2002 – À l’aune de soi
Mercredi 2 janvier, 1h
À sept
heures trente, BB devrait venir se blottir contre moi, m’entourer de ses
longues jambes après sa nuit de travail aux urgences. Notre amour s’amplifie de
très prometteuse façon et je me sens en phase avec son âme et son corps.
De
retour, depuis hier fin d’après-midi, de Chalon-sur-Saône après avoir passé la
Saint-Sylvestre avec Karl, Liselle, Aurélie (les deux jeunes filles rencontrées
à Royan) et quelques-uns de leurs amis. L’éloignement de ma BB, de garde, et
quelques insatisfactions ont provoqué et entretenu un passage ronchon lors de cette veillée. Karl a
ressenti les mêmes choses et les critiques sur la fin de soirée se
rejoignaient. Malgré tout, très heureux de retrouver les deux foliettes…
chacune ayant une histoire sentimentale en cours.
Aucun
signe de ma part aux gens du Nord.
Dimanche 13 janvier
La vie
se poursuit en bonne phase avec BB, la plume rare par un tarissement de
l’intérêt pour laisser des traces avortées.
Mon
aventure gestionnaire apporte une dimension incomparable à mes argumentations
sur la liberté d’entreprise et le débat sur la mondialisation.
Jeudi 24 janvier
Vague
signe pour une fidélité littéraire en perdition. Mes semaines défilent et se
partagent entre mes interventions pédagogiques via Instita, Forpro, Hippocus et
l’approfondissement de la douce relation avec BB.
Une
résolution pour la rentrée 2002 : accentuer mes interventions auprès des bts en trouvant d’autres organismes de
formation que Forpro sur Lyon, et surtout dénicher un directeur de thèse
lyonnais pour entreprendre et mener à terme (cette fois) une thèse de lettres
sur Paul Léautaud et son Journal
littéraire selon un prisme à déterminer. Une phase constructive en
perspective, et pas de risque de brouille
avec l’auteur choisi !
Revu
Ornelle samedi dernier qui a quelques problèmes de santé. Une complicité amicale
suivie.
Samedi 16 février
Plus
d’enclin à rédiger… Quelques passages furtifs suffiront à garder le lien et les
traces nécessaires.
Jeudi
soir, une première pour BB, et un délice pour moi : une Saint-Valentin
partagée chez Fernand Duthion,
restaurant gastronomique Les Grillons.
Elle est vraiment agréable à vivre et notre intimité évolue favorablement.
Plus
de contact avec le château, et cela me va parfaitement.
Projet
de trouver d’autres organismes de formation pour des interventions en culture
générale auprès de bts.
J’abandonnerais alors les bac pro et les bep
dont l’immaturité et parfois l’illettrisme ne me motivent pas. Je ferai de même
pour Hippocus qui me prend trop de temps. Je pourrai ainsi lancer cette thèse,
si un directeur l’accepte.
Eu
Sandre ce jour au tél. : je suis le premier à connaître son projet de
mariage avec son ami en juin prochain, et ce à l’étranger.
La vie
s’écoule sans aspérité pour moi, une espèce de repos existentiel après avoir
tant été sur la brèche.
La
plume Waterman qui glisse sur cette
page m’a été offerte par ma douce BB, elle se substitue ainsi à mon Sheaffer… Parfois l’impression de faire
du remplissage ici… peut-être devrais-je revenir au commentaire de l’actualité.
À suivre, peut-être…
Dimanche 17 février
Quelles
que soient les critiques adressées à notre forme de régime, il faut tout de
même le remettre en perspective. En Afghanistan le stade de football servait de
lieu d’exécution : les Ben Laden and Cie, arrivistes et
sanguinaires, en étaient les protagonistes. Chez nous, on utilise le Stade de
France pour faire découvrir les jeux de glisse aux enfants de milieu modeste.
Un univers de civilisation entre, non ? Alors que les défenseurs, affichés
comme Dieudonné ou hypocrites comme nombre d’autres, du criminel Laden aillent
s’immerger dans la barbarie qu’il défend.
Samedi 16 mars
Agréable
soirée chez un couple d’amis de BB, parents d’une infatigable petite fille,
Jade. Evocation avec l’homme de l’imbroglio israélo-palestinien, de l’effroi
ressenti face à la barbarie avouée dans le documentaire en trois volets, L’Ennemi intime, par des ex soldats de
la guerre d’Algérie. Tous ces individus ordinaires qui peuvent s’adonner à la
plus abjecte bestialité, pire même car sans objectif vital, me sidèrent. Le
long chemin vers ce que l’on prétend humanité
ne laisse augurer que tripes à l’air, boucherie toujours recommencée et
inutiles massacres.
Dimanche 17 mars
Très
bon ancrage de ma relation avec BB. Le sérieux constructif (avec enfant(s)) est
en ligne de mire.
Les
relations lyonnaises se pérennisent : avec Ornelle l’amitié complice
s’affirme, avec Bonny un suivi pétillant… Rupture avec Kadya qui n’a pas assumé
la relation qu’amicale que je souhaitais. Un week-end de Pâques chez Shue et
John avec BB. Très entouré et occupé finalement.
Et
l’écriture ? Quelques rogatons parcellaires. Je retourne au décryptage de
Bachelard en vue de mon intervention mardi prochain à Clermont Ferrand pour les
étudiants qui préparent le CRPE par Galien.
Mercredi 3 avril
La
villégiature chez Shue et John, dans un Lutry radieux, a été très agréable pour
BB et moi. Toujours miné par le regard des autres sur ma dulcinée, j’ai cru
déceler chez Shue, dans son manque d’enthousiasme, dans ses non-dits (elle si
prolixe à l’analyse normalement), un refroidissement
à l’égard de BB. Envoi d’un petit mail hier pour éclaircir l’affaire. Sa
réponse lapidaire (« Pourquoi tu me dis ça ? ») ne fait que me
renforcer dans mes impressions premières. Quoi que puisse m’avouer Shue, je ne
dois me fier qu’à mon ressenti pour BB, sans influence extérieure. Quels que
soient ses défauts, je dois peser les immenses points positifs qu’elle
m’apporte, sa gentillesse extrême et la douceur de sa quotidienneté. Déjeuner
ce midi avec Sally, de passage pour la journée à Lyon. Quelques nouvelles
éparses des gens du Nord et de
certains membres de sa famille.
À
noter la dérive violente du procureur Hubert qui, pour une peccadille, a
« massacré » (terme de Sally) sa compagne en présence de sa mère. Les
séparations-retrouvailles de ce sordide yo-yo sentimental s’achèvent (ou se
poursuivent ?) dans l’abjecte violence maritale.
Sa fonction de substitut du procureur, avec le sentiment de puissance qu’elle
confère, n’a fait que renforcer des tendances bien présentes chez lui. Je me
rappelle, rue Vercingétorix, les restes
du défoulement sur sa petite amie d’alors : des cheveux par poignées. Le
dépôt de plainte pour coups et blessures l’avait frôlé. Cette fois-ci, les conséquences
semblent plus drastiques : perte de la garde sur l’enfant et risque de
mutation professionnelle. Sally m’explique que cette tare, chez Hubert, trouve
sa source directe chez sa mère. J’ajouterais que les discours et les
comportements de Heïm à l’égard des femmes n’ont certainement pas fourni le
meilleur des exemples au fils magistrat.
Très
agréable rapport avec Sally (je suis à nouveau invité, avec BB, à Royan pour
une semaine en août), mais elle tente à chaque fois de me sensibiliser à une
certaine actualité du château. Ses craintes quant au comportement d’Hubert
concernant la prise de possession du château, contre Vanessa, après le décès de
Heïm, m’apparaissent comme un appel indirect. Je n’ai, là encore, pas voulu
être désagréable et la mettre dans une position impliquant un choix affectif,
mais je n’en ai aujourd’hui que foutre des soucis autremencourtois. J’ai suffisamment donné de ma personne, je me
suis grillé quasiment à vie pour la gestion d’une société, j’ai vécu l’enfer du
kamikaze social pour défendre les gens du château, pour dorénavant me
désintéresser de ces péripéties supposées à venir. Par ailleurs, je ne possède
plus aucune part dans la sci du
château, je reste simplement caution solidaire pour le prêt ayant permis son
achat, et ce jusqu’en 2007. Voilà mon seul lien, pas le plus enviable… Le ton
de cette prose suffit à démontrer que je me sens étranger à ce monde ou, plus
exactement, aux reliquats d’un monde perdu. Seules des individualités
retiennent mon affection : Karl et Hermione, notamment.
Le
gouvernement jusqu’au boutiste d’Israël s’adonne à de très inquiétantes
répressions guerrières. Des actes antisémites se multiplient dans le monde.
Quand comprendront-ils qu’il faut passer outre les attentats des kamikazes
palestiniens et décider un acte fort tout de suite : le retrait des
territoires occupés. C’est la seule façon de créer un électrochoc favorable à
la reprise des négociations. On sombre dans cette infernale loi du talion qui
n’aboutit qu’au sacrifice d’êtres humains chez les deux belligérants avant
l’inéluctable accord qui devra, dans un an, un siècle, dix siècles, s’imposer.
Nous avons bien connu cet engrenage avec l’Algérie.
Avec
tout ce que l’histoire de l’humanité nous a appris, continuer ces processus à
œillères constitue des involutions bien plus graves que celles de nos aïeux,
car beaucoup plus aisément évitables. Pitrerie que la conscience
universelle : les particularismes barbares règnent sans partage.
Jeudi 4 avril
Terne,
terne l’arrière-cour présidentielle. Avant-hier Chirac : à moitié
agressif, sans panache, rivé sur ses généralités pontifiantes, agacé par le
moindre titillement journalistique.
Hier Jospin : technicien rébarbatif, incapable d’alléger par un peu
d’humanité joyeuse ses empesées démonstrations, ignorant tout clin d’œil des
journalistes en ce sens (cf. l’allusion à sa nouvelle fonction filiale,
grand-père, à moins que l’exclusivité à Paris-Match ne lui interdise de relever
toute référence à ce thème privé). Et derrière, la flopée des petits candidats qui s’offusquent de
cette ségrégation intellectuelle. Un premier tour au beau milieu des vacances
scolaires, comme un signe supplémentaire pour le citoyen d’éviter le
déplacement électoral face aux congés des idées. Les seuls moments d’émotion de
cette campagne auront été les deux faits divers identifiables par leur lieu de
déroulement, selon le procédé de la métonymie viticole : Evreux (le père
battu à mort alors qu’il venait défendre son fils racketté) et Nanterre (carton
d’un détraqué sur le conseil municipal).
Je ne
sais de quoi va se composer ma future année professionnelle et si je vais
effectivement me lancer dans un nouveau projet de thèse, à tenir cette fois
sous peine de me vautrer dans le ridicule. Hippocus, où je suis en ce moment
même (colle pour les médecines de
Grange-Blanche), s’arrêtera alors après quatre ans de loyaux services. Trop de
temps passé sur les ouvrages au programme pour l’année suivante. Je devrai
consacrer mon été à Léautaud.
Mon
existence convole avec de modestes objectifs, mais la sérénité fondamentale
s’est ancrée. Pas une perte de lucidité, je crois y voir bien plus clair, au
contraire, sans approche engoncée de la vie. Fini le cérémonial inutile, les
pertes de temps pseudo-cathartiques, les monomanies humoristiques, la dérision
sans réelle autocritique, toutes ces dérives qui n’ouvrent que sur le sacrifice
pour un intérêt vaguement général, et en l’espèce pour répondre aux exigences
du chef de la mesnie embryonnaire
(suite aux dégraissages successifs).
Trente ans auront été nécessaires pour que j’intègre la critique dans mon
approche de cet univers à part. L’équivalent du maximum de la part
incompressible pour une perpétuité en France… Rapprochement hasardeux sans
doute…
Lorsque
Sally m’a annoncé que la nouvelle petite amie de Karl avait été bien perçue par
Vanessa et Heïm, je fulminais en silence. Quand vont-ils s’arrêter de passer au
crible les choix sentimentaux de chacun ! Sous couvert du bonheur qu’ils
nous souhaitent, ils s’arrogent le droit d’ingérence psychologique et moral
dans nos inclinations et dans la gestion de notre parcours amoureux. Voilà
l’une des raisons profondes de mon retrait du château et de mon exil
lyonnais : indigestion de ces pressions quasi quotidiennes si le moule
n’est pas parfait. Ce clonage mental
me pue au nez. Ces poussées littéraires contre les gens du Nord n’ont que la vocation d’alléger un chouia le passé
dans ses sombres facettes après tant d’années dédiées aux seules louanges (que
je ne renie pas, mais qui se trouvent, avec la perspective des traces
présentes, amoindries).
Laisser
l’empreinte, même non publiée, d’un regard désengagé, sans l’ombre d’une
amertume (puisque je me sens beaucoup mieux dans cet éloignement), sur quelques
aspects moins reluisants de la vie chez Heïm, répond à la plus humaine des
traditions intellectuelles : rompre avec la pensée unique, quelle que soit
la superficie de son territoire (en l’espèce une micro société).
Mardi 16 avril
Livraison hier
soir, par Louise, la sœur de BB, du Journal
littéraire de Léautaud, en dix-neuf volumes, publié dans la décennie 50,
pour l’essentiel, au Mercure de France. 1 500 francs (220 euros environ)
chez un bouquiniste nantais : une affaire m’ouvrant la jouissive
perspective d’une replongée dans cette fresque socio-intimiste des volumes xiii à xix.
L’œuvre majeure de Léautaud enfin dans ma bibliothèque. Je vais pouvoir rendre
le volume xiii, emprunté voilà
plusieurs années à Heïm et dont la lecture s’effectuait entre éclipses
dominantes. Le plaisir de retrouver ces pages au papier épais, presque de
chiffon, ces couvertures blanches, à la sobriété trompeuse pour qui se risque à
les ouvrir, ce parfum de vieux bouquin bien conservé, à l’âge serein pour
délivrer l’expérience d’une vie d’homme. Me reste à trouver le directeur de
thèse pour m’immerger totalement dans le monde de Léautaud : la galerie de
portraits des gens qui comptent dans la littérature, ceux fustigés, les
allusions à une actualité à recomposer.
Jeudi 18 avril
Affligeant
l’absolu manque de curiosité intellectuelle de la plupart des étudiants que je suis. Confinés dans
leur prêt-à-vivre sans surprise, le ludique décervelant anime seul leur
piètre existence.
Je
n’ai toujours pas appelé Heïm, et je n’en ai nulle envie. Je me sens vraiment
étranger à son univers aujourd’hui. Hier, message de sa femme pour me signaler
que le jugement de liquidation de la seru
devait m’être signifié. Mauvais goût qui remonte, j’espère qu’il conclura enfin
ces années d’épreuve où l’engagement a tissé sa toile d’angoisse jusqu’à
l’effondrement éperdu.
Samedi 4 mai
Les
quinze jours de campagne anti-Le Pen se sont achevés. Dimanche, Chirac devait
se voir confier un nouveau mandat pour le premier quinquennat de la Ve.
Curieuse atmosphère d’un consensus horrifié par ce challenger gagnant pour le
deuxième tour. Certes, un Le Pen à l’Elysée mettrait la France au ban de
l’Europe, voire du monde, mais sa fonction d’aiguillon de la vie politique me
semble salutaire. La cohabitation a en tout cas démontré qu’elle était viable
sur le plan institutionnel, mais dangereuse politiquement : les extrêmes
trouvent alors toute leur légitimité pour contraster avec l’indifférencié à la
tête des pouvoirs exécutif et législatif.
Quant
aux manifestations anti-Le Pen, elle me semble une quasi contestation du
système démocratique lorsqu’il ne répond pas au sens attendu par certaines
populations. La haine ne vient pas que d’un côté.
Pas
les mêmes idées politiques avec ma BB mais, peu importe, notre lien se
pérennise. Hier, pétillante soirée avec le couple Eddy et Bonny : l’amitié
se confirme.
