2004 – À l’orée des équilibres
Samedi 3 janvier
Dans
deux jours, une reprise en douceur pour moi, alors que ma BB effectue son
week-end de labeur en compagnie d’intérimaires, ce qui alourdit sa tâche.
Reçu
un mail de Daniel B. pour une visite de l’appartement à vide avant la signature
de l’acte de vente, le 29 janvier. Le 15 courant à 14h, nous reverrons ce coup
de cœur immobilier pour le mitrailler de photos… Dans les vœux de bonne année
échangés, il nous souhaite d’être aussi heureux dans ces lieux et ce quartier
qu’eux l’ont été. Les rapports avec ce monsieur, probe, auront été idéaux pour
cette transaction.
La
nuit de la Saint-Sylvestre a été, certes, festive, mais Liselle ne semblait pas
très en forme, souffrant sans doute de l’absence de son petit ami encore retenu
dans son foyer en perdition. Espérons que la résolution de cette ingérable
situation s’impose vite.
Aucun
vœu envoyé à Heïm et à son entourage. Pas plus qu’à Sally ou à Hermione. Moins
je me manifesterais auprès d’eux, mieux je me porterais. Le dernier courriel du
feu inspirateur m’a révulsé et n’a fait qu’accentuer ma méfiance à l’égard de
tous ceux qui conservent un rapport avec lui. Qu’il en sache le moins possible
sur ma vie. Ne devrais-je pas profiter de ce déménagement pour couper
définitivement tout lien ?
Dimanche 4 janvier, 23h55
Toujours
édifiant de regarder L’année du zapping
qui focalise le plus souvent sur le pire de la tv.
Ainsi
les divers extraits des très nombreuses émissions mettant au premier plan, dans
un sordide à paillettes, quelques ordinaires qui ne peuvent répandre que leur
misérable médiocrité. Toute la palette des pôles humains se retrouve ainsi
envahie par d’ineptes décérébrés : l’aventure, le cul, l’art... Sans honte
et sans conscience, et pour la seule extase d’être vu à la télé ou de croire à
son pseudo talent, ces inconnus d’hier et échoués de demain servent le système
économique des grandes chaînes (TF1 et M6 en tête) puisque leurs congénères se
passionnent pour cette culmination du non-événement, du rien mis en scène, du
néant sous les feux de la rampe.
Je ne
gâcherai même plus du temps à regarder ces échantillons brenneux de la
« télé-réalité », un réalisme de chiottes, oui !
Hormis
ces furoncles télévisuels, nous retrouvons les grands événements de l’actualité
sanglante, et au premier rang la guerre-éclair en Irak et sa suite
interminable. Parfois, la traduction des propos tenus diffèrent jusqu’aux sens
opposés d’une chaîne à l’autre. Ne jamais oublier la part de manipulation dans
l’information qui sert le conditionnement du téléspectateur via la propagande
clandestine entretenue.
Nausée
et dégoût, voilà les effets de ce zapping subjectif.
Mercredi 7 janvier
Toujours
plus affligeants ces consommateurs, lors du lancement des soldes, prêts à se
marcher dessus dans l’hystérie, pour réaliser quelques bonnes affaires. Et
certains d’entre eux osent critiquer le système capitaliste qui tolère leur
pitoyable spectacle ! Monde de couillons qui ne méritent que d’être
exploités jusqu’à l’os.
Jeudi 8 janvier
Mardi
soir, Heïm parvient à m’avoir au téléphone en masquant son numéro. Occasion de
s’expliquer sur son dernier courriel et de jouer la carte affective. Je donne
le change et reçois durant trois quarts d’heure un quasi monologue sans
nouveauté : toutes les merdes sortis de son univers, le voilà plus riche
que jamais, la réussite en marche ; circonvolutions autour du Gâchis
qu’il veut voir paraître mais contre lequel son entourage fait blocus ;
distinction qu’il fait entre moi l’écrivain qu’il apprécie et mes choix
existentiels qui m’éloignent. Il ponctue ses antiennes d’élans affectifs que je
trouve déplacés au regard de la minceur actuelle de notre lien. A plusieurs
reprises, il rend hommage à son neveu Henri et à sa fille Hermione, deux
exceptions de son entourage à avoir réussi.
Cette
primauté au fric et à la volonté de paraître comme critère d’excellence de vie
m’écœure. Et c’est lui, et sa clique suiveuse, qui reprochait à Sandre son
matérialisme outré ! À s’en tordre de rire jaune… Mais, évidemment, cela
n’a rien à voir entre gens intelligents, de bonne compagnie… On ne peut les
comparer avec cette petite médecin arriviste… Quelles grosses ficelles dans
leur fonctionnement intellectuel et pseudo éthique !
Heïm
semblait intrigué par mon aveu d’un malaise malgré moi, lors de mes dernières
visites. Comme si je suais l’inadaptation à ce milieu fui à partir de 1999 (et,
en fait, dès 1997). L’enthousiasme affiché pour les évolutions matérielles au
château d’Au ne peut masquer une défiance définitive pour les travers qui
l’animent.
Cultiver
ce double et contradictoire objectif : préserver Heïm d’un chagrin
supplémentaire, et maintenir un ascendant symbolique par la double face de mon
positionnement. Conciliant lors des quelques échanges oraux, intolérant à
l’écrit pour rééquilibrer la tonalité globale.
Si
certains trouvent l’extase dans l’amassement financier et l’abondance
matérielle, moi je déniche mes sources jubilatoires dans le témoignage
littéraire sans bride. Si j’avais à résumer l’essentielle leçon tirée de ces
années châtelaines : ce n’est pas dans le nombre d’hectares possédés et
dans les siècles cumulés pour sa terre et sa demeure que l’on tirera forcément
l’envergure et la qualité de son existence. Vivre à sa mesure pour qu’un
terreau plus sain favorise l’épanouissement de ses éventuels talents… Ni dieu,
ni Marx, ni Heïm !
Samedi 10 janvier, 1h30
De
retour du Palace snooker que Bonny et Elvis ont testé, pour les ondes
musicales. Peu de monde jusqu’à 23h30 et, une heure plus tard, fin de la
prestation (obligation de fermeture).
Sans
transition : la Libye se rachète une virginité internationale par quelques
dizaines de millions de dollars promis aux familles des victimes de l’attentat
du DC10 de 1989 commandité par Kadhafi… et le « saponifiant » de
Villepin se félicite de cet accord.
Samedi 24 janvier, vers 1h
L’écriture
m’abandonnerait-elle en cette période de préparatifs. L’ancrage lyonnais
s’affirmera le 29 janvier prochain par la signature de l’acte de vente. Les
cartons de livres s’empilent avant transfert et le repérage des peintures,
mitigeurs, et moquette s’est… vraiment plus l’enclin à noter du factuel.
Vu
avec ma BB, en revenant du concert d’Eagle Eyes Cherry, une émission hommage à
Thierry Le Luron, parti beaucoup trop tôt. Ce visage de bambin impertinent,
cruel et impitoyable pour brocarder, fait ressurgir une atmosphère télévisuelle
bien révolue. La prime à l’inconsistance, la médiocrité, l’absence de talent,
l’ordinaire lambda à paillettes qui s’y croit déjà…
Mercredi 4 février
Et
pourtant il s’en passe des choses dans ma vie et sur la scène médiatique…
manque d’allant littéraire, je ne me saisis plus de la plume avec gourmandise.
Trop occupé ailleurs dans un équilibre trouvé.
Pour
la cohérence d’un rendu existentiel, notons en vrac la signature de l’acte de
vente pour l’appartement, une nouvelle collaboration à un organisme de
formation pour préparer à des concours de pompiers professionnels, de police…
Heureusement, les deux prochaines semaines de février seront allégées pour me
consacrer au rafraîchissement de notre grand nid, alors que ma BB et son papa
s’y attellent toute cette semaine. Voilà pour l’essentiel perso.
Quant
au bazar public, le ronronnement scabreux des scandales, massacres,
malhonnêtetés se soulève plus rien en moi. Je délaisse tout ce qui est
indépendant de ma volonté, et cultive mes amitiés lyonnaises.
Samedi 6 mars, 1h07
Le
temps file, l’année marquée par notre déménagement se réduit à rien en
écriture. Je devrais cesser cette sérénade en vase clos, éviter le ridicule
d’un inintérêt définitif. Ne plus faire que de rares apparitions pour quelques
vrais ressentis.
Ainsi
la mort de Nougaro, apprise hier, qui laisse quelques perles majeures de la
chanson française… Avec son Armstrong, il figurait parmi les interprètes
que je tentais d’imiter vocalement en 1985 (et dont il reste une cassette
enregistrée sous la direction technique de mon père à Eragny-sur-Oise). Quelle
distance ! Et dire que le même délai se sera écoulé lorsque nous
parviendrons à la fin du remboursement du prêt immobilier…
Quelle
que soit la songerie qui s’érigerait face à un tel parallèle, le présent me
confirme le bon choix fait pour ce patrimoine constitué.
L’art
de la digression pour finir sur son nombril, voilà du classique chez les
diaristes.
Retour
progressif à un semblant d’écriture.
Mercredi 17 mars, 22h50
Le
terrorisme s’affirme comme la plaie ouverte du XXIe siècle.
Finalement, rien que de très conforme à la nature humaine. La semaine dernière,
à l’occasion d’une rencontre baballistique entre l’Olympique lyonnais et
un club espagnol (je crois !), des supporters de ce dernier ont arpenté
les rues toute la journée. Vers 13h, passant sous les fenêtres de l’immeuble de
Forpro en gueulant quelques chants patriotiques, je vois les auditeurs en
formation par alternance se précipiter aux fenêtres pour insulter, cracher et
s’exciter comme autant de tristes pitres. Comment ne pas songer à cette masse
de décérébrés prêts à la barbarie gratuite ? Quelle différence
fondamentale avec les fous de dieu ? Question de conditionnement primaire
et non de nature.
Journée
libre (une rareté, en ce moment, pour moi) consacrée à l’avancement du
rafraîchissement dans la grande pièce : passage de cire imperméabilisante
et antitaches sur la peinture au lait de chaux.
Vendredi,
départ pour un court séjour à Fontès, où nous retrouverons, outre ma
grand-mère, maman et Jean, ainsi que Jim et Aurélia, et sans doute l’oncle
Paul. De joyeux instants en perspective et une douceur pour ma grand-mère qui
subit de plus en plus un physique en déclin.
Jeudi 25 mars, 23h40
De
retour d’une petite sortie culinaire, dans la pure tradition lyonnaise, pour
l’anniversaire de ma BB. Dans le vieux quartier désormais retenu pour le
patrimoine de l’humanité, un petit bouchon aux plats goûteux et au Morgon morgonnant…
Le temps d’un bon moment où la polémique a eu ses instants sur des sujets
hétéroclites, mais avant tout politiques.
Des
dépenses conséquentes pour équiper et aménager notre grand nid : du gros électroménagers livrés demain après-midi et une commande, samedi prochain, d’ameublements pour la grande pièce dont le rafraîchissement va se poursuivre
ce week-end.
