2002 – À l’aune de soi

 

Mercredi 2 janvier, 1h

À sept heures trente, BB devrait venir se blottir contre moi, m’entourer de ses longues jambes après sa nuit de travail aux urgences. Notre amour s’amplifie de très prometteuse façon et je me sens en phase avec son âme et son corps.

De retour, depuis hier fin d’après-midi, de Chalon-sur-Saône après avoir passé la Saint-Sylvestre avec Karl, Liselle, Aurélie (les deux jeunes filles rencontrées à Royan) et quelques-uns de leurs amis. L’éloignement de ma BB, de garde, et quelques insatisfactions ont provoqué et entretenu un passage ronchon lors de cette veillée. Karl a ressenti les mêmes choses et les critiques sur la fin de soirée se rejoignaient. Malgré tout, très heureux de retrouver les deux foliettes… chacune ayant une histoire sentimentale en cours.

Aucun signe de ma part aux gens du Nord.

 

Dimanche 13 janvier

La vie se poursuit en bonne phase avec BB, la plume rare par un tarissement de l’intérêt pour laisser des traces avortées.

Mon aventure gestionnaire apporte une dimension incomparable à mes argumentations sur la liberté d’entreprise et le débat sur la mondialisation.

 

Jeudi 24 janvier

Vague signe pour une fidélité littéraire en perdition. Mes semaines défilent et se partagent entre mes interventions pédagogiques via Instita, Forpro, Hippocus et l’approfondissement de la douce relation avec BB.

Une résolution pour la rentrée 2002 : accentuer mes interventions auprès des bts en trouvant d’autres organismes de formation que Forpro sur Lyon, et surtout dénicher un directeur de thèse lyonnais pour entreprendre et mener à terme (cette fois) une thèse de lettres sur Paul Léautaud et son Journal littéraire selon un prisme à déterminer. Une phase constructive en perspective, et pas de risque de brouille avec l’auteur choisi !

Revu Ornelle samedi dernier qui a quelques problèmes de santé. Une complicité amicale suivie.

 

Samedi 16 février

Plus d’enclin à rédiger… Quelques passages furtifs suffiront à garder le lien et les traces nécessaires.

Jeudi soir, une première pour BB, et un délice pour moi : une Saint-Valentin partagée chez Fernand Duthion, restaurant gastronomique Les Grillons. Elle est vraiment agréable à vivre et notre intimité évolue favorablement.

Plus de contact avec le château, et cela me va parfaitement.

Projet de trouver d’autres organismes de formation pour des interventions en culture générale auprès de bts. J’abandonnerais alors les bac pro et les bep dont l’immaturité et parfois l’illettrisme ne me motivent pas. Je ferai de même pour Hippocus qui me prend trop de temps. Je pourrai ainsi lancer cette thèse, si un directeur l’accepte.

Eu Sandre ce jour au tél. : je suis le premier à connaître son projet de mariage avec son ami en juin prochain, et ce à l’étranger.

La vie s’écoule sans aspérité pour moi, une espèce de repos existentiel après avoir tant été sur la brèche.

La plume Waterman qui glisse sur cette page m’a été offerte par ma douce BB, elle se substitue ainsi à mon Sheaffer… Parfois l’impression de faire du remplissage ici… peut-être devrais-je revenir au commentaire de l’actualité. À suivre, peut-être…

 

Dimanche 17 février

Quelles que soient les critiques adressées à notre forme de régime, il faut tout de même le remettre en perspective. En Afghanistan le stade de football servait de lieu d’exécution : les Ben Laden and Cie, arrivistes et sanguinaires, en étaient les protagonistes. Chez nous, on utilise le Stade de France pour faire découvrir les jeux de glisse aux enfants de milieu modeste. Un univers de civilisation entre, non ? Alors que les défenseurs, affichés comme Dieudonné ou hypocrites comme nombre d’autres, du criminel Laden aillent s’immerger dans la barbarie qu’il défend.

 

Samedi 16 mars

Agréable soirée chez un couple d’amis de BB, parents d’une infatigable petite fille, Jade. Evocation avec l’homme de l’imbroglio israélo-palestinien, de l’effroi ressenti face à la barbarie avouée dans le documentaire en trois volets, L’Ennemi intime, par des ex soldats de la guerre d’Algérie. Tous ces individus ordinaires qui peuvent s’adonner à la plus abjecte bestialité, pire même car sans objectif vital, me sidèrent. Le long chemin vers ce que l’on prétend humanité ne laisse augurer que tripes à l’air, boucherie toujours recommencée et inutiles massacres.

 

Dimanche 17 mars

Très bon ancrage de ma relation avec BB. Le sérieux constructif (avec enfant(s)) est en ligne de mire.

Les relations lyonnaises se pérennisent : avec Ornelle l’amitié complice s’affirme, avec Bonny un suivi pétillant… Rupture avec Kadya qui n’a pas assumé la relation qu’amicale que je souhaitais. Un week-end de Pâques chez Shue et John avec BB. Très entouré et occupé finalement.

Et l’écriture ? Quelques rogatons parcellaires. Je retourne au décryptage de Bachelard en vue de mon intervention mardi prochain à Clermont Ferrand pour les étudiants qui préparent le CRPE par Galien.

 

Mercredi 3 avril

La villégiature chez Shue et John, dans un Lutry radieux, a été très agréable pour BB et moi. Toujours miné par le regard des autres sur ma dulcinée, j’ai cru déceler chez Shue, dans son manque d’enthousiasme, dans ses non-dits (elle si prolixe à l’analyse normalement), un refroidissement à l’égard de BB. Envoi d’un petit mail hier pour éclaircir l’affaire. Sa réponse lapidaire (« Pourquoi tu me dis ça ? ») ne fait que me renforcer dans mes impressions premières. Quoi que puisse m’avouer Shue, je ne dois me fier qu’à mon ressenti pour BB, sans influence extérieure. Quels que soient ses défauts, je dois peser les immenses points positifs qu’elle m’apporte, sa gentillesse extrême et la douceur de sa quotidienneté. Déjeuner ce midi avec Sally, de passage pour la journée à Lyon. Quelques nouvelles éparses des gens du Nord et de certains membres de sa famille.

À noter la dérive violente du procureur Hubert qui, pour une peccadille, a « massacré » (terme de Sally) sa compagne en présence de sa mère. Les séparations-retrouvailles de ce sordide yo-yo sentimental s’achèvent (ou se poursuivent ?) dans l’abjecte violence maritale. Sa fonction de substitut du procureur, avec le sentiment de puissance qu’elle confère, n’a fait que renforcer des tendances bien présentes chez lui. Je me rappelle, rue Vercingétorix, les restes du défoulement sur sa petite amie d’alors : des cheveux par poignées. Le dépôt de plainte pour coups et blessures l’avait frôlé. Cette fois-ci, les conséquences semblent plus drastiques : perte de la garde sur l’enfant et risque de mutation professionnelle. Sally m’explique que cette tare, chez Hubert, trouve sa source directe chez sa mère. J’ajouterais que les discours et les comportements de Heïm à l’égard des femmes n’ont certainement pas fourni le meilleur des exemples au fils magistrat.

Très agréable rapport avec Sally (je suis à nouveau invité, avec BB, à Royan pour une semaine en août), mais elle tente à chaque fois de me sensibiliser à une certaine actualité du château. Ses craintes quant au comportement d’Hubert concernant la prise de possession du château, contre Vanessa, après le décès de Heïm, m’apparaissent comme un appel indirect. Je n’ai, là encore, pas voulu être désagréable et la mettre dans une position impliquant un choix affectif, mais je n’en ai aujourd’hui que foutre des soucis autremencourtois. J’ai suffisamment donné de ma personne, je me suis grillé quasiment à vie pour la gestion d’une société, j’ai vécu l’enfer du kamikaze social pour défendre les gens du château, pour dorénavant me désintéresser de ces péripéties supposées à venir. Par ailleurs, je ne possède plus aucune part dans la sci du château, je reste simplement caution solidaire pour le prêt ayant permis son achat, et ce jusqu’en 2007. Voilà mon seul lien, pas le plus enviable… Le ton de cette prose suffit à démontrer que je me sens étranger à ce monde ou, plus exactement, aux reliquats d’un monde perdu. Seules des individualités retiennent mon affection : Karl et Hermione, notamment.

Le gouvernement jusqu’au boutiste d’Israël s’adonne à de très inquiétantes répressions guerrières. Des actes antisémites se multiplient dans le monde. Quand comprendront-ils qu’il faut passer outre les attentats des kamikazes palestiniens et décider un acte fort tout de suite : le retrait des territoires occupés. C’est la seule façon de créer un électrochoc favorable à la reprise des négociations. On sombre dans cette infernale loi du talion qui n’aboutit qu’au sacrifice d’êtres humains chez les deux belligérants avant l’inéluctable accord qui devra, dans un an, un siècle, dix siècles, s’imposer. Nous avons bien connu cet engrenage avec l’Algérie.

Avec tout ce que l’histoire de l’humanité nous a appris, continuer ces processus à œillères constitue des involutions bien plus graves que celles de nos aïeux, car beaucoup plus aisément évitables. Pitrerie que la conscience universelle : les particularismes barbares règnent sans partage.

 

Jeudi 4 avril

Terne, terne l’arrière-cour présidentielle. Avant-hier Chirac : à moitié agressif, sans panache, rivé sur ses généralités pontifiantes, agacé par le moindre titillement journalistique. Hier Jospin : technicien rébarbatif, incapable d’alléger par un peu d’humanité joyeuse ses empesées démonstrations, ignorant tout clin d’œil des journalistes en ce sens (cf. l’allusion à sa nouvelle fonction filiale, grand-père, à moins que l’exclusivité à Paris-Match ne lui interdise de relever toute référence à ce thème privé). Et derrière, la flopée des petits candidats qui s’offusquent de cette ségrégation intellectuelle. Un premier tour au beau milieu des vacances scolaires, comme un signe supplémentaire pour le citoyen d’éviter le déplacement électoral face aux congés des idées. Les seuls moments d’émotion de cette campagne auront été les deux faits divers identifiables par leur lieu de déroulement, selon le procédé de la métonymie viticole : Evreux (le père battu à mort alors qu’il venait défendre son fils racketté) et Nanterre (carton d’un détraqué sur le conseil municipal).

Je ne sais de quoi va se composer ma future année professionnelle et si je vais effectivement me lancer dans un nouveau projet de thèse, à tenir cette fois sous peine de me vautrer dans le ridicule. Hippocus, où je suis en ce moment même (colle pour les médecines de Grange-Blanche), s’arrêtera alors après quatre ans de loyaux services. Trop de temps passé sur les ouvrages au programme pour l’année suivante. Je devrai consacrer mon été à Léautaud.

Mon existence convole avec de modestes objectifs, mais la sérénité fondamentale s’est ancrée. Pas une perte de lucidité, je crois y voir bien plus clair, au contraire, sans approche engoncée de la vie. Fini le cérémonial inutile, les pertes de temps pseudo-cathartiques, les monomanies humoristiques, la dérision sans réelle autocritique, toutes ces dérives qui n’ouvrent que sur le sacrifice pour un intérêt vaguement général, et en l’espèce pour répondre aux exigences du chef de la mesnie embryonnaire (suite aux dégraissages successifs). Trente ans auront été nécessaires pour que j’intègre la critique dans mon approche de cet univers à part. L’équivalent du maximum de la part incompressible pour une perpétuité en France… Rapprochement hasardeux sans doute…

Lorsque Sally m’a annoncé que la nouvelle petite amie de Karl avait été bien perçue par Vanessa et Heïm, je fulminais en silence. Quand vont-ils s’arrêter de passer au crible les choix sentimentaux de chacun ! Sous couvert du bonheur qu’ils nous souhaitent, ils s’arrogent le droit d’ingérence psychologique et moral dans nos inclinations et dans la gestion de notre parcours amoureux. Voilà l’une des raisons profondes de mon retrait du château et de mon exil lyonnais : indigestion de ces pressions quasi quotidiennes si le moule n’est pas parfait. Ce clonage mental me pue au nez. Ces poussées littéraires contre les gens du Nord n’ont que la vocation d’alléger un chouia le passé dans ses sombres facettes après tant d’années dédiées aux seules louanges (que je ne renie pas, mais qui se trouvent, avec la perspective des traces présentes, amoindries).

Laisser l’empreinte, même non publiée, d’un regard désengagé, sans l’ombre d’une amertume (puisque je me sens beaucoup mieux dans cet éloignement), sur quelques aspects moins reluisants de la vie chez Heïm, répond à la plus humaine des traditions intellectuelles : rompre avec la pensée unique, quelle que soit la superficie de son territoire (en l’espèce une micro société).

 

Mardi 16 avril

Livraison hier soir, par Louise, la sœur de BB, du Journal littéraire de Léautaud, en dix-neuf volumes, publié dans la décennie 50, pour l’essentiel, au Mercure de France. 1 500 francs (220 euros environ) chez un bouquiniste nantais : une affaire m’ouvrant la jouissive perspective d’une replongée dans cette fresque socio-intimiste des volumes xiii à xix. L’œuvre majeure de Léautaud enfin dans ma bibliothèque. Je vais pouvoir rendre le volume xiii, emprunté voilà plusieurs années à Heïm et dont la lecture s’effectuait entre éclipses dominantes. Le plaisir de retrouver ces pages au papier épais, presque de chiffon, ces couvertures blanches, à la sobriété trompeuse pour qui se risque à les ouvrir, ce parfum de vieux bouquin bien conservé, à l’âge serein pour délivrer l’expérience d’une vie d’homme. Me reste à trouver le directeur de thèse pour m’immerger totalement dans le monde de Léautaud : la galerie de portraits des gens qui comptent dans la littérature, ceux fustigés, les allusions à une actualité à recomposer.

 

Jeudi 18 avril

Affligeant l’absolu manque de curiosité intellectuelle de la plupart des étudiants que je suis. Confinés dans leur prêt-à-vivre sans surprise, le ludique décervelant anime seul leur piètre existence.

Je n’ai toujours pas appelé Heïm, et je n’en ai nulle envie. Je me sens vraiment étranger à son univers aujourd’hui. Hier, message de sa femme pour me signaler que le jugement de liquidation de la seru devait m’être signifié. Mauvais goût qui remonte, j’espère qu’il conclura enfin ces années d’épreuve où l’engagement a tissé sa toile d’angoisse jusqu’à l’effondrement éperdu.

 

Samedi 4 mai

Les quinze jours de campagne anti-Le Pen se sont achevés. Dimanche, Chirac devait se voir confier un nouveau mandat pour le premier quinquennat de la Ve. Curieuse atmosphère d’un consensus horrifié par ce challenger gagnant pour le deuxième tour. Certes, un Le Pen à l’Elysée mettrait la France au ban de l’Europe, voire du monde, mais sa fonction d’aiguillon de la vie politique me semble salutaire. La cohabitation a en tout cas démontré qu’elle était viable sur le plan institutionnel, mais dangereuse politiquement : les extrêmes trouvent alors toute leur légitimité pour contraster avec l’indifférencié à la tête des pouvoirs exécutif et législatif.

Quant aux manifestations anti-Le Pen, elle me semble une quasi contestation du système démocratique lorsqu’il ne répond pas au sens attendu par certaines populations. La haine ne vient pas que d’un côté.

Pas les mêmes idées politiques avec ma BB mais, peu importe, notre lien se pérennise. Hier, pétillante soirée avec le couple Eddy et Bonny : l’amitié se confirme.

 

Mardi 21 mai

Vu quelques passages de l’émission Ça me révolte qui dénonce les criminels de la route. A vous dégoûter définitivement de la nature humaine… Des porcs décervelés et lardés d’impunité : voilà la mutation qui s’opère chez les lambdas qui prennent le volant. Pour tout individu qui occasionne la mort ou des blessures irrémédiables, il faudrait deux mesures simples : la traduction devant une cour d’assise, et non la correctionnelle (il s’agit d’un crime et non d’un délit) et surtout l’annulation définitive du permis avec l’impossibilité de le repasser. Il faut mettre ces criminels hors d’état de nuire : et il y en a quelques dizaines de milliers en France. Evidemment, pas un politique n’aura le courage de prendre ces dispositions. On fait du sécuritaire pour rassurer les braves gens (et sans doute à juste titre), mais les dix mille morts par an sur les routes ne méritent pas un grand coup de latte dans le lobby automobile. Ça me fait gerber !

Il y a quelques jours, rêve (cauchemar ?) que les gens du Nord reprenaient contact pour un nouvel enrôlement professionnel avec toutes les angoisses adjacentes. Aucune envie de les revoir. La mort de Heïm changera peut-être la donne, mais je crois ne plus rien avoir à leur apporter, et réciproquement.

Encouragement d’Ornelle par texto en fin d’après-midi. Elle passe ses examens cette semaine. Son copain Jérôme aurait été agressé dans le métro, mais je n’en sais pas plus.

J’ai sans doute trouvé (grâce à un contact fourni par Edith, collègue de Forpro) mon directeur de thèse pour mon projet d’étude sur Léautaud. Ma plongée dans la suite du Journal littéraire prend un rythme de croisière : le XIVe volume bien entamé. La période de la Seconde Guerre mondiale révèle un Léautaud loin du monolithisme collaborateur ou résistant. L’ensemble de ses analyses, de ses jugements à l’emporte-pièce et de ses humeurs forment un tableau au clair-obscur où seule compte son indépendance d’esprit.

Ce soir, en cherchant un bouquin pédagogique, je vois les gros volumes de la collection Bouquin sur le Journal de Jules Renard, les trois tomes de celui des Goncourt… Si j’y ajoute ceux de Galtier Boissière (que je ne possède pas), de Charles Juliet (prêté – le vol. I – par Melycia) et de Jacques d’Arribehaude… je ne suis pas prêt de me mettre à la lecture de romans !

Bientôt une heure du matin et il faut que je provoque mon sommeil réfractaire…

Si je pouvais être plus régulier pour la tenue de ces pages…

Oublié d’indiquer ma décision de ne pas reconduire ma collaboration avec l’Institut Galien. Consacrer mon été à lire les ouvrages des médecines et des pharmacies, au lieu de m’immerger dans Léautaud, ne me semblait pas sage. Je compenserai la perte financière par quelques cours particuliers qu’Institia m’aura dénichés.

Les services secrets américains soulignent qu’une nouvelle vague d’attentats islamistes menace. L’opération américaine de démantèlement des réseaux concernés n’intéresse plus nos médias car elle s’inscrit dans la durée et non dans le spectaculaire éphémère. Un été explosif aurait lui, sans aucun doute, plus d’échos.

Entre mon esprit vagabond et la feuille de papier, si irrégulièrement noircie, une déperdition majeure. Combien de réflexions, de sentiments, d’impressions passés à la trappe par fainéantise littéraire ? Pas cela qui entamera l’anonymat qui s’amplifie les années passant.

 

Mercredi 23 mai

Hier soir, appel d’Ornelle (en pleine semaine d’examens pour sa première année d’iut). Elle me confie les tenants de son nouvel embryon d’histoire sentimentale. Une amie de plus en plus chère que cette Ornelle. Emouvant de se rappeler la première entrevue lorsque le bus nous a mené ensemble vers Saint-Cyr, sans que nous nous connaissions, pour le premier cours de français à donner. Ce suivi humain enthousiasme l’âme.

 

Samedi 26 mai

À Parmain pour la fête des mères, après une après-midi intense en défoulements physiques. Entre tennis et ping-pong, le corps s’est échauffé à point.

 

Jeudi 30 mai, 1h50

[…]

Appris la mort du journaliste non voyant Julien Prunet, à 29 ans, qui tenait une chronique quotidienne sur France Info. Pincement au cœur d’émotion pour cette jeunesse enthousiaste et ambitieuse stoppée nette par la Camarde… saloperie de mort !

Que de pages noircies pour quel contentement illusoire ? Inutile babil littéraire qui demeurera dans l’anonymat. Aucune chance qu’il sorte de ces carreaux, à moins d’un acharnement posthume qui ne me regardera plus. Moi qui croyais pouvoir faire carrière dans l’écriture, quelle baudruche !