Mardi 21 mai
Vu
quelques passages de l’émission Ça me révolte qui
dénonce les criminels de la route. A vous dégoûter définitivement de la nature
humaine… Des porcs décervelés et lardés d’impunité : voilà la mutation qui
s’opère chez les lambdas qui prennent le volant. Pour tout individu qui
occasionne la mort ou des blessures irrémédiables, il faudrait deux mesures
simples : la traduction devant une cour d’assise, et non la
correctionnelle (il s’agit d’un crime et non d’un délit) et surtout l’annulation
définitive du permis avec l’impossibilité de le repasser. Il faut mettre ces criminels
hors d’état de nuire : et il y en a quelques dizaines de milliers en
France. Evidemment, pas un politique n’aura le courage de prendre ces
dispositions. On fait du sécuritaire
pour rassurer les braves gens (et sans doute à juste titre), mais les dix mille
morts par an sur les routes ne méritent pas un grand coup de latte dans le
lobby automobile. Ça me fait gerber !
Il y a
quelques jours, rêve (cauchemar ?) que les gens du Nord reprenaient contact pour un nouvel enrôlement
professionnel avec toutes les angoisses adjacentes. Aucune
envie de les revoir. La mort de Heïm changera peut-être la donne, mais je crois
ne plus rien avoir à leur apporter, et réciproquement.
Encouragement
d’Ornelle par texto en fin d’après-midi.
Elle passe ses examens cette semaine. Son copain Jérôme aurait été agressé dans
le métro, mais je n’en sais pas plus.
J’ai
sans doute trouvé (grâce à un contact fourni par Edith, collègue de Forpro) mon directeur de
thèse pour mon projet d’étude sur Léautaud. Ma plongée dans la suite du Journal littéraire prend un rythme de
croisière : le XIVe volume bien entamé. La période de la
Seconde Guerre mondiale révèle un Léautaud loin du monolithisme collaborateur
ou résistant. L’ensemble de ses analyses, de ses jugements à l’emporte-pièce et
de ses humeurs forment un tableau au clair-obscur où seule compte son
indépendance d’esprit.
Ce
soir, en cherchant un bouquin pédagogique, je vois les gros volumes de la collection
Bouquin sur le Journal de Jules Renard, les trois tomes de celui des Goncourt… Si
j’y ajoute ceux de Galtier Boissière (que je ne possède pas), de Charles Juliet
(prêté – le vol. I – par Melycia) et de Jacques d’Arribehaude… je
ne suis pas prêt de me mettre à la lecture de romans !
Bientôt
une heure du matin et il faut que je provoque mon sommeil réfractaire…
Si je
pouvais être plus régulier pour la tenue de ces pages…
Oublié
d’indiquer ma décision de ne pas reconduire ma collaboration avec l’Institut
Galien. Consacrer mon été à lire les ouvrages des médecines et des pharmacies,
au lieu de m’immerger dans Léautaud, ne me semblait pas sage. Je compenserai la
perte financière par quelques cours particuliers qu’Institia m’aura dénichés.
Les
services secrets américains soulignent qu’une nouvelle vague d’attentats
islamistes menace. L’opération américaine de démantèlement des réseaux
concernés n’intéresse plus nos médias car elle s’inscrit dans la durée et non
dans le spectaculaire éphémère. Un été explosif aurait lui, sans aucun doute,
plus d’échos.
Entre
mon esprit vagabond et la feuille de papier, si irrégulièrement noircie, une
déperdition majeure. Combien de réflexions, de sentiments, d’impressions passés
à la trappe par fainéantise littéraire ?
Pas cela qui entamera l’anonymat qui s’amplifie les années passant.
Mercredi 23 mai
Hier
soir, appel d’Ornelle (en pleine semaine d’examens pour sa première année d’iut). Elle me confie les tenants de son
nouvel embryon d’histoire sentimentale. Une amie de plus en plus chère que
cette Ornelle. Emouvant de se rappeler la première entrevue lorsque le bus nous a
mené ensemble vers Saint-Cyr, sans que nous nous connaissions, pour le premier
cours de français à donner. Ce suivi humain enthousiasme l’âme.
Samedi 26 mai
À
Parmain pour la fête des mères, après une après-midi intense en défoulements
physiques. Entre tennis et ping-pong, le corps s’est échauffé à point.
Jeudi 30 mai, 1h50
[…]
Appris
la mort du journaliste non voyant Julien Prunet, à 29 ans, qui tenait une
chronique quotidienne sur France Info. Pincement au cœur d’émotion pour cette
jeunesse enthousiaste et ambitieuse stoppée nette par la Camarde… saloperie de
mort !
Que de
pages noircies pour quel contentement illusoire ? Inutile babil littéraire
qui demeurera dans l’anonymat. Aucune chance qu’il sorte de ces carreaux, à
moins d’un acharnement posthume qui ne me regardera plus. Moi qui croyais
pouvoir faire carrière dans
l’écriture, quelle baudruche !
[Courriel à Cindy]
Vendredi 31 mai, 16h21
Objet : Bravo !
Une sorte de
veinarde tu es !!! Je suis ravi de ces perspectives de détente qui s'offrent à
toi... après ce dur labeur. Et sais-tu déjà les contrées qui vont avoir le
plaisir de t'accueillir ? Et quel genre d'aventure tu projettes ?
Pour notre entrevue,
j'espère que la semaine de juin de ma présence te trouvera encore à Paris...
Et à Lyon, tu y es
passé ces derniers mois ?
Curieux, toujours
curieux je suis...
Je m'éclipse. A
bientôt
Lundi 3 juin
Ce
week-end, ma BB s’est produite avec sa chorale et une autre venue
d’Aix-en-Provence. Jolie prestation. Notre relation se poursuit dans la sérénité.
Ornelle devient vraiment une amie quasi fraternelle. Elle se confie de plus en plus à
moi et semble accorder beaucoup d’importance à mes conseils. En partant de chez
elle, dimanche après-midi, elle me dit avoir envie de me confier tout cela, car
je suis son ami le plus proche, un peu comme son frère. Très touchant que cette
relation prenne ce tour.
Après
une petite enquête téléphonique (très rapide) je retrouve Aline, à
Paris depuis deux ans après sa séparation avec son mari installé en Angleterre.
Je dois dîner avec elle lors de ma semaine parisienne, le 19 juin.
Mardi 4 juin
Ce
soir, un Théma sur le conflit
israélo-palestinien et ses deux figures de proue antagonistes : Arafat et
Sharon. L’inextricable situation devra bien un jour déboucher sur un
accord : manque toujours chez l’être humain cette capacité à prendre de la
distance par rapport à ses propres intérêts, pour une mise en perspective de l’intérêt
global.
La
diffusion, ce matin, à six auditeurs en bts
(du centre ressource dont je m’occupe à Forpro) de L’ennemi intime édifie sur la nature humaine et n’incline pas à
croire en elle. Echapper à ces dérives collectives, qui me donnent la nausée,
explique peut-être mon absence d’attachement amical à des hommes, hormis
lorsqu’ils deviennent compagnons d’amies préalables (cas d’Eddy, l’amour de
Bonny connue célibataire).
Ma
tournée relationnelle déjà évoquée se charge en plus d’une entrevue avec Carmelle autour d’un verre, ce jeudi à 11h30 au Bar américain. Elle semble avoir déniché
le grand amour, ce qui m’enchante.
Plus
de contact avec les gens du Nord, et
c’est un soulagement. Je n’éprouve pas l’once d’un regret, d’une quelconque
nostalgie face à mon éloignement. Les apports réciproques ont été largement
épuisés.
Jeudi 6 juin
Mon
débarquement littéraire dans les contrées littéraires de Paul Léautaud prend
forme. Depuis hier, Jean-Pierre M. (spécialiste de Henri Michaud) est (pas
encore administrativement) mon directeur de thèse.
Mon
objectif littéraire se précise lui sur l’oreiller en ce début de matinée :
montrer et démontrer en quoi le Journal
littéraire constitue en même temps le creuset où s’élaborent, s’affirment
et s’affinent les principes littéraires, moraux, psychologiques et
comportementaux d’un homme de lettres, et l’œuvre littéraire d’une vie, dont la
cohérence ne résulte pas d’une pause intellectuelle, mais du tracé existentiel
de son auteur.
En arrière-plan,
tentative de restituer au genre diariste toute sa valeur littéraire.
Projet
de titre : Le Journal littéraire
de Paul Léautaud : du creuset à l’œuvre.
Samedi 8 juin, 2h… du mat.
Vu
ce soir Carmelle et son amie Samia, toutes deux adorables, d’abord à l’Amphy, rue
de Marseille, un bar dans lequel travaille le fils de Mme S., directrice
pédagogique de Forpro ; puis dans l’appartement d’une accointance fêtant
son anniversaire. Le caractère grégaire de ces ambiances me gêne toujours,
partagé entre l’adaptation au milieu et le rejet systématique.
Mes
programmes parisien et londonien se précisent. À Paris, du lundi au vendredi
midi, j’aurai l’immense plaisir de retrouver Aurore (enceinte de quatre mois),
Ornelle (qui travaille avec sa sœur tout le mois), Samya (à Rambouillet), Aline et Sonia.
(et la liste n’est peut-être pas close). Entre ces rendez-vous amicaux et/ou
affectifs, je me concentrerai sur la lecture des trois thèses consacrées à un
aspect de l’œuvre de Léautaud (ses autoportraits, la question du style et un
écrivain en guerre, 39-45). Par ailleurs, je testerai une première prise de
contact avec la bibliothèque Doucet pour un accès au manuscrit du Journal littéraire.
Londres,
en deux jours, je retrouverai Marianne (pas revue depuis au moins trois ans),
Carnelle à nouveau et Laurence, l’ex du Domaine
de Tassin. Voyage dense pour le moins.
L’univers
de l’automobile reine et des automobilistes crétinisants et criminels en
puissance me révulse de plus en plus : les vitesses excessives en ville,
les feux grillés, l’agressivité impunie, les inconséquences pouvant finir en
drame humain. Tout cela me conforte dans un dégoût nauséeux.
Dimanche 9 juin
Hier
soir, encore une très agréable nuit
au Club 30 avec Bonny et Eddy, alors que BB effectuait vaillamment son travail.
Amical et de plus en plus affectif avec ce couple.
Je me
suis fait allumer par une donzelle à la morphopsychologie très proche
d’Elen : le visage (notamment un nez imposant), la poitrine gonflée et une
voix disgracieuse. Bonny l’a bien senti et n’appréciait guère ce comportement
de glaneuse d’un coup de rein.
Ces
deux derniers débuts d’après-midi, je monte deux étages pour sortir tendrement
et charnellement BB du sommeil. (…) Un délice.
Après
les sens, l’essence littéraire de Léautaud m’attend.
Législative,
premier tour ce jour. Toujours pas ma carte d’électeur : aucune volonté de
m’associer à cette messe républicaine bien terne.
Lundi 10 juin, 23h50
En
début de soirée, appel de Sally pour prendre quelques nouvelles, et surtout
être le relais des attentes des gens du
Nord. Cette fois, demande de l’épouse de Heïm que je sois présent pour la
fête des pères. Elle m’apprend la suite des accusations du fils Hubert à
l’égard de Heïm, qu’il ne veut plus laisser son enfant au château car son père
« violerait » tous les petiots de passage. Appris aussi que le magistrat
déjanté aurait repris contact avec Alice pour tenter de neutraliser tout risque
face à sa propre tentative de violence sexuelle sur sa sœur. Décidément, le
sordide règne dans ces contrées.
J’ai
évidemment décliné l’invitation pour cette mascarade très faiblement festive,
prétextant de mes engagements par ailleurs (semaine et week-end pris à Paris et
à Londres). Même sans cela je n’y serais pas allé. Je trouve incongru de me
retrouver parmi ces gens, que j’ai certes adorés, mais dont je ne partage plus du
tout les perspectives existentielles. L’hypocrisie, ou le coup d’éclat,
s’immiscerait nécessairement. Pas de temps à perdre avec ces ambiances trop
longtemps supportées. Plus mon monde, définitivement !
Je ne
leur veux aucun mal, je serai présent pour des situations exceptionnelles
(comme l’enterrement de l’un d’entre eux), mais nos chemins se sont séparés et
le rapport filial n’est plus.
Ce
soir, un débat télévisuel Fabius contre Douste-Blazy. Vers la fin, intervention
percutante de Nicolas Hulot qui met en exergue les vrais problèmes prioritaires
pour la survie de l’humanité. D’un coup, les échanges des deux politiques sur
les problèmes nationaux semblent autant de baudruches rhétoriques. Juste après
les réponses ou réflexions sur les propos de Hulot, la journaliste, selon un
déroulement programmé à l’avance, aborde le sujet du match de football
France-Danemark du lendemain matin. Le petit film sur la victoire de 98 et la
situation actuelle paraît ridicule et déplacé après des propos alarmistes, mais
justes, de N. Hulot. Aller dans le sens du bon pôple : voilà la plaie de ce système politique où (comme l’a
reconnu l’un des deux élus présents) l’horizon des élections ne peut
correspondre à l’horizon environnemental, et pourtant c’est de ce dernier que
dépend tout le reste.
Mardi 11 juin
La
connerie populaire dans toute sa profondeur avec des retournements de sentiment
lorsque le vent tourne.
Lundi 24 juin
Une
semaine parisienne suivie d’un week-end à Londres ne m’a pas laissé le soin de
saisir sur le vif les impressions, les entrevues et les pérégrinations.
Côté
studieux, la lecture, plus ou moins rapide, de deux thèses consacrées à
Léautaud (à Paris IV et VII) : l’une sur le style de l’écrivain,
l’autre sur une tranche de son J.L. par le biais thématique. J’ai débuté cette
investigation universitaire à Paris III par la découverte d’une thèse
intitulée L’écrit des jours sur le
genre diariste à travers quelques cas particuliers (curieusement, Léautaud n’y
est pas cité). Grâce à l’ordinateur portable offert par Shue, j’ai pu saisir
directement les passages et références sélectionnés. Par le biais du prêt
interuniversitaire, je lirai les quatre ou cinq autres sur Léautaud pour mieux
pouvoir délimiter l’angle de mon approche.
Côté
relationnel, multiplication des entrevues amicales. Aurore le lundi midi :
enceinte de quatre mois, elle me présente, au cours d’un déjeuner exprès (après
une longue marche pour atteindre le traiteur asiatique), son compagnon
d’origine grecque qui semblait à moitié content de me rencontrer. Elle semble
épanouie, mais ce cadre triangulaire ne lui a pas permis son épanchement
habituel. Curieuse impression de savoir enceinte celle qui a été mon premier
amour (de nature platonico-passionnelle), mais pas une once de jalousie. Plutôt
une émotion due au temps qui a passé.
Le
soir de ce lundi, dîner sur la terrasse en hauteur du restaurant Le Totem
(découvert grâce à Shue, lors de notre premier dîner, en 1996, suivi d’une
promenade intense en attirance réciproque) avec la toujours plus complice Ornelle.
Notre amitié est des plus profondes et des plus pétillantes. Un ravissement
pour moi que ce tête-à-tête enflammé, nos rimes croisées et cette confiance
qu’elle m’accorde. Je me sens comme un grand frère affectif.
Le
lendemain midi, je la retrouve pour une sandwich-party avec trois jeunes femmes
qui travaillent avec elle, sur la pelouse du jardin face à l’immeuble qui
abrite l’Ecole d’Assas, détenue par des collatéraux d’Ornelle.
Le
mardi soir je rejoins, place de la Contrescarpe, Sonia. Copine de droit en td de relations internationales, puis
amie suivie à partir du développement de ses divers soucis (familiaux,
sentimentaux et professionnels), je l’avais un peu délaissé ces derniers mois
(voire années). Elle me révèle d’ailleurs ne pas du tout avoir apprécié la
teneur de notre dernier et très bref entretien téléphonique : j’aurais ri
de façon sarcastique après m’être fait confirmer qu’elle cumulait toujours des
rondeurs mal assumées et que le désert sentimental perdurait. Sans doute une
grosse gourde psychologique de ma part. Une soirée bien agréable où j’ai pu
reprendre le fil de ses ennuis qui persistent dans les domaines précités. Même
ce qui devrait apporter une note positive se transforme en cauchemar :
ainsi son achat d’un 70m2 près de la rue Mouffetard, des travaux qui
n’en finissent pas depuis un an et demi et des voisins qui n’apprécient guère
les effets secondaires de ces interventions sur l’immeuble. Sa mère en phase
gravissime d’alcoolisme, ses kilos qui l’ennuient toujours (bien qu’elle ait
perdu depuis notre dernière entrevue) et un cabinet d’avocats qu’elle veut fuir
(dirigé par le médiatique, mais fou furieux, A. Benssoussan).