Quelle
sérénité de vie : asséchant pour l’écriture, mais ô combien équilibrant
pour le psychisme.
Samedi 3 avril
8h06.
Dans le dodo, avec ma BB nue à mes côtés, le bras reposant sur mon bas ventre…
Des instants de calme, de douceur enveloppante, après la frénésie de la
semaine, ne se boudent pas. Le son de Chet Baker, Duke Ellington et Count
Basie, mis en aléatoire sur ma chaîne, et tous les sens se trouvent comblés. Le
crissement de ma plume ajoute un rythme feutré à la mélodie de ces géants du
jazz.
En
France, Raffarin III est né (« mort-né » ironisent certains) après la
déroute des régionales. Le balancier électoral résume notre démocratie où
chacun s’essaye à l’exégèse des scrutins. Jacques Chirac, en lâchant quelques
centaines de millions d’euros (mais pouvait-il faire autrement sans s’attirer
des foudres beaucoup plus incendiaires que celles ayant suivi son intervention
télévisée ?), a renoué avec la voie de l’endettement inconsidéré du pays.
Pas la
faute aux politiques, en fait, mais aux multiples catégories, communautés
socioprofessionnelles qui réclament leur gros bout de gras sans considérer la
situation globale des finances et encore moins la projection catastrophique
dans le temps. Résultat : ce sont leurs propres enfants et petits-enfants
qui en subiront les désagréments, et peut-être même qui se verront privés des
systèmes protecteurs auxquels le peuple adulte du présent tient tant.
Hier
soir, un hommage à Pompidou, trente ans après son décès. Sa prescience des
facteurs qui devait compter, après son passage, l’a poussé à déclarer, en
pleine période des Trente Glorieuses (qu’il verra s’achever brutalement sous sa
présidence) que l’emploi serait à considérer comme un problème permanent, non
traitable définitivement, mais que l’on devrait accompagner pour en atténuer
les conséquences.
Autre
image saisissante du personnage : lors de son dernier Conseils des
ministres, le visage gonflé par son traitement, il confie à l’assemblée (alors
que le sujet était tabou, y compris dans la presse) qu’il « souffre comme
un damné ». Le contraste entre les responsabilités considérables assumées
et le tiraillement constant de souffrances atroces qui vous inclinent à
l’abandon, mérite le respect posthume de l’homme d’Etat : Mitterrand en
fut un autre.
En
Irak, la barbarie s’épanouit. Dernière ignominie médiatisée : l’incendie
d’un véhicule chargé d’Américains, l’acharnement sur les corps calcinés,
traînés encore fumants dans les rues de Falloudja et pendus à l’armature d’un
pont pour une morbide exposition. L’antiaméricanisme d’esprits conditionnés en
France est tel que j’ai entendu certains de mes auditeurs en BTS, lors d’un
débat, excuser l’intolérable au nom de la loi du Talion. Triste constat d’une
humanité bestiale durablement stagnante dans son intelligence morale.
Lundi 5 avril, 0h40
Juste
avant la reprise de l’infernal tourbillon professionnel, pensée terrifiée pour
les dix ans de la tuerie systématisée des Tutsis par des Hutus sanguinaires. Le
témoignage désaffectivé des anciens chasseurs barbares, libérés pour
cause de pseudo réconciliation nationale, répugne jusqu’à la nausée. Ces
Africains ont en tout cas démontré qu’ils n’avaient nul besoin des blancs pour
hypothéquer leur avenir. Triste humanité…
Samedi 17 avril, 23h45
Départ
ce matin de mon père et de sa petite famille, après une étape à Lyon, pour le
Sud. Alex et Raph toujours aussi vifs (et parfois un peu trop remuants à mon
goût), grandissent et se forgent leur personnalité respective. Premiers hôtes
depuis notre installation : une manière de tester notre gestion de ce
nouveau lieu, notre capacité à accepter le désordre inhérent à toute intrusion
dans une habitation que l’on apprivoise. Un bon résultat, dans l’ensemble.
Lundi 19 avril, 0h30
Toujours
dans l’aménagement de la pièce principale. Chaque construction dans ce lieu me
libère un peu plus du monde de Heïm, lequel m’a d’ailleurs laissé un message il
y a une dizaine de jours, me demandant de le rappeler, si j’en avais l’envie.
Eh bien justement non ! Plus une once ! L’effondrement de cet
univers, sans renier le passé, s’impose à moi, naturellement.
Jeudi 22 avril
Le
coin bureau prend forme dans une partie de la pièce aux multiples recoins. Une
sérénité confortable pour laisser émerger l’inspiration littéraire…
mouaip !
Les
temps actuels renoueraient-ils avec l’absurde ? Après le renvoi en Algérie
de l’imam de Vénissieux qui a défendu, dans Lyon Mag, la légitimité
religieuse de battre une femme qui trompe son mari, une seule voix politique
s’insurge contre cette mesure de délit d’opinion : celle de Le Pen !
L’extrême droite en sympathie avec les arabes islamistes, voilà qui laisse
songeur sur la notion d’opportunisme… Ces barbus ben ladénistes qui invitent,
pour des conférences, des sympathisants nationalistes et chrétiens : cela
ressemble à des rapprochements de circonstances où l’hypocrisie des rapports
doit prédominer, pour ne retenir que les quelques domaines partagés.
Samedi 1er mai, 8h20
L’Europe
à vingt-cinq s’offre en exemple au reste du monde. Privilégiés les 420 millions
de personnes qui forment désormais la plus importante zone de libre-échange.
Les festivités de cet agrandissement donnent l’espoir d’un havre européen de
paix, malgré les rampants coups de boutoir des Al Qaïda and Cie qui voudraient
faire vaciller cet ensemble. Cela me donne presque envie de voter aux
prochaines élections pour participer (symboliquement !) à cette construction
humaniste.
Rares
sont les cas de grands ensembles constitués sans le joint du sang
répandu : c’est là la source d’une solide légitimité de l’Union européenne
qui devrait se pérenniser. Si la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie
rejoindront la maison européenne bientôt, et ce sans qu’on n’y trouve à redire,
le cas turc fait débat.
La
géographie, la culture, et plus prosaïquement la taille, contribuent à
repousser définitivement sa candidature, même si la Turquie devient un jour
exemplaire en matière de respect des droits de l’homme. Pour y avoir séjourné
quelques jours, je sais qu’elle n’appartient pas à l’ensemble occidental, et ce
malgré l’impératif laïc imposé par Ataturk au pays.
Une
intégration européenne serait un non-sens historique, géographique et culturel
et conduirait peut-être à l’implosion de ce qui a mis des décennies à
s’édifier. Alors pas de blague complaisante ou d’improvisation artificielle au
nom de seules motivations économiques, car ce serait l’arrêt de mort de cette
si belle idée en marche.
Encore
quelques sous dépensés pour l’aménagement de la grand’ pièce… un bien-être
croissant qui m’incline à la discrétion littéraire.
Mardi 4 mai, 23h50
Juste
avant la période de sommeil nécessaire, une petite digression scripturale. Ma
BB entame sa période de travail nocturne, ce qui va rendre nos instants
partagés plus épars. Quel bon choix de l’avoir choisie et de m’être engagé avec
elle dans cet achat immobilier. Les jours et les mois qui défilent me
confortent dans cette optique. Reste à assumer financièrement…
J’ai
repris, ce week-end, la saisie de ce Journal réfractaire, année
2001 : l’été qui verra mon dernier passage au château d’Au. Aurais-je
l’envie de faire une visite éclair à Heïm en août 2005, pour ses soixante
ans ? J’en doute, mais j’effectuerais peut-être ce passage exprès en
hommage aux instants d’exception vécus.
En fin
d’après-midi, après ma séance bruyante de CMC au BP03, verre partagé avec
quelques auditeurs de BTS à une semaine des premières épreuves. Quelques
personnalités motivées (comme Karine L. ou David J.) qui rassurent sur
l’utilité de nos interventions pédagogiques.
Jeudi 6 mai, 0h40
Une
tendre pensée pour ma grand-mère dont l’état physique et psychique se dégrade
de jour en jour. Maman me prévient de cette triste situation, si je souhaite la
voir encore une fois. L’image dégradée d’une personne aimée n’est peut-être pas
la meilleure démarche… Je préfère l’honorer dans mon cœur en gardant un schéma
intègre, même si affaibli, de sa personne. Me reste vivace son indéfectible
soutien, sa gentillesse de tous les instants, son pétillement renouvelé qui ont
rendu plus chatoyants mes séjours à Fontès dans mon enfance tourmentée. Quel
contraste entre sa retraite hyperactive et cette fin clouée dans sa chambrette
de La Providence. L’impitoyable temps se rappelle à nous brutalement, et le
dérisoire s’impose.
Mardi 11 mai, 23h20
Comme
pour toute guerre, le lot de dérives barbares n’a pas déserté le bourbier
irakien. Croire à l’angélisme philanthropique de cent pour cent des troupes
engagées relève de la naïveté primaire. Plus nouveau : l’implication de
femmes militaires dans les mises en scène humiliantes de prisonniers irakiens
confirme le degré d’avancement de l’égalité professionnelle
entre les sexes ! En tout cas de sombres crétins criminels contre leur
pays ceux qui se sont adonnés à ces jeux morbides. Ils servent tout simplement
la cause des islamistes intégristes qui fustigent le mode de vie dépravé des
occidentaux.
Des
geôles infâmantes à la formation en alternance : aucun lien apparent, mais
une même facilité à être édifié sur l’espèce humaine. Pitoyable !
Jeudi 13 mai, 23h10
Je
renonce à une sortie improvisée au Saint Louis, pour rester sagement au lit
sans ma BB, avec les Mémoires d’espoir de Charles de Gaulle.
L’armée
américaine va-t-elle se faire exploser toute seule, sans l’appoint des
extrémistes islamistes ? La surenchère iconographique (films et photos
pris par ses ouailles) anéantit toute sortie dans la dignité et réserve de
terribles représailles aux relents barbares comme la décapitation filmée de
l’otage américain accessible sur Internet.
Vendredi 14 mai, tard
Vers
18h, appel flûté aux Bisons de Heïm. Témoignage exacerbé de son amour
pour moi, entrecoupé de digressions sur la vie et nos directions antinomiques.
Je reste comme son meilleur « ami », « copain », celui
« qui le connaît le mieux ». Il approuve sans réserve mes choix, y
compris celui de ne jamais lui présenter ma compagne, mon éventuel enfant… Ce
besoin de m’appeler ? Une pensée envahissante, sur son tracteur dans le
parc, avec un chagrin remontant dans l’arrière gorge de ne plus m’avoir à ses
côtés. Emouvant à entendre, quelle que soit la teneur polémique de ces pages
pour marquer la rupture avec son univers. Comme je le lui ai précisé, je ne
renie rien du passé partagé à ses côtés, et je regrette de ne plus me nourrir
de sa profusion intellectuelle, mais nos divergences existentielles sont à
jamais trop ancrées. Resteront ces manifestations sporadiques, de son côté,
lorsque l’enivrement nostalgique le poussera vers ces instants extrêmes
partagés.