 

[Courriel à Cindy]

Vendredi 31 mai, 16h21

Objet : Bravo !

Une sorte de veinarde tu es !!! Je suis ravi de ces perspectives de détente qui s'offrent à toi... après ce dur labeur. Et sais-tu déjà les contrées qui vont avoir le plaisir de t'accueillir ? Et quel genre d'aventure tu projettes ?

Pour notre entrevue, j'espère que la semaine de juin de ma présence te trouvera encore à Paris...

Et à Lyon, tu y es passé ces derniers mois ?

Curieux, toujours curieux je suis...

Je m'éclipse. A bientôt

 

Lundi 3 juin

Ce week-end, ma BB s’est produite avec sa chorale et une autre venue d’Aix-en-Provence. Jolie prestation. Notre relation se poursuit dans la sérénité.

Ornelle devient vraiment une amie quasi fraternelle. Elle se confie de plus en plus à moi et semble accorder beaucoup d’importance à mes conseils. En partant de chez elle, dimanche après-midi, elle me dit avoir envie de me confier tout cela, car je suis son ami le plus proche, un peu comme son frère. Très touchant que cette relation prenne ce tour.

Après une petite enquête téléphonique (très rapide) je retrouve Aline, à Paris depuis deux ans après sa séparation avec son mari installé en Angleterre. Je dois dîner avec elle lors de ma semaine parisienne, le 19 juin.

 

Mardi 4 juin

Ce soir, un Théma sur le conflit israélo-palestinien et ses deux figures de proue antagonistes : Arafat et Sharon. L’inextricable situation devra bien un jour déboucher sur un accord : manque toujours chez l’être humain cette capacité à prendre de la distance par rapport à ses propres intérêts, pour une mise en perspective de l’intérêt global.

La diffusion, ce matin, à six auditeurs en bts (du centre ressource dont je m’occupe à Forpro) de L’ennemi intime édifie sur la nature humaine et n’incline pas à croire en elle. Echapper à ces dérives collectives, qui me donnent la nausée, explique peut-être mon absence d’attachement amical à des hommes, hormis lorsqu’ils deviennent compagnons d’amies préalables (cas d’Eddy, l’amour de Bonny connue célibataire).

Ma tournée relationnelle déjà évoquée se charge en plus d’une entrevue avec Carmelle autour d’un verre, ce jeudi à 11h30 au Bar américain. Elle semble avoir déniché le grand amour, ce qui m’enchante.

Plus de contact avec les gens du Nord, et c’est un soulagement. Je n’éprouve pas l’once d’un regret, d’une quelconque nostalgie face à mon éloignement. Les apports réciproques ont été largement épuisés.

 

Jeudi 6 juin

Mon débarquement littéraire dans les contrées littéraires de Paul Léautaud prend forme. Depuis hier, Jean-Pierre M. (spécialiste de Henri Michaud) est (pas encore administrativement) mon directeur de thèse.

Mon objectif littéraire se précise lui sur l’oreiller en ce début de matinée : montrer et démontrer en quoi le Journal littéraire constitue en même temps le creuset où s’élaborent, s’affirment et s’affinent les principes littéraires, moraux, psychologiques et comportementaux d’un homme de lettres, et l’œuvre littéraire d’une vie, dont la cohérence ne résulte pas d’une pause intellectuelle, mais du tracé existentiel de son auteur.

En arrière-plan, tentative de restituer au genre diariste toute sa valeur littéraire.

Projet de titre : Le Journal littéraire de Paul Léautaud : du creuset à l’œuvre.

 

Samedi 8 juin, 2h… du mat.

Vu ce soir Carmelle et son amie Samia, toutes deux adorables, d’abord à l’Amphy, rue de Marseille, un bar dans lequel travaille le fils de Mme S., directrice pédagogique de Forpro ; puis dans l’appartement d’une accointance fêtant son anniversaire. Le caractère grégaire de ces ambiances me gêne toujours, partagé entre l’adaptation au milieu et le rejet systématique.

Mes programmes parisien et londonien se précisent. À Paris, du lundi au vendredi midi, j’aurai l’immense plaisir de retrouver Aurore (enceinte de quatre mois), Ornelle (qui travaille avec sa sœur tout le mois), Samya (à Rambouillet), Aline et Sonia. (et la liste n’est peut-être pas close). Entre ces rendez-vous amicaux et/ou affectifs, je me concentrerai sur la lecture des trois thèses consacrées à un aspect de l’œuvre de Léautaud (ses autoportraits, la question du style et un écrivain en guerre, 39-45). Par ailleurs, je testerai une première prise de contact avec la bibliothèque Doucet pour un accès au manuscrit du Journal littéraire.

Londres, en deux jours, je retrouverai Marianne (pas revue depuis au moins trois ans), Carnelle à nouveau et Laurence, l’ex du Domaine de Tassin. Voyage dense pour le moins.

L’univers de l’automobile reine et des automobilistes crétinisants et criminels en puissance me révulse de plus en plus : les vitesses excessives en ville, les feux grillés, l’agressivité impunie, les inconséquences pouvant finir en drame humain. Tout cela me conforte dans un dégoût nauséeux.

 

Dimanche 9 juin

Hier soir, encore une très agréable nuit au Club 30 avec Bonny et Eddy, alors que BB effectuait vaillamment son travail. Amical et de plus en plus affectif avec ce couple.

Je me suis fait allumer par une donzelle à la morphopsychologie très proche d’Elen : le visage (notamment un nez imposant), la poitrine gonflée et une voix disgracieuse. Bonny l’a bien senti et n’appréciait guère ce comportement de glaneuse d’un coup de rein.

Ces deux derniers débuts d’après-midi, je monte deux étages pour sortir tendrement et charnellement BB du sommeil. (…) Un délice.

Après les sens, l’essence littéraire de Léautaud m’attend.

Législative, premier tour ce jour. Toujours pas ma carte d’électeur : aucune volonté de m’associer à cette messe républicaine bien terne.

 

Lundi 10 juin, 23h50

En début de soirée, appel de Sally pour prendre quelques nouvelles, et surtout être le relais des attentes des gens du Nord. Cette fois, demande de l’épouse de Heïm que je sois présent pour la fête des pères. Elle m’apprend la suite des accusations du fils Hubert à l’égard de Heïm, qu’il ne veut plus laisser son enfant au château car son père « violerait » tous les petiots de passage. Appris aussi que le magistrat déjanté aurait repris contact avec Alice pour tenter de neutraliser tout risque face à sa propre tentative de violence sexuelle sur sa sœur. Décidément, le sordide règne dans ces contrées.

J’ai évidemment décliné l’invitation pour cette mascarade très faiblement festive, prétextant de mes engagements par ailleurs (semaine et week-end pris à Paris et à Londres). Même sans cela je n’y serais pas allé. Je trouve incongru de me retrouver parmi ces gens, que j’ai certes adorés, mais dont je ne partage plus du tout les perspectives existentielles. L’hypocrisie, ou le coup d’éclat, s’immiscerait nécessairement. Pas de temps à perdre avec ces ambiances trop longtemps supportées. Plus mon monde, définitivement !

Je ne leur veux aucun mal, je serai présent pour des situations exceptionnelles (comme l’enterrement de l’un d’entre eux), mais nos chemins se sont séparés et le rapport filial n’est plus.

Ce soir, un débat télévisuel Fabius contre Douste-Blazy. Vers la fin, intervention percutante de Nicolas Hulot qui met en exergue les vrais problèmes prioritaires pour la survie de l’humanité. D’un coup, les échanges des deux politiques sur les problèmes nationaux semblent autant de baudruches rhétoriques. Juste après les réponses ou réflexions sur les propos de Hulot, la journaliste, selon un déroulement programmé à l’avance, aborde le sujet du match de football France-Danemark du lendemain matin. Le petit film sur la victoire de 98 et la situation actuelle paraît ridicule et déplacé après des propos alarmistes, mais justes, de N. Hulot. Aller dans le sens du bon pôple : voilà la plaie de ce système politique où (comme l’a reconnu l’un des deux élus présents) l’horizon des élections ne peut correspondre à l’horizon environnemental, et pourtant c’est de ce dernier que dépend tout le reste.

 

Mardi 11 juin

La connerie populaire dans toute sa profondeur avec des retournements de sentiment lorsque le vent tourne.

 

Lundi 24 juin

Une semaine parisienne suivie d’un week-end à Londres ne m’a pas laissé le soin de saisir sur le vif les impressions, les entrevues et les pérégrinations.

Côté studieux, la lecture, plus ou moins rapide, de deux thèses consacrées à Léautaud (à Paris IV et VII) : l’une sur le style de l’écrivain, l’autre sur une tranche de son J.L. par le biais thématique. J’ai débuté cette investigation universitaire à Paris III par la découverte d’une thèse intitulée L’écrit des jours sur le genre diariste à travers quelques cas particuliers (curieusement, Léautaud n’y est pas cité). Grâce à l’ordinateur portable offert par Shue, j’ai pu saisir directement les passages et références sélectionnés. Par le biais du prêt interuniversitaire, je lirai les quatre ou cinq autres sur Léautaud pour mieux pouvoir délimiter l’angle de mon approche.

Côté relationnel, multiplication des entrevues amicales. Aurore le lundi midi : enceinte de quatre mois, elle me présente, au cours d’un déjeuner exprès (après une longue marche pour atteindre le traiteur asiatique), son compagnon d’origine grecque qui semblait à moitié content de me rencontrer. Elle semble épanouie, mais ce cadre triangulaire ne lui a pas permis son épanchement habituel. Curieuse impression de savoir enceinte celle qui a été mon premier amour (de nature platonico-passionnelle), mais pas une once de jalousie. Plutôt une émotion due au temps qui a passé.

Le soir de ce lundi, dîner sur la terrasse en hauteur du restaurant Le Totem (découvert grâce à Shue, lors de notre premier dîner, en 1996, suivi d’une promenade intense en attirance réciproque) avec la toujours plus complice Ornelle. Notre amitié est des plus profondes et des plus pétillantes. Un ravissement pour moi que ce tête-à-tête enflammé, nos rimes croisées et cette confiance qu’elle m’accorde. Je me sens comme un grand frère affectif.

Le lendemain midi, je la retrouve pour une sandwich-party avec trois jeunes femmes qui travaillent avec elle, sur la pelouse du jardin face à l’immeuble qui abrite l’Ecole d’Assas, détenue par des collatéraux d’Ornelle.

Le mardi soir je rejoins, place de la Contrescarpe, Sonia. Copine de droit en td de relations internationales, puis amie suivie à partir du développement de ses divers soucis (familiaux, sentimentaux et professionnels), je l’avais un peu délaissé ces derniers mois (voire années). Elle me révèle d’ailleurs ne pas du tout avoir apprécié la teneur de notre dernier et très bref entretien téléphonique : j’aurais ri de façon sarcastique après m’être fait confirmer qu’elle cumulait toujours des rondeurs mal assumées et que le désert sentimental perdurait. Sans doute une grosse gourde psychologique de ma part. Une soirée bien agréable où j’ai pu reprendre le fil de ses ennuis qui persistent dans les domaines précités. Même ce qui devrait apporter une note positive se transforme en cauchemar : ainsi son achat d’un 70m2 près de la rue Mouffetard, des travaux qui n’en finissent pas depuis un an et demi et des voisins qui n’apprécient guère les effets secondaires de ces interventions sur l’immeuble. Sa mère en phase gravissime d’alcoolisme, ses kilos qui l’ennuient toujours (bien qu’elle ait perdu depuis notre dernière entrevue) et un cabinet d’avocats qu’elle veut fuir (dirigé par le médiatique, mais fou furieux, A. Benssoussan).

(A suivre)

 

Mardi 25 juin

Le mercredi soir, je retrouve Aline, perdue de vue depuis son mariage, en 1997 ou 1998, qui n’aura duré que six mois. Avocate dans les quartiers chics de Paris, avenue Hoche, elle vit avec un Québécois. Grand plaisir de la revoir, j’essaye de mieux la connaître et d’instaurer une vraie complicité amicale. Nous évoquons ensemble le temps du lycée et de ma réserve hautaine dans mon rapport aux autres.

A Londres, retrouvailles avec Marianne pas vue depuis six ans. Elle vit en concubinage avec Matt, grand gaillard anglais, et ne semble pas très optimiste sur sa relation. Malgré cela, elle part en septembre avec lui pour un tour du monde sur un an et demi. Visite du cœur de la ville et moments plaisants en leur compagnie.

Vu Laurence rapidement dimanche : état psychologique très bas après sa récente rupture sentimentale. Elle ne pense pas prolonger son installation après décembre.

 

Mercredi 26 juin

Premier week-end parisien avec ma BB présentée à maman, Jean et mes frères (papa, Anna et les deux petits la connaissent déjà). Très bon contact, elle est appréciée par toute la famille. […]

Reçu un courrier de Fanny C., la jeune auteur de 19 ou 20 ans, amie de la sœur de BB, qui avait souhaité avoir un avis littéraire sur quelques nouvelles d’une personne avertie dans le domaine et ne la connaissant pas. Elle me remercie d’avoir passé du temps sur ses écrits et témoigne, avec une très fine intelligence et une maturité rare, des difficultés rencontrées et des déficiences occasionnées. Je sens qu’un vrai lien pourrait naître avec elle.

Je renoue avec les après-midi au parc de la Tête d’Or. Le farniente à l’affût des regards complices, le volume XVI du Journal littéraire de Paul Léautaud parcouru, et ce bloc-notes (supplément portable du grand format) rempli épisodiquement. En face, deux jeunes mères de famille fumaillent avec des accents de voix pas très féminins. Cela ne me rebuterait pas pour une furtive défonce sexuelle. L’une fine, châtain, au string dépassant légèrement à l’arrière de son jean (une mode venue de Londres) alors que l’autre, blonde sensuelle, un peu plus potelée, laisse voir une petite culotte blanche beaucoup plus simple, mais non moins excitante à enlever. La fine, en passant près de moi pour aller dire quelque chose à son fils, présente un percing à son nombril, le ventre bien plat. Objets de désir sexuel, je les réunirais bien pour une vraie défonce tous azimuts. Bien classique fantasme (assouvi timidement en 96 ou 97 avec Sandre et Marilyn) qui reste vivace. Les écoutant, j’apprends que la fine (beaucoup plus féminine dans sa voix) est célibataire ; ses regards appuyés et son sourire complice ne laissent aucun doute sur son désir que je l’aborde. Je ne cède pas.

 

Jeudi 27 juin

Demain, départ pour Arles avec BB, week-end en amoureux chez sa sœur. Première baignade estivale à l’horizon.

Aller au château d’Au, le premier week-end d’août, me partage : attirance affective, mais appréhension de retrouver les mêmes tics existentiels, les mêmes monomanies intellectuelles… Je ne souhaite évidemment pas exposer dans tous les détails mon ressenti par rapport à la vie passée partagée. Cela ne servirait qu’à rendre Heïm un peu plus malheureux, ce que je ne cherche pas. S’en tenir à cette parenthèse affective avec ce qu’elle peut apporter de bon : voilà le seul objectif qui, j’espère, est réciproque. En cas contraire, cela constituerait ma dernière visite.

 

Mercredi 3 juillet

Le séjour dans l’antique Arles avec BB, chez sa sœur Louise, s’est modelé du plus plaisant imprévu. Une amie de Louise, rencontrée au hasard des rues (Mylène) et son compagnon, eux-mêmes recevant un autre couple, et voilà une joyeuse troupe constituée pour atteindre la plage de rêve au fin fond de la Camargue, vers le phare de la Gachole. L’occasion de découvrir l’agréable convivialité de ces jeunes gens lors d’une marche complice (mon esprit était dans un de ses bons jours où les réparties fusent et rencontrent un public réceptif), puis d’une pêche improvisée aux tellines.

Le dimanche, repas autour de cette prise (trois kilos environ de ces petits coquillages fort goûteux) avec le duo ‘tite Fanny (la jeune femme découverte par son écriture) et F. en plus. A neuf dans le petit appartement de Louise les accents plaisants sont confirmés.

Ornelle n’a pas réussi sa première année de gea. Les céphalées répétées et l’hospitalisation auront hypothéqué ses chances. Avec une moyenne de 9,77 elle n’est pourtant pas passée loin de l’exploit, d’autant plus qu’un dossier à 9,83 est passé. Je file ce matin vers Saint-Cyr pour finaliser un courrier au directeur de l’iut dans l’espoir d’une révision de la décision.

Un déjeuner chez moi avec BB et Ornelle.

 

Vendredi 5 juillet

En attente de ma correspondance à Lausanne. Cinquante minutes de battement pour quatre minutes de voyage jusqu’à Lutry : si je n’avais pas ma grosse valise à roulettes, j’aurais choisi d’y aller à pied.

Lecture de quelques semaines de l’année 44 dans le volume XVI du Journal littéraire de Léautaud : l’horreur ressentie et inscrite face aux massacres systématiques (comme celui ayant eu lieu en Pologne au début de la guerre et rapporté dans Combat) confirme la totale absence chez lui d’idéologie mortifère ou de complaisance envers celle qui prônerait de passer par le sang pour l’accomplissement de la doctrine défendue.

Peut-être que le meilleur biais d’étude, pour ma thèse, serait de montrer combien le Journal permet de saisir dans toute sa complexité (et ses contradictions le cas échéant) la philosophie d’un homme sur toute une existence. Sans mise à distance calculatrice, sans mise en scène a posteriori, le Journal littéraire trace sur le vif les sentiments, le ressenti, l’humeur de son auteur. L’écriture authentique d’un diariste a sans doute plus de peine à être attractive, pour le lecteur, qu’elle ne se pare d’aucune construction préméditée, et limite son esthétisme à la spontanéité plus ou moins talentueuse du premier jet. La transcription linéaire, parcellaire et subjective de ce qui compte à l’instant T de l’action d’écrire a pour seule cohérence la fresque existentielle en cours d’édification et dont l’achèvement s’impose au diariste. […]

 

Samedi 6 juillet, 18h

De la flotte pour ce deuxième jour à Lutry, après un vendredi radieux.

Hier après-midi passé avec Shue, John étant en déplacement professionnel, et Marie qui s’est bien remise de sa tuberculose (mais son traitement se poursuit sur plusieurs mois).

Immense plaisir de retrouver pour quelques heures une dualité amicale avec Shue. La finesse de son analyse psychologique sur ma relation avec BB m’a confirmé sa grande qualité intellectuelle et son sens des autres. Si notre lien se pérennise (ce qu’elle croit et souhaite) BB aura la tolérance implicite de laisser exister mes besoins de séduire.

Repas et soirée partagés avec Marie, toujours aussi fascinante dans son mysticisme, mais qui a su s’ouvrir à d’autres sujets plus prosaïques. Passage chez elle après une promenade dans Lutry : elle me laisse découvrir son book de photos de sa période new-yorkaise où elle tenta la carrière de mannequin (étonnante capacité à multiplier ses visages, et d’une très belle facture esthétique), et sa dernière œuvre en cours sur les étapes essentielles de son existence. Des mémoires métaphorisés, aux accents spirituels, découpés en brefs contes qui dépeignent quelques tranches de vie. Elle me montre aussi la correspondance reçue du directeur littéraire de Grasset, avant et après une entrevue à Paris, sur son récit inspiré. Côté foi : elle a pris conscience qu’elle n’est pas faite pour la vie en communauté religieuse ; elle est en contact mensuel avec un directeur spirituel qui l’incline au renoncement provisoire à la création (écriture, peinture) et teste chez elle sa capacité d’obéissance. Toujours célibataire, elle attend ses trente ans (le 18 décembre prochain) pour envisager une nouvelle rencontre sentimentale.

A noter : Alise, l’avocate new-yorkaise que je dois voir le 15 juillet prochain à Paris, est la petite fille de l’ex grand roi d’Ethiopie, Haïlé Selassié. Cela explique l’aristocratisme qui émane d’elle avec sa noblesse de port.