(A
suivre)
Mardi 25 juin
Le
mercredi soir, je retrouve Aline, perdue de vue depuis son mariage, en
1997 ou 1998, qui n’aura duré que six mois. Avocate dans les quartiers chics de
Paris, avenue Hoche, elle vit avec un Québécois. Grand plaisir de la revoir,
j’essaye de mieux la connaître et d’instaurer une vraie complicité amicale.
Nous évoquons ensemble le temps du lycée et de ma réserve hautaine dans mon
rapport aux autres.
A
Londres, retrouvailles avec Marianne pas vue depuis six ans. Elle vit en
concubinage avec Matt, grand gaillard anglais, et ne semble pas très optimiste
sur sa relation. Malgré cela, elle part en septembre avec lui pour un tour du
monde sur un an et demi. Visite du cœur de la ville et moments plaisants en
leur compagnie.
Vu
Laurence rapidement dimanche : état psychologique très bas après
sa récente rupture sentimentale. Elle ne pense pas prolonger son installation
après décembre.
Mercredi 26
juin
Premier
week-end parisien avec ma BB présentée à maman, Jean et mes frères (papa, Anna
et les deux petits la connaissent déjà). Très bon contact, elle est appréciée
par toute la famille. […]
Reçu
un courrier de Fanny C., la jeune auteur de 19 ou 20 ans, amie de la sœur
de BB, qui avait souhaité avoir un avis littéraire sur quelques nouvelles d’une
personne avertie dans le domaine et ne la connaissant pas. Elle me remercie
d’avoir passé du temps sur ses écrits et témoigne, avec une très fine
intelligence et une maturité rare, des difficultés rencontrées et des
déficiences occasionnées. Je sens qu’un vrai lien pourrait naître avec elle.
Je
renoue avec les après-midi au parc de la Tête d’Or. Le farniente à l’affût des
regards complices, le volume XVI du Journal
littéraire de Paul Léautaud parcouru, et ce bloc-notes (supplément portable
du grand format) rempli épisodiquement. En face, deux jeunes mères de famille
fumaillent avec des accents de voix pas très féminins. Cela ne me rebuterait
pas pour une furtive défonce sexuelle. L’une fine, châtain, au string dépassant
légèrement à l’arrière de son jean (une mode venue de Londres) alors que
l’autre, blonde sensuelle, un peu plus potelée, laisse voir une petite culotte blanche
beaucoup plus simple, mais non moins excitante à enlever. La fine, en passant
près de moi pour aller dire quelque chose à son fils, présente un percing
à son nombril, le ventre bien plat. Objets de désir sexuel, je les réunirais
bien pour une vraie défonce tous azimuts. Bien classique fantasme (assouvi
timidement en 96 ou 97 avec Sandre et Marilyn) qui reste vivace. Les écoutant,
j’apprends que la fine (beaucoup plus féminine dans sa voix) est
célibataire ; ses regards appuyés et son sourire complice ne laissent
aucun doute sur son désir que je l’aborde. Je ne cède pas.
Jeudi 27 juin
Demain,
départ pour Arles avec BB, week-end en amoureux chez sa sœur. Première baignade
estivale à l’horizon.
Aller
au château d’Au, le premier week-end d’août, me partage : attirance
affective, mais appréhension de retrouver les mêmes tics existentiels, les
mêmes monomanies intellectuelles… Je ne souhaite évidemment pas exposer dans
tous les détails mon ressenti par rapport à la vie passée partagée. Cela ne
servirait qu’à rendre Heïm un peu plus malheureux, ce que je ne cherche pas.
S’en tenir à cette parenthèse affective avec ce qu’elle peut apporter de
bon : voilà le seul objectif qui, j’espère, est réciproque. En cas
contraire, cela constituerait ma dernière visite.
Mercredi 3 juillet
Le
séjour dans l’antique Arles avec BB, chez sa sœur Louise, s’est modelé du plus
plaisant imprévu. Une amie de Louise, rencontrée au hasard des rues (Mylène) et
son compagnon, eux-mêmes recevant un autre couple, et voilà une joyeuse troupe
constituée pour atteindre la plage de rêve au fin fond de la Camargue, vers le
phare de la Gachole. L’occasion de découvrir l’agréable convivialité de ces
jeunes gens lors d’une marche complice (mon esprit était dans un de ses bons
jours où les réparties fusent et rencontrent un public réceptif), puis d’une
pêche improvisée aux tellines.
Le
dimanche, repas autour de cette prise (trois kilos environ de ces petits
coquillages fort goûteux) avec le duo ‘tite
Fanny (la jeune femme découverte par son écriture) et F. en plus. A neuf dans
le petit appartement de Louise les accents plaisants sont confirmés.
Ornelle n’a pas réussi sa première année de gea.
Les céphalées répétées et l’hospitalisation auront hypothéqué ses chances. Avec
une moyenne de 9,77 elle n’est pourtant pas passée loin de l’exploit, d’autant
plus qu’un dossier à 9,83 est passé. Je file ce matin vers Saint-Cyr pour
finaliser un courrier au directeur de l’iut
dans l’espoir d’une révision de la décision.
Un
déjeuner chez moi avec BB et Ornelle.
Vendredi 5 juillet
En
attente de ma correspondance à Lausanne. Cinquante minutes de battement pour
quatre minutes de voyage jusqu’à Lutry : si je n’avais pas ma grosse
valise à roulettes, j’aurais choisi d’y aller à pied.
Lecture
de quelques semaines de l’année 44 dans le volume XVI du Journal littéraire de Léautaud : l’horreur ressentie et
inscrite face aux massacres systématiques (comme celui ayant eu lieu en Pologne
au début de la guerre et rapporté dans Combat)
confirme la totale absence chez lui d’idéologie mortifère ou de complaisance
envers celle qui prônerait de passer par le sang pour l’accomplissement de la
doctrine défendue.
Peut-être
que le meilleur biais d’étude, pour ma thèse, serait de montrer combien le Journal permet de saisir dans toute sa
complexité (et ses contradictions le cas échéant) la philosophie d’un homme sur
toute une existence. Sans mise à distance calculatrice, sans mise en scène a
posteriori, le Journal littéraire trace
sur le vif les sentiments, le ressenti, l’humeur de son auteur. L’écriture
authentique d’un diariste a sans doute plus de peine à être attractive, pour le
lecteur, qu’elle ne se pare d’aucune construction préméditée, et limite son
esthétisme à la spontanéité plus ou moins talentueuse du premier jet. La
transcription linéaire, parcellaire et subjective de ce qui compte à l’instant
T de l’action d’écrire a pour seule cohérence la fresque existentielle en cours
d’édification et dont l’achèvement s’impose au diariste. […]
Samedi 6 juillet, 18h
De la
flotte pour ce deuxième jour à Lutry, après un vendredi radieux.
Hier
après-midi passé avec Shue, John étant en déplacement professionnel, et Marie
qui s’est bien remise de sa tuberculose (mais son traitement se poursuit sur
plusieurs mois).
Immense
plaisir de retrouver pour quelques heures une dualité amicale avec Shue. La
finesse de son analyse psychologique sur ma relation avec BB m’a confirmé sa
grande qualité intellectuelle et son sens des autres. Si notre lien se
pérennise (ce qu’elle croit et souhaite) BB aura la tolérance implicite de
laisser exister mes besoins de
séduire.
Repas
et soirée partagés avec Marie, toujours aussi fascinante dans son mysticisme,
mais qui a su s’ouvrir à d’autres sujets plus prosaïques. Passage chez elle
après une promenade dans Lutry : elle me laisse découvrir son book de photos de sa période
new-yorkaise où elle tenta la carrière de mannequin (étonnante capacité à
multiplier ses visages, et d’une très belle facture esthétique), et sa dernière
œuvre en cours sur les étapes essentielles de son existence. Des mémoires métaphorisés, aux accents spirituels,
découpés en brefs contes qui dépeignent quelques tranches de vie. Elle me
montre aussi la correspondance reçue du directeur littéraire de Grasset, avant
et après une entrevue à Paris, sur son récit inspiré. Côté foi : elle a pris conscience qu’elle n’est pas
faite pour la vie en communauté religieuse ; elle est en contact mensuel
avec un directeur spirituel qui
l’incline au renoncement provisoire à la création (écriture, peinture) et teste
chez elle sa capacité d’obéissance. Toujours célibataire, elle attend ses
trente ans (le 18 décembre prochain) pour envisager une nouvelle rencontre
sentimentale.
A
noter : Alise, l’avocate new-yorkaise que je dois voir le 15 juillet
prochain à Paris, est la petite fille de l’ex grand roi d’Ethiopie, Haïlé
Selassié. Cela explique l’aristocratisme qui émane d’elle avec sa noblesse de
port.
Lundi 8 juillet, 0h30
Dernière
nuit à Lutry, comme toujours accueilli comme un prince par Shue. Des moments de
pur plaisir : cette fin de déjeuner sur un transat, lac Léman sur fond
d’Alpes face à soi, un verre de cognac dans une main, un Davidoff préparé par
John dans l’autre et le Journal
littéraire de Léautaud comme univers d’accompagnement ; ces quelques
longueurs à la brasse dans la piscine du Lausanne
Palace, suivies d’un farniente dans le jacuzzi
adjacent. Des moments festifs : passage au festival de Montreux. Des
moments de quiétude et de curiosité : accompagnement de Marie et d’une
amie, Servane, dans une communauté religieuse pour une représentation musicale,
la mise en musique de poèmes de Sainte-Thérèse de Lisieux, entre autres choses.
Retour
à Lyon pour une soirée au festival Jazz à
Vienne avec BB.
A
noter que cette immersion éphémère dans l’ambiance d’une communauté religieuse
a confirmé mon sentiment contradictoire : adhésion aux messages
constructifs et à une certaine morale ; rejet du conditionnement
sous-jacent et de l’anthropocentrisme qui sous-tend les dogmes religieux.
Dimanche 14 juillet, 11h30
Ce
troisième jour au Cellier offre un bleu méditerranéen. Parents, frère et sœur
de BB toujours aussi accueillants. Le bon esprit affectif qui règne dans cette
famille repose l’âme. On ressent la vraie tendresse de part et d’autre, la plus
démonstrative étant Louise. La bouille et le regard gentil du père m’ont
d’emblée conquis : une crème d’homme en fait. Aucune prise de tête pour moi dans cet univers où je me sens très
apprécié, ce qui n’empêche pas des débats passionnés, comme sur le classique
conflit israélo-palestinien hier au soir.
Je
délaisse ces pages pour mieux me plonger dans le Journal littéraire de Paul Léautaud, le volume XVII est entamé.
Lundi 15 juillet
Journée
balnéaire avec la famille B à… Pornic, lieu de villégiature de Léautaud chez le
Fléau. Le 5 septembre 1946, alors qu’il s’y rend depuis des années, il confie
s’y être ennuyé la plupart du temps. Aucun sentiment de cette sorte pour ma
part. Après un déjeuner tardif à la Gourmandine, aux crêpes et galettes
goûteuses, passage dans une des petites cryptes rocheuses qui offrent des
plages réduites, ronds de sable encastrés. Malgré la marée basse et les rochers
saillants, immersion dans l’eau vivifiante sur les traces de François (le frère
de BB) davantage motivé. Soirée avec BB chez sa plus ancienne et plus chère
amie, Laure. Le petit garçon de cinq ans, qui se croyait en liens privilégiés
avec BB, boude ma présence. Leur conversation sur les enfants dans un couple,
l’importance d’en avoir (nos hôtes ont eu les plus grandes difficultés à en
concevoir un) m’a mis un peu mal à l’aise. Il faudra pourtant bien que
j’affronte cette question avec BB. Y a-t-il une envie d’en avoir un chez
moi ? Je suis pour le moins partagé…
19h05.
Fin du passage exprès à Big Lutèce.
Aline toujours radieuse, l’enthousiasme sans pause : nous avons improvisé
une pérégrination parisienne après le repas partagé avec son amie Manale.
Passage au musée Dalí de Montmartre où je n’ai pu résister à
l’achat de quelques reproductions de grands et petits formats. Approche très
rapide de l’arc de triomphe avant de rejoindre Adèle et Nidia près du musée du
Louvres. Encore une journée comme un clignement, avec le sentiment de ne pas
avoir assez densifié le trop bref temps imparti.
Avec
Nidia, évocation rapide de mon Journal :
elle se demande où en est sa publication (la « saga familiale »
l’a-t-elle nommé). Je lui apprends (ou lui confirme si Sally l’avait déjà
informée) que ce projet éditorial est avorté mais ne m’empêche aucunement de
poursuivre. J’ajouterai, pour ces pages, qu’il prend ainsi sa dimension de voix
indépendante, anonyme et sans illusion. Plus de perspective de piètre gloriole
et d’une existence officielle de cette fresque
subjective. Reste l’accumulation sans fard du ressenti. La seule voie
d’équilibre psychique et de lien avec l’écriture spontanée demeure ces élans
sans consistance.
Dans
le tgv à moitié vide, sous la
grisaille automnale, une beauté distante accompagne cette traversée ultra
rapide, cicatrice d’acier, sans me décocher un regard. Une puissante fidélité à
ses objectifs existentiels, peut-être à son amour. Je devrais faire mienne cette
imperméabilité à l’alentour et me concentrer sur ce qui m’est déjà
offert : mon amour BB, ma thèse débutée, mes chères amies. La multitude
relationnelle n’apporte finalement que des remplissages en trompe-l’œil et
liquéfie la trajectoire que l’on tente de suivre.
[Courriel à Marine]
Mardi 16 juillet, 12h39
Objet : Re Beausoir
Toujours votre ton si lyrique... je vous
souhaite le plus beau des voyages...
Pour moi la vie se déroule agréablement : mon histoire
avec BB se poursuit, j'ai relancé un projet de thèse de lettres sur le Journal littéraire de Paul Léautaud, je
multiplie les week-ends prolongés chez des amies, je poursuis l'écriture de mon
Journal.
Voilà synthétiquement... J'espère que nous nous
reverrons un jour.
Avec toute mon affection.
Samedi 27 juillet, 1h30 du matin
Vu
jeudi soir, sur Canal +, le spectacle barbare de la tauromachie. Préjugés
très hostiles à cette cruauté ludique, je profite de ce hasard d’un zapping de
fin de soirée pour me faire une idée plus précise du cirque en paillettes
sanguinolentes. Bilan : je comprends mieux la fascination, voire l’envoûtement,
produit par ces exhibitions. Les toreros s’y montrent stupéfiants de
détermination dans l’arène, se faisant frôler par la bête enragée de s’être
faite charcutée. Contraste de la
perception qui ne doit pas occulter que jouer avec la vie d’un animal pour son
seul plaisir est d’abord et avant tout inexcusable.
Dans
un tout autre registre, vu ce soir, aux Nuits
de Fourvière avec ma BB, la comtesse aux pieds nus du Cap Vert, Cesaria
Evora. Magnifique voix, mais présence timide sur scène.
19h40.
L’estival sans concession. Une ballade avec BB près des étangs de Saint-Julien,
dans l’Isère. Ce soir, nous dînons chez la famille Cargeaud et le dimanche chez
les Caravelli, dans leur paradisiaque demeure à Charly, pour un farniente avec
piscine…
Le
dernier titre des Coldplay confirme
mon enclin pour leur teinte musicale, une espèce d’état de tension semi
dramatique qui glisse avec retenue vers l’éclatement. Un lyrisme mélodique qui
m’enchante.
Retour
quelques instants au volume XVII du Léautaud, année 48…
Vendredi 2 août
Juillet
m’a ancré un peu plus à Lyon. La lecture du Journal
littéraire au parc n’a pas étouffé le relationnel. Les copines du parc s’étoffent de charmantes jeunes femmes (Annie,
Marjorie, Muriel, Elise) avec qui de cordiales, voire d’amicales complicités
peuvent s’établir. Elise et Muriel ont des enfants : cela ne fait
qu’aviver mon retard pour l’élan procréateur. Moi qui, après la rupture avec
Sandre, me résolvais à une existence retirée, truffée d’amantes successives,
j’intègre aujourd’hui le paramètre d’un enfant avec BB comme nouvelle étape
d’existence.
Après
ma vague d’envois, en début de semaine, de candidatures spontanées auprès d’organismes
de formation, déjà deux manifestations (une prise de rendez-vous et un document
type à renvoyer). Peut-être de nouvelles collaborations en perspective qui
compenseront mon arrêt de l’Institut Galien.