Peut-être
envisagerais-je de passer en coup de vent au château d’Au (accompagné de Shue,
si elle accepte) pour ses soixante ans, en août 2005.
Partagé
entre l’envie de retrouver, pour un moment d’exception, l’affection démonstrative
de cette singulière personnalité, et la méfiance des dérives habituelles lors
des prolongements dînatoires.
Samedi 15 mai
Dans
l’église Saint-Antoine de Gerland, pour une représentation de trois chorales,
dont celle de BB, en faveur des enfants d’Haïti. Au lieu de l’habituel appel à
la générosité des spectateurs, un tarif d’entrée de quinze euros est exigé des
visiteurs. Pas sûr que cela favorise la salle comble.
Les
parents de BB assistent au concert, puis repartent demain vers Arles. Retour la
semaine prochaine, pour huit jours d’habillage de lambris du dernier mur de la
pièce principale.
Répétition
au sein du lieu où le son s’ouvre vers les hauteurs saintes. Rien ne vaut une
chorale dans une église : l’ampleur y trouve sa voie naturelle.
Mercredi 19 mai, 0h01
Tout
seul dans notre chambrette, et peu inspiré. Bruit aérien dans le ciel lyonnais,
voilà qui dénote…
Jeudi 20 mai, bientôt 1h
Plutôt
bon public pour le cinéma comique, je reviens navré de la séance de Jet Set
2. Comment un réalisateur peut-il cumuler autant d’inconsistances pour la
suite d’un film cinglant et rythmé. Une clinquante coquille vide ce second
volet, malgré les gesticulations, habituellement efficaces, des Garcia et Sémoun :
aucune histoire, des longueurs sur airs de techno et une suite de cordes éculés
qui ne déclenchent pas même un sourire. Navet sans appel.
23h15.
Délice de journée avec ma BB et la visite, presque surprise (décidée hier) de
Liselle et Line. Charmées par notre grand nid, elles partagent mets, alcools et
promenade vers les étangs de Saint-Marcel. Liselle m’apparaît en meilleure
forme physique que lors de notre dernière entrevue : elle se voit avec
quelques kilos en trop depuis son arrêt des cigarettes. Son histoire
sentimentale semble enfin évoluer favorablement vers une vie commune.
Line,
plus affinée, n’a toujours pas déniché la symbiose et semble bien assumer ce
célibat, se confiant à un journal (secret) lors de ses baisses de moral. Le
trio féminin me convenait parfaitement : l’esprit n’a pas cessé de fuser
au cours de cette journée, exception faite du retour, exténué, de la promenade.
Vu, ce
soir, le touchant portrait de Lino Ventura enregistré sur Arte. Quelle
attachante personnalité s’exhale de tout son être, entre gentillesse,
détermination et loyauté. Une vraie épaisseur humaine sans faux-semblant.
Samedi 22 mai, 1h20
Le
ballet diplomatique qui a précédé le déclenchement de la guerre en Irak…
Dimanche di 23 mai
Depuis
le parc de la Tête d’Or, banc face au lac et au soleil, je goûte la fraîcheur
ventée pour tenter un suivi un peu plus consistant de mes analyses.
La
complicité des têtes de proue diplomatiques, pour les médias, et l’étripement
rhétorique dans les coulisses, qui précédèrent l’explosion guerrière en Irak,
ont été synthétisés dans un documentaire captivant. Les figures des de
Villepin, Powel, Fischer et autres fournissent eux-mêmes, a posteriori,
l’interprétation des situations tendues, des textes soumis et le dévoilement
des motivations. La pâte humaine est, là aussi, déterminante.
Jeudi 27 mai
Le pan
du mur de la grande pièce, jusqu’alors en piteuse surface, est habillé de
lambris montés peu à peu, depuis lundi, par André et moi-même efficacement
initié. Me voilà dans le bricolage jusqu’au cou, et je ne boude point mon
plaisir de ces actes constructifs.
Dimanche 29 mai, 23h20
Les
interventions de la famille B, pour finaliser la restauration de la grande
pièce, se sont multipliées dans une touchante générosité : André aux
lambris, Annette au dépeçage des fauteuils et banquette, Louise à la couture de
leur nouvelle parure. Départ ce jour vers Arles pour la sœur de BB, et demain
matin vers Le Cellier pour ses parents. Une semaine qui a transfiguré les
quarante mètres carrés de cette pièce multifonctions qui s’impose comme le
charme essentiel de notre grand nid.
La
complicité dans l’action ne se prolonge pas dans l’échange intellectuel. Pour
une fois, pas d’accrochage idéologique avec ma BB, mais avec Louise sur le
caractère transcendant ou navrant du film Elephant, et avec André sur la
gestion socioéconomique du chômage en France, entre autres sujets.
Je ne
peux me résoudre à une générosité a priori avec l’espèce humaine. Inciter et
responsabiliser les individus permettrait de faire le tri, entre les profiteurs
du système actuel et les vrais motivés qui ne parviennent pas à se réintégrer
(ou réinsérer…). Mon expérience dans la formation professionnelle me confirme
la tendance majoritaire à ne jamais se remettre en cause, à dénigrer sans
talent, à gros traits décérébrés, les responsables du centre ou leurs
supérieurs hiérarchiques au sein de l’entreprise d’accueil. Plaie sociale que
ces insignifiances qui se prennent pour autre chose sans jamais rien prouver.
Une des conséquences de la culture philanthropique qui materne à coups d’aides
sociales des assistés qui, pour une bonne part, se persuadent du caractère
inaltérable de ces systèmes en faillite objective.
Mercredi 2 juin, 0h40
Magnifique
travail de Patrick Rotman pour le film documentaire Eté 1944 diffusé
avant-hier sur France 3 à l’occasion du soixantième anniversaire de
l’opération Overlord. En une heure cinquante, de multiples documents filmés
(souvent en couleur) agencés efficacement, ainsi qu’un commentaire sans langue
de bois, le réalisateur nous offre un panorama complexe de la libération de la
France. Les thèmes sensibles, comme les dissensions entre de Gaulle et les
Alliés ou les atrocités commises lors de l’Épuration, ne sont pas éludés.
Rotman, déjà maître d’œuvre de L’Ennemi intime, incontournable référence
pour la guerre d’Algérie, récidive pour notre plus grand bien avec cette
période cruciale. Chapeau bas donc…
19h15.
Elections européennes pour les vingt-cinq Etats membres et peu d’échos, au plan
national, au-delà du cadre officiel de la campagne. Une classe politique qui
camoufle cet événement et maquille les enjeux : voilà les responsables
selon le représentant de la fondation Robert Schumann. Peut-être qu’un sujet de
philosophie touchant plus ou moins directement à l’Europe motiverait la cuvée
du bac 2004 et donnerait l’exemple aux adultes en charge des affaires. En ce
mois de commémoration de la libération d’une Europe sous le joug totalitaire,
nous pourrions mettre un peu plus d’entrain à l’édification de celle fondée sur
la paix depuis soixante ans.
L’organisme
Institia a fourni, après mon accord obtenu, mes coordonnées à la station de
radio NRJ pour que je sois enregistré dans le cadre de l’épreuve de philosophie
de la semaine prochaine. Résultats : quelques minutes d’entretien avec une
animatrice de cette radio sur les conseils à suivre, le ressenti de cette
épreuve et sur l’état d’esprit des postulants au bac… Le contenu de mes
improvisations a semblé convenir. Encore une discrète, et quasi clandestine,
intervention éclair sur un média…
Vendredi 4 juin, 0h05
Dernière
petite crasse en date du collatéral Bruce : un courriel répugnant adressé
à maman. Dans son délire malfaisant, il la traite de « monstre », lui
affirme ne jamais l’avoir aimé, mais d’avoir fait semblant et lui reproche tout
et n’importe quoi. Lorsqu’on met en perspective le dévouement, la présence
au-delà du raisonnable et la générosité multiforme de celle qu’il renie
aujourd’hui, cela soulève le cœur de dégoût. Finalement, ne serait-il pas qu’un
très banal et pitoyable pervers ?
Ma
décision est prise, suivant en cela la position de maman : je ne souhaite
plus le rencontrer ni avoir aucune sorte de rapport avec cet individu. Qu’il
s’enlise dans son cloaque : cela ne suscitera pas l’once d’une compassion
chez moi. J’en ai déjà consacré trop de lignes ici pour ce que ça vaut. Exit,
donc.
Samedi 5 juin, 0h32
Demain,
les festivités tant annoncées vont donner l’occasion à Bush et Chirac
d’échanger quelques amabilités hypocrites pour les médias. Le ressentiment
d’une bonne partie des Américains, suite à notre dérobade au nom de pseudo
principes juridico-humanistes, persiste. Comme le rappelait l’un des invités de
Calvi à C dans l’air, la France n’arrive pas à accepter d’être si
réduite par rapport aux Etats-Unis, ce qui entraîne une espèce d’obsession,
pour reprendre le terme d’un des titres de Revel. Outre Atlantique, point de
focalisation quotidienne sur l’hexagone ramené à la réalité modeste de son
influence et de sa puissance. En outre, et selon un paradoxe à éclaircir, la
France est un des pays les plus américanisés au monde (cinéma, nourriture,
musique, etc.) alors que les critiques fusent vers le pays jugé surpuissant.
Dimanche 6 juin, 1h
Jour
du branle-bas de combat médiatique pour le show commémoratif. Des émotions à
haute densité pour les vétérans présents sur les plages de Normandie et dans
les cimetières militaires auprès de leurs feux compagnons d’armes. Un hommage
bien légitime rendu aux Etats-Unis qui nous ont nettoyés du nazisme et préservé
du communisme, les deux pires fléaux idéologiques du XXe siècle. Que
les blancs-becs, si prompts à l’anti-américanisme primaire, jugent leurs
apriorismes à l’aune de cette histoire, tragique mais victorieuse, partagée.
Depuis
le parc Tête d’Or : bain de soleil dans le cocon fleuri de la roseraie
épargné par l’influence.
Vu Le
jour d’après, une des dernières superproductions américaines : la
mécanique de l’histoire et l’archétype des personnages sonnent sans
bouleversement pour le spectateur, mais l’efficacité des effets spéciaux et du
montage maintiennent en haleine pour un message alarmiste sur le dérèglement
climatique qui nous guette. Certes, on ne peut croire au cataclysme décrit,
mais la survenue d’une petite partie de ce chaos, ou en densité beaucoup plus
faible, suffirait à anéantir nos modes de vie. L’abus de la nature peut-il se
manifester encore longtemps sans retour de bâton ?
Jeudi 10 juin
Le
repas, mardi soir, avec quelques formateurs de Forpro, m’a confirmé leur
penchant à multiplier les sordides attaques ad hominem envers la
direction, l’encadrement ou des collègues absents. Dans le même temps, ils se
sont offusqués lorsque j’ai révélé mon peu d’enclin pour l’humanité, mon
anti-rousseauisme et ma perception négative d’une majorité d’individus.
L’attaque mesquine fait jubiler, l’envolée misanthropique terrifie. Nos univers
intellectuels ne peuvent se concilier.