 

Lundi 8 juillet, 0h30

Dernière nuit à Lutry, comme toujours accueilli comme un prince par Shue. Des moments de pur plaisir : cette fin de déjeuner sur un transat, lac Léman sur fond d’Alpes face à soi, un verre de cognac dans une main, un Davidoff préparé par John dans l’autre et le Journal littéraire de Léautaud comme univers d’accompagnement ; ces quelques longueurs à la brasse dans la piscine du Lausanne Palace, suivies d’un farniente dans le jacuzzi adjacent. Des moments festifs : passage au festival de Montreux. Des moments de quiétude et de curiosité : accompagnement de Marie et d’une amie, Servane, dans une communauté religieuse pour une représentation musicale, la mise en musique de poèmes de Sainte-Thérèse de Lisieux, entre autres choses.

Retour à Lyon pour une soirée au festival Jazz à Vienne avec BB.

A noter que cette immersion éphémère dans l’ambiance d’une communauté religieuse a confirmé mon sentiment contradictoire : adhésion aux messages constructifs et à une certaine morale ; rejet du conditionnement sous-jacent et de l’anthropocentrisme qui sous-tend les dogmes religieux.

 

Dimanche 14 juillet, 11h30

Ce troisième jour au Cellier offre un bleu méditerranéen. Parents, frère et sœur de BB toujours aussi accueillants. Le bon esprit affectif qui règne dans cette famille repose l’âme. On ressent la vraie tendresse de part et d’autre, la plus démonstrative étant Louise. La bouille et le regard gentil du père m’ont d’emblée conquis : une crème d’homme en fait. Aucune prise de tête pour moi dans cet univers où je me sens très apprécié, ce qui n’empêche pas des débats passionnés, comme sur le classique conflit israélo-palestinien hier au soir.

Je délaisse ces pages pour mieux me plonger dans le Journal littéraire de Paul Léautaud, le volume XVII est entamé.

 

Lundi 15 juillet

Journée balnéaire avec la famille B à… Pornic, lieu de villégiature de Léautaud chez le Fléau. Le 5 septembre 1946, alors qu’il s’y rend depuis des années, il confie s’y être ennuyé la plupart du temps. Aucun sentiment de cette sorte pour ma part. Après un déjeuner tardif à la Gourmandine, aux crêpes et galettes goûteuses, passage dans une des petites cryptes rocheuses qui offrent des plages réduites, ronds de sable encastrés. Malgré la marée basse et les rochers saillants, immersion dans l’eau vivifiante sur les traces de François (le frère de BB) davantage motivé. Soirée avec BB chez sa plus ancienne et plus chère amie, Laure. Le petit garçon de cinq ans, qui se croyait en liens privilégiés avec BB, boude ma présence. Leur conversation sur les enfants dans un couple, l’importance d’en avoir (nos hôtes ont eu les plus grandes difficultés à en concevoir un) m’a mis un peu mal à l’aise. Il faudra pourtant bien que j’affronte cette question avec BB. Y a-t-il une envie d’en avoir un chez moi ? Je suis pour le moins partagé…

19h05. Fin du passage exprès à Big Lutèce. Aline toujours radieuse, l’enthousiasme sans pause : nous avons improvisé une pérégrination parisienne après le repas partagé avec son amie Manale. Passage au musée Dalí de Montmartre où je n’ai pu résister à l’achat de quelques reproductions de grands et petits formats. Approche très rapide de l’arc de triomphe avant de rejoindre Adèle et Nidia près du musée du Louvres. Encore une journée comme un clignement, avec le sentiment de ne pas avoir assez densifié le trop bref temps imparti.

Avec Nidia, évocation rapide de mon Journal : elle se demande où en est sa publication (la « saga familiale » l’a-t-elle nommé). Je lui apprends (ou lui confirme si Sally l’avait déjà informée) que ce projet éditorial est avorté mais ne m’empêche aucunement de poursuivre. J’ajouterai, pour ces pages, qu’il prend ainsi sa dimension de voix indépendante, anonyme et sans illusion. Plus de perspective de piètre gloriole et d’une existence officielle de cette fresque subjective. Reste l’accumulation sans fard du ressenti. La seule voie d’équilibre psychique et de lien avec l’écriture spontanée demeure ces élans sans consistance.

Dans le tgv à moitié vide, sous la grisaille automnale, une beauté distante accompagne cette traversée ultra rapide, cicatrice d’acier, sans me décocher un regard. Une puissante fidélité à ses objectifs existentiels, peut-être à son amour. Je devrais faire mienne cette imperméabilité à l’alentour et me concentrer sur ce qui m’est déjà offert : mon amour BB, ma thèse débutée, mes chères amies. La multitude relationnelle n’apporte finalement que des remplissages en trompe-l’œil et liquéfie la trajectoire que l’on tente de suivre.

 

[Courriel à Marine]

Mardi 16 juillet, 12h39

Objet : Re Beausoir

Toujours votre ton si lyrique... je vous souhaite le plus beau des voyages...

Pour moi la vie se déroule agréablement : mon histoire avec BB se poursuit, j'ai relancé un projet de thèse de lettres sur le Journal littéraire de Paul Léautaud, je multiplie les week-ends prolongés chez des amies, je poursuis l'écriture de mon Journal.

Voilà synthétiquement... J'espère que nous nous reverrons un jour.

Avec toute mon affection.

 

Samedi 27 juillet, 1h30 du matin

Vu jeudi soir, sur Canal +, le spectacle barbare de la tauromachie. Préjugés très hostiles à cette cruauté ludique, je profite de ce hasard d’un zapping de fin de soirée pour me faire une idée plus précise du cirque en paillettes sanguinolentes. Bilan : je comprends mieux la fascination, voire l’envoûtement, produit par ces exhibitions. Les toreros s’y montrent stupéfiants de détermination dans l’arène, se faisant frôler par la bête enragée de s’être faite charcutée. Contraste de la perception qui ne doit pas occulter que jouer avec la vie d’un animal pour son seul plaisir est d’abord et avant tout inexcusable.

Dans un tout autre registre, vu ce soir, aux Nuits de Fourvière avec ma BB, la comtesse aux pieds nus du Cap Vert, Cesaria Evora. Magnifique voix, mais présence timide sur scène.

19h40. L’estival sans concession. Une ballade avec BB près des étangs de Saint-Julien, dans l’Isère. Ce soir, nous dînons chez la famille Cargeaud et le dimanche chez les Caravelli, dans leur paradisiaque demeure à Charly, pour un farniente avec piscine…

Le dernier titre des Coldplay confirme mon enclin pour leur teinte musicale, une espèce d’état de tension semi dramatique qui glisse avec retenue vers l’éclatement. Un lyrisme mélodique qui m’enchante.

Retour quelques instants au volume XVII du Léautaud, année 48…

 

Vendredi 2 août

Juillet m’a ancré un peu plus à Lyon. La lecture du Journal littéraire au parc n’a pas étouffé le relationnel. Les copines du parc s’étoffent de charmantes jeunes femmes (Annie, Marjorie, Muriel, Elise) avec qui de cordiales, voire d’amicales complicités peuvent s’établir. Elise et Muriel ont des enfants : cela ne fait qu’aviver mon retard pour l’élan procréateur. Moi qui, après la rupture avec Sandre, me résolvais à une existence retirée, truffée d’amantes successives, j’intègre aujourd’hui le paramètre d’un enfant avec BB comme nouvelle étape d’existence.

Après ma vague d’envois, en début de semaine, de candidatures spontanées auprès d’organismes de formation, déjà deux manifestations (une prise de rendez-vous et un document type à renvoyer). Peut-être de nouvelles collaborations en perspective qui compenseront mon arrêt de l’Institut Galien.

Une très agréable soirée chez Bonny et Eddy, mercredi soir, avec d’autres de leurs amis, confirme l’amitié joyeuse qui se tisse les rencontres passants.

En route pour l’Aisne, après deux ans d’absence : j’espère que le séjour s’axera sur l’apport affectif partagé sans résurgence des vieilles rengaines, ni essai de connaître mon jugement sur telle ou telle tranche de vie.

Je pars dans cet état d’esprit, même si je me doute que quelques thèmes existentiels seront abordés par Heïm. Pour son anniversaire, fêté en avance dimanche, je lui apporte une liqueur des vendéens (spécialité achetée lors du séjour au Cellier) pour le palais, et l’Histoire d’humour de l’histoire de France de Guy Breton pour l’esprit.

Parmi les adoptions parlementaires de cet été, l’augmentation de 60 % des salaires des ministres pour compenser la suppression par le gouvernement Jospin des enveloppes, pratique séculaire pour un complément conséquent des rémunérations. Les médias se sont bien sûr empressés de mettre cette information en parallèle avec la très faible augmentation du SMIC. Un rapport bien artificiel, mais excellent pour le racolage social et la grogne dans les chaumières de la « France d’en bas », selon l’expression raffarinée.

Le taulard José Bové s’offre un bain de foule sous les projecteurs avant de reprendre son antienne favorite et de stigmatiser les coups portés à la « France du sous-sol ». En forme, le Bové, malgré la cure cellulaire.

Dans le train Paris-Laon, au trois quarts vide, pris si souvent dans la deuxième partie des années 90, je songe encore à ce passage au château d’Au, aux multiples améliorations que je vais découvrir, à l’ambiance que je vais retrouver. Il me faudra jongler avec le niveau que je souhaite laisser émerger de ma nouvelle existence. Affection, mais détachement de toute dérive qui favoriserait l’épanchement à effet boomerang.

 

Samedi 3 août

Une première partie du séjour tout en affection arrosée. Pas de volonté polémique et une surprise : nouvelle proposition de Heïm d’éditer mon Journal ! Il fait allusion à la promesse faite à mon père de ne jamais l’éditer pour mieux l’évacuer.

Très chaleureux de le retrouver, mais il a ressenti un léger malaise chez moi, depuis ce matin, et le fait est : je ne me sens pas vraiment dans mon élément, même si tout l’apparat affectif est déployé.

Un élément très agréable : l’avancée des travaux dans le château et, notamment, la réhabilitation (en cours ou achevée) des deux pièces principales du bas. Des espaces très accueillants par l’ameublement et les éléments décoratifs multiples.

Dans les échanges avec Heïm, évocation de l’actualité de personnes plus ou moins familières : les folies du magistrat Hubert, la réussite magnifique du neveu Henri (à la tête d’un des plus gros cabinets d’huissiers de Normandie), la vie de déclins successifs de Clémence alias Kiki, les deux enfants (vus en photo) d’Alice, etc.

De mon côté, quelques révélations : notamment mon histoire charnelle très brève avec Zoa et le projet d’un enfant avec BB à moyen terme. Sur ce dernier point, j’aurais peut-être mieux fait de m’abstenir. Je sens poindre la pression (gentiment abordée) de visite avec cette future progéniture…

En somme, une visite en forme de réconciliation, mais qui ne m’incline pas à intensifier le suivi. Une visite annuelle conviendra.

Quant au Journal, et son volume I (91-99) Un gâchis exemplaire, je prends cette nouvelle proposition avec beaucoup de circonspection. Pas d’emballement prématuré, mais si le livre peut effectivement exister, je ne vais pas me priver de ce plaisir.

Problème pour le volume II (2000- ?) que j’intitulerais probablement A mon aune, et dans lequel les critiques fusent envers Heïm et son entourage. Il faudrait être un imbécile inconscient pour proposer une version complète de ces années. Je vais donc envoyer à Heïm quelques passages ne comprenant pas les défoulements contre ma vie passée et, en cas de proposition éditoriale, je tronquerai ce volume des extraits les plus pamphlétaires sur le château pour les réserver à un Journal critique posthume. Puisque la stratégie a gouverné l’essentiel des actions de Heïm à l’égard des êtres, je ne vais pas me priver de l’être un peu à son égard. L’affection demeure totale, mais je n’ai plus cet enclin à œillères des années 90 où seule la cause du château comptait. Je ne veux de mal à personne, mais je ne bride plus mes réflexions dans le secret de ces pages.

Demain, allure pseudo familiale prononcée avec l’arrivée de Sally, Hermione et Angel.

Cette après-midi, quelques tours dans la maxi piscine à boudins installée au fond du potager, avec une structure en dur tout autour et un cabanon pour accueillir les éléments techniques, vestimentaires et de confort.

Ce soir, sortie restaurant et, sans doute, boîte de nuit avec Karl.

Hier soir, un texto de ma BB qui me fait un bisou et que j’ai rassuré sur la teneur de mon séjour par retour écrit.

 

Dimanche 4 août

20h. Comme prévu, la fin de la deuxième partie de séjour a dérivé vers la pseudo-catharsis. Un repas tout en affection, en bons mots, en ambiance chaleureuse et puis, progressivement, quelques éléments conflictuels ont émergé : ma nouvelle conception de l’existence, mon malaise dans ce cadre, la mise en relation de ma compagne (et d’un éventuel enfant) avec le château… Tous ces points d’achoppement qui ne me concernent plus. Je reste en lien affectif, mais je me sens de plus en plus étranger à ces volontés de réunir l’inconciliable.

Selon Hermione, je n’aimerais pas le beau de l’existence dans son optique constructive… Eh bien tant pis ! Qu’on me laisse à l’aune de ce qui me préoccupe. Cette adhésion systématique à des schémas de pensée dans lesquels je ne me reconnais plus restera une source de ruptures renouvelées. Qu’ils me prennent tel que je suis, condition essentielle pour la poursuite d’un rapport.

Vrai que ma conception de l’existence ne peut être approuvée par le couple Hermione-Angel. Doit-on pour autant se priver de se voir ? Peut-être n’a-t-on plus rien d’important à partager. Je sentais dans la voix d'Hermione, déclarant beaucoup m’aimer, que rien de commun ne subsiste permettant d’initier des rencontres. Le changement est bien, chez moi, irrémédiable, et sans l’once d’un désespoir. Mon épanouissement réside dans ma vie lyonnaise. Et ma BB me manque, son amour, ses baisers, son corps chaud, ses attentions constantes. La présenterais-je un jour ? Aucune envie de la mêler à cette théâtrologie existentielle qui finalement, même si l’intelligence est extrême, en revient toujours à des monomanies intellectuelles.

Pour finir, je n’ai pas vraiment envie que ce Journal paraisse. Que cela reste comme une expérience littéraire où je ne m’interdise rien dans la critique, condition d’une création équilibrante, mais rien du faiseur pour la pitoyable gloriole de l’ouvrage sorti. Je verrai si Heïm me relance, mais je n’aurai aucune démarche en ce sens. Tout cela ne m’intéresse plus.

 

Lundi 5 août

Retour apprécié à Lyon et grand plaisir de retrouver ma BB et sa bouche gourmande. La pesanteur de ce séjour chez les gens du Nord n’est pas encore évacuée. Divergence existentielle et malaise au contact des résurgences de cette vie sans saveur pour moi, dorénavant. Même plus envie de m’épancher sur le sujet.

Reprendre mon rythme lyonnais, ma tendre, mes amies et accointances, Léautaud et son dernier volume, avant une vraie semaine de vacances à Royan...

 

Mardi 6 août

Un temps grisaille réduit cette journée à un duo sentimental : BB et moi dans un farniente revigorant. Les Liselle, Muriel and Cie ont décliné l’invitation.

Vu ce matin, lors du tardif petit déjeuner, le dernier volet du Théma enregistré sur Arte et consacré au phénomène hallucinant de la bombe humaine. Le profil des trois « pilote de la mort » du onze septembre révèle la phase intellectualisée de ce procédé : des jeunes gens adorés par leur entourage, leurs accointances, brillants dans leurs études, promis à un bel avenir, adhèrent à l’intégrisme islamiste et se déterminent à un auto-anéantissement le plus meurtrier possible. Rien du portrait de ceux qui sont endoctrinés (de force ou de gré) depuis l’enfance. La haine du modèle américain, dont ils ont abusé pour mieux exploiter ses faiblesses, et la volonté de faire triompher une autre voie leur tient lieu d’ancrage idéologique. A cela s’ajoute l’intime conviction d’un paradis pour martyrs qui rend totalement dérisoire la vie terrestre. Quelle ambivalence dans ces religions monothéistes : sources d’une certaine morale, d’une approche plus humaine de la relation à l’autre, elles peuvent tout aussi bien, avec des exégètes mal intentionnés, légitimer les pires atrocités. Cela suffit à prouver leur caractère foncièrement humain, et non divin.

 

Vendredi 9 août, 23h

Demain, à l’aube, le grand parcours est-ouest pour rejoindre Royan. Un site Internet gratuit fournit le trajet idéal de ces six cent vingt kilomètres à effectuer en huit heures à soixante-dix-sept km/h de moyenne. Pas de la grande vitesse en perspective. La vraie route des vacances comme aux temps florissants (mais aussi meurtriers) de la nationale 7 comme axe majeur.

Heïm m’a laissé un message jeudi sur mon portable : se dit désolé de la tournure prise par la fin du séjour, me renouvelle son affection et souhaite que je ne m’en sois pas retourné trop amer. Je lui ai envoyé ce jour un mail avec la reproduction des quelques photos prises du château. Il me rappellera peut-être lors de la villégiature royannaise. Je ne me sens aucunement amer : le retour à Lyon, au bercail, fut en fait un soulagement. Je n’ai ni haine, ni ressentiment, ni surtout nostalgie : un détachement pour une forme de vie qui n’a plus d’attrait pour moi, qui sonne en creux. Mon désengagement semble aussi profond que l’était mon implication au début des années quatre-vingt-dix. A mon aune... voilà le principe maître pour cette nouvelle décennie.

Déjà cinquante-cinq pages, en dactylographie serrée, de citations sélectionnées pour le Journal littéraire jusqu'à l’année 32 (en cours). Il me faudra ensuite jongler avec toute cette matière littéraire pour préciser les détails du prisme d’abordage... Une bien agréable plongée dans ce condensé des meilleurs moments du Journal littéraire opéré entre 87 et 88. Mon esprit conservateur n’a pas été inutile : quatorze ans après je m’en sers pour ma thèse !

L’été pourri (encore qu’à Lyon j’ai pu profiter de l’astre brûlant) va, j’espère, connaître une trêve la semaine prochaine.

 

Dimanche 11 août

Début du séjour sous ciel bas et bruine ventée. Jeu de mini-Monopoly en euros avec Elisa et Adèle (dix ans toutes les deux) puis passage sur une plage proche en fin d’après-midi. Amélioration dès demain... la pointe espagnole devrait alors s’imposer comme vrai premier jour de vacances pour BB. Petite tristesse inexpliquée ce matin de sa part. Elle semble accumuler des ressentis négatifs et craquer quelque peu sans vouloir approfondir par le dialogue.

 

Mercredi 14 août, 0h30

Un radieux mardi : début à la pointe espagnole à me défouler dans les flots agités de l’Atlantique ; suite à l’ombre de la maison de Robert (le père de Sally) à vagabonder dans un Courrier international ; fin avec ma BB dans les rues animées de Royan. Karl attendus pour ce soir va amener sa vivacité sous un ciel que l’on espère bleu.

Bonne nuit les petits...