Une
très agréable soirée chez Bonny et Eddy, mercredi soir, avec d’autres de leurs
amis, confirme l’amitié joyeuse qui se tisse les rencontres passants.
En
route pour l’Aisne, après deux ans d’absence : j’espère que le séjour
s’axera sur l’apport affectif partagé sans résurgence des vieilles rengaines, ni
essai de connaître mon jugement sur telle ou telle tranche de vie.
Je
pars dans cet état d’esprit, même si je me doute que quelques thèmes
existentiels seront abordés par Heïm. Pour son anniversaire, fêté en
avance dimanche, je lui apporte une liqueur des vendéens (spécialité achetée
lors du séjour au Cellier) pour le palais, et l’Histoire d’humour de l’histoire de France de Guy Breton pour
l’esprit.
Parmi
les adoptions parlementaires de cet été, l’augmentation de 60 % des
salaires des ministres pour compenser la suppression par le gouvernement Jospin
des enveloppes, pratique séculaire
pour un complément conséquent des rémunérations. Les médias se sont bien sûr
empressés de mettre cette information en parallèle avec la très faible
augmentation du SMIC. Un rapport bien artificiel, mais excellent pour le
racolage social et la grogne dans les chaumières de la « France d’en
bas », selon l’expression raffarinée.
Le
taulard José Bové s’offre un bain de foule sous les projecteurs avant de
reprendre son antienne favorite et de stigmatiser les coups portés à la
« France du sous-sol ». En forme, le Bové, malgré la cure cellulaire.
Dans
le train Paris-Laon, au trois quarts vide, pris si souvent dans la deuxième
partie des années 90, je songe encore à ce passage au château d’Au, aux
multiples améliorations que je vais découvrir, à l’ambiance que je vais
retrouver. Il me faudra jongler avec le niveau que je souhaite laisser émerger
de ma nouvelle existence. Affection, mais détachement de toute dérive qui
favoriserait l’épanchement à effet boomerang.
Samedi 3 août
Une
première partie du séjour tout en affection arrosée. Pas de volonté polémique
et une surprise : nouvelle proposition de Heïm d’éditer mon Journal ! Il fait allusion à la
promesse faite à mon père de ne jamais l’éditer pour mieux l’évacuer.
Très
chaleureux de le retrouver, mais il a ressenti un léger malaise chez moi,
depuis ce matin, et le fait est : je ne me sens pas vraiment dans mon
élément, même si tout l’apparat affectif est déployé.
Un
élément très agréable : l’avancée des travaux dans le château et,
notamment, la réhabilitation (en cours ou achevée) des deux pièces principales
du bas. Des espaces très accueillants par l’ameublement et les éléments
décoratifs multiples.
Dans
les échanges avec Heïm, évocation de l’actualité de personnes plus ou moins
familières : les folies du magistrat Hubert, la réussite magnifique du
neveu Henri (à la tête d’un des plus gros cabinets d’huissiers de Normandie),
la vie de déclins successifs de Clémence alias Kiki, les deux enfants (vus en photo) d’Alice, etc.
De mon
côté, quelques révélations : notamment mon histoire charnelle très brève
avec Zoa et le projet d’un enfant avec BB à moyen terme. Sur ce dernier point,
j’aurais peut-être mieux fait de m’abstenir. Je sens poindre la pression
(gentiment abordée) de visite avec cette future progéniture…
En
somme, une visite en forme de réconciliation, mais qui ne m’incline pas à
intensifier le suivi. Une visite annuelle conviendra.
Quant
au Journal, et son volume I
(91-99) Un gâchis exemplaire, je
prends cette nouvelle proposition avec beaucoup de circonspection. Pas
d’emballement prématuré, mais si le livre peut effectivement exister, je ne
vais pas me priver de ce plaisir.
Problème
pour le volume II (2000- ?) que j’intitulerais probablement A mon aune, et dans lequel les critiques
fusent envers Heïm et son entourage. Il faudrait être un imbécile
inconscient pour proposer une version complète de ces années. Je vais donc
envoyer à Heïm quelques passages ne comprenant pas les défoulements contre
ma vie passée et, en cas de proposition éditoriale, je tronquerai ce volume des
extraits les plus pamphlétaires sur le château pour les réserver à un Journal critique posthume. Puisque la
stratégie a gouverné l’essentiel des actions de Heïm à l’égard des êtres,
je ne vais pas me priver de l’être un peu à son égard. L’affection demeure
totale, mais je n’ai plus cet enclin à œillères des années 90 où seule la cause
du château comptait. Je ne veux de mal à personne, mais je ne bride plus mes
réflexions dans le secret de ces pages.
Demain,
allure pseudo familiale prononcée avec l’arrivée de Sally, Hermione et Angel.
Cette
après-midi, quelques tours dans la maxi piscine à boudins installée au fond du
potager, avec une structure en dur tout autour et un cabanon pour accueillir
les éléments techniques, vestimentaires et de confort.
Ce
soir, sortie restaurant et, sans doute, boîte de nuit avec Karl.
Hier
soir, un texto de ma BB qui me fait un bisou et que j’ai rassuré sur la teneur
de mon séjour par retour écrit.
Dimanche 4 août
20h.
Comme prévu, la fin de la deuxième partie de séjour a dérivé vers la
pseudo-catharsis. Un repas tout en affection, en bons mots, en ambiance
chaleureuse et puis, progressivement, quelques éléments conflictuels ont
émergé : ma nouvelle conception de l’existence, mon malaise dans ce cadre,
la mise en relation de ma compagne (et d’un éventuel enfant) avec le château…
Tous ces points d’achoppement qui ne me concernent plus. Je reste en lien affectif,
mais je me sens de plus en plus étranger à ces volontés de réunir
l’inconciliable.
Selon
Hermione, je n’aimerais pas le beau de l’existence dans son optique
constructive… Eh bien tant pis ! Qu’on me laisse à l’aune de ce qui me
préoccupe. Cette adhésion systématique à des schémas de pensée dans lesquels je
ne me reconnais plus restera une source de ruptures renouvelées. Qu’ils me
prennent tel que je suis, condition essentielle pour la poursuite d’un rapport.
Vrai
que ma conception de l’existence ne peut être approuvée par le couple
Hermione-Angel. Doit-on pour autant se priver de se voir ? Peut-être
n’a-t-on plus rien d’important à partager. Je sentais dans la voix d'Hermione,
déclarant beaucoup m’aimer, que rien de commun ne subsiste permettant d’initier
des rencontres. Le changement est bien, chez moi, irrémédiable, et sans l’once
d’un désespoir. Mon épanouissement réside dans ma vie lyonnaise. Et ma BB me
manque, son amour, ses baisers, son corps chaud, ses attentions constantes. La
présenterais-je un jour ? Aucune envie de la mêler à cette théâtrologie existentielle qui
finalement, même si l’intelligence est extrême, en revient toujours à des
monomanies intellectuelles.
Pour
finir, je n’ai pas vraiment envie que ce Journal
paraisse. Que cela reste comme une expérience littéraire où je ne m’interdise
rien dans la critique, condition d’une création équilibrante, mais rien du
faiseur pour la pitoyable gloriole de l’ouvrage sorti. Je verrai si Heïm me
relance, mais je n’aurai aucune démarche en ce sens. Tout cela ne m’intéresse
plus.
Lundi 5 août
Retour
apprécié à Lyon et grand plaisir de retrouver ma BB et sa bouche gourmande. La
pesanteur de ce séjour chez les gens du
Nord n’est pas encore évacuée. Divergence existentielle et malaise au
contact des résurgences de cette vie sans saveur pour moi, dorénavant. Même
plus envie de m’épancher sur le sujet.
Reprendre
mon rythme lyonnais, ma tendre, mes amies et accointances, Léautaud et son
dernier volume, avant une vraie semaine de vacances à Royan...
Mardi 6 août
Un
temps grisaille réduit cette journée à un duo sentimental : BB et moi dans
un farniente revigorant. Les Liselle, Muriel and Cie ont décliné
l’invitation.
Vu ce
matin, lors du tardif petit déjeuner, le dernier volet du Théma enregistré sur Arte et consacré au phénomène hallucinant de
la bombe humaine. Le profil des trois « pilote de la mort » du onze
septembre révèle la phase intellectualisée de ce procédé : des jeunes gens
adorés par leur entourage, leurs accointances, brillants dans leurs études,
promis à un bel avenir, adhèrent à l’intégrisme islamiste et se déterminent à
un auto-anéantissement le plus meurtrier possible. Rien du portrait de ceux qui
sont endoctrinés (de force ou de gré) depuis l’enfance. La haine du modèle
américain, dont ils ont abusé pour mieux exploiter ses faiblesses, et la
volonté de faire triompher une autre voie leur tient lieu d’ancrage
idéologique. A cela s’ajoute l’intime conviction d’un paradis pour martyrs qui
rend totalement dérisoire la vie terrestre. Quelle ambivalence dans ces
religions monothéistes : sources d’une certaine morale, d’une approche
plus humaine de la relation à l’autre, elles peuvent tout aussi bien, avec des
exégètes mal intentionnés, légitimer les pires atrocités. Cela suffit à prouver
leur caractère foncièrement humain, et non divin.
Vendredi 9 août, 23h
Demain,
à l’aube, le grand parcours est-ouest pour rejoindre Royan. Un site Internet
gratuit fournit le trajet idéal de ces six cent vingt kilomètres à effectuer en
huit heures à soixante-dix-sept km/h de moyenne. Pas de la grande vitesse en
perspective. La vraie route des vacances comme aux temps florissants (mais
aussi meurtriers) de la nationale 7 comme axe majeur.
Heïm
m’a laissé un message jeudi sur mon portable : se dit désolé de la tournure
prise par la fin du séjour, me renouvelle son affection et souhaite que je ne
m’en sois pas retourné trop amer. Je lui ai envoyé ce jour un mail avec la
reproduction des quelques photos prises du château. Il me rappellera peut-être
lors de la villégiature royannaise. Je ne me sens aucunement amer : le
retour à Lyon, au bercail, fut en fait un soulagement. Je n’ai ni haine, ni
ressentiment, ni surtout nostalgie : un détachement pour une forme de vie
qui n’a plus d’attrait pour moi, qui sonne en creux. Mon désengagement semble
aussi profond que l’était mon implication au début des années quatre-vingt-dix.
A mon aune... voilà le principe maître pour cette nouvelle décennie.
Déjà
cinquante-cinq pages, en dactylographie serrée, de citations sélectionnées pour
le Journal littéraire jusqu'à l’année
32 (en cours). Il me faudra ensuite jongler avec toute cette matière littéraire
pour préciser les détails du prisme d’abordage... Une bien agréable plongée
dans ce condensé des meilleurs moments du Journal
littéraire opéré entre 87 et 88. Mon esprit conservateur n’a pas été
inutile : quatorze ans après je m’en sers pour ma thèse !
L’été
pourri (encore qu’à Lyon j’ai pu profiter de l’astre brûlant) va, j’espère,
connaître une trêve la semaine prochaine.
Dimanche 11 août
Début
du séjour sous ciel bas et bruine ventée. Jeu de mini-Monopoly en euros avec
Elisa et Adèle (dix ans toutes les deux) puis passage sur une plage proche en
fin d’après-midi. Amélioration dès demain... la pointe espagnole devrait alors
s’imposer comme vrai premier jour de vacances pour BB. Petite tristesse
inexpliquée ce matin de sa part. Elle semble accumuler des ressentis négatifs
et craquer quelque peu sans vouloir
approfondir par le dialogue.
Mercredi 14 août, 0h30
Un
radieux mardi : début à la pointe espagnole à me défouler dans les flots
agités de l’Atlantique ; suite à l’ombre de la maison de Robert (le père
de Sally) à vagabonder dans un Courrier
international ; fin avec ma BB dans les rues animées de Royan. Karl
attendus pour ce soir va amener sa vivacité sous un ciel que l’on espère bleu.
Bonne
nuit les petits...
Dimanche 18 août
Au
Cellier depuis hier midi, bilan contrasté du séjour à Royan : agréable
pour moi, source de malaises et de chagrin pour ma BB. Comme je l’avais
appréhendé, le courant n’est pas passé entre elle et Sally. Avec beaucoup de
subtilité, la maman de Karl a fait montre d’une certaine indifférence par
rapport à BB, se limitant aux convenances basiques d’une hôte. Ce non-dit
pesant, où ses allusions légèrement perfides ont blessé celle que j’aime. Sally
ne l’a certainement pas fait dans cette optique, mais l’irrésistible penchant à
imposer ses schémas pour le bien prétendu de ceux qu’on aime (déviance
affective caractéristique du château)
fait fi des personnes que l’on a choisi. La différence entre Sally et Heïm
tient au moyen employé : le ressenti et l’implicite pour la première,
l’éclatement cathartique pour le second. Cela me conforte dans l’impossible
rencontre entre mon univers sentimental (et sans doute familial, si un enfant
naît de notre union) et les gens du Nord.
Je manque sans doute de jugeote analytique et psychologique, mais pourquoi ceux
qui prétendent m’aimer davantage que ma famille de sang ont systématiquement
miné mes relations de cœur, que je sois totalement impliqué dans leur vie comme
avec Kate, ou désengagé de toute responsabilité clef lors de mon histoire avec
Sandre ? La présentation de BB à mes parents et mes frères n’a pas connu
de raté, bien au contraire. Heïm prétendrait que les médiocrités s’assemblent,
et bien je crois, moi, que la véritable saleté d’âme c’est celle qui veut
imposer ses vues affectives, qui ne peut s’empêcher (malgré les engagements
pris) de dériver vers les vieilles monomanies destructrices du chemin que l’on
tente de se tracer pour mieux modeler à ses vues, à ses principes celui qu’on
dit affectionner. Seuls les résultats comptent : je me sens infiniment
mieux aujourd’hui à Lyon avec ma BB que je ne l’ai été depuis 1990 où je
décidais d’accorder de l’importance aux avis des gens du Nord pour ma vie sentimentale naissante. Erreur qui m’a
coûté dix ans d’éprouvantes incompatibilités. La fausse tolérance affective
masquait un implacable travail de sape. Avec Sally et ce séjour à Royan, j’en
ai eu les derniers rogatons.
Eu
Heïm rapidement au téléphone ; il me confirme le plaisir qu’il a eu à me
voir malgré les regrettables dérives de la fin (un couplet éculé pour le
moins !) et souhaite m’envoyer un courrier plutôt que m’ennuyer au
téléphone. Nous verrons bien la teneur de cet écrit, s’il arrive... Pour moi,
la position à adopter est claire : le double jeu. Le temps de la vertu
naïve est révolu. Si Heïm souhaite conserver ce lien affectif avec moi, ce sera
au rythme qui me convient, et cela constituera pour moi l’occasion
d’approfondir ici mes vues critiques et mes observations sur cet univers fui
depuis 1997 (et certainement depuis bien plus longtemps inconsciemment). Si
Heïm souhaite finalement publier le premier tome de mon Journal pamphlétaire, je ne le refuserai pas, mais cela ne
m’empêchera pas d’étoffer le deuxième tome (A
mon aune) de la distance critique sans qu’il ne s’en doute (tout du moins
dans cette proportion et avec ce ton). Heïm a toujours fonctionné à double,
triple, quadruple jeu avec les êtres : je me sens aujourd’hui totalement
légitime à agir comme cela avec lui, et ce jusqu'à sa mort. Il ne servirait à
rien qu’il soit informé de mon vrai ressenti, et de la rupture philosophique,
existentielle, qui croît en moi, si ce n’est à me couper définitivement de ce
champ d’observations que je n’aborde qu’avec précaution et très épisodiquement,
car il reste dangereux pour moi. Je veux garder l’opportunité de pénétrer de
temps en temps cet univers pour ne pas m’aigrir dans une critique gélifiée,
mais faire œuvre de contempteur aux prises avec une réalité en mouvement.
Avec
Karl, toujours la même complicité, un être que j’apprécie infiniment car il
semble respecter la voie que j’ai choisie et mes choix sentimentaux, même si la
pression idéologique des gens du Nord
s’avère puissante de facto.
Amusante
rencontre au bar Tapas de Royan
(ouvert depuis un peu plus d’un mois) la nuit de vendredi à samedi. Karl s’est
à nouveau chargé de l’effort d’abordage. Après Liselle et Aurélie, voilà
Christelle et Emilie : deux jeunes filles (25 et 22 ans) dont la
conversation et la sensibilité nous ont accompagnés jusqu'à cinq heures du
matin. Pour Karl, une manière de finir agréablement ses très courtes vacances.
