 34 ans, signature d’un
compromis de vente pour un appartement de cent mètres carré. Lundi soir, après
une dizaine de jours de recherches et une quinzaine d’appartements visités,
coup de cœur pour ce T3 aux dimensions confortables, (…)… tout cela nous a
conquis. Une avenue calme dans cette portion, aucun vis-à-vis ont conforté
notre choix. Certes, nous atteignons le plafond financier que nous nous étions
fixés, mais la douceur de vivre à venir mérite amplement cet effort, sur deux
décennies… Fin janvier 2004, ma période d’exil volontaire laissera la place à
une phase d’ancrage existentiel, loin, très loin du passé.
Dimanche 5 octobre, 0h10
Dernier jour pour mes 33 ans, avec une BB câline à
mes côtés. Légère angoisse à l’approche de la signature du compromis : en
espérant qu’aucune désillusion ne vienne
avorter ou assombrir ce beau projet. Après, ce sera le temps de
l’obtention du prêt, (…).
Point de matérialisme aigu chez moi, juste l’envie
de m’épanouir dans un lieu adéquat, à notre dimension et ne regardant que notre
union, sans ingérence manipulatrice au nom d’une pseudo affection. La limpidité
de cette vie ouverte m’offre une sérénité inégalée, sans doute au détriment de
l’intérêt testimonial.
Découverte de quelques sordides arcanes de la
politique extérieure française des années soixante-dix. Les Escadrons de la mort, selon le titre du documentaire, nés et
perfectionnés lors de la guerre d’Algérie, ont inspiré une véritable école
française de la terreur. Celle-ci a exporté ses savoirs barbares de la guerre
révolutionnaire à une grande partie de l’Amérique latine. Le général Aussaresses
confirme que les têtes politiques de l’époque (des ministres concernés au
Premier d’entre eux, et jusqu’au Président) étaient nécessairement, au minimum,
avertis, et plus certainement favorables à cette collaboration avec les plus
dures dictatures afin qu’elles pérennisent leurs fondements.
Nouvel attentat sanglant en Israël, par un être
sexué femelle (mais rien de féminin dans l’âme) qui s’est fait exploser dans un
restaurant bondé : dix-neuf morts, dont des enfants. La rétorque
israélienne ne tardera pas, et le bouclage des territoires palestiniens risque
de rendre difficile le retour d’Aude, la grande amie de Louise, qui restaure
des mosaïques à Gaza.
Mercredi 8 octobre, vers 0h30
Une pluie sans discontinuer pour fêter la signature
de ce compromis. Grosse circulation pour parvenir jusqu’à Saint-Laurent de Mure et une heure trente de rendez-vous pour obtenir une version complète du
document. Toujours un très bon contact avec le vendeur, un ingénieur d’origine
brestoise. Dernier obstacle : l’accord pour le prêt (…).
Vendredi 10 octobre
Ma BB sur le pont des urgences ce week-end, je
rejoins pour trois jours Big Lutèce, l’âme plus lyonnaise que jamais. Cet achat
partagé me lie, plus déterminé les jours passant, à celle qui favorise la plus
douce et tendre quotidienneté.
Le dimanche, je dois retrouver, chez papa, Sally et
Karl : j’avais hésité à leur révéler cette nouvelle phase d’existence.
Finalement, la transparence des actes qui servent la construction du chemin
choisi m’apparaît comme la plus éclatante démonstration du salutaire
éloignement, en douceur, d’un univers en trompe l’œil. Rien à cacher,
donc : communiquer mon enthousiasme, au contraire, et bien insuffler le
message (pour Sally, notamment) que je n’admettrai aucune attaque ad hominem
concernant ma BB. Shue et John me feront l’immense plaisir d’être également
présents à cette réunion dominicale inédite pour mes 34 ans, centrée autour de
l’affectif.
Ce soir, du musical fraternel vers la
Bastille : Jim et Bruce réunis pour jouer dans un café parisien, une
rareté à ne pas manquer. Maman, Jean, sa fille Candy et Aurélia présents.
Samedi 11 octobre, 2h30
Bien tard, mais il me faut fixer mes premières
impressions sur la nouvelle demeure de maman et Jean à Saint-Crépin : charmé
par les volumes, les poutres et l’apparence de fermette avec grange et
dépendances. Des travaux multiples à effectuer sur une base séduisante. Une
vraie campagne pour une douceur de vie.
Ce soir, Jim, Bruce et un batteur ont interprété
quelques standards du jazz : Bruce au piano force le respect par sa
dextérité autodidacte. Sa voie semble être vraiment celle de la musique.
L’espoir paraît donc toujours possible.
Dimanche 12 octobre
Retour dans les limbes semi alcoolisées d’une
après-midi effectivement très entourée. Shue et John adorables de gentillesse,
Karl généreux et plein d’humour, Sally aux conversations très nourrissantes,
papa et Anna en hôtes de choix, les petits frères appréciés de tous, et des
présents m’obligeant à emprunter une grosse valise pour ramener le tout.
Plus déterminé encore pour cette construction avec
ma BB, malgré les remugles mondiaux qui pourraient incliner au nihilisme. (…) Les
gestes conjugués de proches laissent espérer une humanité en phase avec le
meilleur de mes aspirations.
Mardi 14 octobre, minuit passé
Concert de Keziah Jones : agile en rapidité
d’exécution, mais avare en retours sur scène après le temps réglementaire. Un
public majoritairement assis, pour écouter ces frénésies musicales, a peut-être
déçu l’artiste, se limitant alors au minimum.
Vendredi 17 octobre
La
douceur de vivre avec ma BB me comble pour l’équilibre et la sérénité existentiels,
mais me prive certainement d’inspirations littéraires. Je dois me tourner vers
l’extérieur pour y puiser et exploiter des thèmes propices à l’indignation, à
la fascination, et en sortir quelques lignes.