Vendredi 11 juin
Soul,
jazz et tous les rythmes enivrants tournent à la marche funèbre avec l’envolée outre-tombe
du plus multicouleur des non-voyants, dont la rocaille vocale ferait se
trémousser le plus minéral des caractères : les Sting, Tracy Chapman et
Keziah Jones, qui ouvrent le Cdivers XXVII
mis en fond sonore, abonderaient dans mon sens.
Le
mythique Ray Charles, à soixante-treize tempos, ne s’est pas éternisé sous nos
cieux, mais sa joyeuse trogne a insufflé la jouvence à ses créations, ses
doigts ont fait virevolter les noires et blanches pour une profusion des
émotions. Que l’éternité ensoleillée l’accueille.
Avec
ma BB pour une villégiature en trois temps : Saint-Crépin, Rueil Malmaison
puis Paris. Dans l’entre-deux fêtes, pour les dates officielles, je gâterai
mère et père, sans une pensée pour le collatéral de 73 dont c’était hier
l’anniversaire… Au contraire de l’incommensurable Ray Charles, le piano ne lui
a nullement permis de trouver le meilleur de lui-même. Pitoyable stagnation.
Juste
à ce moment, dans les oreilles, le transcendant pianotage dans My Precious
Love de l’habité Lenny Kravitz. Mon écriture aurait-elle ses inspirations
clandestines ? Divin vagabondage musical, en tout cas !
Ce dimanche,
un moins lyrique rendez-vous en un tour de piste électoral : le grand
projet européen n’a pas les atours escomptés pour les responsables politiques
et médiatiques, alors qu’espérer du citoyen ? Ainsi le Raffarin III
n’a-t-il daigné se déplacer que pour le dernier des meetings. Peut-être a-t-il
le sentiment d’avoir mieux servi sa chapelle en faisant acte de présence
minimale... Saluons alors la lucidité de l’homme qui se veut
« déterminé », à la manière d’une anaphore publicitaire. Tenir le cap
de réformes essentielles l’obsède avec raison, mais sa dialectique via les
ondes tourne un peu à l’antienne soporifique.
Lundi 14 juin
Big Lutèce en grand bleu, depuis les hauteurs de la
rue Chaptal, chez Aline. Accueillante, ravissante, son nid, à dominante de
bois, fourmille d’objets et d’intentions décoratives que sa vie professionnelle
chargée ne laisse pas s’épanouir. Sa simplicité, sa modestie, le rend plus
attachante encore au regard de son
brillant parcours.
Promenade prévue avec ma BB au cœur de Paris et qui
s’enrichira de deux haltes culturelles via les expositions choisies.
Les travaux à réaliser à Saint-Crépin s’avèrent
bien plus conséquents. Maman et Jean ont une bonne décennie d’occupations pour
réaliser un lieu de vie à leur goût. Les impératifs premiers concernent
l’isolement des pièces sises sous le toit. Le peu de matières isolantes, dans
leur chambre, explique les poussées de froid ressenties.
A Rueil, de gros changement, en forme
d’agrandissement, vont bientôt débuter. La famille trouvera ainsi un confort
mérité dans cette maison de poupée. L’époque est donc à l’installation
constructive dans toutes les familles proches.
Jeudi 17 juin
L’esprit morose, sans raison apparent, si ce n’est
un affadissement de la pensée. Jusqu’où aller pour que l’écriture serve un peu…
là ce sont des merdes ces remplissages…
L’expo du World
Press Center déprime : la
variété des misères et des massacres laisse peu de place à la beauté du monde.
La transformation de ce Journal en récit risque de vite sombrer dans le rapiècement
artificiel. Décidément, pas l’once d’une ambition réalisée.
Trop maussade, ce soir, pour que cet exercice
puisse me retenir plus longtemps.
Vendredi 25 juin
Bientôt 1h : ma BB effectue sa dernière nuit
de labeur alors que je ne me résous pas à m’effondrer. Pas d’écriture dans ce Manus XII depuis plus d’une semaine pour cause d’une
captation de la plume par un autre barbouillage littéraire : transposer Le Gâchis journal en Gâchis récit. Donner de la cohérence, de l’unité et du
sens à ces notes éparses. Voilà pour la tâche de longue haleine, ce qui ne doit
pas trop réduire la tenue de cet instantané.
Mon emploi du temps s’allège bougrement pour les
deux mois à venir, voire même jusqu’à la fin septembre… les économies sur les
loisirs et le futile vont s’intensifier. A bientôt 35 ans, ma précarité de
jeune propriétaire angoisserait nombre de mes congénères. Pour moi, aucune
inquiétude prégnante, peut-être évitée grâce à une tenue quasi maniaque de mes
comptes, avec prévisionnel des dépenses indiquées un mois à l’avance.
Pas une journée sans un attentat en Irak. La très
symbolique passation de pouvoir, le 30 juin, ne va qu’enflammer un peu plus
cette deuxième poudrière du Proche Orient. Si l’anti-américanisme ne peut
fédérer les groupes religieux et ethniques, le signe d’un transfert des rênes
ne va qu’exacerber leurs différends.
Du parc. La bourbe irakienne a tué autant
d’Irakiens, depuis cette paix illusoire, que le contenu désintégré du WTC.
Chacun dans ses regrets du temps sécuritaire où les rétifs étaient éliminés.
S’accrocher à quelques justifications pour ne pas
trop se déconsidérer, avec évolution inexorable au gré des bouleversements plus
ou moins maîtrisés : peu glorieuse trajectoire en fait. Gratter
l’inconsistant remugle en prétextant l’appel littéraire, la purge vitale, la
salutaire introspection, participe à l’illusoire de ses ressources créatives.
Je songeais, lors de mon amorce de refonte des
pages de 1991, à toutes les années antérieures passées chez Heïm, dans cette si
singulière atmosphère de vie. Quelques bribes éparses s’étirent jusqu’à la
réminiscence brumeuse : inexploitables. Faute de moyens suffisants pour se
payer des domestiques, la jeune troupe se chargeait de l’entretien multiforme
en partage avec les cours par correspondance. Les obligations, du lustrage des
planchers cirés au tour des arbres à la binette, fournissaient souvent
l’occasion du ludique imaginatif entre Hermione, Karl et moi, aussi soudés et
complices que le trio d’apprentis sorciers dans Harry
Potter. Insouciance protégée des
violences juvéniles que je retrouvais quelques années plus tard, lors de mon
entrée en cinquième, au collège de Conflans-Sainte-Honorine. Pas de braillards
à l’insulte facile dans cet antre où le devoir se conjuguait au plaisir
constructif, dans un lien fusionnel.
Les lieux, aujourd’hui anéantis ou défigurés, qui
accueillaient nos jeux. Le proche Fort Alamo et les grands bois, au fin fond de
la propriété, après les quelques champs broutés par une flopée de bœufs à la
belle saison : réunion d’une géographie remodelée par des trous d’obus et
par des arbres porteurs de lianes. L’hommage au western avec John Wayne
s’ouvrait pour toutes sortes d’aventures, et fréquemment notre lutte contre les
bleus, ces salauds de Républicains : nous les
pourfendions, nous les Jean de Florette (Hermione), Jean Cottereau (Karl) et
Georges Cadoudal (moi-même). Au lieu et place des cow-boys et des indiens,
l’occasion de défoulements influencés par l’air châtelain et les discours de
Heïm.
Dans l’immense grenier du château, des niches entre
les poutres et le toit avaient permis, avant mon arrivée, l’aménagement de
lieux dédiés aux secrètes pérégrinations intérieures. Lorsque Hermione et Karl
me les firent découvrir, dans une obscurité préservant la part de mystère, je
regrettais de n’avoir pu partager les complicités dans cet antre des
merveilles, instants perdus pour des souvenirs à partager.
Bien plus tard, édification du Village des quatre champignons (Hubert en plus), avec cabanes spacieuses, chemins
baptisés, le tout dans une partie des sous-bois bordant la pommeraie.
Sophistication du cadre de jeu, mais finalement moins de densité ludique, moins
d’allant faisant fructifier le merveilleux. Sans doute lié à une moindre
harmonie dans le quatuor et à un âge (vers 13 ans) où l’individualisme
s’affirme. La vieille ferme, à l’arrière du château, n’avait, elle, pas eu
besoin de transformation pour incarner le domaine rêvé pour d’inépuisables
histoires à vivre : des pièces ouvertes, à communications multiples avec
l’extérieur, pour exacerber l’intérêt des poursuites et jeux de cache-cache, un
grenier (servant de pièce à sécher le linge) assez vaste pour notre
imagination, une pièce à bois (prenant toute la hauteur de la bâtisse) qui,
lorsqu’on ne s’y approvisionnait pas pour faire nos fagots, nous permettait des
escalades sur l’enchevêtrement des branches accumulées. Plus tard, l’une des
pièces nous servira de zone d’ateliers, chacun son coin, pour s’improviser
bricoleur au sein du bric-à-brac respectif.
Sur la grande pelouse jouxtant cette fermette à
plaisirs, parmi les innombrables jeux, l’un, baptisé d’une onomatopée aux
digestives consonances (Smeurp ! Beurp ! je ne sais plus) consistait
à viser l’autre, ou des adversaires désignés, à l’aide de disques volants (les
frizbee) décrétés nouvelle fonction pour des couvercles en plastique souple de
gros pots de peinture. Agressivité focalisée au cours de ces parties
épuisantes, et de grandes bagarres festives entre tous les enfants,
confrontations gargantuesques sans visée violente. Démarche pour se tester,
canaliser ses bas instincts et ne pas ignorer la part en nous à défouler.
Garder en soi la complexité de cette époque sans
renier ses attraits.
Mercredi 30 juin
Fin du séjour à Arles et un bref détour à Fontès
pour embrasser grand-mère. De bons instants de détente et la présence de
charmantes jeunes femmes, en plus de ma BB, qui ont ennobli deux soirées
boustifaille, restaurant et pique-nique dans un terrain d’oliviers. Petit moral
de Fanny quittée par le grand Kevin pour une autre perle. Six années de
partage qui s’effondrent. Voilà pour le factuel.
Je supporte de moins en moins les longs trajets par
route et autoroute. Ces interminables couloirs d’asphalte, bornés par de très
symboliques pointillés et réglementés par d’illusoires principes, laissent
défiler des congénères transmués en fauves dégénérés. Aucune question de survie
ici, juste le sentiment pitoyable de gagner quelques longueurs sur l’autre, de
ne surtout pas tolérer qu’on entrave le roulement mortifère de leur sacro-sainte
machine. Et parmi ces tristes zouaves, dont on aurait vaguement pitié s’ils ne
trônaient pas dans ces engins à tuer, on doit retrouver une foultitude de
baveurs de tolérance qui s’offusquent à la moindre tonalité extrémiste dans le
discours. À vomir. Que les chiottes universelles ravalent ces diarrhées
inconsistantes, ces colporteurs du tout-à-chier bons tout juste pour le néant des égouts. Sur le
piédestal le penseur sans pitié pour l’espèce humaine, impitoyable avec ces
fourbes qui se répandent. Qu’ils s’empalent sur leur permis d’être connement
criminel ces fions du volant !