Un lien amical pourrait naître là aussi.
Hier,
une fin d’après-midi sur une plage proche de Saint-Michel Chef Chef, puis un
restaurant en bord d’Atlantique avec BB et son frère : très agréable
malgré nos heures de sommeil à rattraper.
Le
temps incertain de cette matinée a finalement été bénéfique pour l’écriture.
20h.
Visite instructive de la tour d’Oudon. Les horreurs de la Terreur se
cristallisent sur la virée de Galerne et les noyades massives : Carrier,
le petit Hitler auvergnat parachuté gouverneur de Nantes, incarne ce qu’il y a
de pire dans une idéologie qui veut s’imposer comme la seule voie.
Lundi 19 août
Verre
pris à Nantes avec BB et son frère dans un bar-pub singulier. Tenu par
d’anciennes prostituées qui devaient officier à l’âge d’or de Gabin, dirigé par
leur mac du temps jadis, sabots aux
pieds et chemisette ouverte sur un bide rond et blafard, ce lieu tire son
ambiance d’un agencement insolite et d’une décoration hétéroclite. Des niches,
coins et recoins s’habillent de supports, pour les verres et les visiteurs, aux
sources multiples : un maousse soufflet, une machine à coudre, les bords
d’une cheminée…
Déjeuner
ce midi au restaurant de Laure et de son mari (amis de BB) à Nantes à
nouveau.
Pas de retour après mes textos envoyés à Emilie et Christelle.
La pause estivale tire
doucement vers sa fin. Dans une semaine, reprise en douceur de mes
interventions à Forpro, à moins que d’autres collaborations et cours
particuliers ne s’y ajoutent, ce qui ferait le plus grand bien à mes caisses et
m’éviterait de trop grignoter mon très modeste fond de réserve. En outre, si un
revenu de remplacement (autrement dit les Assédic) m’est alloué pour juillet et
août, mes finances retrouveront un équilibre correct. Je travaille depuis 1987
avec des rémunérations en droits d’auteur, puis en salaires pour tout ou partie
à partir de 1991) et ces indemnisations de chômage pour deux mois constitueront
une première dans mon parcours professionnel : je n’ai pas coûté trop cher
aux organismes paritaires !
Le volume XVIII du Journal littéraire fait état de l’impact
important des Entretiens avec Robert
Mallet. Léautaud semble osciller entre la satisfaction d’une notoriété
amplifiée à 80 ans et l’agacement de cette accumulation de sollicitations qui
dérangent ce sauvage des villes.
Dès septembre, je vais
m’abonner aux Cahiers Léautaud,
dirigés par Edith Silve, et tenter d’acquérir (ou de consulter) les numéros
antérieurs. Cela m’offrira une base de confrontation entre mes réflexions sur
le bougre de Fontenay et celles d’autres adeptes ou contempteurs (encore que je
doute que ces derniers puissent exprimer leurs critiques dans ces pages).
A l’enterrement de Gide, et
notamment lors de la vue du corps, moment prisé par l’écrivain, Léautaud ne
peut retenir ses larmes : sincère chagrin pour la disparition de son
confrère d’écriture ou conscience accentuée du temps qui passe et de sa fin
prochaine ? Le temps des moissons de la Camarde dans nos contrées
affectives ou amicales doit être particulièrement douloureux et angoissant
lorsqu’on sait que notre moment d’être cueilli est naturellement (et si
vite !) arrivé. Je pressens ce que seront ces décennies canoniques, si j’y
parviens. Les remontées nostalgiques, les regrets de l’irréalisé, le sentiment
de ne pas avoir embrassé à plein chaque seconde et, peut-être, la sérénité de
celui qui s’inscrit dans une histoire collective, au-delà de soi.
Mardi 20 août
Journée sur la route, de
Nantes à Lyon, avec une pause déjeuner à P. chez Corentin (maire de la
commune), son épouse Lydie et sa fille Adèle. Demeure dans un demi-corps de
ferme réhabilité avec beaucoup de goût, un intérieur chaleureux et un couple
charmant. Adèle toujours adorable avec moi, et un peu moins caractérielle qu’à
Royan avec ses parents. Des andouillettes fameuses comme mise en bouche de
notre retour à Lyon.
Gros point noir de la journée,
en forme de purulence humaine : l’automobiliste moyen sur les routes
nationales. Les bords de certaines voies sont maintenant truffés de silhouettes
sombres représentant les victimes d’accidents mortels : cela ne bride pas
la crétinerie criminelle de certains qui, à ces mêmes endroits, prennent des
risques inouïs pour gagner un temps dérisoire. Si cela passe cette fois, le
danger qu’ils représentent pour l’alentour (motorisé ou pas) n’est pas
acceptable.
Quand donc les pouvoirs
publics prendront les mesures adéquates pour éliminer de l’univers routier ces
inconsciences potentiellement dangereuses, ces petites terreurs du volant qu’il
faut écraser dans l’œuf. Marre de cette tolérance qui tue... la complicité du
système actuel, qui tolère ou pardonne les pires comportements, rend douteuse
la volonté d’éradiquer la délinquance routière. Une lettre ouverte aux
criminels potentiels de la route ne peut que défouler son auteur : il faut
sévir impitoyablement. Par exemple : l’annulation du permis et
l’impossibilité A VIE de le repasser en cas d’accident mortel occasionné par un
comportement routier dangereux. Il faudrait même l’étendre à ce type de dérive
même si elle n’occasionne que des blessés ou de la taule froissée, afin de ne
pas attendre qu’il tue pour le bannir de la conduite. Ce qui doit être retenu
c’est l’intention d’avoir une attitude criminogène... le reste ne relève que du
hasard de multiples facteurs et ne doit surtout pas servir de circonstances
atténuantes.
Je hais ceux des
automobilistes qui se jugent puissants, dans une impunité répugnante,
simplement parce qu’ils conduisent, dépassent, surpassent ! Pitres
dangereux à évacuer au plus vite pour éviter la mort d’innocents.
Amusante information prise
chez Corentin et Lydie : Sally a un compagnon dans sa vie, un dénommé
Philippe (et même un second, Bernard) qu’elle connaît depuis une vingtaine
d’années. Son logis parisien se situe en fait rue de l’Université dans un
magnifique appartement... Quoi de plus normal finalement, mais un tel goût du
secret depuis tant d’années, pour ceux qui côtoient Heïm, tranche, lui, sur l’ordinaire.
Je ne pense pas que son fils soit au courant de cette facette de la vie privée
de Sally.
Hier, dans ma BAL, parmi les
factures et l’acceptation de mon indemnisation par les Assédic, une enveloppe
avec juste Loïc inscrit dessus :
à ma grande surprise un mot d’Elen (que j’avais croisée dans la rue Tête d’Or
juste avant le départ pour Royan) qui souhaiterait, un jour de beau temps, me
voir au parc... et elle me laisse son téléphone (le mien a été jeté). J’en ai
informé BB. Est-ce une résurgence de sentiments (elle m’avait déclaré, lors de
cette brève entrevue, avoir très bien digéré notre séparation et ne pas
souhaiter de liens amicaux) avec un espoir de renouer alors que je ne l’ai pas
informé avoir le cœur pris ? Amusante manifestation en tout cas.
Vendredi 23 août
Passage
éclair à Fontès avec ma BB, juste le temps de faire quelques bisous à
grand-mère, de présenter ma dulcinée, de déjeuner tous les trois au gentillet
restaurant Le Sanglier de Cabrières,
de passer quelques moments au jardin, de dîner avec ma belle à la brasserie
Molière de Pézenas, de se promener à nuitée dans quelques rues et ruelles de la
commune, puis de s’en retourner à Fontès faire un gros dodo après un délicieux
câlin…
Toujours
ému de quitter grand-mère : ce matin à onze heures nous laissons le
village pour une halte sur la longue plage de Sète, au bord du Golfe du Lion.
Au cours de la conversation, grand-mère fait allusion à son année de naissance,
1912. Je crois me souvenir qu’elle est née en septembre : elle va donc aborder
ses 90 ans le mois prochain. Nous devrions, enfants et petits-enfants, marquer
l’événement en lui envoyant cadeaux et fleurs à la date requise. Je vais tenter
de mobiliser les troupes éparses…
Ce
matin, au cours du trajet, j’appelle Nathalie ma cousine (fille de Paul) que je
n’ai pas vue depuis plus de dix ans... Une voix que je ne reconnais pas
d’emblée, mais un rire familier. Voisine, elle réside dans les Dombes, je lui
propose une entrevue avec BB un jour de septembre. Elle semble partante, tout
comme l’idée de fêter grand-mère. A suivre...
Dimanche 25 août
Grisaille
orageuse sur Arles. Séjour reposant et agrémenté de joyeuses retrouvailles avec
Mylène de passage avec sa sœur jumelle (non monozygote) Marion, étudiante en
architecture. Un dîner Chez Gigi sans
vraie transcendance relationnelle, moi-même peu performant pour fuser par
l’esprit. Des convives très agréables cependant. Une mauvaise nuit pour BB,
peinée par une attitude distante de ma part à cette soirée. Je n’en ai pas pris
conscience sur le moment et l’analyse a posteriori me fait expliquer cette
attitude par quelques comportements peu féminins de BB au regard des autres
jeunes femmes présentes (notamment une tendance à parler trop fort, avec une
intonation désagréable). De là une distance de ma part. Ne suis-je pas encore
assez tolérant pour la personne choisie ? Je ne veux surtout pas la
blesser, mais je souhaiterais une évolution sur quelques points pour qu’elle
s’affine... Du détail, sans aucun doute, au regard de ses grandes qualités
humaines...
Demain
après-midi, reprise en douceur des interventions à Forpro : de treize
heures à dix-sept heures, V.S.P. pour une dizaine de BEP. Pas de transcendance
attendue là non plus, mais cela me libère au moins l’esprit pour l’ami
Léautaud : 1953 entamé, la psychologie de la fin, une profonde morosité,
atteint le suivi même du Journal
littéraire.
Une
grande différence dans le rapport familial entre les B et ma famille. Parents, sœurs et frère B s’appellent presque
quotidiennement, se suivent pas à pas dans leur existence. Nous, le contraire
total, un appel mensuel aux parents est un maximum, et entre frères cela se
raréfie encore plus. Y a-t-il moins d’affection pour cela ? En tout cas,
un désintérêt pour le suivi chirurgical de nos vies s’allie peut-être à une
volonté de laisser chacun faire son chemin. Et les échanges lors des entrevues
en sont peut-être plus fournis...
Lundi 26 août
Le
dernier album de Coldplay : une merveille !
De tels créateurs d’enivrement musical réconcilieraient le plus coriace misanthrope
avec l’humanité. Cela enchante, élève, inspire, transcende. Un deuxième album
encore plus créatif que le premier : l’assurance d’une œuvre d’exception.
Chapeau à ces Anglais ! Voilà un vrai bonheur qui m’illumine : le
talent de certains artistes.
Vendredi 30 août
Ce
soir, dîner chez moi avec BB, sa sœur Louise et son frère François. Une
agréable soirée en perspective. Demain soir, immersion dans la famille
maternelle nombreuse, enfants et petits-enfants des grands-parents maternels à
Vilmoirieux.
Encore
un nouveau message de Heïm sur mon portable, me témoignant son affection et me
confirmant le plaisir immense qui je lui ai fait par mon séjour. Il se dit
désolé de la tournure que cela a pu prendre sur la fin, de mon malaise
croissant, et espère que je n’attendrai pas deux ans pour une nouvelle visite.
Renouvellement de sa proposition d’édition. Cette affection me touche
intellectuellement, mais je ne ressens plus tellement d’inclination sensible à
son égard. Mon mail d’hier redonnait mon accord pour la publication du premier
tome. Je ne peux, en revanche, augmenter à plus d’une par an, sauf cas de force
majeure, mes visites au château. Cela doit rester exceptionnel pour que les
digressions cathartiques se limitent au minimum.
Dans
mon antre lyonnaise, décoration des murs par trois cadres grand format (60X80)
et cinq petits formats avec du Dalí. Le
délire dans la précision habille les lieux de vivifiante façon.
Coldplay
pour les oreilles, Dalí pour le regard qui cherche l’inspiration,
une table dressée au Guy Degrenne pour nos hôtes : sentiment de bien-être,
une douceur de vivre à mon rythme, et le temps qui se charge dans la légèreté
d’une existence à l’aune de soi. Voilà sans doute qui explique mon détachement
sans affect de l’univers de Heïm.
Jeudi 6 septembre
Révélateur
du laxisme en matière de délinquance routière : l’auteur d’un renversement
mortel d’une femme âgée traversant sur un passage piéton écope d’une peine de
prison avec sursis et de la suspension
du permis pour un an. Ahurissant : même pas l’annulation ! On le
suspend, pour qu’un an après il conduise encore plus mal. Aberration sociale.
Ce
jour, le plus chargé de la semaine avec un groupe bruyant de bac pro. Demain,
détente avec l’entrevue d’Ornelle qui a opté pour l’entrée en deuxième année d’iut.
Dimanche 8 septembre, 1h30
Beau
spectacle de la troupe The Best que
Bonny a intégrée récemment. La profondeur et le modulé de sa voix prennent une
bien plus magistrale qualité qu’au Club 30. Toujours aussi complice, elle
téléphone à Eddy à l’entracte pour s’assurer que cela nous plaît. Parmi la
troupe d’amis présents, une parcelle familiale : sa fille (adorable enfant
de dix ans, d’allure très vive), son frère et l’une de ses sept sœurs.
Ce
jour, à 15h40, nous accueillons la belle Mylène qui soutient son mémoire à
Lyon lundi. Occasion de retrouver cette complice d’Arles. Le tissu relationnel
va bien.
Oublié
de noter notre rencontre du petit ami d’Ornelle, vendredi. Jeune homme sympathique.
Mercredi 11 septembre, 0h05
Jour
de commémoration du chaos terroriste sur New-York et Washington, un an après.
Pour moi : achèvement du volume xviii
du Journal littéraire de Léautaud,
qui s’arrête cinq jour avant sa mort. Le volume xix
rassemble des pages retrouvées, et se lira beaucoup plus rapidement. Les dernières
pages portent tous les stigmates d’une fin proche : dépression, désintérêt
pour tout, place croissante des dysfonctionnements physiques, le suicide est
même évoqué.
Je
suis les divers films documentaires consacrés à l’attaque terroriste sur le wtc. L’horreur renouvelée, transmise par
les images, ne peut qu’incliner au respect des victimes des enragés islamistes.
Certes, jamais des morts d’innocents n’auront été autant choyés par les médias : les rwandais massacrés, par exemple,
n’ont pas bénéficié, sur la durée et dans l’intensité, de cette focalisation.
L’identification culturelle et le statut de première puissance pourraient
expliquer l’inégalité de traitement. L’inexcusable choix du terrorisme sauvage,
avec pour cible des civils de multiples nationalités et religions (y compris
musulmane) vaut bien une semaine d’obsession médiatique.
Mylène
s’en est allée hier soir. Nous ne l’aurons finalement pas beaucoup vue, mais le
peu partagé a été charmant.
Vendredi 13 septembre, train Lyon-Genève,
11h
Hier,
découverte avec BB d’un documentaire sur la fascinante destinée de Jean-Claude
Roman, illusionniste de quinze années de sa vie pour finir, acculé à la
révélation, par massacrer ses proches. Nous sommes tous un peu metteur en scène
de notre existence (moi le premier avec ce Journal)
face aux autres, mais le trompe l’œil atteint en l’espèce une complexité
géniale et se double de détournements répétés d’argent auprès des plus
affectivement liés. Il a pu assumer cette diabolique mascarade avec la tension
permanente qu’implique une anticipation de tous les instants.
Le
rythme professionnel actuel me convient parfaitement (14 heures de cours
hebdomadaires à Forpro) et permet de larges plages de temps pour Léautaud. Je
dois achever la sélection des citations avant fin décembre (déjà une
soixantaine de pages sur Word en mise en page maximale et petits corps de
caractère, Times New Roman 10). A partir de janvier 2003 mon cdi débute et le nombre d’heures
augmente. Lenteur administrative : toujours aucune réponse à ma demande de
prêt interuniversitaire pour une thèse consacrée à Léautaud et soutenue à
Paris IV.