 

Dimanche 18 août

Au Cellier depuis hier midi, bilan contrasté du séjour à Royan : agréable pour moi, source de malaises et de chagrin pour ma BB. Comme je l’avais appréhendé, le courant n’est pas passé entre elle et Sally. Avec beaucoup de subtilité, la maman de Karl a fait montre d’une certaine indifférence par rapport à BB, se limitant aux convenances basiques d’une hôte. Ce non-dit pesant, où ses allusions légèrement perfides ont blessé celle que j’aime. Sally ne l’a certainement pas fait dans cette optique, mais l’irrésistible penchant à imposer ses schémas pour le bien prétendu de ceux qu’on aime (déviance affective caractéristique du château) fait fi des personnes que l’on a choisi. La différence entre Sally et Heïm tient au moyen employé : le ressenti et l’implicite pour la première, l’éclatement cathartique pour le second. Cela me conforte dans l’impossible rencontre entre mon univers sentimental (et sans doute familial, si un enfant naît de notre union) et les gens du Nord. Je manque sans doute de jugeote analytique et psychologique, mais pourquoi ceux qui prétendent m’aimer davantage que ma famille de sang ont systématiquement miné mes relations de cœur, que je sois totalement impliqué dans leur vie comme avec Kate, ou désengagé de toute responsabilité clef lors de mon histoire avec Sandre ? La présentation de BB à mes parents et mes frères n’a pas connu de raté, bien au contraire. Heïm prétendrait que les médiocrités s’assemblent, et bien je crois, moi, que la véritable saleté d’âme c’est celle qui veut imposer ses vues affectives, qui ne peut s’empêcher (malgré les engagements pris) de dériver vers les vieilles monomanies destructrices du chemin que l’on tente de se tracer pour mieux modeler à ses vues, à ses principes celui qu’on dit affectionner. Seuls les résultats comptent : je me sens infiniment mieux aujourd’hui à Lyon avec ma BB que je ne l’ai été depuis 1990 où je décidais d’accorder de l’importance aux avis des gens du Nord pour ma vie sentimentale naissante. Erreur qui m’a coûté dix ans d’éprouvantes incompatibilités. La fausse tolérance affective masquait un implacable travail de sape. Avec Sally et ce séjour à Royan, j’en ai eu les derniers rogatons.

Eu Heïm rapidement au téléphone ; il me confirme le plaisir qu’il a eu à me voir malgré les regrettables dérives de la fin (un couplet éculé pour le moins !) et souhaite m’envoyer un courrier plutôt que m’ennuyer au téléphone. Nous verrons bien la teneur de cet écrit, s’il arrive... Pour moi, la position à adopter est claire : le double jeu. Le temps de la vertu naïve est révolu. Si Heïm souhaite conserver ce lien affectif avec moi, ce sera au rythme qui me convient, et cela constituera pour moi l’occasion d’approfondir ici mes vues critiques et mes observations sur cet univers fui depuis 1997 (et certainement depuis bien plus longtemps inconsciemment). Si Heïm souhaite finalement publier le premier tome de mon Journal pamphlétaire, je ne le refuserai pas, mais cela ne m’empêchera pas d’étoffer le deuxième tome (A mon aune) de la distance critique sans qu’il ne s’en doute (tout du moins dans cette proportion et avec ce ton). Heïm a toujours fonctionné à double, triple, quadruple jeu avec les êtres : je me sens aujourd’hui totalement légitime à agir comme cela avec lui, et ce jusqu'à sa mort. Il ne servirait à rien qu’il soit informé de mon vrai ressenti, et de la rupture philosophique, existentielle, qui croît en moi, si ce n’est à me couper définitivement de ce champ d’observations que je n’aborde qu’avec précaution et très épisodiquement, car il reste dangereux pour moi. Je veux garder l’opportunité de pénétrer de temps en temps cet univers pour ne pas m’aigrir dans une critique gélifiée, mais faire œuvre de contempteur aux prises avec une réalité en mouvement.

Avec Karl, toujours la même complicité, un être que j’apprécie infiniment car il semble respecter la voie que j’ai choisie et mes choix sentimentaux, même si la pression idéologique des gens du Nord s’avère puissante de facto.

Amusante rencontre au bar Tapas de Royan (ouvert depuis un peu plus d’un mois) la nuit de vendredi à samedi. Karl s’est à nouveau chargé de l’effort d’abordage. Après Liselle et Aurélie, voilà Christelle et Emilie : deux jeunes filles (25 et 22 ans) dont la conversation et la sensibilité nous ont accompagnés jusqu'à cinq heures du matin. Pour Karl, une manière de finir agréablement ses très courtes vacances. Un lien amical pourrait naître là aussi.

Hier, une fin d’après-midi sur une plage proche de Saint-Michel Chef Chef, puis un restaurant en bord d’Atlantique avec BB et son frère : très agréable malgré nos heures de sommeil à rattraper.

Le temps incertain de cette matinée a finalement été bénéfique pour l’écriture.

20h. Visite instructive de la tour d’Oudon. Les horreurs de la Terreur se cristallisent sur la virée de Galerne et les noyades massives : Carrier, le petit Hitler auvergnat parachuté gouverneur de Nantes, incarne ce qu’il y a de pire dans une idéologie qui veut s’imposer comme la seule voie.

 

Lundi 19 août

Verre pris à Nantes avec BB et son frère dans un bar-pub singulier. Tenu par d’anciennes prostituées qui devaient officier à l’âge d’or de Gabin, dirigé par leur mac du temps jadis, sabots aux pieds et chemisette ouverte sur un bide rond et blafard, ce lieu tire son ambiance d’un agencement insolite et d’une décoration hétéroclite. Des niches, coins et recoins s’habillent de supports, pour les verres et les visiteurs, aux sources multiples : un maousse soufflet, une machine à coudre, les bords d’une cheminée…

Déjeuner ce midi au restaurant de Laure et de son mari (amis de BB) à Nantes à nouveau.

Pas de retour après mes textos envoyés à Emilie et Christelle.

La pause estivale tire doucement vers sa fin. Dans une semaine, reprise en douceur de mes interventions à Forpro, à moins que d’autres collaborations et cours particuliers ne s’y ajoutent, ce qui ferait le plus grand bien à mes caisses et m’éviterait de trop grignoter mon très modeste fond de réserve. En outre, si un revenu de remplacement (autrement dit les Assédic) m’est alloué pour juillet et août, mes finances retrouveront un équilibre correct. Je travaille depuis 1987 avec des rémunérations en droits d’auteur, puis en salaires pour tout ou partie à partir de 1991) et ces indemnisations de chômage pour deux mois constitueront une première dans mon parcours professionnel : je n’ai pas coûté trop cher aux organismes paritaires !

Le volume XVIII du Journal littéraire fait état de l’impact important des Entretiens avec Robert Mallet. Léautaud semble osciller entre la satisfaction d’une notoriété amplifiée à 80 ans et l’agacement de cette accumulation de sollicitations qui dérangent ce sauvage des villes.

Dès septembre, je vais m’abonner aux Cahiers Léautaud, dirigés par Edith Silve, et tenter d’acquérir (ou de consulter) les numéros antérieurs. Cela m’offrira une base de confrontation entre mes réflexions sur le bougre de Fontenay et celles d’autres adeptes ou contempteurs (encore que je doute que ces derniers puissent exprimer leurs critiques dans ces pages).

A l’enterrement de Gide, et notamment lors de la vue du corps, moment prisé par l’écrivain, Léautaud ne peut retenir ses larmes : sincère chagrin pour la disparition de son confrère d’écriture ou conscience accentuée du temps qui passe et de sa fin prochaine ? Le temps des moissons de la Camarde dans nos contrées affectives ou amicales doit être particulièrement douloureux et angoissant lorsqu’on sait que notre moment d’être cueilli est naturellement (et si vite !) arrivé. Je pressens ce que seront ces décennies canoniques, si j’y parviens. Les remontées nostalgiques, les regrets de l’irréalisé, le sentiment de ne pas avoir embrassé à plein chaque seconde et, peut-être, la sérénité de celui qui s’inscrit dans une histoire collective, au-delà de soi.

 

Mardi 20 août

Journée sur la route, de Nantes à Lyon, avec une pause déjeuner à P. chez Corentin (maire de la commune), son épouse Lydie et sa fille Adèle. Demeure dans un demi-corps de ferme réhabilité avec beaucoup de goût, un intérieur chaleureux et un couple charmant. Adèle toujours adorable avec moi, et un peu moins caractérielle qu’à Royan avec ses parents. Des andouillettes fameuses comme mise en bouche de notre retour à Lyon.

Gros point noir de la journée, en forme de purulence humaine : l’automobiliste moyen sur les routes nationales. Les bords de certaines voies sont maintenant truffés de silhouettes sombres représentant les victimes d’accidents mortels : cela ne bride pas la crétinerie criminelle de certains qui, à ces mêmes endroits, prennent des risques inouïs pour gagner un temps dérisoire. Si cela passe cette fois, le danger qu’ils représentent pour l’alentour (motorisé ou pas) n’est pas acceptable.

Quand donc les pouvoirs publics prendront les mesures adéquates pour éliminer de l’univers routier ces inconsciences potentiellement dangereuses, ces petites terreurs du volant qu’il faut écraser dans l’œuf. Marre de cette tolérance qui tue... la complicité du système actuel, qui tolère ou pardonne les pires comportements, rend douteuse la volonté d’éradiquer la délinquance routière. Une lettre ouverte aux criminels potentiels de la route ne peut que défouler son auteur : il faut sévir impitoyablement. Par exemple : l’annulation du permis et l’impossibilité A VIE de le repasser en cas d’accident mortel occasionné par un comportement routier dangereux. Il faudrait même l’étendre à ce type de dérive même si elle n’occasionne que des blessés ou de la taule froissée, afin de ne pas attendre qu’il tue pour le bannir de la conduite. Ce qui doit être retenu c’est l’intention d’avoir une attitude criminogène... le reste ne relève que du hasard de multiples facteurs et ne doit surtout pas servir de circonstances atténuantes.

Je hais ceux des automobilistes qui se jugent puissants, dans une impunité répugnante, simplement parce qu’ils conduisent, dépassent, surpassent ! Pitres dangereux à évacuer au plus vite pour éviter la mort d’innocents.

Amusante information prise chez Corentin et Lydie : Sally a un compagnon dans sa vie, un dénommé Philippe (et même un second, Bernard) qu’elle connaît depuis une vingtaine d’années. Son logis parisien se situe en fait rue de l’Université dans un magnifique appartement... Quoi de plus normal finalement, mais un tel goût du secret depuis tant d’années, pour ceux qui côtoient Heïm, tranche, lui, sur l’ordinaire. Je ne pense pas que son fils soit au courant de cette facette de la vie privée de Sally.

Hier, dans ma BAL, parmi les factures et l’acceptation de mon indemnisation par les Assédic, une enveloppe avec juste Loïc inscrit dessus : à ma grande surprise un mot d’Elen (que j’avais croisée dans la rue Tête d’Or juste avant le départ pour Royan) qui souhaiterait, un jour de beau temps, me voir au parc... et elle me laisse son téléphone (le mien a été jeté). J’en ai informé BB. Est-ce une résurgence de sentiments (elle m’avait déclaré, lors de cette brève entrevue, avoir très bien digéré notre séparation et ne pas souhaiter de liens amicaux) avec un espoir de renouer alors que je ne l’ai pas informé avoir le cœur pris ? Amusante manifestation en tout cas.

 

Vendredi 23 août

Passage éclair à Fontès avec ma BB, juste le temps de faire quelques bisous à grand-mère, de présenter ma dulcinée, de déjeuner tous les trois au gentillet restaurant Le Sanglier de Cabrières, de passer quelques moments au jardin, de dîner avec ma belle à la brasserie Molière de Pézenas, de se promener à nuitée dans quelques rues et ruelles de la commune, puis de s’en retourner à Fontès faire un gros dodo après un délicieux câlin…

Toujours ému de quitter grand-mère : ce matin à onze heures nous laissons le village pour une halte sur la longue plage de Sète, au bord du Golfe du Lion. Au cours de la conversation, grand-mère fait allusion à son année de naissance, 1912. Je crois me souvenir qu’elle est née en septembre : elle va donc aborder ses 90 ans le mois prochain. Nous devrions, enfants et petits-enfants, marquer l’événement en lui envoyant cadeaux et fleurs à la date requise. Je vais tenter de mobiliser les troupes éparses…

Ce matin, au cours du trajet, j’appelle Nathalie ma cousine (fille de Paul) que je n’ai pas vue depuis plus de dix ans... Une voix que je ne reconnais pas d’emblée, mais un rire familier. Voisine, elle réside dans les Dombes, je lui propose une entrevue avec BB un jour de septembre. Elle semble partante, tout comme l’idée de fêter grand-mère. A suivre...

 

Dimanche 25 août

Grisaille orageuse sur Arles. Séjour reposant et agrémenté de joyeuses retrouvailles avec Mylène de passage avec sa sœur jumelle (non monozygote) Marion, étudiante en architecture. Un dîner Chez Gigi sans vraie transcendance relationnelle, moi-même peu performant pour fuser par l’esprit. Des convives très agréables cependant. Une mauvaise nuit pour BB, peinée par une attitude distante de ma part à cette soirée. Je n’en ai pas pris conscience sur le moment et l’analyse a posteriori me fait expliquer cette attitude par quelques comportements peu féminins de BB au regard des autres jeunes femmes présentes (notamment une tendance à parler trop fort, avec une intonation désagréable). De là une distance de ma part. Ne suis-je pas encore assez tolérant pour la personne choisie ? Je ne veux surtout pas la blesser, mais je souhaiterais une évolution sur quelques points pour qu’elle s’affine... Du détail, sans aucun doute, au regard de ses grandes qualités humaines...

Demain après-midi, reprise en douceur des interventions à Forpro : de treize heures à dix-sept heures, V.S.P. pour une dizaine de BEP. Pas de transcendance attendue là non plus, mais cela me libère au moins l’esprit pour l’ami Léautaud : 1953 entamé, la psychologie de la fin, une profonde morosité, atteint le suivi même du Journal littéraire.

Une grande différence dans le rapport familial entre les B et ma famille. Parents, sœurs et frère B s’appellent presque quotidiennement, se suivent pas à pas dans leur existence. Nous, le contraire total, un appel mensuel aux parents est un maximum, et entre frères cela se raréfie encore plus. Y a-t-il moins d’affection pour cela ? En tout cas, un désintérêt pour le suivi chirurgical de nos vies s’allie peut-être à une volonté de laisser chacun faire son chemin. Et les échanges lors des entrevues en sont peut-être plus fournis...

 

Lundi 26 août

Le dernier album de Coldplay : une merveille ! De tels créateurs d’enivrement musical réconcilieraient le plus coriace misanthrope avec l’humanité. Cela enchante, élève, inspire, transcende. Un deuxième album encore plus créatif que le premier : l’assurance d’une œuvre d’exception. Chapeau à ces Anglais ! Voilà un vrai bonheur qui m’illumine : le talent de certains artistes.

 

Vendredi 30 août

Ce soir, dîner chez moi avec BB, sa sœur Louise et son frère François. Une agréable soirée en perspective. Demain soir, immersion dans la famille maternelle nombreuse, enfants et petits-enfants des grands-parents maternels à Vilmoirieux.

Encore un nouveau message de Heïm sur mon portable, me témoignant son affection et me confirmant le plaisir immense qui je lui ai fait par mon séjour. Il se dit désolé de la tournure que cela a pu prendre sur la fin, de mon malaise croissant, et espère que je n’attendrai pas deux ans pour une nouvelle visite. Renouvellement de sa proposition d’édition. Cette affection me touche intellectuellement, mais je ne ressens plus tellement d’inclination sensible à son égard. Mon mail d’hier redonnait mon accord pour la publication du premier tome. Je ne peux, en revanche, augmenter à plus d’une par an, sauf cas de force majeure, mes visites au château. Cela doit rester exceptionnel pour que les digressions cathartiques se limitent au minimum.

Dans mon antre lyonnaise, décoration des murs par trois cadres grand format (60X80) et cinq petits formats avec du Dalí. Le délire dans la précision habille les lieux de vivifiante façon.

Coldplay pour les oreilles, Dalí pour le regard qui cherche l’inspiration, une table dressée au Guy Degrenne pour nos hôtes : sentiment de bien-être, une douceur de vivre à mon rythme, et le temps qui se charge dans la légèreté d’une existence à l’aune de soi. Voilà sans doute qui explique mon détachement sans affect de l’univers de Heïm.

 

Jeudi 6 septembre

Révélateur du laxisme en matière de délinquance routière : l’auteur d’un renversement mortel d’une femme âgée traversant sur un passage piéton écope d’une peine de prison avec sursis et de la suspension du permis pour un an. Ahurissant : même pas l’annulation ! On le suspend, pour qu’un an après il conduise encore plus mal. Aberration sociale.

Ce jour, le plus chargé de la semaine avec un groupe bruyant de bac pro. Demain, détente avec l’entrevue d’Ornelle qui a opté pour l’entrée en deuxième année d’iut.

 

Dimanche 8 septembre, 1h30

Beau spectacle de la troupe The Best que Bonny a intégrée récemment. La profondeur et le modulé de sa voix prennent une bien plus magistrale qualité qu’au Club 30. Toujours aussi complice, elle téléphone à Eddy à l’entracte pour s’assurer que cela nous plaît. Parmi la troupe d’amis présents, une parcelle familiale : sa fille (adorable enfant de dix ans, d’allure très vive), son frère et l’une de ses sept sœurs.

Ce jour, à 15h40, nous accueillons la belle Mylène qui soutient son mémoire à Lyon lundi. Occasion de retrouver cette complice d’Arles. Le tissu relationnel va bien.

Oublié de noter notre rencontre du petit ami d’Ornelle, vendredi. Jeune homme sympathique.

 

Mercredi 11 septembre, 0h05

Jour de commémoration du chaos terroriste sur New-York et Was­hington, un an après. Pour moi : achèvement du volume xviii du Journal littéraire de Léautaud, qui s’arrête cinq jour avant sa mort. Le volume xix rassemble des pages retrouvées, et se lira beaucoup plus rapidement. Les dernières pages portent tous les stigmates d’une fin proche : dépression, désintérêt pour tout, place croissante des dysfonctionnements physiques, le suicide est même évoqué.

Je suis les divers films documentaires consacrés à l’attaque terroriste sur le wtc. L’horreur renouvelée, transmise par les images, ne peut qu’incliner au respect des victimes des enragés islamistes. Certes, jamais des morts d’innocents n’auront été autant choyés par les médias : les rwandais massacrés, par exemple, n’ont pas bénéficié, sur la durée et dans l’intensité, de cette focalisation. L’identification culturelle et le statut de première puissance pourraient expliquer l’inégalité de traitement. L’inexcusable choix du terrorisme sauvage, avec pour cible des civils de multiples nationalités et religions (y compris musulmane) vaut bien une semaine d’obsession médiatique.

Mylène s’en est allée hier soir. Nous ne l’aurons finalement pas beaucoup vue, mais le peu partagé a été charmant.

 

Vendredi 13 septembre, train Lyon-Genève, 11h

Hier, découverte avec BB d’un documentaire sur la fascinante destinée de Jean-Claude Roman, illusionniste de quinze années de sa vie pour finir, acculé à la révélation, par massacrer ses proches. Nous sommes tous un peu metteur en scène de notre existence (moi le premier avec ce Journal) face aux autres, mais le trompe l’œil atteint en l’espèce une complexité géniale et se double de détournements répétés d’argent auprès des plus affectivement liés. Il a pu assumer cette diabolique mascarade avec la tension permanente qu’implique une anticipation de tous les instants.

Le rythme professionnel actuel me convient parfaitement (14 heures de cours hebdomadaires à Forpro) et permet de larges plages de temps pour Léautaud. Je dois achever la sélection des citations avant fin décembre (déjà une soixantaine de pages sur Word en mise en page maximale et petits corps de caractère, Times New Roman 10). A partir de janvier 2003 mon cdi débute et le nombre d’heures augmente. Lenteur administrative : toujours aucune réponse à ma demande de prêt interuniversitaire pour une thèse consacrée à Léautaud et soutenue à Paris IV.

Hormis les messages affectifs, Heïm n’a pas relancé concrètement sa nouvelle proposition de publication du Gâchis. Cela devait-il tenir lieu d’appât affectif se dégonflant sitôt mes distances reprises ? Voilà ce qui me gêne : pas de vrai rapport d’auteur à éditeur, mais une suite de circonvolutions rhétoriques sans prise avec la réalité. Je n’ai aucune envie de relancer l’affaire, car cela m’obligerait à un rapprochement affectif factice. Le désintérêt pour cet univers s’accroît chaque jour, et ma résolution à en faire état par écrit se renforce.

 

Samedi 14 septembre, 1h du mat.

Une très agréable soirée avec Shue et Andréas.