19h. Ma chère grand-mère au visage si creusé, à la
chevelure aux blancheurs presque irréelles, formant un halo d’une vieillesse
maudite. L’entrée dans sa chambrette a laissé s’échapper une bouffée d’air
caniculaire. Même pas un petit ventilo pour rendre le lieu supportable, rien
pour les chenus qu’un repliement aux touffeurs à suffoquer. Heureuse qu’elle
est de nous avoir pour quelques instants ; un peu de fraîcheur d’action en
lui recherchant quelques photos dans sa bibliothèque, en remettant un semblant
d’ordre dans les correspondances reçues ; un chouia de vie et
d’enthousiasme pour compenser dans l’instant le pire à venir. Vers 18h20, nous
les descendons, assise dans un fauteuil roulant, dans la salle du dîner.
Attablée à la place désignée, avec une grande cuillère où l’attendent des
cachets salvateurs, nous la quittons avec caresses et baisers d’affection.
Triste mais nécessaire déroulement du
temps.
Vendredi 9 juillet
Fraîcheur
au Cellier où nous venons d’arriver. Je dois enfiler le seul sportswear à
manches longues apporté.
Initiative
appréciable de Heïm, que je me dois de saluer ici : il me propose de me
retirer du GIE Varisse afin de ne plus rien risquer, s’il venait à disparaître
et que ce groupement venait à dégringoler. Les membres (je suis actuellement un
des administrateurs, contrôleur des comptes et de la gestion) se trouvent
solidairement et indéfiniment responsables.
Je
passerai donc une journée au château d’Au le 13 août pour signer les papiers de
démission de ce poste et partager un repas avec lui.
Il
pratique toujours le jeu du billard psychologique : je lui avais confié le
différend implicite que j’avais avec Sally concernant ma BB, et il n’a pas
manqué de dramatiser l’affaire pour l’inquiéter sur cette fâcherie. En plein
parcours Lyon-Le Cellier, appel de Sally sur mon portable, m’interrogeant sur
la cause du problème. Je dois lui proposer ma position : aucun éloignement
affectif, mais l’impossible renouvellement d’une rencontre entre elle et ma BB.
La voilà qui, s’hérissant presque, commence à remettre en cause la logique de
cette démarche, s’étonnant que, « sans être en extase devant BB »,
les relations ne puissent se poursuivre.
Incongru
raisonnement qu’il me faudra démonter lors d’une prochaine entrevue. Jamais je
n’aurais attendu cette dévotion admirative, mais la marge, le fossé, le gouffre
s’impose entre cet extrême et les préjugés dépréciatifs qu’elle a sués immédiatement.
Lorsque je songe à son discours incendiaire sur l’épouse de Heïm, Vanessa, ou,
dans un tout autre genre, sur Angel, le compagnon de Hermione, cela relativise
et fragilise, pour le moins, sa position. Et pourquoi les rapports entre BB et
Karl ont-ils toujours été chaleureux, gentils et sans perfides sous-entendus.
Son fils serait-il moins sensible aux êtres, moins intelligent ? Et moi,
pourquoi ne pas respecter en conscience mon choix sentimental ? Voilà un
petit aperçu de l’argumentation qu’elle devra encaisser si elle souhaite maintenir
un lien avec moi.
Avec
Heïm, les positions sont plus claires depuis le début : jamais je ne lui
présenterai ma bien-aimée. En revanche, si Shue se trouve disponible cette
journée d’août, je l’emmènerai sur ces terres pour rencontrer ce monsieur si
singulier.
Lundi 12 juillet
Suite de séjour dans la sérénité, mais dont on ne
tire pas grand-chose littérairement. Seules les nuits laissent exploser les plus
improbables délires au fouillis de références. Ainsi, la dernière image qui me
reste du songe de petit matin : assis sur un mur de prison avec, à ma
gauche, une jeune fille très ressemblante à la chanteuse Elsa dans ses
premières années de carrière et, à ma droite, un gars, compagnon d’infortune
peut-être. En face, nous surplombant à une dizaine de mètres, le bâtiment
carcéral aligne en son dernier étage une suite d’ouvertures avec barreaux
derrière lesquelles la tête d’œuf du X français, dont le nom m’échappe…
La scène tourne autour de cette présence féminine à
mes côtés, avec ses cheveux parfumés qui me caressent le visage, mais que je
sais destinée au gars de droite, et dont j’absorbe ce qui peut m’échoir de
douceur excitante. Tout cela sous le regard des fauves concupiscents en cage…
Le nœud psychologique : parvenir à vivre quelques soupçons de complicité
avec cette enivrante présence sans s’attirer la foudre jalouse et haineuse des
détenus que je dois sans doute retrouver peu après, et en sachant que la fusion
totale avec la demoiselle ne me revient pas. De la matière à
interprétations ? Je ne me risquerai pas à cet exercice vaseux. Rapporter
comme historiette sans attache définie me va bien.
Ce jour, petit tour avec ma belle en cheveux vers
Guérande… Plongée dans les charmes d’Armor à défaut de trempette dans les eaux
bretonnes. La canicule estivale ressemble à une météo préhistorique qu’on nous
évoquerait pour réchauffer un peu nos jours d’été… Ne pas se plaindre, car le
cycle des suées infernales pourrait s’imposer de nouveau.
Mardi 13 juillet
Et un cœur de localité fortifiée de plus
visité ! Déambulation pédestre dans ces veinules antiques et, de chaque
côté, une succession de commerçants (parfois artisans) qui guettent le chaland.
Au centre de Guérande, une abbatiale aux intérieurs
sobres et majestueux, comme un lieu d’évidence pour méditer. Dressés, hérissés
même, les tuyaux de toutes tailles de l’orgue aux touches en bois cachées par
le couvercle. Une dominante bois et pierre dans ce lieu aux harmonies épurées.
Sans religiosité, le sentiment du beau et du bien affleure en moi, ondes
submergeantes de cette bâtisse vénérable.
Après ce passage spirituel, détente sur sable, sur
la petite plage en « U » écrasé qui jouxte le fameux L’Océan du Croisic. Happer quelques rayons sous un grand bleu inespérable
depuis Le Cellier.
23h45. Mon absence d’inclination pour le corps
public et sa déliquescence fonctionnarisée se conforte au gré des témoignages.
Ainsi la ville d’Arles entretiendrait une cinquantaine d’agents à ne rien faire
pour d’obscures et indéfendables raisons. Le fonctionnaire en faute est soit prié
de rester chez lui tout en percevant la rétribution de son échelon, grade…,
soit changé d’endroit grâce à une… promotion. Quelle sage gestion de nos
contributions, et ce avec la bénédiction des mafieuses cellules syndicales. Le
racket fiscal pour ce type d’utilisation amplifie le vomissement généralisé.
Jeudi 15 juillet
Fulmination
contre le verbe utilisé par Sally pour défendre son attitude vis-à-vis de ma
compagne : quelle ne « s’extasie » pas devant. Voilà l’exemple
typique de ses attaques larvées sans fondement solide. Devant qui, moi, ai-je
été en extase ? Certainement jamais devant elle ni devant aucun membre des
châteaux côtoyés, cas mis à part de Heïm pendant quelques années d’adoration
paroxystique. Cela n’aurait donc pas fait lourd si j’avais dû limiter mon
relationnel à ce critère. Figure de style pour dissimuler son hypocrite
position, alors ? Intolérable hyperbole, infecte antiphrase ! A
éclaircir et à envoyer paître loin de mon existence dans ce cas. A notre
prochaine entrevue duale, je lui fixerai très clairement et très profondément
mon jugement sur ses pirouettes rhétoriques à gerber ! Et si elle pratique
l’attaque ad hominem, je n’hésiterais pas à forcer la surenchère salaude
avec gros tarin et alopécie stagnante pour sa soixantaine approchante. Rien à
tolérer par affection face à si peu de générosité pour la personne que j’aime. À
dureté crétine, férocité instinctive !
Notre
Président aussi s’énerve contre le petit sur actif qui lui fait de l’ombre.
Voilà qu’il tombe dans le rappel proclamé de sa fonction, comme s’il doutait de
son autorité et de sa légitimité, un peu comme l’avait fait Fabius, lors d’un
débat, que son contradicteur, un certain Jacques Chirac, avait efficacement
remis en place avec un rapprochement animalier de bon aloi.
Au petit
« roquet » Premier ministre succède l’autruche présidentielle. Bien
cachée dans son sable élyséen, elle ne tolère aucun affront, aucune remise en
cause de sa superbe avec ses gourdes, ses ratages et ses écarts lexicaux. La
girafe campée par Anouilh avait tout de même plus de majesté que son pseudo
rejeton spirituel et le rpf
davantage de crédibilité que la cathédralesque ump
dont on ne perçoit plus que les ruines prématurées.
Serait-ce
mieux chez les socialos ?
Les
lézardes qu’a essayé de camoufler ce matin l’infatigable Lang sur France Inter,
à propos de la Constitution européenne et de la réponse à fournir au référendum
annoncé pour 2005, ont révélé encore une fois la pratique du grand écart de ce ps décidément clownesque. Ne pas
s’isoler des autres partis socialistes de l’Union, ne pas donner l’impression
de s’aligner sur le clairon présidentiel, ne pas laisser prendre de poids aux
quelques voix dissonantes au sein de leur parti : voilà les impératifs des
Lang, Hollande, jfk et autres
pontes de la Rose... qui n’en finit pas de nous emmerder, dixit la chansonnette
le luronnienne. Alors c’est un oui en cul de poule qui est susurré... il cumule
tous les défauts ce traité, il ne mérite même pas le ronflant statut de Loi
fondamentale pour Lang, mais il permet tout de même un minuscule pas pour
l’Europe et un grand bon pour les rodomontades politiques... Alors voilà, même
ce quasiment rien, ce presque néant, cet effleurement du vide, il
« prend » le Lang. Saluons ce sens aigu du sacrifice qui en oublie
même la conscience du ridicule.
24 juillet, 0h40
Une sinistre moisson pour cet été : Sacha
Distel, puis aujourd’hui Serge Reggiani se sont éteints, trop mûrs pour la
vieille squelettique. Lanvin et Depardieu ont, eux, fait revivre pour moi, ce
soir, l’explosif duo dardien San Antonio et Béru. Une truculence assez bien
rendue et des personnages secondaires, comme le Galabru la boule à zéro ou le
Luis Régo au cigarillo qui empeste, qui complètent sans fausse note l’univers
des deux flics déjantés.
2 août, 22h30
Petit
souvenir de canicule depuis quelques jours. Ventilo en face, sueur au dos de la
tête, mollesse généralisée, les explosions de température doivent stopper
demain.
Mon
week-end du 15 août à Paris s’annonce déserté par toutes mes amies en vacances
à cette période. Du 100% d’absence… la capitale aux mains des touristes. Sonia
me laisse très gentiment son appartement à disposition. Dans le cinquième, je
serai proche de tout… et des souvenirs de ce quartier fréquenté par mes panards
estudiantins.