Ainsi
la personnalité de Pierre Chanal, le disparu de Mourmelon comme le titrait
l’émission d’Yves Calvi juste après son suicide
« professionnellement » accompli. Cet enfermement absolu, cette fuite
du relationnel, et la part d’ombre qui a coûté la vie, et a sans doute privé à
jamais les familles en deuil des corps, à de jeunes hommes ayant croisé son
chemin et son regard vide d’humanité. Ouaille d’une Armée qui a refusé des
années durant d’admettre l’homo galeux en son sein, une justice et des
services d’enquête tutoyant la criminelle incompétence, l’affaire s’achève
selon la détermination de celui qui restera, légalement, présumé innocent. Un
parcours effroyable, une froideur sans faille qui rendent bien ridicules des
fulminations comme les miennes. Je conserve, heureusement pour mes proches, un
penchant pour les êtres dans leur individualité qui m’interdit ce nihilisme
pathologique.
Un
rappel de l’inefficacité affligeante de la force publique, quelles que soient
les gesticulations ministérielles : un tiers des condamnées à de la prison
n’effectue pas sa peine. La parade sarkozienne (selon la tradition de son
ministère et de celui de la Justice) se limite à l’arrestation et à la sentence
rendue au nom du peuple français. Après, c’est le rideau glauque des lâchés
dans la nature pour bien les inciter à ne pas répondre aux convocations
judiciaires, c’est le petit jeu procédurier qui transmue le droit en une
infecte caution des criminels aux dépens des victimes, c’est la bouffonne
perturbation et remise en cause de la justice rendue par les grâces présidentielles...
Le
vrai courage politique consisterait à supprimer les jap et imposer que tout condamné à de la prison ferme soit
incarcéré immédiatement, et non après des circonvolutions qui méprisent le
droit bien plus légitime de la victime à être effectivement réparé dans son
dramatique préjudice par la punition sans bavure du fautif. L’éthique
présidentielle devrait commander d’arrêter cette mascarade annuelle des grâces,
telles des carottes régaliennes qui reviennent à la négation de la justice
rendue. L’individu n’a pas abandonné la justice personnelle pour ce type de
système dévoyé !
Lundi 27 octobre
Un bon
moment, hier soir, chez Jean-Luc (le frère d’Anna) et son amie Barbara en
petite forme après l’abandon d’une formation en parfumerie, à l’origine de leur
installation lyonnaise. Désillusion face au contenu de cet enseignement et au
public rassemblé. Installés dans un bel immeuble cossu rue J.-M. Perret, à dix
minutes à pied de chez nous, ils ne semblent pas vouloir rester de longues
années dans la Capitale des Gaules. Cela me blesse presque lorsque j’entends
des critiques sur cette ville qui m’a accueilli pour une étape tellement plus
douce de mon existence. Si leur appartement a tous les avantages du neuf de bon
standing et se situe à deux minutes du parc, le choix de notre futur grand nid
s’en trouve renforcé dans ses volumes confortables et l’alliance du neuf dans
l’ancien.
Quelques
manifestations téléphoniques, plus ou moins inattendues : Ornelle qui veut
quitter son école de comptabilité suite, là aussi, à une déception sur les
contenus pédagogiques ; Sally qui voulait m’inviter, lors de notre
prochain passage à Paris, pour un déjeuner chez Suzelle ; Heïm, juste
avant un de mes cours particuliers, pour une prise de rendez-vous téléphonique
au lendemain, restée lettre-morte. Les manifestations sporadiques de Heïm (la
dernière probablement provoquée par sa mise au courant par Karl que j’allais
devenir propriétaire) ne me touchent plus. Je me sens totalement étranger à son
univers, sans aucune envie d’avoir des nouvelles, ni moins encore de le
visiter. Cet équilibre lyonnais m’a sans doute définitivement vacciné de tout
regret envers ce monde idéalisé durant presque trente ans. Seules des relations
duales, avec Karl notamment, pourront subsister. Même avec Sally la distance
est en marche : à chaque entrevue d’inacceptables sous-entendus (la
perfidie féminine) sur celle que j’ai choisie. Je devrai, un jour ou l’autre,
recadrer les choses en posant comme condition à toute poursuite relationnelle
la cessation de cette vase allusive. Relations qui se clairsemeront de fait
puisqu’il est exclu que j’incite ma BB à m’accompagner. La hiérarchie s’impose
naturellement : je ne verrai Sally que
lorsque l’absence de ma dulcinée me le permettra. Mon existence
s’affirme, depuis plusieurs années, ailleurs que dans ces rogatons de pressions
pseudo affectives. Mon engagement pour BB doit au moins équivaloir en
détermination (d’autant plus qu’il s’affirme dans la sérénité) celui de la
défunte adhésion pour le monde de Heïm. Si je n’éprouve plus un iota de
penchant pour cet univers, est-ce parce que je suis devenu un monstre
insensible ou parce que l’épuisement réciproque a été tel que rien ne peut
faire renaître chez moi une amertume, un regret, une envie… ?
Mardi 28 octobre, vers 0h30
De
retour du complexe cinéma de Brignais, seul endroit de la région pour voir Elephant
en version française. Grande déception face au navet palmé : des longueurs
qui se voudraient porteuses de subtilités, mais qui ne sont que des
longueurs ; un volontaire retrait du cinéaste qui affadit le tout. Un film
à la façon d’un terne documentaire. Le dernier quart d’heure centré sur le
massacre, perpétré par les deux déjantés, ne parvient même pas à captiver. Pour
le reste, une journée ordinaire filmée sans relief.
Dimanche 9 novembre
Nous
laissons Saint-Crépin pour retrouver Rueil.
Hier,
grosse journée physique pour Jean, Jim et moi : début d’évacuation avec
tri des briques du mur effondré côté voisin. Extraire, gratter,
transporter : mon corps a perdu l’habitude de ces efforts sur longue durée
et d’un séjour prolongé en extérieur par fraîche température. Résultats :
mains et poignets endoloris (la forme calligraphique s’en ressent), joues et
lèvres irritées, mais un bien-être de participer à la réfection de ce doux
lieu.