 

Dimanche 15 septembre

Affalé face au lac Léman, sur les hauteurs de Lutry, je profite des rayons radieux pour revigorer mon bronzage estival. Au-delà du farniente, aide intensive pour la correction du cinquième chapitre de la deuxième partie de la thèse de Shue... ouf ! ouf !

Le couple Shue-Andréas va bien, mais pas leurs finances, au point que les cinq mille francs suisses du loyer mensuel deviennent un souci prégnant. Les contrats ne se bousculent pas et, lorsqu’ils se présentent, il faut batailler pour récupérer par tranches les règlements. Shue me fait l’amitié de me confier des éléments très personnels (que je dois me garder de consigner ici) et je retrouve dans certaines réactions psychologiques d’Andréas décrites ce qui m’avait miné entre 1993 et 1995, au pire moment de mon parcours éclair de gérant de sociétés. J’espère surtout que cela n’aura aucune répercussion sur la belle harmonie de leur couple.

Toujours gâté comme hôte, les soirées se transcendent avec les plaisirs culinaires, des vins rouges d’Australie qui n’ont rien à envier à nos productions (le Penfolds accompagnant le brie aux truffes et le gruyère vieilli du canton de Vaulx : une merveille !), pour finir avec un Davidoff et un verre de cognac. Autant de circonstances atténuantes pour ma piètre phrase lapidaire de la veille : l’agilité intellectuelle s’est épuisée dans une conversation en anglais sur l’utilité ou pas du mariage comme renforcement du lien entre deux êtres. Les petits carreaux de mon Journal m’ont alors paru bien fades et les bras de Morphée beaucoup plus tentants.

Ces deux derniers soirs, de tendres textos de ma BB : une douceur de plus avant un dodo avec Himiko au pied du lit. Shue me détaille les points positifs de ma relation avec BB : son caractère, son activité et sa gestion de mon rapport aux femmes apparaissent comme un idéal pour moi. Effectivement, je me sens dans une sérénité sentimentale jamais atteinte, sans entrave pour mes relations affectives et amicales.

 

Samedi 21 septembre, 23h45

Les un an de notre plus grande catastrophe industrielle. Les perturbations psychologiques, au-delà des dégâts corporels, se prolongent encore.

Ce soir, ouverture du JT de TF1 avec ma rue Vauban, à trente mètres de chez moi, là où se situait l’une des deux caches d’armes et d’explosifs de l’ancienne Action directe, et son sanguinaire artificier Max Frérot, dit La Menace. Hier soir, alors qu’on recevait la marraine de BB à dîner, défilé sous les fenêtres de tout ce que l’Etat compte comme forces de sécurité et d’aide : police, gendarmerie, crs, pompiers, déminage, samu...

 

Dimanche 22 septembre

Journée du patrimoine partagée avec ma douce BB sur les pentes de la Croix-Rousse, avec une fin de déambulation chez Nardone. La semaine qui vient s’allège un peu plus pour moi, et me permet d’intensifier mon travail de thèse.

Comme je le supputais, les avances éditoriales de Heïm n’ont été suivies d’aucune concrétisation. Au fond, cela m’amuse et me conforte dans ce détachement instinctif qui s’ancre aux tréfonds de moi. L’esbroufe convivialo-affective, où la seule priorité est de faire perdurer les conditions de vie choisies par Heïm, cette « prison dorée » comme il aime à le scander, ne me touche plus. Derrière les constructions diverses et les évolutions matérielles, je ressens la mort par des certitudes gélifiées : les personnages sortis de la vie de Heïm, les Nicole (sa première épouse), Maddy (maîtresse à domicile) et sa fille Alice notamment, sont diabolisées pour mieux légitimer le reste. Mes gueulantes littéraires contre Alice avaient certainement un peu de cette déviance, même si j’ai été blessé, dans le rapport si affectif (presque intellectuellement sexualisé) qui existait avec elle, de son histoire avec Leborgne.

Peu de temps avant que n’éclate sa résistance ouverte à Heïm, qui fera son chantage au suicide, elle s’était confiée sur ses doutes concernant son père, la tentative de viol de son frère aujourd’hui magistrat disjoncté, et sa rupture avec le fond de cette vie. Finalement, je n’ai fait que suivre le même objectif, mais sans esclandre inutile et autodestructrice. Il faudra bien qu’un jour le monolithisme de la vie familiale de Heïm soit étalé et scruté avec plus de subtilité sans s’arrêter à la version d’absents qui auraient tous les torts.

Nous avons notre conflit absurde en Europe : entre catholiques et protestants d’Irlande du Nord la haine semble inextinguible. Gâchis en cascade pour une guéguerre de clans religieux pas plus évoluée que celles de la protohistoire. Si seulement l’irrésistible tendance grégaire de l’homme, sa soumission au collectif, pouvait s’estomper au profit d’un individualisme humaniste et raisonné... Que la route est encore longue pour entrevoir un frémissement de hauteur d’âme chez le matérialiste humanoïde.

 

Lundi 23 septembre

Nouveau rebondissement dans l’affaire de la publication du Gâchis, qui contredirait mes affirmations grognonnes d’hier. Heïm m’appelle en fin d’après-midi pour m’assurer de sa volonté de le faire paraître dans son entier, et pour me louer la qualité du style. Sa thèse pour justifier les atermoiements éditoriaux : une implication excessive qui lui a fait occulter les données purement littéraires. Le désengagement réciproque favoriserait l’émergence de l’œuvre seule. Les éloges sur ce Journal ne sont pas les premières qu’il me faits, puisqu’il faisait passer les critiques sur son entourage (?). Voilà encore une mixture ambiguë. Enfin, l’essentiel est d’en rester à des rapports auteur-éditeur : il doit m’envoyer dans quelques semaines un contrat d’édition. De là, seule la parution de ce texte, et son dépôt légal, devront nous occuper, sans dérive. Je garde ici ma distance critique, mais je ne vais pas me priver d’une édition sur dix ans de mon existence, réalisée par celui-là même qui a monopolisé mon engagement total économico-juridique. La logique sera respectée et la page de cette tranche de vie résolument tournée. En fait, c’est l’existence officielle de cet instantané littéraire qui m’excite, mais je ne vais pas dévier mes choix existentiels pour autant.

 

Mardi 24 septembre

Ce soir, en vedette des JT comme ministre de la Santé, Jean-François Mattei. Cela me rappelle qu’une de mes anciennes aventures parisiennes, photographe qui m’apprit à jouer (lentement) quelques morceaux de Satie, avait été quelques années après sa maîtresse ; le médecin était alors député.

 

Dimanche 29 septembre

19h35. Ma tendre BB encore au travail, le soleil dominical a disparu. Ma vie lyonnaise comble mes besoins relationnels et mes poussées de solitude.

Ornelle et son petit ami Jérôme hier soir à dîner, avant une nuit au First, club pour la bourgeoisie lyonnaise. L’amitié affective s’ancre avec Ornelle, une sympathie vive pour la gentillesse de son compagnon émerge, et ma BB là dans son amour apaisant. Rien à faire, je ne retournerai pas au nord de la Loire...

 

Lundi 30 septembre

Lecture finale de la première partie de la thèse de Shue achevée. Je vais lui transmettre mes quelques dizaines de corrections par courriel.

Mon propre travail thésard va pouvoir s’intensifier puisque trois thèses sur Léautaud demandées par prêt interuniversitaire sont disponibles jusqu’au 30 octobre.

Les partis politiques français ont besoin de se relifter avec de grandes couches lyriques plus ou moins puériles. Après la Maison bleue comme projet de dénomination de l’actuelle ump, Leforestier doit être ravi, voilà pour la gauche la naissance du Nouveau Monde, un remake de Colomb en pays hostile. De là à ce que les uns se passent le oinj pour faire plus cool, et les autres nous proposent de la quincaillerie pour nous séduire, il y a peu...

Finalement, je me sentais bien plus à l’étroit au château d’Au, où les seuls moments de répit psychologique se limitaient au neuf mètres carrés de ma chambre, que dans mon antre lyonnaise. A son aune, c’est bien le titre qu’il me faut pour cette nouvelle trajectoire existentielle.

Un nouveau Spielberg sort mercredi avec Tom Cruise, réflexion sur le futur sécuritaire à la sophistication technologique dangereuse qui nous attend. Demain soir, avec BB et quelques accointances lyonnaises, nous devrions découvrir la palme d’or 2002, Le pianiste.

Hors quelques films, les JT et quelques documentaires, la télévision ne me captive vraiment plus : est-ce moi qui mûrit ou le paf qui fermente ?

Quelques analyses intéressantes de Joëlle (une amie récente) sur la personnalité qui transparaît dans les premières pages de mon Journal 2000. Mon rapport aux femmes, dans une quête d’un absolu inatteignable (la fameuse entéléchie féminine) dévoile une désespérance cultivée. Toujours curieux le regard des autres sur soi, et d’autant plus lorsque ce qu’on a écrit sert de prisme intermédiaire.

Je dois laisser le crissement de mon Sheaffer pour le tapotement informatique...

 

Vendredi 4 octobre

Le Journal littéraire s’érige comme la forme d’écriture la plus en symbiose avec la trajectoire existentielle de Paul Léautaud : à son aune, selon une réactivité instinctive pour canaliser sa désespérance et prolonger une présence dans un monde abhorré. Diariste par plaisir avant tout, par besoin sans doute, mais peut-être aussi comme fidélité en actes à sa conception de l’art littéraire, non tourné vers soi-même dans l’attractive sphère de l’imaginaire, mais en prise avec la perception partielle, à brut, de son univers de vie, professionnel et affectivo-sexuel, de ses pensées en direct, sans la sécurité d’une mise à distance. Ne pas craindre la contradiction avec soi-même, l’outrance cathartique sur les autres, l’apparente incohérence d’une relation parcellaire, subjective et morcelée.

L’exemplaire harmonie entre ce témoignage écrit et ses entretiens radiophoniques laisse émerger le fond intentionnel de Léautaud d’une modernité involontaire. Le bougre misanthrope demeure comme auteur dans l’histoire littéraire par son Journal, essentiellement. Cette œuvre, plus que toute autre, doit permettre de réhabiliter, de légitimer le genre diariste qui puise son attractivité dans ce qui peut apparaître, au premier abord, comme des défauts. Le côté tremblant qui sublime l’interprétation musicale se retrouve ici, en littérature, et offre une autre voie que celles de l’imagination peaufinée, de la structuration anticipée ou du lyrisme calculé. Ce direct littéraire accuse plus que tout autre l’écho de son auteur, dans sa capacité à être en écriture. De là un fondu qui fait du journal, simultanément, le creuset et l’œuvre. L’aune de Léautaud, avec ses envolées et ses mesquineries, ses inconséquences et ses engagements, ses transcendances et ses quotidiennetés, offre la plus humaine des œuvres, celle qui se donne malgré sa faillibilité. La proximité littéraire, voilà qui n’est pas le moindre des paradoxes pour le reclus socialisé qu’il était.

Voilà sans doute la matière de ma thèse, et la synthèse du contenu qui figurera dans le fichier central concerné... Le sommeil me gagne, ma BB s’est laisser prendre depuis quelques minutes. Je relirai cette tentative improvisée d’exprimer ce mûrissement en moi à propos de ce travail de recherches.

 

Samedi 5 octobre, 20h25

Depuis Vernègues, petite localité juchée vers les vents purifiants, lieu de représentation pour la chorale de BB, reçue par la réunion choriste du lieu. Logés chez un couple charmant, la soirée musicale s’annonce par un programme éclectique, depuis les chants contemporains de variété française ou de la renaissance (pour la chorale Altoso de BB) jusqu’aux chants traditionnels de Provence par Lei topins, la chorale hôte du cru.

Après-midi au soleil automnal à quelques petites tâches pédagogiques pour lundi, puis en plongée dans la thèse sur Paul Léautaud, un écrivain en guerre.

De touchantes attentions pour mes 33 printemps : les parents de BB m’expédient une caisse représentative des vins du Cellier (rouge, blanc, rosé et pétillant) ; Louise, la sœur de BB, m’offre un album photographique sur quelques-uns des plus grands écrivains français du XXe (Céline, Montherlant, Duras, Prévert...) parmi lesquels le bougre de Fontenay.

Rien à faire, je ne me sens pas à mon aise dans ces réunions, alors je griffonne par automatisme en attendant le début de la représentation musicale.

23h50. Sous les néons blafards, mais administrativement corrects, la soirée se prolonge sur des rythmes provençaux. Je me complais dans une position de témoin oculaire, peu enclin (et nullement doué) pour la danse partagée. L’ambiance popu à souhait, bon enfant au demeurant, repose l’esprit.

Passage joyeux de Louise, Maud et Aude, deux de ses amies du musée, avant un retour nocturne vers Arles. Une complicité bien agréable pour vivifier la soirée.

Le mouvement de l’existence charrie ses archétypes : l’éternel retour du manège peut lasser celui qui se distancie et ne tente plus d’extraire le meilleur en toute situation. Justifier ses faiblesses, ses médiocrités par un penchant contempteur. Point de salut pour l’âme frileuse incapable d’assumer ses contingences. Le lyrisme hermétique a toujours son petit effet comique. La farandole finale réunit les cœurs pour une humanité si fragile et si proche de la barbare condition.

 

Jeudi 10 octobre

Après réception d’une lettre délirante d’Elen, décision de lui répondre. [Lettre reproduite ci-dessous.]

 

Elen,

Je te remercie pour ma crucifixion magistrale : je viens de fêter mes 33 ans ! Comme tu m’y invites à la fin de ton courrier incendiaire, mais si pathétique, je prends le temps de te répondre le plus complètement possible.

Je vais donc reprendre les éléments de ton argumentation enflammée :

Il va te falloir mieux écouter ce que l’on te dit pour que tes attaques aient une quelconque chance d’atteindre leur but : je ne t’ai jamais déclaré que tu t’intéressais aux hommes « uniquement pour assouvir [tes] désirs sexuels » ! Ce que je t’ai rappelé de visu rue tête d’Or, puis au téléphone tient dans un positionnement de principe que tu m’as déclaré à plusieurs reprises lorsque la conversation touchait ce domaine : tu ne pouvais envisager une relation amicale avec un homme qui avait partagé ta vie sentimentale. On est très loin de tes divagations insultantes !

La condition pour que je m’érige « pauvre type » s’avère non remplie : j’étais seul au téléphone lorsque j’ai rappelé ta philosophie relationnelle. Je n’ai aucun besoin de te fustiger devant ma bien-aimée pour atteindre la jouissance ! Tu me catalogues tout de même dans les obsédés sexuels, confondant gourmandise charnelle et pathologie déviante.

Je reconnais ma négligence à t’appeler, mais ce n’est que de la négligence et certainement pas de « l’hypocrisie » ou de la « lâcheté ». Si tu souhaites une explication de visu et que je te synthétise ce que je pense de toi (vision affinée par le courrier délirant que tu m’adresses) je suis à ta disposition. J’ai suffisamment pris d’engagements et de risques dans mon existence, affronté le pire, pour me dispenser de tes pseudo leçons de courage... Quant au charcutage pamphlétaire, je le pratique tant à l’oral qu’à l’écrit... Si tu veux te risquer, là aussi je trouverais des disponibilités.

Sur le fond, il semble curieux que tu me reproches ce silence alors que de ton côté tu n’as rien fait pour me relancer (exception faite du petit mot). J’ai sans doute une gestion du relationnel trop relâchée, mais je réponds toujours à quelqu’un qui se manifeste. En me reprochant ce manque d’initiative tu fais œuvre d’abord d’autocritique.

Ma façon de maintenir un lien avec d’anciennes petites amies s’est jusqu'à présent très bien passée, et elle se décide au cas par cas. En l’espèce ta cyclothymie maladive, tes poussées de haine et ta relation à l’homme m’inclinaient à vouloir être transparent quant à ma situation sentimentale. Te voilà à nouveau en contradiction avec toi-même : d’un côté je serais hypocrite, de l’autre je suis déplacé dans mon souhait d’une clarté relationnelle.

Preuve de ton incapacité à t’avouer le vrai sens de tes actes, tu établis la cause première de me revoir dans... la proximité géographique ! Dans ce cas accorde toi le confort d’amitiés de palier, cela répondra davantage à tes motivations.

Une constante de ton courrier est d’attaquer l’autre, d’affirmer que tu ne t’intéresses en aucun cas à lui, que tu n’as jamais rien éprouvé, ou si peu, qu’il ne correspond à aucun de tes goûts physiques ou moraux pour mieux occulter tes propres manquements. Chère Elen, qu’est-ce que cela peut bien me faire aujourd’hui que rien chez moi ne t’attire... je trouve cette remarque dérisoire et pitoyable de médiocrité ! J’ai face à ton aveu des dizaines de témoignages aux antipodes, une vie remplie d’amours formidables et aujourd’hui une adorable compagne qui m’aime passionnément et qui ne s’offusque pas de mes amies féminines...

Mon attirance pour toi ? Elle serait bestiale peut-être, mais sans aucune perspective existentielle, donc sans intérêt. Là encore tu tentes de m’attaquer, comme si j’avais revendiqué le statut risible de « bourreau des cœurs » ! Comparons nos existences, jaugeons les qualités et les défauts réciproques. Je sais ce que je suis et ce que je vaux ; de ton côté tu sembles bien plus douée pour stigmatiser l’autre (de brouillonne façon) que pour juger ce que tu es, persuadée sans doute de détenir la vérité. J’ai appris moi à remettre constamment en cause mes certitudes.

Contradiction flagrante encore lorsque tu affirmes regretter de m’avoir recontacté tout en m’interpellant longuement à l’écrit... peut-être la fierté de déclencher quelque chagrin chez moi ! C’est alors magistralement loupé.

Ton argumentation truffée d’attaques ad hominem tient à l’univers fantasmatique et haineux que tu t’es créé. Tu as sans doute des qualités humaines enfouies au tréfonds, mais ce qui émane de cet écrit tient de l’esprit revanchard, dépressif et méprisant de l’autre.

Ma réponse n’aura sans doute qu’accentué ta certitude d’avoir raison et de n’être touché par rien, et surtout pas par moi (dernier point dont je me félicite pour ton équilibre psychique !), mais elle a au moins le mérite de faire tinter un autre son de cloche que ton délire systématisé.

Quels que soient tes ressentiments, je te souhaite le meilleur.

 

Samedi 12 octobre

Agréable après-midi de lecture de la thèse de Byung-ok Li sur Léautaud au parc de la tête d’Or qui amorce sa transmutation automnale. Ma BB travaille ce week-end et n’a malheureusement pas pu m’accompagner.

Une semaine qui m’a encore gâté côté amour et amitiés : ma dulcinée qui fête mon anniversaire mercredi soir ; mardi fin de soirée avec Eddy et Bonny au confortable bar sis en haut de la tour-crayon avec une pianiste-chanteuse fort agréable, amie de Bonny ; nuit au club 30 le vendredi soir où je retrouve par hasard une collègue de Forpro qui s’étonne de me voir si expansif et convivial (je reste en retrait de l’équipe pédagogique par esprit sauvage) ; samedi, déjeuner chez moi avec Joëlle qui nous fait aller dans diverses contrées intellectuelles ; le soir, sortie en bande avec Ornelle, Jérôme et une charmante Shaïna d’origine algérienne, mais à la beauté indienne. Finalement, point besoin d’étalement matériel pour cultiver ses amitiés : cette fidélité fait du bien à l’âme et réconcilie avec le genre humain. Gardons-les précieusement : Ornelle, Bonny, Eddy, et peut-être bientôt Jérôme, sont en tête de proue de cette joyeuse amitié.

Le travail m’appelle, mais il me faudra revenir sur le sens de cette nouvelle existence qui se dessine dans une sérénité épanouissante, avec ma BB si douce, si compréhensive de mes penchants et si fidèlement aimante. C’est à elle que je dois avant tout un bien-être retrouvé.