Vu un
documentaire sur le tueur en série Guy George et son tableau de chasse. Atroce
(et fascinant pour certaines), il possède aujourd’hui, du fond de son trou, un
fan club… Les jeunes filles privées de leur existence, voilà tout ce qui
devrait rester au fronton. Eradiquer ce pervers irrécupérable, quel que soit
son sourire, son charme et la couleur de son caleçon !
7 août
Très
calme, mon été : néant professionnel, douceur quotidienne avec ma BB et
délassements divers à Lyon. Mon séjour à Paris va se faire sans aucune présence
amicale, sauf peut-être Karl qui passera une journée. Vraiment la pire période
pour revoir mes amies parisiennes… toutes parties. Je me contenterai donc des
beautés de Big Lutèce en jouant le touriste avec, tout de même, un pied à terre
de choix… Oh là ! la déliquescence me submergerait-elle dans le
gâtisme ? Me voilà inscrivant les mêmes informations que le 2 août
dernier… une vraie chienlit ce journal ! De plus en plus l’impression de
faire du remplissage poussif puisque je n’ai ni transcendance existentielle à
rapporter, ni réflexion ébouriffante à exposer…
Départ
ce matin de maman et Jean après un passage exprès pour découvrir notre nid. BB
nous a régalés, tout comme les inévitables Pique-Assiette et Nardone, nos deux
adresses préférées pour initier nos hôtes aux gourmandises lyonnaises.
Découverte de traboules sur les pentes de la Croix Rousse. Insolite à visiter,
inimaginable pour moi d’y résider : trop étouffant, trop entassé, trop
glauque parfois, malgré sa phase de réhabilitation. Une confirmation de plus de
la qualité de l’appartement choisi.
Jeudi 12 août
Retour
dans mon dernier quartier estudiantin, nu sur la fourmillante place de la
Contrescarpe un Monaco à cinq euros vingt, un vrai attrape-touristes. En
solitaire, selon ma tradition parisienne respectée.
À
passer rue Soufflot, approcher le Panthéon, descendre la Mouffetard, émotion
diffuse d’une trajectoire par à-coups insatisfaisants. Du pur pathos, sans
doute, mais qui a son esthétisme d’un coin mythique pour la jeunesse.
Avec
quelques gouttes, ciel chagrin via le café Delmas, je rumine sans trop cibler
mes récriminations. Ça pleure sur les pavés, mais l’animation ne déserte pas
l’endroit. Moi, l’anormal qui remugle sans fin : s’arracher de ce malaise
renouvelé par le banal anéantissement.
Un
inspirant Coldplay pour se nettoyer des sombres rogatons et virevolter vers la
quintessence créative aux résonances célestes.
10 septembre
Pas
d’ombre à ce silence diariste, juste une fainéantise de l’esprit.
Pour
remonter le temps, la plus fraîche des nouvelles après les incertitudes
professionnelles : au dramatique ralentissement de Forpro, qui ne m’aurait
même plus permis de survivre, succède le foisonnement prometteur de Cqfd qui
vient de me signer un CDI à temps plein pédagogique. Une stabilité financière
qui vient à point nommé et qui me laisse quelques marges pour des cours
particuliers proposés via Institia.
Eu ce
matin Mme V. pour lui annoncer mon inévitable démission. La responsable
pédagogique de Forpro semblait désolée, mais peu étonnée de ma décision, et
même ravie pour moi. Je lui annonce que mes vendredis après-midi restent
libres, ce qui pourrait me permettre de conserver quatre heures hebdomadaires
d’intervention en culture générale auprès des BTS, la catégorie de public que
je préférais dans cet organisme, et une façon de ne pas complètement couper les
liens avec cet employeur. La série positive se poursuit avec l’appel d’Institia
qui me propose le suivi particulier d’une jeune fille en deuxième année de BTS
PME-PMI, et ce deux heures par semaine. La maman a demandé expressément à ce
que je sois l’enseignant pour sa fille, suite aux recommandations de la famille
B. dont la fille, Séverine, a obtenu son diplôme grâce à son travail et à mes
coups de pouce réguliers. Cette demoiselle n’avait pas manqué de m’envoyer un
texto le 5 juillet dernier commençant par « Alléluia ! j’ai eu mon
BTS, merci beaucoup… ».
Avec
tout cela, la remise à flot financière devrait s’affermir.
Ma BB
a repris le chemin de la clinique ce matin (je l’attends en gribouillant…) et
la nuit dernière nous avons retrouvé notre chambre remise à neuf :
boiseries blanc cassé, plafond blanc et murs à la peinture au lait de chaux
rouge carmin. Une belle harmonie… Voilà ma
tendre…
Mercredi 15 septembre
Après
ces semaines de silence, il me faut remonter un chouia le temps.
Mon
passage éclair au château d’Au m’a permis de découvrir les divers aménagements
de la propriété, et de partager un déjeuner alcoolisé avec Heïm. Moment
affectif, mais sans plus pour l’impact émotionnel. Ses activités se
diversifient et fonctionnent, paraît-il. Quelques allusions aux dettes du passé
qu’il éponge encore, une révélation de ma part sur la vie sentimentale de Sally,
et puis les mêmes rengaines…
Retour
avec Karl à Paris dans sa neuve voiture : malheureusement, mon enivrement
encore frais n’a pas supporté le mouvement automobile ; sans avoir eu le
temps d’ouvrir ma fenêtre, le rendu vomitoire baptise la portière. L’odeur
persistante, malgré le nettoyage scrupuleux, laisse présager qu’une partie de
la matière puante s’est glissée dans la fente qui laisse passer la vitre… Voilà
du terre-à-terre bien crade que je ne peux dissimuler.
Le
temps de récupérer et un gentil week-end parisien sans entrevue amicale puisque
toutes avaient déserté la capitale…
L’horreur
quotidienne en Irak rend bien dérisoire nos petits tracas et nos faibles
jouissances ici-bas. Tous ces groupes incontrôlables entretiennent le chaos
grâce au sacrifice de centaines de civils. Hier, vu un téléfilm allemand qui
retrace la trajectoire des membres de la cellule de Hambourg responsable des
attentats du 11 septembre 2001 : quel absurde et intolérable détournement
de la religion qui justifie les plus barbares agissements.
Avec
tous ces foyers de violence mortifère, le siècle du terrorisme qui débute nous
réserve encore bien des flots de sang et de larmes. Alors pourquoi développer
une quelconque ambition dans ce monde abject, ni plus ni moins que celui des
siècles passés, mais répugnant par sa stagnation dans l’horreur. Et dire que
les méfaits sanglants sont commis par une extrême minorité d’individus
(quelques dizaines de millions sur six milliards) : la saloperie qui
gangrène le tout.
Hier,
avec les auditeurs qui préparent le concours de lieutenant de sapeur-pompier,
je brossais, à la demande de l’un d’eux, les tenants et les aboutissants de la
Guerre froide : bonheur intellectuel de le faire, mais nausée
existentielle à l’évocation de cette géopolitique sans pitié.
Mardi 28 septembre
Rapide
entretien avec Sally au tél. Après mes révélations enivrées à Heïm, elle a dû
subir le flot ordurier du bonhomme par courriels vengeurs. Le style abrupt lui
souhaitait « qu’elle crève au plus vite pour rejoindre son con de
frère ». Voilà de l’affection dénaturée par le vitriol d’un « vieil
alcoolique » (selon sa propre qualification).
Je
devais, moi, révéler mon rôle d’informateur aviné dans cette affaire peu
glorieuse. Sally n’a pas semblé m’en vouloir…
L’accaparement
professionnel m’éloigne de ces relents d’un passé aux atours de plus en plus
trompeurs. Le devoir d’assumer ma part financière dans la construction avec ma
BB se pose naturellement en priorité absolue, et ce bien avant ces quelques
traces dérisoires sur cet univers désormais étranger.
Lundi 1er novembre, 23h
Ma BB
au labeur pour sa période de nuit, et moi à la veille d’une reprise soutenue
chez Cqfd. Le besoin d’écrire pour compenser cette absence, pour se laisser
plus sereinement glisser vers la face ronflante… Plus trop envie d’envolées
pour une dérisoire empreinte. Que les humaindiatisés s’en fassent leur
gloriole, rien de plus naturel. Pour un néant anonyme comme moi, quelle
inconséquence serait, à trente-cinq ans, de croire encore à un quelconque moulin
salvateur. Reste la petite musique d’une vie simple à entretenir au gré des
coups d’encre, sans plus d’importance.
Dans
l’alentour amical et affectif, quelques chamboulements sentimentaux : la
sœur de BB a déniché son galant, Bonny a découvert une infidélité grave d’Eddy,
le copain de Liselle vient d’être licencié de chez Kodak pour faute grave, ce
qui n’arrange pas leur situation inextricable, Aurélie n’aurait plus son amour
allemand…
L’élection
américaine captive bien les médias français plus ou moins caricaturaux dans la
présentation du très détesté président sortant… Bonne nuit les petits…
Dimanche 15 novembre
Familles
en travaux pour notre passage vers Big Lutèce. Maman et Jean ont découvert des
défauts de poutres sur un des côtés de la maison et l’impossible utilisation de
la cheminée par souci de sécurité. Même sans bois dans l’âtre, l’accueil
s’avère toujours aussi chaleureux.
Pour
ce dimanche, découverte des gigantesques travaux en cours pour l’extension et
la surélévation de la maisonnette de Rueil. À terme, pour papa et sa troupe
familiale, de l’espace et des volumes qui transfigureront les conditions de
vie : un vrai second étage avec deux chambres, une salle de jeux, une
douche et des toilettes ; au premier, une salle à vivre étendue, tout
comme la cuisine qui s’ouvrira sur une terrasse. Bon, mais bref moment passé en
leur compagnie.
A
côté, notre rafraîchissement d’appartement apparaît bien symbolique… mais
réalisé entièrement par nos mimines.
Ce
soir, nous y retrouverons la famille B au complet, compagne et compagnon des
frère et sœur inclus. Lors de notre journée à Paris, je confiais à BB mon
impression réservée sur ce Richard (récent copain de sa sœur) croisé quelques
minutes sur le quai de La Part Dieu. De l’apriorisme instinctif sans aucun
doute, et que j’espère contredit par le dîner de ce soir.
Les
mois passent et notre douce vie partagée prend ses marques, ses réflexes, le
pli d’une sérénité modeste mais constructive. Qu’un petit larron s’annonce et
le bouleversement m’inclinera peut-être à un suivi diariste plus fidèle.
Pour
Jim et Aurélia la vie partagée semble aussi approfondir la complicité. Bruce,
lui, dont nous avons eu quelques nouvelles par papa, seul à le voir (le brother
a bien le sens du paradoxe décennal), envisagerait de se marier avec sa copine
américaine.
Mardi 16 novembre
Les
derniers événements proches orientaux, de l’Irak à la Palestine, ne laissent
pas grand espoir pour une sortie des bourbiers respectifs. Un triangle sunnite
aux pointes hérissées, mais en cours d’écrasement par les forces
américaines ; un personnage à l’envergure historique incontestable, mais à
la capacité d’action atrophiée.