Mardi 11 novembre
Avec
comme Q.G. le bel appartement de Sonia (qui rentre ce soir) nous découvrons
quelques expositions : de Delacroix à Matisse, dessins en
provenance du Musée des Beaux Arts d’Alger, au Louvres, et Cocteau sur le
fil du siècle au centre Pompidou. Les ébauches en vue de tableaux futurs
ont parfois plus de charme, avec les imperfections de l’artiste qui cherche,
que l’œuvre finale. Chez Cocteau, les multiples angles de la créativité sont
densément dévoilés, passant sur les actes opportunistes moins reluisants. Parmi
ses envois pour l’une de ses œuvres, une enveloppe à l’attention de
Léautaud avec un petit ajout en haut de l’enveloppe rappelant, sous forme
d’hommage, sa haine de la guerre et son affection pour les animaux.
Hier soir,
retour au Café bleu (dont les travaux de peinture vont bientôt le rendre
saumon !) pour entendre jouer Bruce au piano, Jim à la guitare et une
accointance à la basse : des standards de jazz loin d’être défigurés par
l’interprétation.
Ce
matin, avec ma BB, exposition Doisneau, puis sur Cuba, et peut-être une visite
commentée des Catacombes pour le début d’après-midi. À seize heures,
rendez-vous chez Aurore, porte des Lilas, dont le petit a un an.
Mercredi 12 novembre
La
ferraille de précision se met en branle pour que l’on retrouve nos contrées
lyonnaises. Le bout d’chou d’Aurore et de Ramos a le sourire enjôleur et la
vivacité d’une heureuse première année. La maman, plus belle les années
passant, et le compagnon au français en nette amélioration, nous convient à
fêter cette première bougie qui trône sur une généreuse Charlotte au chocolat,
de quoi bien décorer le pourtour des lèvres du bambin. Quelques photos pour
fixer l’instant et nous nous en retournons vers la rue Tournefort où Sonia nous
attend.
Le
soir, dîner à quatre (Aline nous rejoint) au Petit Prince, restaurant à la
dense décoration et aux lumières tamisées comme je les apprécie. Occasion de
renforcer la complicité et de découvrir l’autre, notamment cette chère Aline
dont j’ignorais des pans entiers d’existence. Née au Maroc (mais d’origine et
de nationalité françaises), ses parents ne sont retournés dans l’hexagone que
pour lui permettre de préparer son bac, à 17 ans : un déracinement presque
traumatisant, pour elle, de se retrouver dans la ville nouvelle de Cergy
Saint-Christophe dans la grisaille de la banlieue parisienne. Cela explique,
au-delà des jalousies qu’elle pouvait engendrer chez d’autres filles de la
classe, sa mise à l’écart par une partie du groupe scolaire. Un peu en marge, comme
moi finalement, même si les causes divergent totalement et si la gestion de ce
retrait a différé.
Regret
de mon attitude involontaire lorsqu’elle me confirme son impression
d’alors : elle était persuadé que je la méprisais, ce qui expliquait mon
manque de rapprochement. Que d’occasions, de complicité perdues par ces
non-dits, moi qui croyais, au contraire, ennuyer les autres par un côtoiement
jugé inopportun.
Cette
quarantaine volontaire a sans doute favorisé ma créativité poétique de
l’époque, mais a considérablement retardé ma socialisation sélective qui fait
aujourd’hui mon équilibre. Un déphasage entretenu dans le culte du château et
qui m’a occulté d’attachantes personnalités au point de n’en retenir, bien plus
tard dans mon Journal, que d’inexactes déductions. Un mea culpa
littéraire minimum pour rétablir l’image de cette brillante jeune femme avec
qui j’ai partagé, de plus loin que je l’aurais souhaité, les bancs et sièges
des années bac et fac. Nostalgie largement compensée par le rare privilège de
ne pas l’avoir perdue de vue et de pouvoir aujourd’hui maintenir, voire
approfondir, les liens amicaux.
Lundi 17 novembre
L’affaire
des frégates vendues à Taiwan surpasserait de très loin le dossier Elf que la
justice vient de refermer. Le secret-défense, réitéré par les politiques de
gauche ou de droite pour dissimuler de gigantesques détournements de fonds,
voilerait aussi quelques éliminations de témoins gênants. Les terreurs
hirsutes de Sergio Leone paraissent bien fadasses à côté de la crapulerie de
ces cols blancs.
Mardi 18 novembre
Finalement,
au risque de me ridiculiser ou de passer pour un défaitiste, un fainéant ou que
sais-je encore, je ne ferai pas de thèse.
Je
ruminais cela depuis quelques mois, et le déjeuner au Convivium avec ma BB et
Shue a provoqué l’expression de cet abandon. Ma chère amie thésarde m’a avoué
le regret qu’elle avait d’avoir passé autant de temps sur ce travail dont la
récompense universitaire ne lui sert strictement à rien socialement. Certes,
cela fait bien et ceux qui en sont informés vous considèrent avec un
certain respect, mais rien de plus qu’une flatterie pour l’égo.
Ma
détermination à ne pas intégrer le mammouth public de l’enseignement
secondaire, l’impossibilité d’embrasser durablement l’université de son choix
sans agrégation, la signature d’un CDI (même à temps partiel) avec Forpro, la
perspective du remboursement du prêt immobilier (nous signons vendredi
prochain) et l’éventuelle monopolisation existentielle par un nourrisson :
tous ces facteurs me détournent naturellement du projet égoïste de thèse. La
motivation n’y est vraiment plus.
En
revanche, rien n’anéantit l’idée d’un écrit sur le genre du journal, via celui
de Léautaud. Cela se fera au rythme des plages de temps libre (comme la tenue
de celui-ci) et en fonction de l’envie et de l’inspiration. Voilà dont tournée
la page universitaire ouverte en septembre 1988 avec de nombreuses ellipses et
quelques changements de trajectoire. Tournée, à moins que la retraite me ramène
à ce projet… Le temps de voir venir, donc.