 

Jeudi 17 octobre

Un entretien téléphonique rapide et décevant en début de semaine avec Jean-Pierre M., mon nouveau directeur de thèse. Tout ce qu’il trouve à me dire sur ma synthèse tient à un style trop compliqué (il pensait certainement « pompeux ») : cela me rappelle mon oncle Paul qui, découvrant mes poèmes, les trouvait trop chargés en vocabulaire, ou le correcteur de ma copie de français au bac, irrité par un style si sophistiqué ! Tous ces censeurs omettaient seulement de prendre en considération ma grande pratique de l’écriture et que je n’ai nul besoin de leur conception limitative de la langue française : pourquoi ne pourrais-je pas profiter de sa richesse et en quoi l’utilisation des termes précis, même s’ils sont difficiles d’accès, nuit-il à ma pensées ? Avec leurs économies langagières, comment un Bloy, un Artaud, un Mallarmé auraient-ils pu ciseler leur expression ?

Cela augure peut-être mal les rapports que j’aurais avec ce professeur, d’autant plus que l’administration de l’université lyonnaise ajoute une couche de désagrément : me voilà considéré en sixième année de thèse alors que je reprends tout à zéro ! Et pas moyen de leur faire entendre raison sur la couleur mi kafkaïenne mi absurde de leur sacro-saint fonctionnement interne. Que ces culs gras empuantissent le monde nom de Dieu !

Reçu ce jour, par le transporteur Extand, une bien charmante attention de la part de Shue et John : huit verres à vin en cristal de la marque Riedel (dont un qui n’a pas survécu au transport) qui me rappelleront à chaque gorgée le partage si jouissif à Lutry des mets, de l’alcool et des Davidoff.

Mon emploi du temps allégé doit être exploité pour avancer dans la saisie des données qui serviront à ma thèse.

Demain, départ avec ma BB à Paris pour un week-end festif d’anniversaire différé. J’aurais encore été bien gâté de tout côté pour ces trente-trois ans d’existence...

Toujours pas de contrat d’édition pour le Gâchis que Heïm me promettait dans la quinzaine suivant son appel, le 23 septembre dernier. Cela tourne franchement au gag éditorial. Même si le projet parvient un jour à son terme, je ne jugerai cela que justice au regard des multiples retardements et vraie-fausses décisions annoncées. En tout cas, cela ne me fera certainement pas interrompre la visée nouvellement critique de l’univers de Heïm, de sa gestion désastreuse de l’affectif et des jeux divers et manipulatoires qu’il pratique dans la relation humaine. Combien il est bénéfique pour mon équilibre psychique de m’être extrait de ce vase clos névrotique. Et si Sally, de son côté, peut-être en concertation avec Heïm, pensait que ses élans affectifs et son rapprochement allait me faire renouer de façon régulière avec le château d’Au, elle se trompe gravement. Le lien qui subsiste, au nom des trente années partagées (dans le culte de Heïm et/ou dans la forme de vie embrassée), ne donnera plus lieu qu’à d’exceptionnelles et brèves entrevues, sans jamais y mêler ma vie sentimentale (et peut-être familiale). La seule personne qui pourra une fois m’accompagner, par curiosité de cet univers, c’est Shue, en amie. Rien de ce qui fait ma sphère lyonnaise n’y sera convié. Si cela ne leur convenait pas, la rupture définitive s’en suivrait, et ce sans aucun effort de ma part. L’éloignement est tel que cette situation serait même davantage conforme à mon état psychologique que le ressassement sporadique du passé.

 

Samedi 19 octobre

Chez maman et Jean, de passage avec BB, Jim et son amie Aurélia, une charmante jeune femme à l’allure très douce. Hier, découverte à Paris de l’exposition Matisse-Picasso au Grand Palais. Amusante confrontation d’œuvres apparemment contraires dans leurs règles de création, mais dans lesquelles on déniche des filiations. Un paradoxe aussi : Matisse, le chantre des rondeurs de trait, de la douceur de l’expression picturale choque par la réunion de certaines couleurs et la tendance hétéroclite de ses compositions ; Picasso, lui, conduit par le goût de la déstructuration, du choc imagé, insuffle une plus grande unité à la plupart de ses créations, et trouve par ce penchant la vraie voie de l’harmonie puissante. Un effet contraire à l’amorce intentionnelle pour chacun d’eux. Une façon d’avoir des instants de concordance artistique qui crée un dialogue affûté entre leurs œuvres.

Ce jour est dédié aux défoulements physiques et aux plaisirs de la table, ces derniers trouvant un digne écho demain chez papa.

Sérénité du scribouilleur improvisé alors que maman, Aurélia et BB s’affairent à la cuisine, et que Jean et Jim s’en sont allés pour une mission secrète. Les copies emportées toutes corrigées, je vais m’immerger dans les pages retrouvées du Journal littéraire du père Léautaud (volume XIX).

 

Mardi 22 octobre

Agréable passage dans mes familles. A Parmain, ma mère et Jean forment un couple serein et nous accueillent avec une chaleureuse simplicité. A Rueil Malmaison, mon père et Anna, avec les adorables Alex et Raph, m’offrent un nécessaire raffiné pour tout amateur de vin et un coffret Pousse-Rapière, spécialité gasconne. A trente-trois ans, les plaisirs de la vie s’élargissent et se densifient, sans être béat...

 

Mercredi 23 octobre

Comme pour avoir le dernier mot, Elen me retourne le courrier expédié truffé de rouge comme autant de réponses qu’elle croit judicieuses. Comme elle me le conseille, je ne perdrai pas mon temps à répondre, c’est trop pitoyable. Je la laisserai sur son sentiment de victoire intellectuelle, me réservant un gargantuesque éclat de rire. Cela m’aura beaucoup amusé sur le fond.


Samedi 26 octobre

Vision stupéfiante à l’émission unique Ardisson-Bedos On aura tout vu : le chanteur Renaud a une bouille de vieillard imbibé d’alcool, le verbe bafouillant, les mains tremblantes... le loubard de la chanson semble s’autodétruire par des excès désespérés.

 

Dimanche 27 octobre

La thèse m’aura bien monopolisé ce week-end, et je n’en suis qu’aux prémices préparatifs. Ma BB étant sur le pont professionnel ces trois derniers jours, j’ai focalisé mon énergie sur la sélection de passages utiles à ma réflexion des thèses de Teyssier et Byung-ok Li.

Un petit moment agréable avec Joëlle dans un café du quartier des Brotteaux. Avant cette pause, passage par hasard à la galerie Saint-Hubert présentant des toiles de l’école d’Etamps. Le tenancier culturel m’indique avoir accueilli les Visionnaires, et notamment son chef de troupe Di Maccio il y a une dizaine d’années, mais qu’il aime moins la tournure récente de son trajet artistique. Les prix semblent en tout cas avoir flambé d’après ses dires. Les deux originaux du château d’Au dépasseront-ils un jour la valeur de la bâtisse ?

Toujours rien reçu de Heïm. Trop occupé, comme d’habitude, sauf lorsqu’il s’agit de manier les cordes affectives pour mieux se rassurer sur son impact persistant. Hé ! aucune aigreur de ma part. Le risible de cette proposition éditoriale toujours recommencée m’amuse plutôt et me conforte dans une méfiance grandissante envers l’auteur de ces promesses à la consistance barbe-à-papaïenne, si on me passe ce barbarisme bancal. Je ne veux même plus essayer d’imaginer l’argumentation justificatrice détaillée à ses proches. Le soubassement du vécu me suffit amplement pour l’éclairage critique.

Comment je serai perçu par cet entourage lorsqu’ils connaîtront la teneur de ces pages ? Sans doute de terrible façon, et bien tant pis si le simple exercice de la liberté d’écriture (au surplus dans un genre intimiste) les révolte. Il me faut d’autant plus contraster avec les dix premières années de ce journal qui a souvent versé dans le laudatif systématique ou dans le silence approbateur.

Je gratte ces pages en passant à la moulinette de la reconnaissance de caractères (quel outil fabuleux !) les résumés du Nouveau dictionnaire des œuvres du Journal des grands écrivains (Claudel, Gide, les Gourmont, Renard...). Les constantes positives de ce genre à réhabiliter littérairement impose d’avoir une vue synthétique et panoramique des principaux représentants de l’écrit personnel. Toutes ces pages cumulées vont, je l’espère, affiner ma réflexion thésarde !

Mes chères amies Ornelle et Bonny se sont manifestées à distance aujourd’hui : la première par un coup de fil qui fait le point de l’actualité personnelle. Sa maman, admise quelques jours à la Sauvegarde semble avoir fait une occlusion intestinale ; le vieux chien Babou est décédé ; son Jérôme a dû partir voir sa grand-mère malade, ce qui les a privés l’un de l’autre pour ces vacances de la Toussaint. Pas très joyeux tour d’horizon en somme. Pour tenter d’égayer un peu le tableau, et à l’occasion de vingt-et-unième anniversaire le 29 octobre, elle vient manger avec nous mardi soir. Cette amitié affective a pris un rythme de croisière qui préfigure de belles années de confiance réciproque.

Bonny m’envoie un texto pour nous inviter à passer au Club 30 ce soir : ma BB sortant tard de son travail, et moi me levant tôt demain, j’ai décliné avec regret l’invitation. Là aussi, j’ai une personne fiable, enthousiaste et avec qui il fait bon partager des instants d’amitié. Par contraste, amorce illusoire d’un lien cordial avec Muriel (rencontré au parc cet été) qui n’a eu aucun scrupule à nous poser un lapin. Aucun intérêt d’approfondir, y compris à l’écrit.

En attendant ma tendre BB, un Bond de derrière les fagots, le premier avec Pierce Brosmann, pour délasser cette fin de studieuse journée.

 

Mardi 29 octobre

Reprise des premiers volumes du Journal littéraire pour me rafraîchir l’ambiance littéraire des premières années de Léautaud diariste. J’en suis parvenu à 1905, année de ses trente-trois ans, où il semble aussi peu arrimé que moi en matière professionnelle : fin de sa collaboration juridique avec l’étude Lemarquis, il est en quête d’un lien régulier avec une revue de province, mais l’ombre bénéfique du Mercure de France se précise. Lu il y a quatorze ou quinze ans, je ne pouvais apprécier certains de ses états d’esprit comme aujourd’hui. Son rapport à la femme semble bien ambigu, malgré des principes clairement définis.

Prévenu par mon père de l’escroquerie intellectuelle d’un appel via Internet à la déforestation en Amazonie. En fait, récupérer un maximum d’adresses Internet pour les polluer de publicités sauvages. Ma première adhésion à une pétition sombre d’entrée.

Ces quelques lignes depuis le parc Tête d’Or, fin d’après-midi aux couleurs automnales, le vent se levant au rythme du soleil qui disparaît derrière les hauteurs lyonnaises.

Ornelle fête ce jour vingt-et-un printemps. Nous ne la verrons peut-être pas jeudi soir car ses migraines la reprennent et elle va ce jour à Annecy pour sans doute rencontrer un spécialiste des céphalées.

Ma courageuse BB court pendant que je gribouille ces carreaux. A chacun son entraînement.

Après la prise d’otages de Moscou, la violence chimique de la libération pour ne pas perdre la face politique laisse songeur sur les méthodes employées face à un terrorisme de masse. Peu de chance qu’on connaisse la vérité qui, de toute façon, ne nous rassurerait en rien sur le versant sanguinaire persistant de l’humanité. Autant dans mon relationnel de proximité je suis de plus en plus social et philanthrope, autant les soubresauts délétères des civilisations m’inclinent à un dégoût définitif pour mes congénères.

Le prisme médiatique accentue certainement l’horreur du monde, mais les causes des conflits, les motivations des massacres demeurent aussi primaires qu’aux millénaires passés, la technique ajoutant une sophistication aux aberrations humaines.

 

Jeudi 31 octobre, 23h45

Entre deux plongées dans les écrits de ou sur Léautaud, je m’accorde quelques moments pour saisir la suite de mon Journal pamphlétaire, l’année 2000. Choc de découvrir des passages si désespérés où je me lamente sur une solitude insatisfaisante jalonnée de relations successives sans pérennisation possible. Combien cet état d’esprit me semble loin aujourd’hui. Je ne peux certes plus assouvir ma gourmandise sexuelle de la découverte, mais j’éprouve une profonde sérénité dans la dualité constructive.

A une personne aimée s’ajoute le tissu relationnel qu’elle induit ou dont elle permet l’épanouissement. A ma démarche d’isolement mal vécu s’est substitué un dosage opportun pour mon caractère entre instants de dualité, plages appréciées de solitude et entrevues amicales maîtrisées. Les plaies passées me servent aujourd’hui comme gage d’expériences pour légitimer mes propos ou asseoir mon rapport aux autres dans une assurance enflammée. Je crois mieux connaître mes limites existentielles, et je n’éprouve aucune limite intellectuelle si ce n’est celle de ma propre intelligence. Ces pages permettent, au-delà d’un quotidien assaini, de jauger et juger les apports et les amputations du passé.

Mes retrouvailles affectives avec des parents qui, depuis qu’ils ont trouvé l’âme sœur (merci Anna et Jean) se sont comportés d’exemplaire façon avec moi, ne valent-elles pas mieux que le malaise diffus éprouvé en côtoyant les Gens du Nord ? Heïm et ceux qui lui sont proches ne peuvent que compliquer votre rapport au monde et hypothéquer la rencontre de votre vraie dimension. Il m’a fallu cet exil lyonnais volontaire pour enfin me rapprocher de ma nature, de mes aspirations (si modestes soient-elles) sans subir l’oppressante présence qui se targue de ne vouloir que votre bonheur. Tartufferie minante pour le moins. Il me faut, peu à peu, décortiquer à l’aune du vécu les failles, les travers et les dangers de cet univers que j’ai si passionnément défendu. Encore une fois, je ne renie rien de mes choix antérieurs, mais je trouve salutaire l’évolution intellectuelle et de se débarrasser des vérités révélées, de triturer les reliques imposées.

 

Mardi 5 novembre, 0h30

Orphelin de ma BB, cette nuit, la voilà repartie pour deux mois de travail nocturne aux urgences.

Le Tapie animateur s’évertue à diriger de main journalistique les débats et se révèle efficace à la synthèse et à la maîtrise du déroulement. La dernière affaire d’hyperterrorisme, pour reprendre l’expression de l’expert passionnant Roland Jacquard, confirme la sombre tournure de l’humanité barbare.

13h15. Matinée studieuse à sortir la biographie détaillée de Léautaud pour l’afficher face à mon bureau : ainsi j’espère pouvoir jongler avec les repères existentiels de l’écrivain et mieux ressentir dans le contexte ses états psychologiques.

Effroyable carambolage près de Poitiers. Morts et blessés dans l’enchevêtrement de taules froissées exacerbent un peu plus mon aversion pour ce mode de transport, engins de mort laissés à la disposition de tout un chacun sitôt un permis sommaire passé. Tant que la population ne consentira pas à rogner un peu sur ses libertés individuelles, on devra se résoudre à ces massacres routiers aussi aléatoires que les catastrophes naturelles.

Oublié d’indiquer la joyeuse soirée de vendredi entamée avec ma BB, Joëlle et son compagnon Charly chez moi pour un repas riche en conversations, puis poursuivi dans un café-boîte très confortable du vieux Lyon. Nous retrouvons là Elo et Jérôme entourés de quelques accointances agréables. Les quatre chenus au milieu de cette jeunesse estudiantine : cela a galvanisé ma fibre délirante pour amuser la troupe nocturne. J’étais vraiment dans un moment inspiré pour transcender dans le déconnage cette réunion improvisée. Ma BB a décidément un très bon effet psychologique sur moi.

 

Mercredi 6 novembre, 1h du mat.

Ce qui mérite les louanges dans la démarche de Tapie, c’est de savoir imposer le respect de tout invité par le public, y compris du plus décrié comme Marine Le Pen. Il a su calmer les huées et cadrer l’échange dans les strictes limites du sujet (« le talent se transmet-il génétiquement ? »). Sa joute verbale avec le père, il y a quelques années, confère à son comportement envers la fille d’autant plus de mérite.

23h30. Transports routiers, ferroviaires et aériens au centre des gourmandises de la Camarde : carambolage dans un brouillard enfumé ; incendie et fumées toxiques dans un wagon-couchettes ; écrasement d’avion au Luxembourg par purée de pois funeste.

 

Jeudi 7 novembre

L’enfilade des jours donne le tournis, mais j’essaie d’optimiser le temps pour le travail préparatoire à ma thèse.

Sur Internet pour consulter mes messages dans une BAL, je suis abordé par écrit par une Natacha75, de 30ans, en quête de l’âme sœur. Je lui révèle ma situation sentimentale, mais n’interdis pas un lien amical. Elle tient une galerie de peinture, peint elle-même, et vient visiter son père, nouvellement installé à Lyon, ce week-end. Son regard critique sur la capitale des gaules rejoint l’archétype caricatural maintes fois entendu. En dehors de cette discordance, Julie, de son vrai prénom, s’avère vive et passionnante. Nous l’inviterons vendredi soir à nous accompagner au Club 30 que Bonny embrasera, sans nul doute. Ma tendre BB ne s’est point offusquée de cette invitation. Cela me conforte dans mon lien avec elle. J’ai sans doute besoin d’autres pôles féminins pour assouvir mes penchants séducteurs, mais je ne lui substituerai aucune de ces demoiselles. Cela doit demeurer comme des points d’accroche affectivo-amicale, sans égratigner mon lien dual.

 

Vendredi 8 novembre, 23h

Sortie en duo au club 30 pour retrouver les joyeux Eddy et Bonny.

Ces points d’ancrage lyonnais ne doivent pas occulter l’extrême dérive mondiale, avec ses perspectives d’hyperterrorisme cataclysmique.

Les quelques à-coups sanglants depuis le 11 septembre ne seraient que de mièvres amuse-gueule à côté du festin macabre en préparation. Fantasme d’experts paranos ou sagesse lucide et précisément informée ? Nous étions si loin d’imaginer pareil chaos sur le sol américain que l’au-delà de nos repères occidentaux, dans le sacrifice meurtrier, doit s’inscrire dans l’extrême motivation des enfants sauvages de Ben Laden.

Hitler restera comme l’incarnation du pire paroxystique à la tête d’un Etat au XXe siècle ; Ben Laden s’est-il forgé comme l’icône infernale à la tête spirituelle de multiples mouvances terroristes incontrôlables pour le XXIe siècle naissant ? La forme même de nos sociétés risque-t-elle de sombrer par leur incapacité à enrayer de tels déferlements de tueries aveugles ?

Peu de motif à rigoler... finalement.

Se divertir un minimum pour échapper un instant aux traits nauséeux de l’humanité, voilà le feu qu’il reste.

Le Manus X touche à sa fin...

3h30. Retour du Club : plein au point que les volutes de fumée tenaient lieu de mélasse imprégnante. Toujours beaucoup de complicité avec nos deux amis.

 

Dimanche 10 novembre

12h55. Texto d’Ornelle nous invitant à partager alcool et boustifaille chez Jérôme... Obligé de décliner la très tentante proposition : nous dînons chez une tante de BB (sœur de son papa) à Craponne. Ce n’est que joyeuse partie remise.

Ornelle m’apprend sa brouille avec Cécile, une de ses grandes complices estudiantines, après la soirée partagée dans un pub confortable, il y a quinze jours. La cause : une bouderie persistante de la demoiselle lors de cette si agréable réunion, collée à son petit ami, et le reproche fait à Ornelle d’avoir invité un de ses ex, depuis ami, et moi-même (!) qui n’ai jamais eu un quelconque commencement d’histoire sentimentale avec elle, même si ma vie intérieure a donné lieu, une fois, à un épanchement en ce sens. Une conception exclusive et tranchée de la relation chez cette Cécile qui mérite donc une mise en quarantaine.

J’ai renouvelé mon appréciation très positive sur Jérôme, et je suis aujourd’hui, au tréfonds, en parfaite adéquation avec ma position affectivo-amicale envers Ornelle. Ô combien est préférable cette saine clarté, dans l’intime souhait du meilleur pour ceux qu’on aime amicalement, même si la position antérieure s’est hasardée à de plus proches perspectives. Le contexte prime et, en l’espèce, mon amour de BB et le formidable duo Ornelle-Jérôme ne peut laisser le moindre doute vaseux. Pérenniser ce lien dans les bornes qui s’imposent. Les masturbations cérébrales de cette Cécile salissent ce qui s’est installé comme complicité partagée.