30 novembre
Première
vraie altercation avec un stagiaire de Cqfd. Une espèce de tête à claques qui
n’obtempère pas à mes demandes d’ôter sa capuche en cours. Un vrai connard à
étriper qui s’ose à me tutoyer dans son délire de con… mais il faut garder son
calme.
Si la
plupart de ces auditeurs ont bon fond, quelques fientes de cette espèce vous
donnent la nausée. Ce niveau trop ras des pâquerettes n’est décidément pas ma
tasse de thé.
1er décembre
Vagabonder
dans l’actualité, pouvoir répondre aux plus diverses questions, sentir un
investissement de la part des stagiaires : voilà qui motive pour
l’intervention pédagogique.
Appel de
Heïm : message sur le portable me demandant un rendez-vous téléphonique
pour m’éclairer sur certains points de la polémique en cours avec Sally. Nouvel
épisode dans ces manifestations sporadiques qui font ressurgir de plus en plus
faiblement cet univers ancien. Ô combien ma trajectoire a changé, pour ma plus
grande sérénité.
3 décembre
Bonne
nouvelle pour Alain Juppé, la justice a finalement divisé par dix la peine
requise en première instance : soldes monstrueuses à la cour d’appel de
Versailles. De traître au peuple, le voilà dispensé d’être le bouc émissaire de
son parti. Guillaume Durand, qui recevait l’un de ses avocats sur I télévision,
a bien souligné le talent de ce ténor du barreau : après Roland Dumas
relaxé, il obtient l’inespéré pour l’ex président de l’UMP.
59 %
pour le oui socialiste, avec une participation de 80 % des militants. Ce
n’est pas une victoire, mais bien un triomphe pour Hollande. La volte-face de
Fabius aura tout de même eu le mérite de captiver les médias pendant quelques
semaines sur un sujet européen. Un débat parfois musclé qui nous a éclairés sur
les enjeux.
Mon
renoncement à toute ambition s’allie à une douceur de vie inégalée. Cela ne
doit pourtant pas hypothéquer la réflexion, l’introspection, le regard sans
concession, même si l’affadissement me guette.
Les
deux têtes socialistes doivent boustifailler ensemble pour tenter de redonner
l’unité au PS et fixer les objectifs pour les échéances référendaires et
présidentielles. Un déjeuner sur l’ire de Fabius et l’ère de Hollande, en
quelque sorte !
Dimanche 5 décembre, 23h25
Certes,
l’existence que j’embrasse n’a pas les atours de mes ambitions confuses des
temps de l’enfance, et plus encore des aspirations adolescentes. Mais avec ma
BB, la douceur ne tarit pas et maintient sans faille notre volonté de
construire ensemble, de partager les petits plaisirs d’une vie simple, trois
ans exactement après notre rencontre. Me voilà à l’orée d’une longévité
sentimentale jamais explorée.
Nous
sommes bien à la préhistoire des comportements humains lorsqu’on jauge
l’actualité sans cesse renouvelée. Le 36 quai des orfèvres, vu hier
soir, abonde dans cette optique désespérée sur le fonctionnement humain.
6 décembre
Brume
épaisse sur Lyon pour ce début de semaine. Un tour d’actualité avec les SppA
pour commencer en douceur.
14 décembre
La
diffusion du documentaire Bowling for Columbine aux SppA a eu l’effet
escompté : la révolte contre ce type de dérive sociétale. Mickael Moore a
conçu son film pour qu’émerge cette indignation chez tout spectateur. Vision
orientée pour dénoncer à tout prix la ségrégation latente dans ce pays et le
conditionnement décervelant opéré par les médias.
La
pause pédagogique qui se profile va régénérer sans conteste.
18 décembre
Agréables
compagnies au Red. Bonny pour la musicalité, Eddy pour la conversation. Une
fragrance de Noël : détente sous les plus chaleureux auspices, plongée
dans le temple lyonnais du commerce pour l’achat frénétique, trouvaille d’un
touffu sapin et de quelques broutilles décoratives pour insuffler du festif à
la grande pièce.
Reste
l’actualité qui fuse vers l’incontrôlable écharpement généralisé, alors que
l’Union européenne se passionne pour quelques grandes questions d’avenir.
L’évolution de quelques pointures idéologiques dans des parades médiatiques a
permis la captation de l’intérêt populaire. Cela va-t-il suffire à ce que
l’amalgame Turquie-Constitution ne se fasse pas lors du référendum de
2005 ? Les quelques tentatives auprès de citoyens ordinaires, mes
stagiaires, révèlent une mélasse qui vire aux grumeaux pernicieux pour la
construction de cet ensemble préservé du chaos alentour.
Les
rythmes embaument les civilisés bien portants ; quelques labyrinthes
urbains plus loin, des bougres désespérés se figent dans les antichambres de
l’éparpillement mortuaire.
Eddy
m’évoque une unité de soins palliatifs, pis-aller du pire en amorce de
décomposition. Le couperet injuste, aléatoire qui fait basculer vers
l’innommable et douloureux crépuscule.
Les
lieux de fête écartèlent souvent mes pensées entre paillettes et raclement de
fin de vie…
Le
Chirac a-t-il vu sa substance arriviste se transmuer en épaisseur étatique
crédible, à la manière plus complexe d’un Mitterrand ? Le voilà
déterminant son enthousiasme à rebours de l’opinion publique, pari visionnaire
d’une Turquie comme atout de l’Europe… Les contempteurs hurleront au non-sens
historique, géographique, et ce à coups de triques argumentatives.
La
symbiose du corps avec quelques créations qui s’érigent en évidence harmonique
pour tous les tremblements paradeurs.
Jeudi 23 décembre
L’immersion
dans les réveillons en chaîne s’amorce avec notre arrivée au Cellier. Hier
encore, Heïm sollicite un peu de mon temps pour me témoigner son affection
exacerbée par quelques Bisons et tenter de comprendre, par mon
éclairage, le pourquoi de ces éloignements en série qui ratatine son Noël à un
séjour chez sa vieille maman. Alternant les vagues d’effusion, les à-coups de
véhémence (contre Sally, notamment), l’autocélébration et la quasi
flagellation, il souhaite saisir ce qu’on peut bien lui reprocher.
Je ne
cède pas à sa démarche, demeure sur la réserve, ne lui réitérant que du
réchauffé, lui laissant le soin de compléter les vides par sa logorrhée
désespérée. J’assiste au rythme périodique de ses cafards, à l’inexorable
réalisation de ce qu’il appréhendait vingt ans plus tôt pour sa fin
d’existence : rejeté par la plupart, riche et isolé hobereau dans son
domaine. Il cumule les hommages à mon endroit et j’exécute mon rôle sans
concession. Que peut-il subsister de ces faux-semblants si ce n’est la
conscience des désillusions cumulées ?
Année
d’installation avec ma BB dans notre sanctuaire de douceur complice, marquée
par un profond besoin l’un de l’autre pour l’équilibre renouvelé ; année
d’engagements financiers conséquents pour qu’existe ce nid urbain, cœur de
notre ancrage à Lyon ; année de chance professionnelle pour crédibiliser
la valeur de ce pacte pécuniaire ; année de feuilles maigres en écriture
par la fuite d’un temps consacré aux impératifs quotidiens. Finalement, 2004
comme modèle d’une existence à l’aune de ses équilibres.
L’air
nostalgique de David Gray qui fait osciller mes osselets ne peut mieux refléter
l’état géopolitique où perlent par vagues dévastatrices, par poussées
impitoyables, les explosions terroristes, la barbarie pour provoquer le chaos
dans les esprits civilisés et l’inconsolable écharpage dans les cœurs.
Faire mourir les autres pour ses idées, l’idée est révulsante, pour paraphraser
le grand Georges, mais nourrit les radicalismes assoiffés de sacrifices
rédempteurs, selon le primaire concept religieux... Les tripes répandues n’ont
jamais ennoblit une quelconque communauté, mais cela n’empêche pas le mouvement
des égorgeurs de toutes obédiences, des cynismes politiques prêts aux
interlopes manipulations, des faisans de petite envergure qui polluent nos zones.
Faits qui se substituent les uns aux autres sans qu’on puisse déceler
l’expérience tirée pour une progression de civilisation, pour le sens
fondamental d’une vie grégaire en interdépendance.
Le
jour de la libération des deux journalistes français, l’armée américaine perd
une vingtaine de boys, victimes du
dernier attentat de la répugnante Al Qaida. Chesnot et Malbruno, lors d’une
conférence de presse improvisée sur le tarmac de l’aéroport, ont révélé leur
démarche intellectuelle auprès de leurs ravisseurs : ne surtout pas
laisser poindre la moindre parcelle de sympathie à l’endroit des Américains.
Certes, cela leur a sans doute évité l’égorgement, mais cela correspond
peut-être à leur réel positionnement : nous voilà de plus en plus sévères
avec les Etats-Unis, et d’une complaisance croissante à l’égard de nos
bourreaux potentiels. Un principe de précaution idéologique qui ne nous
épargnera pas en cas de luttes sanglantes généralisées : nous aurons
simplement perdu notre dignité face à nos alliés de toujours, à nos frères de
civilisation. On pourra comprendre qu’ils ne se portent plus au secours de ces
mitigés hexagonaux qui rechignent à l’engagement par un choix clair.
Il est
vrai aussi qu’en matière d’abominations, de coups tordus, de morveuse politique,
d’exploitations magistrales et exterminatrices, l’Europe s’est révélé le
continent-maître !
Samedi 25 décembre
Noël
au Cellier. Un 23 au complet côté B : quatre couples pour un festif
alcoolisé. Forme moyenne, en fin de soirée je pousse ma gueulante après
l’inévitable conversation sur le sujet-poncif de l’automobile. Le compagnon de
Louise doit recouvrer son permis le 27 décembre après huit mois de privation
décidés par le tribunal correctionnel. Cela n’a fait que nourrir et prolonger
le polylogue auquel je n’avais pas à participer. A force d’entendre allusions
et sous-entendus complaisants à l’égard des petites infractions routières, je
n’ai pu contenir mon indignation écœurée face aux attitudes criminogènes des
pitres inconscients au volant. Ma concession est d’accepter de voyager dans ces
boites de taule pour ne pas attrister les gens que j’aime, mais à titre
purement personnel, je me passerais très bien de ces objets déifiés, évacuant
tous les trajets routiers de mon existence. En outre, rien ne me barbe plus que
le confort convenu d’une discussion qui se répand en inutiles développements
rabâchés sur cet inépuisable thème de l’auto : ses anecdotes, les parcours
les plus courts, les derniers modèles, les petits ou gros écarts aux règles,
l’intolérable présence tatillonne de la force publique, la vie fantasmatique de
son pot d’échappement, la beauté des courbes d’une caisse excitante, le dernier
cru pétrolifère Esso-la-Pompe 2004, et tout le toutim à quatre roues !
Assez ! ! !