Hormis
les messages affectifs, Heïm n’a pas relancé concrètement sa nouvelle
proposition de publication du Gâchis.
Cela devait-il tenir lieu d’appât affectif se dégonflant sitôt mes distances
reprises ? Voilà ce qui me gêne : pas de vrai rapport d’auteur à
éditeur, mais une suite de circonvolutions rhétoriques sans prise avec la
réalité. Je n’ai aucune envie de relancer l’affaire, car cela m’obligerait à un
rapprochement affectif factice. Le désintérêt pour cet univers s’accroît chaque
jour, et ma résolution à en faire état par écrit se renforce.
Samedi 14 septembre, 1h du mat.
Une
très agréable soirée avec Shue et Andréas.
Dimanche 15 septembre
Affalé
face au lac Léman, sur les hauteurs de Lutry, je profite des rayons radieux
pour revigorer mon bronzage estival. Au-delà du farniente, aide intensive pour
la correction du cinquième chapitre de la deuxième partie de la thèse de
Shue... ouf ! ouf !
Le
couple Shue-Andréas va bien, mais pas leurs finances, au point que les cinq
mille francs suisses du loyer mensuel deviennent un souci prégnant. Les
contrats ne se bousculent pas et, lorsqu’ils se présentent, il faut batailler
pour récupérer par tranches les règlements. Shue me fait l’amitié de me confier
des éléments très personnels (que je dois me garder de consigner ici) et je
retrouve dans certaines réactions psychologiques d’Andréas décrites ce qui
m’avait miné entre 1993 et 1995, au pire moment de mon parcours éclair de
gérant de sociétés. J’espère surtout que cela n’aura aucune répercussion sur la
belle harmonie de leur couple.
Toujours
gâté comme hôte, les soirées se transcendent avec les plaisirs culinaires, des
vins rouges d’Australie qui n’ont rien à envier à nos productions (le Penfolds
accompagnant le brie aux truffes et le gruyère vieilli du canton de
Vaulx : une merveille !), pour finir avec un Davidoff et un verre de
cognac. Autant de circonstances atténuantes pour ma piètre phrase lapidaire de
la veille : l’agilité intellectuelle s’est épuisée dans une conversation
en anglais sur l’utilité ou pas du mariage comme renforcement du lien entre
deux êtres. Les petits carreaux de mon Journal m’ont alors paru bien
fades et les bras de Morphée beaucoup plus tentants.
Ces
deux derniers soirs, de tendres textos
de ma BB : une douceur de plus avant un dodo avec Himiko au pied du lit.
Shue me détaille les points positifs de ma relation avec BB : son
caractère, son activité et sa gestion de mon rapport aux femmes apparaissent
comme un idéal pour moi. Effectivement, je me sens dans une sérénité
sentimentale jamais atteinte, sans entrave pour mes relations affectives et
amicales.
Samedi 21 septembre, 23h45
Les un
an de notre plus grande catastrophe industrielle. Les perturbations
psychologiques, au-delà des dégâts corporels, se prolongent encore.
Ce
soir, ouverture du JT de TF1 avec
ma rue Vauban, à trente mètres de chez moi, là où se situait l’une des deux
caches d’armes et d’explosifs de l’ancienne Action
directe, et son sanguinaire artificier Max Frérot, dit La Menace. Hier
soir, alors qu’on recevait la marraine de BB à dîner, défilé sous les fenêtres
de tout ce que l’Etat compte comme forces de sécurité et d’aide : police,
gendarmerie, crs, pompiers,
déminage, samu...
Dimanche 22 septembre
Journée
du patrimoine partagée avec ma douce BB sur les pentes de la Croix-Rousse, avec
une fin de déambulation chez Nardone. La semaine qui vient s’allège un peu plus
pour moi, et me permet d’intensifier mon travail de thèse.
Comme
je le supputais, les avances éditoriales de Heïm n’ont été suivies d’aucune
concrétisation. Au fond, cela m’amuse et me conforte dans ce détachement
instinctif qui s’ancre aux tréfonds de moi. L’esbroufe convivialo-affective, où
la seule priorité est de faire perdurer les conditions de vie choisies par
Heïm, cette « prison dorée » comme il aime à le scander, ne me touche
plus. Derrière les constructions diverses et les évolutions matérielles, je
ressens la mort par des certitudes gélifiées : les personnages sortis de
la vie de Heïm, les Nicole (sa première épouse), Maddy (maîtresse à domicile)
et sa fille Alice notamment, sont diabolisées pour mieux légitimer le reste. Mes
gueulantes littéraires contre Alice avaient certainement un peu de cette
déviance, même si j’ai été blessé, dans le rapport si affectif (presque
intellectuellement sexualisé) qui existait avec elle, de son histoire avec
Leborgne.
Peu de
temps avant que n’éclate sa résistance ouverte à Heïm, qui fera son chantage au
suicide, elle s’était confiée sur ses doutes concernant son père, la tentative
de viol de son frère aujourd’hui magistrat disjoncté, et sa rupture avec le
fond de cette vie. Finalement, je n’ai fait que suivre le même objectif, mais
sans esclandre inutile et autodestructrice. Il faudra bien qu’un jour le
monolithisme de la vie familiale de Heïm soit étalé et scruté avec plus de
subtilité sans s’arrêter à la version d’absents qui auraient tous les torts.
Nous
avons notre conflit absurde en Europe : entre catholiques et protestants
d’Irlande du Nord la haine semble inextinguible. Gâchis en cascade pour une
guéguerre de clans religieux pas plus évoluée que celles de la protohistoire.
Si seulement l’irrésistible tendance grégaire de l’homme, sa soumission au
collectif, pouvait s’estomper au profit d’un individualisme humaniste et
raisonné... Que la route est encore longue pour entrevoir un frémissement de
hauteur d’âme chez le matérialiste humanoïde.
Lundi 23 septembre
Nouveau
rebondissement dans l’affaire de la publication du Gâchis, qui
contredirait mes affirmations grognonnes d’hier. Heïm m’appelle en fin
d’après-midi pour m’assurer de sa volonté de le faire paraître dans son entier,
et pour me louer la qualité du style. Sa thèse pour justifier les atermoiements
éditoriaux : une implication excessive qui lui a fait occulter les données
purement littéraires. Le désengagement réciproque favoriserait l’émergence de
l’œuvre seule. Les éloges sur ce Journal ne sont pas les premières qu’il
me faits, puisqu’il faisait passer les critiques sur son entourage (?). Voilà
encore une mixture ambiguë. Enfin, l’essentiel est d’en rester à des rapports
auteur-éditeur : il doit m’envoyer dans quelques semaines un contrat
d’édition. De là, seule la parution de ce texte, et son dépôt légal, devront
nous occuper, sans dérive. Je garde ici ma distance critique, mais je ne vais
pas me priver d’une édition sur dix ans de mon existence, réalisée par celui-là
même qui a monopolisé mon engagement total économico-juridique. La logique sera
respectée et la page de cette tranche de vie résolument tournée. En fait, c’est
l’existence officielle de cet instantané littéraire qui m’excite, mais je ne
vais pas dévier mes choix existentiels pour autant.
Mardi 24 septembre
Ce
soir, en vedette des JT comme ministre de la Santé, Jean-François Mattei. Cela
me rappelle qu’une de mes anciennes aventures parisiennes, photographe qui
m’apprit à jouer (lentement) quelques morceaux de Satie, avait été quelques
années après sa maîtresse ; le médecin était alors député.
Dimanche 29 septembre
19h35.
Ma tendre BB encore au travail, le soleil dominical a disparu. Ma vie lyonnaise
comble mes besoins relationnels et mes poussées de solitude.
Ornelle et
son petit ami Jérôme hier soir à dîner, avant une nuit au First, club
pour la bourgeoisie lyonnaise. L’amitié affective s’ancre avec Ornelle, une
sympathie vive pour la gentillesse de son compagnon émerge, et ma BB là dans
son amour apaisant. Rien à faire, je ne retournerai pas au nord de la Loire...
Lundi 30 septembre
Lecture
finale de la première partie de la thèse de Shue achevée. Je vais lui
transmettre mes quelques dizaines de corrections par courriel.
Mon
propre travail thésard va pouvoir s’intensifier puisque trois thèses sur
Léautaud demandées par prêt interuniversitaire sont disponibles jusqu’au 30
octobre.
Les
partis politiques français ont besoin de se relifter avec de grandes
couches lyriques plus ou moins puériles. Après la Maison bleue comme projet de
dénomination de l’actuelle ump,
Leforestier doit être ravi, voilà pour la gauche la naissance du Nouveau Monde,
un remake de Colomb en pays hostile. De là à ce que les uns se passent le oinj pour faire plus cool, et les autres
nous proposent de la quincaillerie pour nous séduire, il y a peu...
Finalement,
je me sentais bien plus à l’étroit au château d’Au, où les seuls moments de
répit psychologique se limitaient au neuf mètres carrés de ma chambre, que dans
mon antre lyonnaise. A son aune,
c’est bien le titre qu’il me faut pour cette nouvelle trajectoire existentielle.
Un
nouveau Spielberg sort mercredi avec Tom Cruise, réflexion sur le futur
sécuritaire à la sophistication technologique dangereuse qui nous attend.
Demain soir, avec BB et quelques accointances lyonnaises, nous devrions
découvrir la palme d’or 2002, Le pianiste.
Hors
quelques films, les JT et quelques documentaires, la télévision ne me captive
vraiment plus : est-ce moi qui mûrit ou le paf
qui fermente ?
Quelques
analyses intéressantes de Joëlle (une amie récente) sur la personnalité qui
transparaît dans les premières pages de mon Journal
2000. Mon rapport aux femmes, dans une quête d’un absolu inatteignable (la
fameuse entéléchie féminine) dévoile une désespérance cultivée. Toujours
curieux le regard des autres sur soi, et d’autant plus lorsque ce qu’on a écrit
sert de prisme intermédiaire.
Je
dois laisser le crissement de mon Sheaffer
pour le tapotement informatique...
Vendredi 4 octobre
Le Journal littéraire s’érige comme la
forme d’écriture la plus en symbiose avec la trajectoire existentielle de Paul
Léautaud : à son aune, selon une réactivité instinctive pour canaliser sa
désespérance et prolonger une présence dans un monde abhorré. Diariste par
plaisir avant tout, par besoin sans doute, mais peut-être aussi comme fidélité
en actes à sa conception de l’art littéraire, non tourné vers soi-même dans
l’attractive sphère de l’imaginaire, mais en prise avec la perception
partielle, à brut, de son univers de vie, professionnel et affectivo-sexuel, de
ses pensées en direct, sans la sécurité d’une mise à distance. Ne pas craindre
la contradiction avec soi-même, l’outrance cathartique sur les autres,
l’apparente incohérence d’une relation parcellaire, subjective et morcelée.
L’exemplaire
harmonie entre ce témoignage écrit et ses entretiens radiophoniques laisse
émerger le fond intentionnel de Léautaud d’une modernité involontaire. Le
bougre misanthrope demeure comme auteur dans l’histoire littéraire par son Journal, essentiellement. Cette œuvre,
plus que toute autre, doit permettre de réhabiliter, de légitimer le genre
diariste qui puise son attractivité dans ce qui peut apparaître, au premier
abord, comme des défauts. Le côté tremblant
qui sublime l’interprétation musicale se retrouve ici, en littérature, et offre
une autre voie que celles de l’imagination peaufinée, de la structuration
anticipée ou du lyrisme calculé. Ce direct littéraire accuse plus que tout
autre l’écho de son auteur, dans sa capacité à être en écriture. De là un fondu
qui fait du journal, simultanément, le creuset et l’œuvre. L’aune de Léautaud,
avec ses envolées et ses mesquineries, ses inconséquences et ses engagements,
ses transcendances et ses quotidiennetés, offre la plus humaine des œuvres,
celle qui se donne malgré sa faillibilité. La proximité littéraire, voilà qui
n’est pas le moindre des paradoxes pour le reclus socialisé qu’il était.
Voilà
sans doute la matière de ma thèse, et la synthèse du contenu qui figurera dans
le fichier central concerné... Le sommeil me gagne, ma BB s’est laisser prendre
depuis quelques minutes. Je relirai cette tentative improvisée d’exprimer ce
mûrissement en moi à propos de ce travail de recherches.
Samedi 5 octobre, 20h25
Depuis
Vernègues, petite localité juchée vers les vents purifiants, lieu de
représentation pour la chorale de BB, reçue par la réunion choriste du lieu.
Logés chez un couple charmant, la soirée musicale s’annonce par un programme
éclectique, depuis les chants contemporains de variété française ou de la
renaissance (pour la chorale Altoso de BB) jusqu’aux chants traditionnels de
Provence par Lei topins, la chorale
hôte du cru.
Après-midi
au soleil automnal à quelques petites tâches pédagogiques pour lundi, puis en
plongée dans la thèse sur Paul Léautaud,
un écrivain en guerre.
De
touchantes attentions pour mes 33 printemps : les parents de BB
m’expédient une caisse représentative des vins du Cellier (rouge, blanc, rosé
et pétillant) ; Louise, la sœur de BB, m’offre un album photographique sur
quelques-uns des plus grands écrivains français du XXe (Céline,
Montherlant, Duras, Prévert...) parmi lesquels le bougre de Fontenay.
Rien à
faire, je ne me sens pas à mon aise dans ces réunions, alors je griffonne par
automatisme en attendant le début de la représentation musicale.
23h50.
Sous les néons blafards, mais administrativement corrects, la soirée se
prolonge sur des rythmes provençaux. Je me complais dans une position de témoin
oculaire, peu enclin (et nullement doué) pour la danse partagée. L’ambiance popu à souhait, bon enfant au demeurant,
repose l’esprit.
Passage
joyeux de Louise, Maud et Aude, deux de ses amies du musée, avant un retour
nocturne vers Arles. Une complicité bien agréable pour vivifier la soirée.
Le
mouvement de l’existence charrie ses archétypes : l’éternel retour du
manège peut lasser celui qui se distancie et ne tente plus d’extraire le
meilleur en toute situation. Justifier ses faiblesses, ses médiocrités par un
penchant contempteur. Point de salut pour l’âme frileuse incapable d’assumer
ses contingences. Le lyrisme hermétique a toujours son petit effet comique. La
farandole finale réunit les cœurs pour une humanité si fragile et si proche de
la barbare condition.
Jeudi 10 octobre
Après
réception d’une lettre délirante d’Elen, décision de lui répondre. [Lettre reproduite ci-dessous.]
Elen,
Je te
remercie pour ma crucifixion magistrale : je viens de fêter mes 33
ans ! Comme tu m’y invites à la fin de ton courrier incendiaire, mais si
pathétique, je prends le temps de te répondre le plus complètement possible.
Je
vais donc reprendre les éléments de ton argumentation enflammée :
Il va
te falloir mieux écouter ce que l’on te dit pour que tes attaques aient une
quelconque chance d’atteindre leur but : je ne t’ai jamais déclaré que tu
t’intéressais aux hommes « uniquement pour assouvir [tes] désirs
sexuels » ! Ce que je t’ai rappelé de visu rue tête d’Or, puis au
téléphone tient dans un positionnement de principe que tu m’as déclaré à
plusieurs reprises lorsque la conversation touchait ce domaine : tu ne
pouvais envisager une relation amicale avec un homme qui avait partagé ta vie
sentimentale. On est très loin de tes divagations insultantes !
La
condition pour que je m’érige « pauvre type » s’avère non
remplie : j’étais seul au téléphone lorsque j’ai rappelé ta philosophie
relationnelle. Je n’ai aucun besoin de te fustiger devant ma bien-aimée pour
atteindre la jouissance ! Tu me catalogues tout de même dans les obsédés
sexuels, confondant gourmandise charnelle et pathologie déviante.
Je
reconnais ma négligence à t’appeler, mais ce n’est que de la négligence et
certainement pas de « l’hypocrisie » ou de la « lâcheté ».
Si tu souhaites une explication de visu et que je te synthétise ce que je pense
de toi (vision affinée par le courrier délirant que tu m’adresses) je suis à ta
disposition. J’ai suffisamment pris d’engagements et de risques dans mon
existence, affronté le pire, pour me dispenser de tes pseudo leçons de
courage... Quant au charcutage pamphlétaire, je le pratique tant à l’oral qu’à
l’écrit... Si tu veux te risquer, là aussi je trouverais des disponibilités.