 

Lundi 11 novembre

Six heures de convivialité chez ce couple d’octogénaires dans une splendide forme. L’appartement dans lequel ils ont installé leur nid confortable se situe au centre de Craponne et possède une belle terrasse, hier détrempée par la bruine incessante.

Dans l’ascenseur, je remarque que l’habillage de la plaque de desserte est le même que celui de l’immeuble de Sandre, avec neuf étages indiqués pour des bâtisses beaucoup moins fournies en hauteur. Aurais-je pu imaginer que ce signe anodin préparait un lien beaucoup plus singulier ? Au cours de l’apéritif, je m’intéresse à l’activité de l’oncle Humphrey. Première surprise : il exerçait à Rhodia Séta, filiale de Rhône Poulenc, à la conception d’énormes machines destinées à produire, notamment, du nylon, dont l’entreprise a eu le monopole par brevet pendant quinze ans. Je lui confie alors que le père d’une ex petite amie, avec qui j’ai eu de longues conversations, était commercial dans cette même maison. Le regretté Jean R. étant de la même génération, je m’enquiers de savoir, malgré l’énormité de la société Rhodia à l’époque et des secteurs différents de leurs activités, s’il l’avait connu. Il me cite alors Robert R., qu’il connaît bien, le frère de Jean ! La filiation est faite : je ne connaissais qu’un couple à Grézieu, les R., et la famille du frère à Craponne, et voilà Sandre et BB réunies par cet invraisemblable hasard des correspondances !

La dernière heure de conversation, après minuit, a laissé les hommes sur la berge, dans un assoupissement sporadique.

 

Mardi 13 novembre

L’inertiel mammouth de l’Education nationale ne s’encombre pas d’une gestion efficace du paiement de ceux qu’il a utilisés. En juin dernier, j’ai surveillé divers examens : alors que le personnel du public est rémunéré selon le taux des heures de cours, nous autres du privé devons quémander le remboursement des frais engagés. A ce jour, toujours rien sur le compte ! Dossiers de demande remis en juin, cela ressemble à un traitement soviétique !

 

Jeudi 14 novembre, 0h15

Les souffles de la nature tournoient sur la place de l’Europe, contraignant les feuilles à un ballet improvisé. Ma BB s’est assoupie et je retarde mon sommeil par cette attractive glissade encrée.

Le monde n’est vraiment pas beau : le terrorisme n’a jamais été aussi menaçant sur les pays européens, d’après tous les services de renseignement. Les Ben ladénistes nous concocteraient un Noël sanglant, avec cheminées piégées, cotillons chimiques et cadeaux empoisonnées. L’icône islamiste motive les tarés des quatre coins du globe et a d’ores et déjà gagné la bataille médiatico-historique : s’ériger comme l’une des figures de proue du pire au XXIe siècle... et nous n’en sommes pourtant qu’au début. Bien après sa mort charnelle, cérébrale, il survivra bien plus puissant dans le cœur de dizaines de milliers d’extrémistes musulmans. Il ne faudrait pas que la contagion benladéniste gagne les musulmans dits modérés : nous aurions sinon en France la plus terrible des guerres civiles, dépassant dans l’horreur les prévisions les plus pessimistes des droites extrêmes. Espérons que cela demeure fantasme de jusqu’aux boutistes marginaux.

L’humanité renifle de plus en plus la charogne écœurante. Une bonne bourrasque pour nettoyer ses défécations quotidiennes décortiquées par Big Média, réclamerait le ronchon de service.

Le velouté du Clairefontaine ne peut occulter la râpe du monde.

 

Dimanche 17 novembre

Une fin d’après-midi studieuse pour ce jour du seigneur, alors que ma BB s’en est allé au cinéma. Le cinq décembre prochain, nous fêtons un an de quasi vie commune, et l’entente ne faiblit pas. Moi si sauvage, si insatisfait, si inconstant en amour, je me vois pour un chemin prolongé à ses côtés.

Hier, je l’ai accompagné chez des cousins pour l’anniversaire de leur fille M (dix ans) dont elle est la marraine. Gentillette réunion, mais s’étirant un peu trop avec le type de conversation qui ravive ma fibre misanthropique : la voiture, les trajets effectués, les coins perdus critiqués, les anecdotes éculées… des échanges de surface sur l’espace et sans profondeur. Malgré la vivacité de l’humour du mari, j’ai rapidement attendu le moment du départ. Impossible vraie complicité avec ces gens ; point de jugement méprisant, mais le constat de deux univers intellectuels inconciliables. Peut-être aussi n’étais-je point motivé pour séduire par la conversation l’un des hôtes. Si, en face, je ne peux me nourrir des propos, je me cantonne à la posture de témoin poli.

A faire mes allers-retours entre l’écriture de mon Journal et la lecture de celui de Léautaud, entre praticien et théoricien de l’écriture diariste, je donne un relief davantage ressenti à mes approches. Nombre de ses réflexions me ravissent par leur naturel à prendre à rebours le bien-penser. Je ne suis pas sûr d’avoir les mêmes incisives inspirations.

Les quelques récréations accordées pour taper l’an 2000 me replongent dans un bien sombre état psychologique : je devais probablement forcer le trait de cette démotivation générale par défoulement.

Le gag éditorial se prolonge comme prévu : toujours pas reçu le contrat d’édition pour la publication du Gâchis. Bien sûr Heïm me justifiera, le temps venu, cette nouvelle promesse non tenue, et il légitimera sa gestion du dossier éditorial à ses proches sans que rien ne leur apparaisse anormal… Pathétique seconde partie d’existence, tout de même… Et même si la publication est effectivement réalisée un jour, cela ne pourra occulter ces atermoiements, volte-face et double discours qui auront jalonné ses manipulations depuis un engagement pris il y a deux ans et demie.

 

Lundi 18 novembre, 23h20

L’effervescence médiatique autour de l’inspection en Irak sur résolution de l’ONU va s’intensifier jusqu’au huit décembre, date à laquelle Saddam Hussein, ou l’un de ses trois sosies, devra remettre aux inspecteurs onusiens la liste des sites militaires. Entre attentats menaçants et guerre planante, notre fin d’année n’annonce aucun espoir d’une humanité meilleure. La sérénité de vie devait être plus accessible lorsque le tout-information n’insufflait pas ses vagues désespérantes des malheurs du monde.

Oublié de noter ma réception, il y a quelques jours, d’une carte de Sandre, épouse A., qui, au-delà des politesses convenues, souhaiterait récupérer les quelques ouvrages que j’ai en dépôt chez moi, et notamment les Lagarde et Michard ! Aucune allusion à ma carte leur souhaitant mes vœux de bonheur… Son penchant matérialiste se porte bien en tout cas. J’ai proposé à BB qu’on les invite à dîner chez moi pour l’occasion, mais finalement je me contenterai d’une entrevue rapide avec remise des ouvrages. J’avais lancé à Sandre la proposition de sorties à quatre il y a quelques mois, qu’elle n’a jamais relancée. Ses seules manifestations à mon endroit ont, pour l’essentiel, tenu, depuis deux ans, à des besoins matériels précis. Je n’éprouve pas assez d’attachement pour, à chaque fois, la relancer amicalement. Je lui laisse donc l’initiative.

Même démotivation pour Liselle qui, depuis son histoire sentimentale, a distendu, voire anéanti, les rapports amicaux émergents.

Finalement, un bon ménage à faire dans les accointances artificielles : les Liselle, Aurélie, Christelle, Emilie – ces deux paires rencontrées une année l’autre à Royan avec Karl – les Muriel, Annie et Marjorie du parc sans fidélité amicale. Le temps doit être le seul garant de la qualité des relations qui s’amorcent. Lyon m’a permis le lien avec de vrais amis, fiables et volontaires : Ornelle et Jérôme, Bonny et Eddy, Joëlle…

 

Mardi 19 novembre

Suite à des investigations médicales pour découvrir la cause des céphalées aiguës d’Ornelle : elle est hospitalisée à l’hôpital neurologique boulevard Pinel. Je dois y passer en début d’après-midi (Shaïna sera présente) pour la soutenir un chouia dans cette nouvelle épreuve. Espérons que la ponction lombaire révélera l’origine de ces maux.

23h40. Ma BB encore au travail cette nuit. Une tendre pensée pour elle.

Vu Ornelle et sa maman à l’hôpital neurologique de Lyon, énorme complexe de soins. Mon étudiante préférée un peu pâlotte, mais visiblement enjouée par ma présence et mes déconnages déstressants. Elle se retrouve à l’unité 402, lit 13 dans une vaste chambre à deux. Face à elle, une gentille dame aux mouvements de tête involontaires. Nous assistons à l’interrogatoire classique de l’interne, puis sortons pour une auscultation corporelle. La ponction aura lieu demain, suivie d’une immobilisation de vingt-quatre heures. Avec un caractère aussi impatient et bouillonnant, l’épreuve se situe bien dans la seconde partie du séjour pour Ornelle. Jérôme nous rejoint en fin d’après-midi : nous les laisserons tous les deux pour qu’ils profitent un peu d’un tête-à-tête de veille d’intervention.

Au cours de l’après-midi, à deux ou trois reprises, Madame Cargeaud me gratifie de gentillesse concernant mon impact sur la gente féminine, au point que je le perçoive comme une légère défiance vis-à-vis de BB. Il faudra que j’essaie de comprendre les coulisses par le biais d’Ornelle, plus tard…

 

Mercredi 20 novembre

Alors que je donnais un cours particulier de français, ce matin, une idée force de ma thèse m’est venue : démontrer que le Journal littéraire de Léautaud a bien le statut d’une œuvre à part entière et, à travers lui, le genre diariste, en ce sens que sa lecture peut se suffire à elle-même dans les éléments apportés, qu’il n’est pas nécessaire d’aller vérifier ou compléter par l’extérieur. Le champ autarcique déterminé par la subjectivité de celui qui le tient suffit à rendre autonome du réel un écrit qui y puise pourtant sa matière. Le roman prend prétexte du prisme imaginatif, le journal revendique son approche parcellaire et orientée.

La barbarie des religieux, des israéliens aux palestiniens du Proche-Orient jusqu’aux catholiques et protestants de Belfast, démontre l’effroyable dangerosité de se soumettre à une idéologie, quelle qu’elle soit, et de ne vivre qu’à travers elle. Cela constitue la première des immaturités de l’espèce humaine.

 

Jeudi 21 novembre

Cette après-midi, encore un passage à l’hôpital neurologique pour suivre l’après ponction lombaire d’Ornelle. Accompagnement de ma BB, nous découvrons une malade revigorée, les joues presque roses, la douce Shaïna à ses côtés. Agréable moment partagé, se concentrant par une partie d’échec endiablée (avec une stratégie du carnage réciproque !) entre Ornelle et moi. De quoi surchauffer le liquide céphalo-rachidien ! Elle sort demain et passera un week-end cocooning à Saint-Cyr, avec un Jérôme aux petits soins, ses parents étant conviés (avec les provisions nécessaires) dans une commune de l’Aisne pour fêter le Beaujolais.

Hier, message sur mon portable de Heïm qui, de façon pour le moins incongru, commence par un « bonjour, c’est papa ! ». Un peu, beaucoup déplacé aujourd’hui. Cet entêtement à faire de l’affectif m’irrite. Je préfèrerais des rapports amicaux efficaces dans les engagements pris. Son appel concernait une chose que j’aurais dû recevoir… peut-être, enfin ! un exemplaire du Gâchis, avant tirage ! Sans doute un peu trop irrespectueux comme ton… l’intimité du Journal doit tout me permettre ; c’est à cette condition essentielle que l’écriture conserve un sens. Cela permettra de rééquilibrer l’approche laudative des années 90.

 

Vendredi 22 novembre

Encore une manifestation de Heïm qui prouve que nous n’avons plus du tout la même optique dans le rapport à l’autre. J’attendais un contrat d’édition promis, voire un exemplaire prototype du Gâchis (puisqu’il m’annonçait hier, par message, un paquet) : je reçois deux nouveautés de ses activités éditoriales. L’Histoire d’Au et Le Pieu chauvache ! M’adresser la monographie d’une commune dont je me suis éloigné par suite de divergences existentielles avec le seigneur en place, et l’une de ses œuvres relookée, alors que j’ai cessé de m’immerger dans sa littérature suite aux distances intellectuelles éprouvées, cela relève soit d’une insidieuse intention, soit d’une inconscience totale de l’évolution de notre rapport. Finalement, le contraste entre ce que j’attendais et ce que j’ai reçu m’amuse pour la relation de ces manifestations sporadiques. Je ne vais point m’en formaliser. J’attends toujours…

Mauvaise nouvelle : Ornelle reste hospitalisée ce week-end suite à la découverte, dans le prélèvement, d’un problème viral pouvant déboucher sur une méningite. Soins draconiens qui nécessitent son maintien dans l’unité neurologique. Je passerai demain après-midi pour la visiter après avoir réveillé ma BB qui travaille de nuit tout ce week-end.

Rectification : eu Sandre au téléphone ; si elle n’a pas relevé mon invitation à des rencontres de couple à couple, cela tient au souhait de son mari, ce qui peut aisément se comprendre. Eu Liselle au téléphone après réponse par courriel à mon message. Les plans professionnel et sentimental ne vont pas au mieux, ce qui explique son repliement et l’absence de nouvelles. Très heureuse de m’avoir, je l’ai invitée à venir à Lyon mi ou fin décembre. A suivre…

Je retrouve au Red Lions, pub de la rue Mercière, Eddy et Bonny (qui y chante) à partir de 23 heures de soir. Une sortie joyeuse, mais sans ma tendre.

 

Samedi 23 novembre

Eu cette fin de matinée Sandre, mariée A., qui passe chez moi pour récupérer quelques bouquins en ma possession (la collection Lagarde et Michard ainsi qu’un Bled). Sans doute une tendance familiale à la primauté du matériel, avant même toute considération psychologique. Sa Mad recherche un ventilateur que je détiens, Sandre m’en fait part et je me propose de lui rendre. Pas le panache de me le laisser pour services rendus et affection passée. Pas grave, mais dommage.

Sandre est repartie avec ses biens. Plaisir de la revoir et d’avoir quelques nouvelles éparses : la brouille avec sa tante jalouse jusqu’à la haine, le mariage de Jacques D. quelques temps après le suicide d’une ex à problèmes, sa recherche professionnelle d’un cabinet médical, etc. Elle me confie la raison du refus de son mari d’une poursuite d’un lien amical avec elle : j’apparais comme l’amour passé ayant compté et mon profil universitaire suscite un complexe d’infériorité chez le jeune homme (titulaire d’un bts et d’un diplôme de visiteur médical). Une forme de rapport à l’autre bien loin de mes critères. Je m’éclipse donc pour la pérennité de leur couple.

Formidable soirée avec Eddy, Bonny, Jean-Christophe (un de leurs amis), Sabrina et Marie (deux femmes joyeuses rencontrées au Red Lions. Belle bande pour du déconnage haute volée qui s’achève à six heures du matin.

19h30. De retour de l’hôpital. Phase des injections par perfusion goutte à goutte de divers produits devant améliorer la santé d’Ornelle. Le hic : une qualité veineuse moyenne qui rend l’installation du matos médicamenteux délicate ; par ailleurs, Ornelle souffre le martyr des brûlures intraveineuses occasionnées par ces liquides de soin.

 

Dimanche 24 novembre

Un sommeil réparateur en solitaire, un petit déjeuner sur les images enregistrées de Nicolas Hulot en aparté, avant un ménage imposé. Grande intelligence, mêlant une réactivité judicieuse et l’attachement inaltérable à des convictions vitales pour l’humanité. Appris, pour l’anecdote, que le M. Hulot de Tati n’était autre que son grand-père architecte.

20h30. La culture hospitalière du « il faut souffrir pour guérir » n’a pas été totalement éliminée. L’intention s’affiche à l’hôpital neurologique de Lyon, mais Ornelle m’apprend, lors de ma visite dominicale, que les douleurs d’hier auraient pu être évitées si l’aide-soignante avait adapté la délivrance des produits au terrain veineux fragile de la malade. En l’occurrence d’établir une transfusion successive et non cumulative des trois solutions. Incompétence, laxisme, fainéantise ? Les larmes de souffrance d’Ornelle resteront comme l’image forte de mes différents passages à son chevet.

Ma BB attaque sa dernière nuit du week-end, et je témoigne ici d’une douce pensée pour elle.

23h50. Enfin ! Coup d’accélérateur pour la parution du Gâchis. Réception d’un courriel de Heïm me demandant une courte notice biographique (je prends conscience à l’instant de l’omission de la mention du mémoire de lettres édité en 1996), une quatrième de couverture et une photo récente. Par souci de ne pas laisser traîner en longueur cette nouvelle impulsion, j’ai envoyé le tout par retour aujourd’hui. Fin de semaine prochaine je dois recevoir le contrat d’édition, alors qu’au début le bon à tirer me sera déjà parvenu. A moi de le retourner avant la fin du mois si je souhaite une sortie avant Noël, deux ans après celui de ma trentaine qui devait voir naître cet ouvrage. Prudence donc, mais je ne vais pas me priver de cet aboutissement peut-être proche. Ma position reste claire : je ne regrette pas les années du Gâchis, et je ne vais pas m’interdire sa publication même si je critique aujourd’hui une vie et un alentour dans lesquels je me suis beaucoup engagé.

 

Jeudi 28 novembre

Discours très alarmiste de trois têtes pensantes ce soir dans C dans l’air, dont je deviens un fidèle téléspectateur. Les frappes et la menace d’Al Quaïda vont décoiffer. Roland Jacquard n’était pas là pour ajouter sa touche d’informations de première main, mais le trio a su captiver par la terreur inspirée. Parmi eux, un éducateur d’origine algérienne, plongé au cœur des banlieues difficiles, a l’honnêteté de reconnaître la complaisance pour le moins, et l’approbation clamée au pire, du monde musulman à l’égard de l’icône Ben Laden. Voilà une version qui contredit sans circonvolution les sérénades pontifiantes et soporifiques assénées ces derniers mois sur la prétendue défiance de la très grande majorité (voire la quasi-totalité) des musulmans concernant le saoudien islamiste. Les nombreux recruteurs de fous de dieu opèrent en autonomie, sans se connaître les uns les autres, dans l’ombre des quartiers difficiles, ces fameuses et si longtemps tolérées zones de non droit. L’impact de leur endoctrinement est tel qu’ils parviennent à convertir pour l’Islam le plus rigide des caïds de quartier ayant versé dans les pires péchés : trafic de drogue, racket, vols, viols, etc. Leur faire miroiter l’homme nouveau qu’ils peuvent devenir, sans adopter une posture critique sur leur passé, démultiplie les chances de grossir les rangs des futurs kamikazes. Et tout cela sur notre territoire. Imaginons que cinquante mille d’entre eux décident de passer au massacre à l’aveugle : le chaos de la guerre civile menacera notre mode de vie et les fondements de la société. Il faudrait alors les voir en première ligne tous les humanistes tolérants au ventre mou.

 

Dimanche 1er décembre, 0h40

Bons moments familiaux chez maman pour fêter les anniversaires de Jean et Jim. Un midi pour les débats enflammés sur les sujets classiques qui opposent, notamment l’opportunité ou non d’une politique sécuritaire. Les camps se forment : Jim et BB contre maman et moi, Jean en observateur partagé ; l’après-midi, visionnage du Barber et parties d’échec (initiation de Jean) ; une soirée, avec Aurélia qui nous rejoint, s’achevant dans un bœuf musical spécial de Palmas. Jim à la guitare, Jean à la percussion, maman à la caméra, Aurélia à la manipulation des cd, BB à l’endormissement, moi au chant et au tambourin : de La dernière année au Gouffre, en passant par Sur la route, Comme une ombre et Sans recours, la virevolte mélodique a comblé.