Appel
d’Ornelle pour m’informer du malaise, peut-être cardiaque, de sa maman hospitalisée
hier. J’espère que rien de grave ne sera décelé.
Samedi 22 novembre, 1h45
Le
prêt immobilier semble consenti (…). Une charmante interlocutrice de la
direction du réseau de Lyon doit nous expédier toute la paperasse valant offre
de prêt. Après divers paraphes et quelques signatures, retour après un délai de
onze jours pour la réflexion, selon les dispositions de la loi Scrivener.
Notre
projet va réellement aboutir : (…)… De curieux contrastes dans ma
situation, tout de même : (…). L’inconciliable a priori s’harmonise
finalement très bien.
Lundi 24 novembre
Le
gouvernement ressort son ventre mou face aux protestations catégorielles :
quelques grappes d’étudiants pour que Ferry face passer à la trappe son projet
de réforme ; quelques indécentes gueulantes de buralistes souhaitant la
reprise de la consommation de tabac pour qu’une batterie de mesures financières
ne parviennent pas à les calmer. Un porte-parole de cette profession fixe
l’ultimatum avant toute négociation : accepter sans condition leur
principale revendication (annulation de la hausse programmée pour janvier) et
ils pourront discuter... de l’air du temps sans doute ! Voilà une très
démocratique conception du compromis.
L’objectif
restant la baisse de la consommation, cette profession devra se reconvertir à
autre chose ou trouver d’autres ouvertures à son activité. Quelle politique de
santé publique pourrait prôner une baisse des tarifs, ou l’arrêt des campagnes
anti-tabac pour le simple et criminel confort financier de ces charognards
légaux !
L’alcool !
rétorque-t-on, pourquoi ne pas être aussi sévère avec ce produit. Parce que la
dépendance au tabac est quasi systématique et qu’une seule cigarette
quotidienne reste nocive pour la santé. L’alcoolisme est une dérive extrême,
mais un petit consommateur occasionnel ne risque aucune accoutumance, et cela
peut même être bénéfique (pour la microcirculation, par exemple). Le tabac est
une saloperie en soi, l’alcool devient dangereux pour les salauds de
pochtron : une différence essentielle.
Mercredi 26 novembre, minuit dépassé
Reçu
hier, par courrier simple, l’offre de prêt signée par notre interlocutrice de
la direction du pôle immobilier. La propriétarisation se confirme.
Toujours
dans Les plats de saison de Revel, quand l’intelligence et la clarté
percutantes atteignent les sommets. Sitôt achevés ce mets littéraire, je me
prépare une plongée dans d’autres de ses œuvres réunis par la collection Bouquins
et qui s’empoussièrent depuis plusieurs années dans ma bibliothèque.
Vu le
premier volet de 1900, à la gloire du communisme via l’Italie :
fresque ennuyeuse et à parti-pris caricatural. Sorti en 1976, en pleine
indulgence pour la terreur rouge dans les milieux gauchistes du bloc de
l’Ouest. Qu’il aurait fallu leur faire renifler du miséreux russe, de
l’intellectuel bulgare traqué et de tous ces peuples spoliés et massacrés par
cette si généreuse idéologie. Le
passé d’une illusion et Le livre noir du communisme retiendront
bientôt mon attention…
Vendredi 28 novembre
L’amalgame
beuglé par l’opposition comme un scandale de régression des droits de la femme.
Les
faits : un projet de loi voulant ouvrir un droit à réparation à la
femme ayant subi, par la négligence ou la maladresse d’un tiers, une
interruption involontaire
de grossesse. Le cas exemplaire : un accident de voiture qui fait perdre
son fœtus à la femme enceinte, drame ignoré par la loi actuellement. Le projet
vise ce type de cas et c’est tout ! Sitôt proposé dans l’hémicycle, les
idéologues baveux hurlent à la tentative pernicieuse d’atteinte à l’ivg. L’ânerie est reprise par les
médias, sans toujours expliquer la réalité de la règle proposée. Vraie
injustice pour le député à l’origine du texte qui ne souhaite que protéger et
garantir la femme enceinte dans la légitimité défendable de son état face à des
agresseurs (involontaires) possibles. Les féministes d’arrière-garde et
l’opposition malhonnête préfèrent qu’on laisse crever dans l’indifférence les
progénitures perdues contre le gré de celles qui souhaitaient devenir maman.
Curieuse conception de l’humanité de ces agitateurs dont le tour de passe-passe
sémantique, bien que sans subtilité, a fait illusion.
Mercredi 3 décembre, 0h50
Une
pluie dense depuis lundi soir, sans pause : un dérèglement climatique de
plus ou l’anodine conjonction de facteurs favorisant ces précipitations
exceptionnelles. Saône et Rhône gardent encore bien leur lit à Lyon, mais cela
n’empêche pas la ville d’être détrempée jusqu’au plus fin interstice de
l’asphalte.
Hier
soir, réunion pédagogique à Forpro. Evocation de l’accord professionnel, signé
par tous les syndicats représentatifs, qui remet en cause les contrats de
qualification diplômant. Menace éventuelle sur le métier de formateur… À
suivre.
Jeudi 4 décembre
16h. (…) Signature en cœur des
offres de prêt et renvoi au siège de la banque samedi prochain, pour respecter
les délais légaux.
Ce
soir, nous fêtons nos deux ans d’amour au Gabion, à cinq minutes à pied.
Finalement, les chiffres, nombres et dates peuvent aussi se colorer de tendres
connotations.
Prochaine
et dernière étape, la signature, le 28 ou le 29 janvier 2004 de l’acte
authentique de vente en l’étude B.