Sur le
fond, il semble curieux que tu me reproches ce silence alors que de ton côté tu
n’as rien fait pour me relancer (exception faite du petit mot). J’ai sans doute
une gestion du relationnel trop relâchée, mais je réponds toujours à quelqu’un
qui se manifeste. En me reprochant ce manque d’initiative tu fais œuvre d’abord
d’autocritique.
Ma
façon de maintenir un lien avec d’anciennes petites amies s’est jusqu'à présent
très bien passée, et elle se décide au cas par cas. En l’espèce ta cyclothymie
maladive, tes poussées de haine et ta relation à l’homme m’inclinaient à
vouloir être transparent quant à ma situation sentimentale. Te voilà à nouveau
en contradiction avec toi-même : d’un côté je serais hypocrite, de l’autre
je suis déplacé dans mon souhait d’une clarté relationnelle.
Preuve
de ton incapacité à t’avouer le vrai sens de tes actes, tu établis la cause
première de me revoir dans... la proximité géographique ! Dans ce cas
accorde toi le confort d’amitiés de palier, cela répondra davantage à tes
motivations.
Une
constante de ton courrier est d’attaquer l’autre, d’affirmer que tu ne
t’intéresses en aucun cas à lui, que tu n’as jamais rien éprouvé, ou si peu,
qu’il ne correspond à aucun de tes goûts physiques ou moraux pour mieux
occulter tes propres manquements. Chère Elen, qu’est-ce que cela peut bien me
faire aujourd’hui que rien chez moi ne t’attire... je trouve cette remarque
dérisoire et pitoyable de médiocrité ! J’ai face à ton aveu des dizaines
de témoignages aux antipodes, une vie remplie d’amours formidables et
aujourd’hui une adorable compagne qui m’aime passionnément et qui ne s’offusque
pas de mes amies féminines...
Mon
attirance pour toi ? Elle serait bestiale peut-être, mais sans aucune
perspective existentielle, donc sans intérêt. Là encore tu tentes de
m’attaquer, comme si j’avais revendiqué le statut risible de « bourreau
des cœurs » ! Comparons nos existences, jaugeons les qualités et les
défauts réciproques. Je sais ce que je suis et ce que je vaux ; de ton
côté tu sembles bien plus douée pour stigmatiser l’autre (de brouillonne façon)
que pour juger ce que tu es, persuadée sans doute de détenir la vérité. J’ai
appris moi à remettre constamment en cause mes certitudes.
Contradiction
flagrante encore lorsque tu affirmes regretter de m’avoir recontacté tout en
m’interpellant longuement à l’écrit... peut-être la fierté de déclencher
quelque chagrin chez moi ! C’est alors magistralement loupé.
Ton
argumentation truffée d’attaques ad
hominem tient à l’univers fantasmatique et haineux que tu t’es créé. Tu as
sans doute des qualités humaines enfouies au tréfonds, mais ce qui émane de cet
écrit tient de l’esprit revanchard, dépressif et méprisant de l’autre.
Ma
réponse n’aura sans doute qu’accentué ta certitude d’avoir raison et de n’être
touché par rien, et surtout pas par moi (dernier point dont je me félicite pour
ton équilibre psychique !), mais elle a au moins le mérite de faire tinter
un autre son de cloche que ton délire systématisé.
Quels
que soient tes ressentiments, je te souhaite le meilleur.
Samedi 12 octobre
Agréable
après-midi de lecture de la thèse de Byung-ok Li sur Léautaud au parc de la
tête d’Or qui amorce sa transmutation automnale. Ma BB travaille ce week-end et
n’a malheureusement pas pu m’accompagner.
Une
semaine qui m’a encore gâté côté amour et amitiés : ma dulcinée qui fête
mon anniversaire mercredi soir ; mardi fin de soirée avec Eddy et Bonny au
confortable bar sis en haut de la tour-crayon avec une pianiste-chanteuse fort
agréable, amie de Bonny ; nuit au club 30 le vendredi soir où je retrouve
par hasard une collègue de Forpro qui s’étonne de me voir si expansif et
convivial (je reste en retrait de l’équipe pédagogique par esprit sauvage) ;
samedi, déjeuner chez moi avec Joëlle qui nous fait aller dans diverses
contrées intellectuelles ; le soir, sortie en bande avec Ornelle, Jérôme et
une charmante Shaïna d’origine algérienne, mais à la beauté indienne.
Finalement, point besoin d’étalement matériel pour cultiver ses amitiés :
cette fidélité fait du bien à l’âme et réconcilie avec le genre humain.
Gardons-les précieusement : Ornelle, Bonny, Eddy, et peut-être bientôt Jérôme,
sont en tête de proue de cette joyeuse amitié.
Le
travail m’appelle, mais il me faudra revenir sur le sens de cette nouvelle
existence qui se dessine dans une sérénité épanouissante, avec ma BB si douce,
si compréhensive de mes penchants et si fidèlement aimante. C’est à elle que je
dois avant tout un bien-être retrouvé.
Jeudi 17 octobre
Un
entretien téléphonique rapide et décevant en début de semaine avec
Jean-Pierre M., mon nouveau directeur de thèse. Tout ce qu’il trouve à me
dire sur ma synthèse tient à un style trop compliqué (il pensait certainement
« pompeux ») : cela me rappelle mon oncle Paul qui, découvrant
mes poèmes, les trouvait trop chargés en vocabulaire, ou le correcteur de ma
copie de français au bac, irrité par un style si sophistiqué ! Tous ces
censeurs omettaient seulement de prendre en considération ma grande pratique de
l’écriture et que je n’ai nul besoin de leur conception limitative de la langue
française : pourquoi ne pourrais-je pas profiter de sa richesse et en quoi
l’utilisation des termes précis, même s’ils sont difficiles d’accès, nuit-il à
ma pensées ? Avec leurs économies langagières, comment un Bloy, un Artaud,
un Mallarmé auraient-ils pu ciseler leur expression ?
Cela
augure peut-être mal les rapports que j’aurais avec ce professeur, d’autant
plus que l’administration de l’université lyonnaise ajoute une couche de
désagrément : me voilà considéré en sixième année de thèse alors que je
reprends tout à zéro ! Et pas moyen de leur faire entendre raison sur la couleur
mi kafkaïenne mi absurde de leur sacro-saint fonctionnement interne. Que ces
culs gras empuantissent le monde nom de Dieu !
Reçu
ce jour, par le transporteur Extand, une bien charmante attention de la part de
Shue et John : huit verres à vin en cristal de la marque Riedel (dont un
qui n’a pas survécu au transport) qui me rappelleront à chaque gorgée le
partage si jouissif à Lutry des mets, de l’alcool et des Davidoff.
Mon
emploi du temps allégé doit être exploité pour avancer dans la saisie des
données qui serviront à ma thèse.
Demain,
départ avec ma BB à Paris pour un week-end festif d’anniversaire différé.
J’aurais encore été bien gâté de tout côté pour ces trente-trois ans
d’existence...
Toujours
pas de contrat d’édition pour le Gâchis
que Heïm me promettait dans la quinzaine suivant son appel, le 23 septembre
dernier. Cela tourne franchement au gag éditorial. Même si le projet parvient
un jour à son terme, je ne jugerai cela que justice au regard des multiples
retardements et vraie-fausses décisions annoncées. En tout cas, cela ne me fera
certainement pas interrompre la visée nouvellement critique de l’univers de
Heïm, de sa gestion désastreuse de l’affectif et des jeux divers et
manipulatoires qu’il pratique dans la relation humaine. Combien il est bénéfique
pour mon équilibre psychique de m’être extrait de ce vase clos névrotique. Et
si Sally, de son côté, peut-être en concertation avec Heïm, pensait que ses
élans affectifs et son rapprochement allait me faire renouer de façon régulière
avec le château d’Au, elle se trompe gravement. Le lien qui subsiste, au nom
des trente années partagées (dans le culte de Heïm et/ou dans la forme de vie
embrassée), ne donnera plus lieu qu’à d’exceptionnelles et brèves entrevues,
sans jamais y mêler ma vie sentimentale (et peut-être familiale). La seule
personne qui pourra une fois m’accompagner, par curiosité de cet univers, c’est
Shue, en amie. Rien de ce qui fait ma sphère lyonnaise n’y sera convié. Si cela
ne leur convenait pas, la rupture définitive s’en suivrait, et ce sans aucun
effort de ma part. L’éloignement est tel que cette situation serait même
davantage conforme à mon état psychologique que le ressassement sporadique du
passé.
Samedi 19 octobre
Chez
maman et Jean, de passage avec BB, Jim et son amie Aurélia, une charmante jeune
femme à l’allure très douce. Hier, découverte à Paris de l’exposition
Matisse-Picasso au Grand Palais. Amusante confrontation d’œuvres apparemment
contraires dans leurs règles de création, mais dans lesquelles on déniche des
filiations. Un paradoxe aussi : Matisse, le chantre des rondeurs de trait,
de la douceur de l’expression picturale choque par la réunion de certaines
couleurs et la tendance hétéroclite de ses compositions ; Picasso, lui,
conduit par le goût de la déstructuration, du choc imagé, insuffle une plus
grande unité à la plupart de ses créations, et trouve par ce penchant la vraie
voie de l’harmonie puissante. Un effet contraire à l’amorce intentionnelle pour
chacun d’eux. Une façon d’avoir des instants de concordance artistique qui crée
un dialogue affûté entre leurs œuvres.
Ce jour
est dédié aux défoulements physiques et aux plaisirs de la table, ces derniers
trouvant un digne écho demain chez papa.
Sérénité
du scribouilleur improvisé alors que maman, Aurélia et BB s’affairent à la
cuisine, et que Jean et Jim s’en sont allés pour une mission secrète. Les
copies emportées toutes corrigées, je vais m’immerger dans les pages retrouvées
du Journal littéraire du père
Léautaud (volume XIX).
Mardi 22 octobre
Agréable
passage dans mes familles. A Parmain, ma mère et Jean forment un couple serein
et nous accueillent avec une chaleureuse simplicité. A Rueil Malmaison, mon
père et Anna, avec les adorables Alex et Raph, m’offrent un nécessaire raffiné
pour tout amateur de vin et un coffret Pousse-Rapière, spécialité gasconne. A
trente-trois ans, les plaisirs de la vie s’élargissent et se densifient, sans
être béat...
Mercredi 23 octobre
Comme
pour avoir le dernier mot, Elen me retourne le courrier expédié truffé de
rouge comme autant de réponses qu’elle croit judicieuses. Comme elle me le conseille,
je ne perdrai pas mon temps à répondre, c’est trop pitoyable. Je la laisserai
sur son sentiment de victoire intellectuelle, me réservant un gargantuesque
éclat de rire. Cela m’aura beaucoup amusé sur le fond.
Samedi 26 octobre
Vision
stupéfiante à l’émission unique Ardisson-Bedos On aura tout vu : le
chanteur Renaud a une bouille de vieillard imbibé d’alcool, le verbe
bafouillant, les mains tremblantes... le loubard de la chanson semble
s’autodétruire par des excès désespérés.
Dimanche 27 octobre
La
thèse m’aura bien monopolisé ce week-end, et je n’en suis qu’aux prémices
préparatifs. Ma BB étant sur le pont professionnel ces trois derniers
jours, j’ai focalisé mon énergie sur la sélection de passages utiles à ma
réflexion des thèses de Teyssier et Byung-ok Li.
Un petit
moment agréable avec Joëlle dans un café du quartier des Brotteaux. Avant cette
pause, passage par hasard à la galerie Saint-Hubert présentant des toiles de
l’école d’Etamps. Le tenancier
culturel m’indique avoir accueilli les Visionnaires, et notamment son chef de
troupe Di Maccio il y a une dizaine d’années, mais qu’il aime moins la tournure
récente de son trajet artistique. Les prix semblent en tout cas avoir flambé
d’après ses dires. Les deux originaux du château d’Au dépasseront-ils un jour
la valeur de la bâtisse ?
Toujours
rien reçu de Heïm. Trop occupé, comme d’habitude, sauf lorsqu’il s’agit de
manier les cordes affectives pour mieux se rassurer sur son impact persistant.
Hé ! aucune aigreur de ma part. Le risible de cette proposition éditoriale
toujours recommencée m’amuse plutôt et me conforte dans une méfiance
grandissante envers l’auteur de ces promesses à la consistance barbe-à-papaïenne,
si on me passe ce barbarisme bancal. Je ne veux même plus essayer d’imaginer
l’argumentation justificatrice détaillée à ses proches. Le soubassement du vécu
me suffit amplement pour l’éclairage critique.
Comment
je serai perçu par cet entourage lorsqu’ils connaîtront la teneur de ces
pages ? Sans doute de terrible façon, et bien tant pis si le simple
exercice de la liberté d’écriture (au surplus dans un genre intimiste) les
révolte. Il me faut d’autant plus contraster avec les dix premières années de
ce journal qui a souvent versé dans le laudatif systématique ou dans le silence
approbateur.
Je
gratte ces pages en passant à la moulinette de la reconnaissance de caractères
(quel outil fabuleux !) les résumés du Nouveau
dictionnaire des œuvres du Journal des grands écrivains (Claudel,
Gide, les Gourmont, Renard...). Les constantes positives de ce genre à
réhabiliter littérairement impose d’avoir une vue synthétique et panoramique
des principaux représentants de l’écrit personnel. Toutes ces pages cumulées
vont, je l’espère, affiner ma réflexion thésarde !
Mes
chères amies Ornelle et Bonny se sont manifestées à distance aujourd’hui : la
première par un coup de fil qui fait le point de l’actualité personnelle. Sa
maman, admise quelques jours à la Sauvegarde semble avoir fait une occlusion
intestinale ; le vieux chien Babou est décédé ; son Jérôme a dû
partir voir sa grand-mère malade, ce qui les a privés l’un de l’autre pour ces
vacances de la Toussaint. Pas très joyeux tour d’horizon en somme. Pour tenter
d’égayer un peu le tableau, et à l’occasion de vingt-et-unième anniversaire le
29 octobre, elle vient manger avec nous mardi soir. Cette amitié affective a
pris un rythme de croisière qui préfigure de belles années de confiance
réciproque.
Bonny
m’envoie un texto pour nous inviter à passer au Club 30 ce soir : ma BB
sortant tard de son travail, et moi me levant tôt demain, j’ai décliné avec
regret l’invitation. Là aussi, j’ai une personne fiable, enthousiaste et avec
qui il fait bon partager des instants d’amitié. Par contraste, amorce illusoire
d’un lien cordial avec Muriel (rencontré au parc cet été) qui n’a eu aucun
scrupule à nous poser un lapin. Aucun intérêt d’approfondir, y compris à
l’écrit.
En
attendant ma tendre BB, un Bond de derrière les fagots, le premier avec Pierce
Brosmann, pour délasser cette fin de studieuse journée.
Mardi 29 octobre
Reprise
des premiers volumes du Journal
littéraire pour me rafraîchir l’ambiance littéraire des premières années de
Léautaud diariste. J’en suis parvenu à 1905, année de ses trente-trois ans, où
il semble aussi peu arrimé que moi en matière professionnelle : fin de sa
collaboration juridique avec l’étude Lemarquis, il est en quête d’un lien
régulier avec une revue de province, mais l’ombre bénéfique du Mercure de
France se précise. Lu il y a quatorze ou quinze ans, je ne pouvais apprécier
certains de ses états d’esprit comme aujourd’hui. Son rapport à la femme semble
bien ambigu, malgré des principes clairement définis.
Prévenu
par mon père de l’escroquerie intellectuelle d’un appel via Internet à la
déforestation en Amazonie. En fait, récupérer un maximum d’adresses Internet
pour les polluer de publicités sauvages. Ma première adhésion à une pétition
sombre d’entrée.
Ces
quelques lignes depuis le parc Tête d’Or, fin d’après-midi aux couleurs
automnales, le vent se levant au rythme du soleil qui disparaît derrière les
hauteurs lyonnaises.
Ornelle fête ce jour vingt-et-un printemps. Nous ne la verrons peut-être pas jeudi soir
car ses migraines la reprennent et elle va ce jour à Annecy pour sans doute
rencontrer un spécialiste des céphalées.
Ma
courageuse BB court pendant que je gribouille ces carreaux. A chacun son
entraînement.