Vive
un monde sans bagnoles, sans foot et sans gras-double aux vues expertes sur les
deux mamelles de son univers nauséeux. Vraie invitation à la misanthropie que
de les entendre bavouiller avec le
contentement du médiocre qui se croît indispensable au bon fonctionnement du
microcosme auquel le hasard et l’improbable nécessité l’a rattaché, comme le
bigorneau à son rocher.
En
dehors de cette fâcherie boudeuse de ma part, des hôtes toujours aussi
adorables. J’ai pourtant le sentiment d’être parfois décalé et de ne rien pouvoir apporter que du désagréable, du
mauvais poil, du grognon contempteur à ces réunions chaleureuses. Encore
quelques restes insécables d’une nature en retrait de la société. Heureusement
que l’extrême gentillesse des B passe sur mes écarts cyclothymiques. Etre capable
de débattre, même âprement, sans se braquer dans un rejet généralisé de
l’alentour : voilà mon objectif comportemental.
Hier
soir à l’église du Cellier (petite et tendre pensée à Louis de Funès qui s’y
rendit souvent) avec une partie des autochtones : agréable bien que
religieux moment. Les chants qui jalonnent les interventions orales sont
dirigés par Mme B, alors que son mari contribue à la consonance masculine des
chœurs. Tout comme je le faisais avec ma grand-mère, mon agnosticisme ne
m’empêche pas d’apprécier ces moments de compassion, de recueillement et
d’unité humaine…
Dimanche 26 décembre
Oublié
de noter l’incohérence de Heïm lors de son dernier appel. Voulant connaître les
reproches que j’avais à lui faire, j’évoque sa volte-face à propos de la
publication de ce Journal : en guise de justification, il me
rappelle ma visite à l’hôpital du Val de Grâce, lors d’une de ses
hospitalisations, au cours de laquelle ma réserve à ce projet l’aurait décidé à
abandonner ! C’est bien tout le contraire qui a eu lieu : c’est mon
enthousiasme qui m’a fait accroire à sa ferme volonté de m’éditer et qui m’a
lancé sur le titanesque labeur de l’index général. Jamais je n’aurais entrepris
ce fastidieux travail sans promesse d’ouvrage au final, mon masochisme supposé
ne va pas jusqu’à la crétinerie.
Tenant
à ma nouvelle ligne de conduite, je n’ai pas souligné sa confusion de dates et
de moments.
Muriel
R., alias Bella, a téléphoné au château d’Au pour renouer le contact avec moi.
Après un échange de courriels, elle préfère l’entretien de vive voix, car son
e-mail serait surveillé. Elle en profite pour me demander des nouvelles de
Heïm. La vie a bien changé depuis nos entrevues dans son nid de la rue du
Cherche Midi. Elle risque d’être déçue de mon éloignement de cet univers
anarcho-droitiste qui comblait une partie de son gargantuesque appétit
idéologique… La trace que je conservais d’elle : un bouquin sur Antonin
Artaud prêté par ses soins et que je ne pouvais lui retourner faute de me
souvenir du numéro de sa rue (la liste rouge achevant la perte du lien). Ce
petit bout de femme (1m55 environ) aux rondeurs trop prononcées mais au visage
magnifique, reste comme un des reliquats d’une existence parisienne boulimique
d’imprévus et d’éphémère… mais je n’ai jamais eu aucune aventure sensuelle avec
elle.
Encore
une catastrophe naturelle pour finir l’année : au large de l’Indonésie, un
maousse tremblement de terre occasionne un raz-de- marée dévastateur pour les
populations. Le Jour d’après, que j’offre en DVD à maman, semble de plus
en plus réaliste. Notre insouciance focalisée sur le jouissif immédiat, le
confort de l’instant, nous coûtera très cher, peut-être même jusqu’à la survie
de notre espèce. Dans ce domaine, l’entêtement américain à ne rien changer,
voire à amplifier les pratiques perturbatrices du climat, joue le rôle d’un
messianisme morbide. Plus largement, le penchant naturel de chacun n’a que
foutre du long terme qui le dépasse : une religion pour se rassurer, des
objets pour s’entourer, du ludique pour se distraire et au diable le
dépassement de soi, l’abnégation morale, la vraie prise en compte d’autrui. Je
m’inclus évidemment dans ce mécanisme psychologique bien trop humain pour s’en
croire préservé. Jusqu’à cette écriture qui cherche à se distinguer dans l’ombre,
s’illusionnant d’un improbable martyre. Rien que la rançon d’une fainéantise
existentielle et d’un renoncement confortable à toute ambition. Poursuivre,
vaille que vaille, les inconstantes notations désordonnées pour se donner
l’impression d’exister un peu autrement que par la simple occupation, en trois
dimensions, du temps qui file… Doit un peu s’y ajouter le plaisir, quasi
sensuel, de faire glisser la plume sur cette blancheur à carreaux, au velouté
lissé que j’habille de signes incongrus. Garder cette noblesse de l’écriture
comme une vocation périodique et totalement désintéressée. L’art qui doit se
vendre a peut-être perdu un peu de sa puissance lorsqu’il doit sa naissance à
cette perspective immédiate.
Lundi 27 décembre
Les
tours d’actualité d’un œil distrait font parfois faire des confusions qui
anéantissent l’analyse attenante. L’écho du drame cataclysmique en Asie (du Sud
Est) me donnait l’occasion d’un alarmisme sur le laxisme à courte vue de
l’espèce humaine. Les causes du chaos appartiennent à une des rares
catastrophes naturelles auxquelles l’être humain ne peut être associé comme
facteur aggravant, voire déclencheur : les à-coups de la tectonique des
plaques. Atténuons notre faute de cible en considérant cette mise en garde
moralisatrice comme l’appréhension du prochain hoquet terrestre aux
inspirations humanoïdes.
Mardi 28 décembre, 12h
Comme
toujours, accueil chaleureux de maman et Jean. Le Noël de Saint-Crépin a tenu
ses promesses de fête : un jeu inspiré du Pictionnary avec plus
d’une trentaine de lots rigolos à gagner, de la guimbarde à la boite de sardines. Le cadre, toujours et
pour longtemps en travaux, inspire la douceur campagnarde.
Demain
soir, changement d’ambiance : dîner rue de l’Université chez Sally, en
présence d’Adèle, de Zoa, de papa et sa ‘tite famille. Du chaleureux
encore, mais un peu plus prestatif et convenu. Occasion appréciable de revoir
notamment Adèle dans la préadolescence et à la psychologie en probable
mutation. Courte entrevue avec Sally acceptée par ma BB qui reste avec l’amer
souvenir de Royan et d’une hôte aux écarts perfides. Le nombre d’invités
atténuera les risques de dérives inconscientes, mais nous prolongerons le
côtoiement, le lendemain matin, en comité réduit à l’Institut du monde arabe
pour l’exposition du moment. Le midi, ma BB pourra se détendre au sein de ma
seule famille paternelle.
Cette
existence privilégiée, qui nous accorde la subtile approche du relationnel et
des atmosphères dans leurs détails les plus insignifiants n’a, plus que jamais,
aucune chance d’effleurer l’Asie du Sud Est qui a vu s’effondrer un minimum de vingt-trois
mille âmes après un gros éternuement de la croûte terrestre. Mes contrastes de
diariste anonyme n’ont finalement rien de plus choquant que le grand écart,
proche de l’écartèlement, de l’information charriée par les mastodontes
médiatiques : premier titre, fort naturellement, sur cette abominable
catastrophe dont les chiffres morbides feraient se pâmer d’extase les cadres et
les sbires de l’écœurante nébuleuse terroriste ; second titre, comme un
mesquin recroquevillement hexagonal, les dix-sept victimes d’une obscure
explosion d’un immeuble à Mulhouse… Certes, l’échelle des chiffres ne
différencie pas la peine des proches, d’où qu’elles soient, mais la mise au même
fronton du déchaînement de Dame nature, à l’écho planétaire, et du fait divers
mulhousien suivi de l’attendue élection de Lioutchenko, peut apparaître comme
une indigeste mixture.
Les
congés hivernaux ont du bon pour ce Journal : j’ai davantage écrit
depuis le 23 décembre que durant les cinq mois précédents. Se tenir à cette
gymnastique scripturale pour 2005, voilà le vœu que je fais. Comme un réflexe
du soir, cinq, dix, quinze minutes quotidiennes à laisser vagabonder l’esprit
pour en garder quelques brouillonnes traces ici, cela suffit pour contenter mon
finalement raisonnable ego.
Mercredi 29 décembre
Chaque
jour passant enfle les bilans de pertes humaines en Asie du Sud Est. Que l’on
atteigne les cent mille morts n’étonnerait plus. Le spectacle médiatique de ces
zones dévastées, de ces autochtones désespérés nourrit nos propres craintes
d’une rupture imprévue de notre douceur de vie.
Matinée
au son de l’entraînement musical de Jim, avant notre départ pour Paris. Demain
soir, retour au bercail et un trente et un déserté : Zoa rejoint son
compagnon en Avignon, Aurélie renonce, de ce fait, à effectuer le long voyage,
seule Joëlle, basée à Caluire, ne s’est pas désistée. Le lancement
d’invitations au deuxième cercle relationnel n’a, pour l’instant, rien donné.
Peut-être quelque imprévu en perspective.
Jeudi 30 décembre
Chargés
plus que de raison, mais au diapason des périodes festives, nous rejoignons
notre bercail lyonnais.
Bonne
ambiance au dîner de Sally, onze convives rassemblés dans ce qui peut se rêver
de mieux comme lieu d’habitat parisien : le grandiose appartement de son
compagnon (non présent hier soir) s’étale dans une belle partie d’un hôtel
particulier avec cour pavée intérieure, occupé en son temps par Talleyrand.
Hauteur ministérielle de plafond, meubles de style, décoration de choix :
l’endroit semble chargé d’histoire. Zoa nous diffuse, via un DVD, en fin de
soirée, son premier court métrage, Tourner la page, de sept
minutes : rôle principal tenu par une comédienne débutante à la belle palette
d’émotions et très aimable participation d’Edouard Baer. Histoire quasiment
sans paroles adaptée d’une nouvelle, la réalisatrice en herbe manie avec
adresse les ruptures de climat et a décidé d’une fin brutale inattendue qui
ouvre à la multiplicité des interprétations à l’aune de chaque sensibilité.
Après les photos, Zoa s’essaye avec bonheur aux images animées. Espérons
qu’elle trouve l’écho nécessaire pour une prise d’envol artistique.
Avec Adèle, toujours la même
complicité, comme si l’on s’était quitté la veille. Petit bout de jeune fille
en devenir de femme. Nous tenterons d’aller la voir danser en mars vers Tours…
Vendredi 31 décembre
Nicolas Hulot sur France
Inter : l’alarmisme de bon aloi, mais que l’on sait d’ores et déjà voué à
résonner dans le désert.
Déjà 120 000 morts
cumulés en Asie du Sud Est… quelques bandeaux noirs sur les Champs-Elysées pour
rappeler l’effroyable bilan. Mieux que rien face au déchaînement festif qui s’y
déroulera ce soir.
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