Dieudonné
à nouveau embêté parce qu’il ose faire de l’humour sur des sionistes
extrémistes de droite, ce qui, là, n’est pas une vue de l’esprit : ils
existent bien ! Marre de cette pression inquisitoriale qui empêche toute
démarche critique (et aujourd’hui même humoristique) sous peine de se faire
étiqueter d’antisémitisme. Même le parallélisme communisme-nazisme, qui vous
valait avant, systématiquement, d’être improprement accusé de fascisme, peut
désormais s’écrire, s’éditer et se défendre dans les médias. La zone sioniste,
impossible à tourner en dérision, ne peut qu’irriter et attiser davantage les
ressentiments.
À voir
le calme de l’humoriste face à une grappe surexcitée d’étudiants juifs, le
premier les invitant à entrer pour discuter, les second hurlant
« Dieudonné antisémite ! » dans un parfait ballet de terrorisme
verbal, on n’hésite pas longtemps pour identifier le camp de l’intolérance, du
sectarisme et de l’apriorisme revendicateur.
Dimanche 7 décembre, plus de 4h30…
Le
cycle de l’endormissement se fait attendre. Deux soirées consécutives à
vagabonder dans Lyon pour découvrir les manifestations lumineuses puis à
rejoindre un lieu festif et son chanteur ou sa chanteuse de choix :
vendredi au bar de la radio avec Gérald et le lendemain au Saint Louis avec
Bonny (et Elvis).
Jeudi 11 décembre, 0h15
Le
factuel rongerait-il ma plume au point de la rendre insipide ?
Replongée
dans l’univers de Tolkien via Peter Jackson, volet I. Les grandes forces du
bien et du mal et ses passerelles ambivalentes pour la saveur captatrice.
Ce
matin, dernier intervention à Forpro pour 2003. Le rythme professionnel demeure
très léger, et les rentrées financières également. Heureusement qu’un revenu de
remplacement complète les ressources. Toutes mes candidatures spontanées à
l’eau ! Ma thèse bazardée ! Mes ambitions littéraires au panier…
Allégé et serein, j’entrevois l’avenir dans la douceur partagée avec ma BB, au
sein d’un beau nid. Le reste m’indiffère.
Samedi 13 décembre, 0h40
Gentillet
troisième volet des Ripoux de Zidi, avec quelques rides bien assumées
par Lhermitte et quelques relâchements faciaux au charme jovial du père Noiret.
Le petit dernier, Lorànt Deutsch, tient son rang sans fausse note.
Liselle
(accompagnée d’une amie) nous rend visite ce jour pour partager un joyeux
moment. Ornelle connaît une difficile période familiale (tension extrême avec ses
parents et une grand-mère maternelle atteinte de paralysie partielle). Eddy et
Bonny demeure en forte complicité. Barbara et Jean-Luc consolident leur
installation. Joëlle et Charly partagent encore nombre de leurs week-ends. Le
relationnel lyonnais ne faiblit donc pas, même si la plume n’approfondit en
rien les composantes subtiles des évolutions de rapports.
Quant
au reste septentrional aucun signe et cela me convient parfaitement. Comme me
semble loin cette période vécue pourtant si intensément ! L’impression
d’un univers si étranger à moi aujourd’hui, qu’aucune parcelle de regret ne
pourrait germer, même en me forçant. Contrairement à mon père qui a toujours
conservé une certaine nostalgie de l’aventure humaine partagée avec Heïm, je
n’éprouve moi que soulagement à m’être éloigné et indifférence pour leur
devenir. Alors pourquoi écrire dessus ? Parce qu’intellectuellement cette
transmutation spontanée m’intrigue et que je veux inscrire ma révolution
psychologique en rupture extrême avec l’état qui a prévalu pendant les dix premières
années de ce Journal. Les témoignages successifs sur mon ressenti
forment une mosaïque littéraire à finalité purgative pour l’esprit.
Dimanche 14 décembre
Nouvelle
majeure en ce jour du seigneur : hier soir, l’opération Aube rouge (quel
sens poétique chez les militaires !) a permis au responsable des forces
armées présentes en Irak de s’écrier « On l’a eu ». S.H. passera son
Noël en taule et Bush Jr goûtera avec plus de décontraction les mets
proposés. L’extase serait atteinte si les troupes présentes en Afghanistan lui
faisaient le présent d’un Ben Laden menotté avec recherche de poux dans la
tignasse et la barbe grises par un médecin militaire. Ce doublé créerait la
stupeur dans les milieux et arcanes terroristes qui, peut-être, finiraient par
se déliter… jusqu’au prochain gros drame mondial.
Laissons
de côté ces extrapolations géopolitiques pour ne saluer, en ce week-end
historique, que la victoire parachevée des Américains sur le Satan Hussein.
Lui, si maniaque pour les questions d’hygiène, a été retrouvé dans un fin fond
de cave sordide aux environs de Tikrit, dans sa terre natale, la barbe blanche,
les cheveux hirsutes et l’apparence négligée. Quoi de plus normal avec cette
traque forcenée… Six cents hommes mobilisés pour cette opération, avec un
premier coup raté et, deux heures plus tard, une arrestation en douceur, sans
un coup de feu, et un Saddam coopératif lors de l’inspection médicale.
Alors
que ces événements cruciaux se déroulaient sur les terres irakiennes, ma
contrée lyonnaise entretenait mon insouciance jouissive. Liselle, Line et ma BB
pour se régaler au Pique Assiette (saucisson chaud aux lentilles suivi d’une
quenelle lyonnaise pour moi), se balader dans le vieux Lyon, monter en
funiculaire à la basilique de Fourvière, puis redescendre par les jardins en
espaliers avant de rejoindre le bercail via la place Bellecour, la rue de la
République et la place des Terreaux. Un apéritif copieux dans mon antre pour
achever en joie cette belle journée. Une complicité de tous les instants que je
prolonge la nuit au Red Lions avec
Eddy et Bonny.
Autant
de festivités amicales ne pouvaient qu’être la célébration anticipée,
simultanée, puis avant toute divulgation, de l’heureux événement pour le camp
occidental, une bonne partie de la population irakienne et quelques dirigeants
arabes.