Eu hier Aurore au téléphone : elle a accouché le 19 novembre d’un petit Aris que nous découvrirons lundi à Paris. Mon premier amour devenu maman ! Cela fait tout de même un curieux effet…

 

Lundi 2 décembre, 22h

Le tgv en nocturne, ma BB blottie au coin de son siège, je laisse revenir en vagues immergeantes les bons moments de ces trois jours. Une sérénité qui porte sans doute préjudice à la créativité littéraire, mais je dois m’obstiner à l’élan diariste. Emotion, tout de même, en fin d’après-midi chez Aurore, le petit Aris, né le 19 novembre, la bouche accrochée à son sein… Nous étions invités à passer dans son réduit parisien qu’elle doit quitter prochainement pour un F3 dans un HLM Porte des Lilas. Son compagnon fait de spectaculaires progrès en français, et la nouvelle maman rayonne de bonheur à s’occuper de son nouveau-né. Nous en venons à évoquer très brièvement nos propres intentions en la matière : j’apprends que ma BB espère une première tentative l’été prochain. Pourquoi pas… finalement. Le temps passant, la certitude d’une relation s’ancrant, je peux envisager un tel bouleversement dans l’engagement humain.

Le week-end prochain s’annonce festif (malheureusement sans ma BB). La fête des lumières s’illuminera de la présence d’une bande de charmantes demoiselles : Louise la sœur, Fanny, Aude et peut-être la luminescente Mylène, auxquelles s’ajouteront mes chers amis Ornelle, Shaïna et Jérôme. De quoi rendre guignolesque une soirée de croque-morts.

Heïm a de nouveau tout en main suite à ses demandes par courriels : envoi vendredi d’une disquette avec la version atténuée du Gâchis corrigée dans sa mise en pages et accompagnée d’un index.

Nouvel éclairage sur son exploitation des défauts de ses proches, sous couvert d’un esprit de dérision qu’il se targue de s’appliquer à lui-même. Mon père vient de se libérer, grâce à un cardiologue inspiré, d’un problème pris depuis trente ans comme une tare insoignable et honteuse. En immense amitié avec Heïm à l’époque de sa vingtaine, il avait confié cette gêne digestive qui lui faisait remonter une partie de ses aliments, obligé alors de les mâcher à nouveau à la façon d’un ruminant. Cette confidence aurait dû rester à ce stade ou, éventuellement, permettre de recevoir un conseil judicieux pour y mettre un terme. Or, non seulement l’épanchement ne fut suivi d’aucune recommandation, mais Heïm se servit du secret pour ridiculiser mon père dans ses portraits au vitriol lors de repas catharsis. Finalement l’affaire était totalement bénigne, parfaitement résorbable, mais l’impact psychologique a fonctionné comme un carcan inhibiteur jusqu’à ce récent conseil médical. Illustration d’une certaine gestion de l’être humain avec pour seule ligne de mire : servir ses intérêts.

 

Mardi 3 décembre, 23h50

Après-midi un peu tendue dans l’enseignement de la cmc aux postulants bac pro 2002-2004. Un auditeur de sexe indéfini se permet quelques réflexions ironiques : je fonce immédiatement dans la brèche pour percer les purulentes allusions. Je dois malheureusement censurer ma réactivité qui ne peut aller jusqu’au charcutage verbal du fumiste qui se croit malin. Ma fibre misanthropique revient alors très vite et la haine qui me submerge pourrait me conduire à l’irréparable si je ne m’en remettais pas à la raison. Ces niches à médiocrités humaines m’écœurent… mais le devoir pédagogique avant tout.

Trop alarmiste sans doute, mais je n’ai plus de nouvelles de Heïm depuis que je lui ai envoyé les éléments pour la publication du Gâchis. J’espère que cela n’augure que la préparation technique du tirage. A défaut, il passerait vraiment, à mes yeux, pour un pignouf affabulateur. Je ne peux y croire… à moins que cette stratégie de la douche froide soit la sanction allouée pour mon éloignement affectif. Je ne peux croire à cette nouvelle désillusion…

 

Jeudi 5 décembre, 0h…

Un an avec BB aura optimisé mon ancrage lyonnais et fait renaître la croyance en une dualité sans sacrifier mes affections. Je l’emmène ce soir dans un bon restaurant de poissons, avant son week-end laborieux côté nocturne.

Finalement, ma gueulante littéraire d’hier contre Heïm semble abusive. Le bon à tirer final devait m’être expédié aujourd’hui. L’ouvrage paraîtrait avant la fin de cette année.

 

Vendredi 6 décembre, 22h25

Les visiteuses de la fête des Lumières tardent à paraître pour partager quelques amuse-gueule suivis de poisson… la sonnette !

 

Samedi 7 décembre, 9h45

Aude, spécialiste de la restauration de mosaïques antiques, Maud, demoiselle autour de la vingtaine qui collabore au musée, et Louise, la sœur de ma BB, sont finalement parvenues jusqu’à mon antre. Romy, arlésienne elle aussi, les accompagnait, mais a dû nous quitter rapidement pour retrouver son compagnon Michel sis chez un oncle à Saint-Didier au Mont d’Or.

Le poisson en papillote de BB nous a régalés et le week-end s’annonce joyeux. Evocation des tares du système public qui entretient à vie quelques incompétences reconnues d’inutilité professionnelle, désespérant ceux qui se passionnent pour leur activité. Le conservateur-directeur du musée précité, et sa clique d’agents techniques gras du cortex, leur infligent ce je m’en foutisme institutionnalisé au quotidien. Il n’y a pas que dans les banlieues chaudes que l’impunité zéro doit être appliquée…

Reçu hier un appel de Sally qui se demandait si nous aurions le temps de déjeuner avec elle à Paris lors de notre passage. J’ai argué du planning, portefaix d’engagements divers, pour décliner l’offre. La réalité complémentaire tient à une incompatibilité d’humeur avec BB. Sally, en contradiction avec l’harmonie phonique, m’incite à n’entrevoir que des rencontres isolées, sans BB, et donc forcément plus rares.

J’ai, en revanche, invité Karl à venir partager la transition annuelle avec la bande lyonnaise. C’est bien le seul de l’ex famille affinitaire avec qui je n’ai aucune gêne relationnelle. Sa grande qualité : n’avoir jamais cherché à imposer, par la pression psychologique et par le sous-entendu perfide, sa conception de ce qui doit faire l’entourage et la vie sentimentale de ceux qu’on prétend aimer. Déviance insupportable chez Heïm, Sally, etc.

Ce Journal ne peut prendre sa dimension que par les deux tendances extrêmes réunies en perspective : dix ans d’engagement forcené et laudatif, et cette nouvelle ère du regard critique, lui aussi, sans doute parfois, outrancier. Cela s’érige pourtant comme une nécessité pour contrebalancer l’époque première, et comme un instinct stylistique propre au diariste pamphlétaire. Pourquoi épargnerais-je ceux que j’ai côtoyés aussi pour le pire alors que je n’ai jamais éludé l’autocritique féroce ? Impératif purgatif en quelque sorte.

Une tendre et apaisante première année avec ma BB (qui fait dodo pas loin après son travail nocturne) fêtée avant-hier par de petites attentions réciproques et un gueuleton de poissons au Deck, rue Tupin à Lyon.

Un texto… je rejoins le trio féminin deux étages au-dessous.

 

Lundi 9 décembre, 0h02

Pour un peu, je deviendrais philanthrope : des hôtes adorables, des amis complices et ma tendre BB qui me rejoint à l’aube dans mon dodo. Un week-end des Lumières en phase avec un très réel épanouissement non béat. Cette dimension d’existence, si modeste soit-elle, m’offre de plus salutaires relations que celles cultivées dans de plus confortables lieux.

A noter l’extrême et si gratifiante complicité d’Ornelle, Jérôme et la délicate Shaïna lors de la joyeuse soirée du sept, où la dizaine de personnes présentes a marqué mon antre lyonnaise du sceau de la pétillante convivialité. Une fin un peu éprouvante tout de même : la promenade nocturne dans Lugdunum illuminé a été de trop pour Ornelle. Sa récente ponction lombaire a laissé des séquelles à retardement : au début de la rue Mercière, alors que nous (avec Shaïna et Jérôme) devions rejoindre le Saint-Louis pour écouter l’enthousiasmante Bonny, Ornelle éprouve un malaise et des douleurs aiguës s’affirment dans le dos. Impossible d’aller plus loin, aucun taxi disponible, il faudra toute la gentillesse d’Eddy, de retour d’une bouffe à Bron, pour un rapatriement en urgence devant chez moi. Là, récupération de leur véhicule direction Saint-Cyr. Pour Eddy et moi, le Saint-Louis en ligne de mire, toujours plein à déborder. Emotions diverses donc.

 

Dimanche 15 décembre

Encore une démonstration du terrorisme intellectuel chez Ardisson avec le duo incongru Joey Star-Romain Goupil qui tentent piètrement de faire passer la thèse du polémiste Combaz pour ce qu’elle n’est pas : la voix de l’intégrisme catholique et de l’extrême droite. L’inaltérable Kerçauson a bien senti la justesse d’analyse de l’auteur d’Enfants sans foi ni loi. La mauvaise foi du Goupil qui sait déceler les messages subliminaux terrifiants, ignobles et puants par une lecture « en creux », et les éructations dérisoires de Joey Star entretiennent les fadaises du Pote système avec sa pseudo tolérance et son vrai sectarisme dès qu’on porte atteinte aux postulats idéologiques ambiants.

Reçu jeudi, enfin ! la version éditable du Gâchis avec une vraie et belle couverture en couleurs : choix judicieux du Christ portant sa croix, de Victor Bosh, entouré de créatures hideuses et menaçantes… belle métaphore de cette quasi décennie versée dans l’édition.

Avec la pause de mes interventions à Forpro jusqu’au 6 janvier, je dois me concentrer sur la thèse, et commencer l’élaboration d’un plan détaillé…

 

E-mail, 15 décembre

Objet : Réaction

Cher Thierry Ardisson,

D'abord merci pour la variété des invités qui se succèdent et s'affrontent. Réaction à la diabolisation de Combaz : la description de phénomènes que l'on constate tous les jours a donné lieu, notamment de la part du détonant duo Star-Goupil, a des simplifications trop souvent ressassées. La lecture en creux du Goupil vaut toutes les mauvaises foies du monde : l'interprétation ahurissante de propos clairs donne envie de tirer les oreilles aux rejetons de 68... quant aux éructations du Joey, elles amusent par leur dérisoire. Kerçauson a encore une fois été magistral... dommage qu'il ne soit pas resté jusqu'au bout pour un soutien encore plus déterminé à Combaz. Merci à vous...

 

Mercredi 18 décembre, 0h40

Eu Edith Silve hier au téléphone. Membre de l’association des Cahiers Paul Léautaud, je souhaitais avoir des précisions sur l’envoi du dernier numéro et le moyen de se procurer les anciens. Après quelques minutes, je l’informe de mon projet de thèse. Elle se montre très intéressée et me situe lorsque je lui rappelle l’objet de mon mémoire publié. Elle m’avoue trouver dommage que je ne poursuive pas dans cette passerelle établie entre Heïm et Léautaud et se demande si je vais vraiment trouver un angle neuf pour ma recherche sur le Journal littéraire.

Elle m’indique qu’aucune publication des passages censurés n’est encore possible, et qu’elle est la seule habilitée à le faire. Elle doit, en ce sens, rester sur ses gardes, car des plaintes en diffamation menacent la parution de ces passages censurés. Elle me livre quelques exemples de ces attaques infondés de Léautaud comme l’accusation de la famille de Mauriac d’avoir vendu leur résine aux Allemands, sans rappeler qu’elle y était contrainte par l’occupant.

Autre volet littéraire explosif dans ces impubliables, l’ondinisme obsessionnel du misogyne, prenant corps dans une expression trop crue. Léautaud le gros dégueulasse, en somme.

Pour finir, et très gentiment, Edith Silve me propose d’annoncer mon travail de recherches, de m’ouvrir les pages des Cahiers pour y faire paraître un extrait de cette thèse et même d’informer de la parution du Gâchis, voire d’en proposer un passage dans lequel Léautaud apparaîtrait.

Ma BB est encore sur la brèche pour cette nuit.

Eu Ornelle qui a quelques soucis de gestion du relationnel sentimental avec Jérôme. Espérons que ce n’est que passager. Pour le 31, ni Liselle, ni Karl, ni Patrick ne peuvent s’associer à notre soirée. A cinq, la foire ne s’affadira pas pour autant.

 

Jeudi 19 décembre, 0h15

Un entêtement médiatique appréciable, pour une fois : après la vague sécuritaire, la stigmatisation de la criminalité potentielle ou accomplie d’automobilistes ordinaires. Raffarin et son ministre des transports de Robien ont annoncé quelques mesures répressives, premier coup de latte juridique aux dérives criminogènes des conducteurs. Piéton pour l’essentiel, et au quotidien, j’observe cette frénésie agressive des pressés de la route qui vous écraseraient pour grignoter quelques mètres plus vite. Quelle tartuferie pitoyable que ces comportements aux antipodes de ce qu’on pourrait attendre d’une civilisation dite évoluée.

Je rejoins sans hésitation la position de Nicolas Hulot qui trouve bien plus de sagesse et de maturité humaine chez les peuples semi-nomades de Sibérie, en symbiose intelligente avec cet infini blanc, glacé, hostile, mais essentiel à la philosophie respectueuse de la nature de ces peuplades. Quel cirque lamentable que nos bouchons urbains au regard de ce vrai rythme existentiel. Et toute cette agitation pour accumuler des biens sans utilité fondamentale. Etre prêt à risquer la vie d’autrui pour combler ses envies accessoires : tout le pathétisme effrayant de notre forme de civilisation.

 

Samedi 21 décembre, 0h15

Hier après-midi, affalé sur mon lit, profitant d’une somnolence digestive, j’écris ce qui pourrait constituer les trois grands axes de ma thèse et quelques thèmes associés. La trame conductrice place le genre du Journal comme le plus approprié, littérairement, pour approcher la complexité d’un alentour via la subjectivité du diariste, lequel se révèle, entre constances et contradictions, à sa plus humaine valeur, et trouve dans ce type d’écriture la meilleure caisse de résonance à sa créativité littéraire. Le léger assoupissement permet parfois d’utiles productions.

Hier soir, arrivée de Louise pour son étape nocturne : elle repart ce matin à quatre heures pour Le Cellier. […] Délicate attention de Laure qui, via Louise, nous offre une bouteille de vin en remerciement de l’accueil à Lyon.

Un week-end sous les meilleurs auspices, mais sans ma BB qui effectue ses dernières nuits avant les vacances hivernales. Cette après-midi, je devrais retrouver Ornelle, Shaïna et peut-être Jérôme pour les dernières emplettes de Noël ; ce soir, je partagerai l’exceptionnelle viande du Restau-boucherie avec Eddy et Bonny avant que ma chanteuse préférée ne se produise au Saint-Louis ; dimanche soir, peut-être une amicale visite de Rose et Sabrina rencontrées il y a quelques semaines au Red Lions.

Progressivement, je tape dans Word ce qui constituera peut-être un jour A mon aune, le deuxième tome de mon Journal pamphlétaire. Mars 2001, auquel je suis rendu, marque le tournant dans mon sentiment émergé sur ceux que je baptise désormais les « gens du Nord », mon ex famille affinitaire. Le fait déclencheur, le non-respect de l’engagement éditorial à publier Un Gâchis exemplaire relève, avec la distance, du prétexte en forme de détonateur. Le regard critique couvait en fait depuis la fausse promesse de fiançailles faite par Heïm à Sandre. J’ai là pris de plein fouet le jeu manipulatoire qui m’a renvoyé à de bien plus anciens événements.

Ce n’est pas la publication prochaine du Gâchis, en forme de clôture d’une tranche essentielle de mon existence, qui va me faire changer d’un iota ma récente perspective à décrier l’encensé d’hier.

 

Dimanche 22 décembre, 4h du mat.

De retour du Saint-Louis où Bonny a donné de la belle voix face à un Yann plus fluet de cordes. Pourtant la miss a dû laisser reposer l’organe fatigué de la veille ce qui a nécessité l’annulation du Restau-boucherie. Nous nous rattraperons à quatre le trente au soir dans un japonais à la cuisine légère.

Toujours rigolo d’observer le comportement de certaines donzelles qui s’adonnent à la danse provocante, avec des complices de piste pour frotter les chairs. Etonnant de voir comment l’ondulation harmonieuse peut ennoblir des formes et une silhouette un peu relâchées. La transfiguration par le rythme et la danse révèle des personnalités peut-être mièvres dans la vie courante.

 

Lundi 23 décembre, 0h et quelques poussières

Un dimanche en reclus volontaire avant les grandes manœuvres relationnelles de la dizaine de jours à venir. Seule ma BB est venue agréablement perturber ce retranchement trente minutes avant son départ pour la dernière nuit de labeur.

TF1 a perdu l’un de ses grands reporters à l’apparence si sympathique, le géant Patrick Bourrat. Bousculé par un char de soixante-dix tonnes lors des entraînements militaires américains au Koweït, il n’a pas survécu aux terribles blessures. Curieusement, samedi, juste après l’accident, j’avais cru entendre sur France Info que ses jours n’étaient pas en danger. Y aurait-il eu des complications et un empirement soudain de son état ? Reste une veuve et une petite fille à la veille de Noël… Les médias ont cette puissance de nous rendre presque familier, jusqu’à une certaine forme de lien cordial unilatéral, à ces chasseurs d’informations. Les hommages tous azimuts n’ont en tout cas pas tardé.

 

Jeudi 26 décembre

Un Noël convivial et chaleureux chez les B. Affective attention des parents qui m’ont associé à la galerie des portraits de la salle à manger, au sein de leurs enfants. Je m’intègre sans aspérité à cette tendre ambiance empreinte de simplicité, mais aussi de conversations à très bonne tenue culturelle (les connaissances historiques du frère François, notamment).

Une gourmande infidélité à Léautaud pour cette fin d’année : BB m’a offert le dernier Revel, L’obsession anti-américaine. Je deviens un inconditionnel de cette plume d’une fluidité argumentative sans pareille, à la référence intelligente, avec ce sens de l’évidence qui contrecarre moult de nos idées reçues. Sitôt la relecture des treize premiers volumes du Journal littéraire (j’entame le troisième) achevée, je m’immergerai dans le pavé de la collection Bouquin qui rassemble plusieurs des essais polémistes de ce vivifiant académicien. Envie trop forte d’y replonger…

 

Samedi 28 décembre

Dans le style un contre tous, la conversation de jeudi soir avec la famille B m’a fourni un vif entraînement.

Le sujet : les Etats-Unis et leur culpabilité dans la politique internationale. Revel en grand inspirateur, donc. Je me fixe dans le rôle du pro-américain critique, dénonciateur des complaisances à l’égard des islamistes. J’ai un peu plus révélé ma personnalité à la famille B en espérant ne pas les avoir trop choqués.

Le contraste du doux rapport en quotidienneté avec ma BB et de la confrontation hérissée dans les idées politiques, l’a inquiété sur l’oreiller… Cela pourrait-il aboutir à une rupture de ma part ? Je n’accorde plus assez d’importance à mes positions pour que cela dépasse le cadre de l’affrontement ponctuel. Je prends cela presque comme un jeu, et au fond je m’en moque.

Pour rester dans l’actualité suscitant le débat, la secte des Raéliens annonce le premier clonage humain ; Nous n’aurons pas à attendre très longtemps pour que la production s’industrialise et que les clones viennent réclamer un droit à la vie comme pour tout être humain, s’insurgeant contre ceux qui veulent interdirent cette pratique. Quelques décennies tout au plus. A moins que d’ici là les instances de l’onu aient des pouvoirs effectifs renforcés, avec de vrais moyens, pour éradiquer dans l’œuf ces dérives scientifiques.

Peut-être que le centenaire de la parution du Meilleur des mondes d’Huxley coïncidera avec la maîtrise clandestine du clonage reproductif. Une bien terrible façon de donner raison au roman visionnaire du britannique.

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