Mardi 16 décembre, 23h30
La
morphologie du visage barbu de Saddam Hussein m’a rappelé un visage naguère
familier…
Mercredi 17 décembre
Fatigue,
quand tu court-circuites la déjà faiblarde inspiration !
Mardi,
vers 18h, message de Heïm sur mon portable. Auditivement alcoolisé, quelques
rasades de Bison flûté ayant imbibé le désespéré, il m’adresse un
discours peu cohérent, mais chargé d’antiennes. La non-parution du Gâchis ? C’est maintenant la faute
de Karl ! Cela ferait trois mois que Heïm se battrait vainement pour cette
parution. Se rend-il compte du ridicule de cette justification ? Depuis
quand sa détermination ne peut-elle plus obtenir une tâche professionnelle de
son fils ?
Jeudi 18 décembre, 0h15
Mon
intérêt pour rendre compte du message délirant semble pour le moins étiolé. Le
contenu en vrac n’attire en rien la fibre enthousiaste, mais ferait plutôt
remonter des atmosphères fuies. Les quelques photos de la réunion à Rueil,
envoyées par courriel à Karl, lui sont tombées sous les yeux fortuitement et
l’amène à la déclaration confuse de trouver ma « petite amie
magnifique » (attribution à Shue d’un statut imaginaire), de faire
allusion à ma mère (évidemment absente à cet endroit), d’évoquer le regret d’avoir
payé un avortement (allusion à un sordide événement qu’il aurait géré avec
Sally ?) et quelques autres énigmes du même acabit. Seule vraie et
terrible information délivrée : le mari de Béatrice (la fille de Maddy
chargée de l’intendance du château d’O, lorsqu’elle y était) s’est pendu !
Heïm ajoute qu’il me révélera, si un jour je le revois, le nombre de gens qui,
autour de lui, se sont supprimés « derrière leur dégoût ». Voilà en
plein la logorrhée verbale à l’œuvre.
Décidément,
rien ne va plus dans ma perception du personnage… L’indifférence doit expliquer
ma difficulté à rapporter ces propos. Qu’à chacune de ses interventions il
m’avance une nouvelle raison à la non-parution du Gâchis confine au
comique. Il lui faut bien tenir la promesse faite à mon père que ce Journal
ne sera jamais édité. Dérisoire gesticulation épisodique. Je n’en veux pas de
son incertaine volonté affichée de me publier. Restons-en là, et que mon
engagement à ses côtés croupisse à l’endroit adéquat.
Dimanche 21 décembre, 9h
Après
mon courriel expéditif à Heïm, le premier du genre, nouvel appel que j’ai
volontairement laissé pour ma messagerie. En résumé : il souhaite vraiment
que ce Journal paraisse, mais il faut me tourner vers Karl, car lui ne
peut plus rien et que le reste de la maisonnée (en clair Monique, son épouse
et, peut-être, en seconde ligne, le couple Hermione-Angel) me voue une haine
qui fait bloc contre cette parution.
Voilà
qui me ravit ! Qu’il est doux d’être détesté par ceux que l’on découvre
avec le temps pour ne plus éprouver à leur endroit que mépris et indifférence.
Pour Heïm, il reste de l’affection et un intérêt humain qui me poussent à
rapporter ses tergiversations plus ou moins alcoolisées, mais ses compagnes
monomaniaques, quel terne sujet ! Leur abhorration (si cela est exact) m’est donc d’une douceur
infinie…
Je
vais donc suivre les conseils de Heïm, pour voir… Me tourner vers mon ami Karl
et tenter de donner la dernière impulsion pour la sortie de ce malheureux Journal,
dont la tonalité décennale s’éloigne de plus en plus de ce que j’écris
aujourd’hui. Peu importe. Comme nous le répétions en cœur avec mon père lors
d’une vive discussion avec Jim (et BB secondairement) sur le château, quelles
que soient nos critiques actuelles, nous ne rejetons rien de ce qui a été vécu,
sinon ce serait se renier un peu soi-même.
Flotte
et faible luminosité incitent à rester sous la couette pour ces perverses
pensées.
Vendredi
soir, je retrouve quelques formateurs de Forpro pour une choucroute à la
brasserie Georges. Occasion d’affûter mes arguments pour défendre la politique
étrangère des Américains, et ce sans connaître leur dernier coup de maître,
tout en diplomatie cette fois, à l’égard de la Libye. Kadhafi renonce à toute
arme de destruction massive : la trogne hirsute de Saddam a dû accélérer
la cogitation de cette autre fripouille sanguinaire.
Mardi 23 décembre
Du
sec, du froid, dans les plaines qui défilent, quelques sommets blanchis au loin
dans un mouvement beaucoup plus lent, chaque plan du paysage hivernal progresse
au rythme de sa distance relative du pur-sang Alsthom, grand metteur en
mobilité de cette nature domestiquée. Le Cdivers XII m’entraîne, lui aussi,
vers des contrées changeantes, mais d’ordre musical : Sting, Alanis
Morissette, Buena Vista Social Club, Björk… La tournée des fêtes s’amorce sous
de bons auspices.
Mercredi 24 décembre
11h30.
Quelques travaux conséquents réalisés par Jean dans la grande pièce chauffée
par un feu de cheminée à notre arrivée (Jim et Aurélia s’étant joints à la
dernière étape de notre voyage). Puisque le diariste se distingue par la
spontanéité sans fard, je dois confier préférer l’ambiance bon enfant de
Saint-Crépin à l’atmosphère parfois crispée (bien que toujours basée sur
l’accueil convivial) de Rueil. Pas un problème d’importance affective, mais du
ressenti de situations accumulées et d’adéquation de caractères multiples.
L’espace de vie doit aussi constituer un facteur favorable au pôle
maternel : du volume pour évoluer, des chambres pour chaque couple. Encore
une fois, nulle intention de hiérarchiser les liens familiaux, mais de faire
part d’un impact différent des cadres et des gens côtoyés.
Revel
mettant au jour les arcanes inavoués des systèmes philosophiques qui se sont
succédés au fil de l’histoire humaine, voilà de l’ardu captivant. Pourquoi des
philosophes ?, essai polémique paru en 1957, conforte mon enclin
littéraire pour cet esprit à la fois alerte, profond et insoumis aux pensées
ambiantes. Son démontage, point par point, de l’approche lacaniste de la psychanalyse
freudienne m’a remémoré la seule image de Lacan. Lors d’une conférence devant
une assemblée d’étudiants, un barbu-chevelu s’invite sur l’estrade et,
bousculant un peu l’esprit fort, inonde et recouvre les notes étalées sur la
table de liquides et détritus variés. A Lacan qui, très calme, lui demande de
s’exprimer aussi par la voie plus intelligible de la parole, l’hirsute
soixante-huitard improvise la légitimation de son coup de force et quelques
revendications plus ou moins absconses. Image sympathique de l’exégète de Freud
aujourd’hui largement ternie par la cristallisation revellienne de ses
approximations intellectuelles pour servir la pseudo cohérence de son système
d’approche du freudisme.
Vendredi 26 décembre
Le
ferroviaire à nouveau pour rejoindre les terres nantaises, en prévision de la
troisième réunion familiale, versant B.
Bilan
festif, entre deux rails : de la bonne boustifaille en proportion
pantagruélique, bœufs musicaux portés sur le vacarme rythmique et Loto avec
animations délirantes filmées pour partie chez maman ; confrontation
réchauffante au ping-pong et rallyes à toute berzingue à travers les paysages
de Grèce, de Monaco et d’Argentine via la console de jeux Sony chez papa.
Projet
d’agrandissement de la maisonnette de Rueil avec création d’un vrai premier
étage par la surélévation du toit et l’extension de l’immeuble sur l’arrière
pour augmenter la surface de la pièce principale et créer une terrasse. La
demande de permis de construire vient d’être déposée dans l’urgence pour cause de
prochain P.O.S. plus restrictif qui hypothéquerait l’élévation de la hauteur du
bien. Si le tout se réalise, l’adorable maison de poupée deviendra un nid très
confortable pour ses hôtes. De quoi supprimer la promiscuité et contredire une
partie de mes réflexions du 24 courant.
Alex
et Raph poussent toujours, et les caractères s’affirment.
Samedi 27 décembre
Sans
nouvelle du monde, nous apprenons sur la route, vers la gare de Méru, le
tremblement de terre qui a secoué le sud de l’Iran, vers Bam. Le premier bilan
avancé, dix mille morts, s’enfle au double ce matin dans Ouest France. Ma
première pensée va à Shue et à sa famille qui vit encore là-bas. Je lui adresse
un texto : « Mes plus affectives pensées après le drame arrivé dans
ton pays natal. Biz de nous 2 ». Puis je songe à tous ces religieux qui
continuent de croire à une force intelligente supérieure. Pourquoi avoir frappé
ce coin pauvre, chargé de trésors archéologiques réduits en poussières ?
Les infidèles ont, eux, repris deux fois de la dinde ! C’est la position
du laisser-faire rétorquent les croyants : l’être humain est responsable
de sa destinée (et du jeu mortifère des plaques terrestres bien sûr). Il est
vrai que la cause de l’hécatombe se trouve non dans l’agitation du sol, mais
dans le type d’habitations édifiées. N’avaient qu’à se payer des demeures à
fondements antisismiques ou vivre dans des cahutes légères qui ne tuent pas en
s’écroulant ! Argument pas plus cynique que ceux des monomaniaques de la
foi. Si, effectivement, le dieu n’a de sens que pour laisser l’homme se
dépatouiller tout seul, aucune raison ne justifie de croire en lui, si ce n’est
la perte de temps pour vivre plus densément le temps imparti.
Dimanche 28 décembre
La fin
d’année approche au Cellier. Hier soir, sortie avec Louise (ma BB ne se sentant
pas très bien) pour retrouver, dans un pub nantais, François et son amie Emma.
Au cours du trajet, j’expose les raisons qui m’ont décidé à abandonner ma thèse
sur Léautaud. Avant tout, une absence, de plus en plus ancrée, d’ambition. Et
puis, en vrac, mon allergie au secteur public (sauf le domaine universitaire et
là, seule une inatteignable agrégation me servirait), l’inutilité de ce diplôme
dans ma position professionnelle, les petits accrocs avec celui faisant office
de directeur de thèse, à propos de mon style, et une démotivation générale. Les
priorités des années à venir : rembourser le prêt immobilier et assumer
l’éventuel bambin à venir. Ce dernier sujet fait d’ailleurs l’objet, de la part
de la famille B, d’une gentille pression pour que je ne m’arrête pas à l’unité.
Je n’en démordrai pas : il n’en est tout simplement pas question. Seul
l’accident de jumeaux m’obligerait à cumuler les progénitures. Si ma fibre
paternelle m’avait tenaillé, je m’y serais pris beaucoup plus tôt.
J’envisageais très sereinement une existence sans descendance et mon
acceptation de concevoir UN enfant n’est que le couronnement d’un amour et non
la finalité de la reproduction en elle-même. Aller au-delà de l’unité
risquerait d’entacher l’épanouissement fragile trouvé dans ce lien.
Lundi 29 décembre, 0h15
La
galerie humaine offre parfois, dans une même journée, des contrastes abyssaux.
Ce
midi, alors que nous nous apprêtions à entamer l’apéritif, la sonnette d’entrée
dérange la sérénité harmonieuse de la réunion. Une accointance des parents B à
la recherche d’un Ave Maria. En possession d’une interprétation de ce morceau
par Joan Baez, la mère B invite ce monsieur V. à l’étage pour partager un verre
avec nous. Dès la poignée de main échangée, j’ai senti que pas la moindre
parcelle de complicité, ni l’ombre d’une once de sympathie ne pouvait germer
avec ce bougre : une verbalisation bruyante et sans intérêt, une volonté
de placer quelques mots ou répliques au sens de la répartie plus qu’émoussé, une
inconscience de soi rendant impossible toute amorce de dialogue raisonné, un
rapport à l’autre fondé sur le rabaissement d’autrui pour mieux gonfler sa
propre médiocrité… Le summum est atteint lorsqu’il nous révèle les surnoms
donnés à ses enfants (aujourd’hui dans la vie active) :
« pétasse » pour l’aînée, « pétassine » pour la cadette et
« pétassou » pour le benjamin ! Quelle magnifique preuve
d’affection. Archétype de la grande gueule vieillissante, baudruche sonore à
éviter au plus vite.
Ne
voulant pas mettre les B dans l’embarras, j’ai limité la charge de mes attaques
à quelques remarques légèrement cyniques, juste pour marquer mon détachement de
sa lourde prestation.
Au
moment de son départ, ayant sans doute ressenti mon hostilité, il me tend une
main à regret en ajoutant « à vous je ne vous dis pas au plaisir ».
Ce qui ne m’inspire rien d’autre qu’un « au revoir et à
jamais ! ».
14h.
Le soir, dîner chez une Nathalie, retrouvailles pour BB d’une copine d’études
d’infirmière, et son mari Philippe. Aux antipodes du braillard précité, ils
permettent une soirée agréable. Je décèle même des affinités intellectuelles
avec le mari aussi peu séduit que moi
par l’univers automobile et ayant passé à contrecœur et tardivement son permis.
Le
penchant cyclothymique n’a pas disparu : je traverse toujours des phases
de morosité sans cause déterminée. Le vague à l’âme ternit des moments
d’existence et tout ce qui m’entoure perd sa saveur habituelle.
23h35.
De retour de chez Laure et Daniel. Leur petite Lina vit sereinement ses
premiers mois de bébé, alors que ses parents cumulent les angoisses
financières. Leur affaire, pourtant en progression de 20% sur un an pour
le volume d’activité, ne peut toujours pas leur dégager un salaire décent. En
écoutant Daniel me détailler ses mésaventures avec son
banquier, je me retrouvais dans mes affres passées de chef d’entreprise. Ô
combien je n’étais pas fait pour ce statut. Du petit commerçant au gérant de
PME, le combat quotidien avec les administrations publiques et les banquiers
monopolise un temps précieux dont l’activité principale est privée.
Mardi 30 décembre, 23h
Pour
finir l’année, rien ne vaut une bonne confirmation de ses certitudes. Dès notre
arrivée à Lyon, je vais consulter mes nouveaux courriels. Parmi eux, un de Heïm
dont la méprisable tonalité m’a poussé à l’effacer sans l’imprimer, tellement écœuré
par la tournure d’esprit malfaisante.
Il
m’offre un petit tour d’horizon des échecs de ceux qui se sont éloignés de son
univers : les Béatrice, Alice, Hubert, Maddy et Sally comme autant de
confortation dans ce qu’il avait prévu pour chacun, comme autant de petites
merdes rendant plus brillant son parcours. Le discours à la Pomponnette,
me visant indirectement comme l’un des « ratés », s’impose en
caricature.
Ce
racleur d’informations, qu’il tourne à sa sauce pour maquiller sa propre
déchéance, me donne la nausée. Il a dû bien gratter Karl et Sally, pour en
savoir un maximum sur mon actualité professionnelle et sentimentale, le tout
l’autorisant à ce dégueulis indirect sur mon compte. Eh bien je l’emmerde le
vieil alcoolo ! Et je ne veux plus entendre parler de son projet éditorial
de merde ! Et qu’il ne dérange plus ma douce et tendre existence avec ces
remugles d’une préhistoire de vie.
Ce qui
le dérange dans la publication du Gâchis ? Que je malmène, vers la
fin, un banquier de la Caisse d’épargne qui tardait à débloquer un prêt pour la
SCI et qui, aujourd’hui, est tout amour et aurait permis de sauver la situation
de cette structure et des finances du château, pour laquelle le feu patriarche
n’était aucunement responsable ! Bien sûr, bouse et trahison ne sont les
pratiques que des autres. Si ce n’est pas le modèle le plus détestable de
l’opportunisme affectif et social… qu’est-ce ? À l’époque, il se
contentait très bien que je m’occupe de ce dossier, et les retards existaient
objectivement. Au prisme d’aujourd’hui, cela ne compte plus et mieux :
cela n’a jamais existé. Le révisionnisme malhonnête et permanent de son
histoire ne pourra que laisser perplexe ceux qui voudront, sans parti-pris
préalable, étudier l’être dans sa globalité. Tout ce qu’il souhaite, c’est que
je renonce moi-même à ce projet d’édition, le dispensant de renier sa parole,
ou que j’accepte de repasser sous ses délires pseudo purgatifs. Il a gagné pour
l’option première : je ne veux plus du Gâchis
[le rebaptisé Journal à œillères] sans
À l’aune de soi [le Journal à taire] qui contrebalance la
vision. Cela ne se fera donc jamais du vivant de Heïm. Je n’ai pas envie de lui
offrir ce dernier plaisir ! Je cultiverai jusqu’au bout l’apparente
distance affective pour mieux noter ici mon rejet grandissant. Berner un
manipulateur ne peut soulever l’indignation.
Mercredi 31 décembre, 18h30
Aux
antipodes de cette fulmination, je m’apprête à rejoindre l’auberge des Tours
avec ma BB et Liselle. Eddy, Bonny et Gérald doivent nous y attendre pour une
soirée chaleureuse et en mélodies dansantes. Voilà qui me retient à Lyon sans
retour possible. L’année 2004 initie la construction avec ma dulcinée…
Perspective idéale.
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