Après
la prise d’otages de Moscou, la violence chimique de la libération pour ne pas
perdre la face politique laisse songeur sur les méthodes employées face à un
terrorisme de masse. Peu de chance qu’on connaisse la vérité qui, de toute
façon, ne nous rassurerait en rien sur le versant sanguinaire persistant de
l’humanité. Autant dans mon relationnel de proximité je suis de plus en plus
social et philanthrope, autant les soubresauts délétères des civilisations
m’inclinent à un dégoût définitif pour mes congénères.
Le
prisme médiatique accentue certainement l’horreur du monde, mais les causes des
conflits, les motivations des massacres demeurent aussi primaires qu’aux
millénaires passés, la technique ajoutant une sophistication aux aberrations
humaines.
Jeudi 31 octobre, 23h45
Entre
deux plongées dans les écrits de ou sur Léautaud, je m’accorde quelques moments
pour saisir la suite de mon Journal
pamphlétaire, l’année 2000. Choc de découvrir des passages si désespérés où
je me lamente sur une solitude insatisfaisante jalonnée de relations
successives sans pérennisation possible. Combien cet état d’esprit me semble
loin aujourd’hui. Je ne peux certes plus assouvir ma gourmandise sexuelle de la
découverte, mais j’éprouve une profonde sérénité dans la dualité constructive.
A une
personne aimée s’ajoute le tissu relationnel qu’elle induit ou dont elle permet
l’épanouissement. A ma démarche d’isolement mal vécu s’est substitué un dosage
opportun pour mon caractère entre instants de dualité, plages appréciées de
solitude et entrevues amicales maîtrisées. Les plaies passées me servent
aujourd’hui comme gage d’expériences pour légitimer mes propos ou asseoir mon
rapport aux autres dans une assurance enflammée. Je crois mieux connaître mes
limites existentielles, et je n’éprouve aucune limite intellectuelle si ce
n’est celle de ma propre intelligence. Ces pages permettent, au-delà d’un
quotidien assaini, de jauger et juger les apports et les amputations du passé.
Mes
retrouvailles affectives avec des parents qui, depuis qu’ils ont trouvé l’âme
sœur (merci Anna et Jean) se sont comportés d’exemplaire façon avec moi, ne
valent-elles pas mieux que le malaise diffus éprouvé en côtoyant les Gens du
Nord ? Heïm et ceux qui lui sont proches ne peuvent que compliquer
votre rapport au monde et hypothéquer la rencontre de votre vraie dimension. Il
m’a fallu cet exil lyonnais volontaire pour enfin me rapprocher de ma nature,
de mes aspirations (si modestes soient-elles) sans subir l’oppressante présence
qui se targue de ne vouloir que votre bonheur. Tartufferie minante pour le
moins. Il me faut, peu à peu, décortiquer à l’aune du vécu les failles, les
travers et les dangers de cet univers que j’ai si passionnément défendu. Encore
une fois, je ne renie rien de mes choix antérieurs, mais je trouve salutaire
l’évolution intellectuelle et de se débarrasser des vérités révélées, de
triturer les reliques imposées.
Mardi 5 novembre, 0h30
Orphelin
de ma BB, cette nuit, la voilà repartie pour deux mois de travail nocturne aux
urgences.
Le
Tapie animateur s’évertue à diriger de main journalistique les débats et se
révèle efficace à la synthèse et à la maîtrise du déroulement. La dernière
affaire d’hyperterrorisme, pour
reprendre l’expression de l’expert passionnant Roland Jacquard, confirme la
sombre tournure de l’humanité barbare.
13h15.
Matinée studieuse à sortir la biographie détaillée de Léautaud pour l’afficher
face à mon bureau : ainsi j’espère pouvoir jongler avec les repères
existentiels de l’écrivain et mieux ressentir dans le contexte ses états
psychologiques.
Effroyable
carambolage près de Poitiers. Morts et blessés dans l’enchevêtrement de taules
froissées exacerbent un peu plus mon aversion pour ce mode de transport, engins
de mort laissés à la disposition de tout un chacun sitôt un permis sommaire
passé. Tant que la population ne consentira pas à rogner un peu sur ses
libertés individuelles, on devra se résoudre à ces massacres routiers aussi
aléatoires que les catastrophes naturelles.
Oublié
d’indiquer la joyeuse soirée de vendredi entamée avec ma BB, Joëlle et son
compagnon Charly chez moi pour un repas riche en conversations, puis poursuivi
dans un café-boîte très confortable du vieux Lyon. Nous retrouvons là Elo et
Jérôme entourés de quelques accointances agréables. Les quatre chenus au milieu de cette jeunesse
estudiantine : cela a galvanisé ma fibre délirante pour amuser la troupe
nocturne. J’étais vraiment dans un moment inspiré pour transcender dans le
déconnage cette réunion improvisée. Ma BB a décidément un très bon effet
psychologique sur moi.
Mercredi 6 novembre, 1h du mat.
Ce qui
mérite les louanges dans la démarche de Tapie, c’est de savoir imposer le
respect de tout invité par le public, y compris du plus décrié comme Marine Le
Pen. Il a su calmer les huées et cadrer l’échange dans les strictes limites du
sujet (« le talent se transmet-il génétiquement ? »). Sa joute
verbale avec le père, il y a quelques années, confère à son comportement envers
la fille d’autant plus de mérite.
23h30.
Transports routiers, ferroviaires et aériens au centre des gourmandises de la
Camarde : carambolage dans un brouillard enfumé ; incendie et fumées
toxiques dans un wagon-couchettes ; écrasement d’avion au Luxembourg par
purée de pois funeste.
Jeudi 7 novembre
L’enfilade
des jours donne le tournis, mais j’essaie d’optimiser le temps pour le travail
préparatoire à ma thèse.
Sur
Internet pour consulter mes messages dans une BAL, je suis abordé par écrit par
une Natacha75, de 30ans, en quête de l’âme sœur. Je lui révèle ma situation
sentimentale, mais n’interdis pas un lien amical. Elle tient une galerie de
peinture, peint elle-même, et vient visiter son père, nouvellement installé à
Lyon, ce week-end. Son regard critique sur la capitale des gaules rejoint
l’archétype caricatural maintes fois entendu. En dehors de cette discordance,
Julie, de son vrai prénom, s’avère vive et passionnante. Nous l’inviterons
vendredi soir à nous accompagner au Club 30 que Bonny embrasera, sans nul
doute. Ma tendre BB ne s’est point offusquée de cette invitation. Cela me
conforte dans mon lien avec elle. J’ai sans doute besoin d’autres pôles
féminins pour assouvir mes penchants séducteurs, mais je ne lui substituerai
aucune de ces demoiselles. Cela doit demeurer comme des points d’accroche affectivo-amicale,
sans égratigner mon lien dual.
Vendredi 8 novembre, 23h
Sortie
en duo au club 30 pour retrouver les joyeux Eddy et Bonny.
Ces
points d’ancrage lyonnais ne doivent pas occulter l’extrême dérive mondiale,
avec ses perspectives d’hyperterrorisme cataclysmique.
Les
quelques à-coups sanglants depuis le 11 septembre ne seraient que de mièvres
amuse-gueule à côté du festin macabre en préparation. Fantasme d’experts
paranos ou sagesse lucide et précisément informée ? Nous étions si loin
d’imaginer pareil chaos sur le sol américain que l’au-delà de nos repères
occidentaux, dans le sacrifice meurtrier, doit s’inscrire dans l’extrême
motivation des enfants sauvages de Ben Laden.
Hitler
restera comme l’incarnation du pire paroxystique à la tête d’un Etat au XXe
siècle ; Ben Laden s’est-il forgé comme l’icône infernale à la tête
spirituelle de multiples mouvances terroristes incontrôlables pour le XXIe
siècle naissant ? La forme même de nos sociétés risque-t-elle de sombrer
par leur incapacité à enrayer de tels déferlements de tueries aveugles ?
Peu de
motif à rigoler... finalement.
Se divertir un minimum pour échapper un
instant aux traits nauséeux de l’humanité, voilà le feu qu’il reste.
Le
Manus X touche à sa fin...
3h30.
Retour du Club : plein au point que les volutes de fumée tenaient lieu de
mélasse imprégnante. Toujours beaucoup de complicité avec nos deux amis.
Dimanche 10 novembre
12h55.
Texto d’Ornelle nous invitant à partager alcool et boustifaille chez Jérôme...
Obligé de décliner la très tentante proposition : nous dînons chez une
tante de BB (sœur de son papa) à Craponne. Ce n’est que joyeuse partie remise.
Ornelle m’apprend sa brouille avec Cécile, une de ses grandes complices estudiantines,
après la soirée partagée dans un pub confortable, il y a quinze jours. La
cause : une bouderie persistante de la demoiselle lors de cette si
agréable réunion, collée à son petit ami, et le reproche fait à Ornelle d’avoir
invité un de ses ex, depuis ami, et moi-même (!) qui n’ai jamais eu un
quelconque commencement d’histoire sentimentale avec elle, même si ma vie
intérieure a donné lieu, une fois, à un épanchement en ce sens. Une conception
exclusive et tranchée de la relation chez cette Cécile qui mérite donc une mise
en quarantaine.
J’ai
renouvelé mon appréciation très positive sur Jérôme, et je suis aujourd’hui, au
tréfonds, en parfaite adéquation avec ma position affectivo-amicale envers Ornelle.
Ô combien est préférable cette saine clarté, dans l’intime souhait du meilleur
pour ceux qu’on aime amicalement, même si la position antérieure s’est hasardée
à de plus proches perspectives. Le contexte prime et, en l’espèce, mon amour de
BB et le formidable duo Ornelle-Jérôme ne peut laisser le moindre doute vaseux.
Pérenniser ce lien dans les bornes qui s’imposent. Les masturbations cérébrales
de cette Cécile salissent ce qui s’est installé comme complicité partagée.
Lundi 11 novembre
Six
heures de convivialité chez ce couple d’octogénaires dans une splendide forme.
L’appartement dans lequel ils ont installé leur nid confortable se situe au
centre de Craponne et possède une belle terrasse, hier détrempée par la bruine
incessante.
Dans
l’ascenseur, je remarque que l’habillage de la plaque de desserte est le
même que celui de l’immeuble de Sandre, avec neuf étages indiqués pour des
bâtisses beaucoup moins fournies en hauteur. Aurais-je pu imaginer que ce signe
anodin préparait un lien beaucoup plus singulier ? Au cours de l’apéritif,
je m’intéresse à l’activité de l’oncle Humphrey. Première surprise : il
exerçait à Rhodia Séta, filiale de Rhône Poulenc, à la conception d’énormes
machines destinées à produire, notamment, du nylon, dont l’entreprise a eu le
monopole par brevet pendant quinze ans. Je lui confie alors que le père
d’une ex petite amie, avec qui j’ai eu de longues conversations, était
commercial dans cette même maison. Le regretté Jean R. étant de la même
génération, je m’enquiers de savoir, malgré l’énormité de la société Rhodia à
l’époque et des secteurs différents de leurs activités, s’il l’avait connu. Il
me cite alors Robert R., qu’il connaît bien, le frère de Jean ! La
filiation est faite : je ne connaissais qu’un couple à Grézieu, les R., et
la famille du frère à Craponne, et voilà Sandre et BB réunies par cet
invraisemblable hasard des correspondances !
La
dernière heure de conversation, après minuit, a laissé les hommes sur la berge,
dans un assoupissement sporadique.
Mardi 13 novembre
L’inertiel
mammouth de l’Education nationale ne s’encombre pas d’une gestion
efficace du paiement de ceux qu’il a utilisés. En juin dernier, j’ai surveillé
divers examens : alors que le personnel du public est rémunéré selon le
taux des heures de cours, nous autres du privé devons quémander le
remboursement des frais engagés. A ce jour, toujours rien sur le compte !
Dossiers de demande remis en juin, cela ressemble à un traitement
soviétique !
Jeudi 14 novembre, 0h15
Les
souffles de la nature tournoient sur la place de l’Europe, contraignant les
feuilles à un ballet improvisé. Ma BB s’est assoupie et je retarde mon sommeil
par cette attractive glissade encrée.
Le
monde n’est vraiment pas beau : le terrorisme n’a jamais été aussi
menaçant sur les pays européens, d’après tous les services de renseignement.
Les Ben ladénistes nous concocteraient un Noël sanglant, avec cheminées
piégées, cotillons chimiques et cadeaux empoisonnées. L’icône islamiste motive
les tarés des quatre coins du globe et a d’ores et déjà gagné la bataille
médiatico-historique : s’ériger comme l’une des figures de proue du pire
au XXIe siècle... et nous n’en sommes pourtant qu’au début. Bien
après sa mort charnelle, cérébrale, il survivra bien plus puissant dans le cœur
de dizaines de milliers d’extrémistes musulmans. Il ne faudrait pas que la
contagion benladéniste gagne les musulmans dits modérés :
nous aurions sinon en France la plus terrible des guerres civiles, dépassant
dans l’horreur les prévisions les plus pessimistes des droites extrêmes.
Espérons que cela demeure fantasme de jusqu’aux boutistes marginaux.
L’humanité
renifle de plus en plus la charogne écœurante. Une bonne bourrasque pour
nettoyer ses défécations quotidiennes décortiquées par Big Média, réclamerait
le ronchon de service.
Le
velouté du Clairefontaine ne peut occulter la râpe du monde.
Dimanche 17 novembre
Une
fin d’après-midi studieuse pour ce jour du seigneur, alors que ma BB s’en est
allé au cinéma. Le cinq décembre prochain, nous fêtons un an de quasi vie
commune, et l’entente ne faiblit pas. Moi si sauvage, si insatisfait, si
inconstant en amour, je me vois pour un chemin prolongé à ses côtés.
Hier,
je l’ai accompagné chez des cousins pour l’anniversaire de leur fille M (dix
ans) dont elle est la marraine. Gentillette réunion, mais s’étirant un peu trop
avec le type de conversation qui ravive ma fibre misanthropique : la
voiture, les trajets effectués, les coins perdus critiqués, les anecdotes
éculées… des échanges de surface sur l’espace et sans profondeur. Malgré la
vivacité de l’humour du mari, j’ai rapidement attendu le moment du départ.
Impossible vraie complicité avec ces gens ; point de jugement méprisant,
mais le constat de deux univers intellectuels inconciliables. Peut-être aussi
n’étais-je point motivé pour séduire par la conversation l’un des hôtes.
Si, en face, je ne peux me nourrir des propos, je me cantonne à la
posture de témoin poli.
A
faire mes allers-retours entre l’écriture de mon Journal et la lecture
de celui de Léautaud, entre praticien et théoricien de l’écriture diariste, je
donne un relief davantage ressenti à mes approches. Nombre de ses réflexions me
ravissent par leur naturel à prendre à rebours le bien-penser. Je ne suis pas
sûr d’avoir les mêmes incisives inspirations.
Les
quelques récréations accordées pour taper l’an 2000 me replongent dans un bien
sombre état psychologique : je devais probablement forcer le trait de
cette démotivation générale par défoulement.
Le gag
éditorial se prolonge comme prévu : toujours pas reçu le contrat d’édition
pour la publication du Gâchis. Bien sûr Heïm me justifiera, le temps
venu, cette nouvelle promesse non tenue, et il légitimera sa gestion du dossier
éditorial à ses proches sans que rien ne leur apparaisse anormal…
Pathétique seconde partie d’existence, tout de même… Et même si la publication
est effectivement réalisée un jour, cela ne pourra occulter ces atermoiements,
volte-face et double discours qui auront jalonné ses manipulations depuis un
engagement pris il y a deux ans et demie.
Lundi 18 novembre, 23h20
L’effervescence
médiatique autour de l’inspection en Irak sur résolution de l’ONU va s’intensifier
jusqu’au huit décembre, date à laquelle Saddam Hussein, ou l’un de ses trois
sosies, devra remettre aux inspecteurs onusiens la liste des sites militaires.
Entre attentats menaçants et guerre planante, notre fin d’année n’annonce aucun
espoir d’une humanité meilleure. La sérénité de vie devait être plus accessible
lorsque le tout-information n’insufflait pas ses vagues désespérantes des
malheurs du monde.
Oublié
de noter ma réception, il y a quelques jours, d’une carte de Sandre, épouse A.,
qui, au-delà des politesses convenues, souhaiterait récupérer les quelques
ouvrages que j’ai en dépôt chez moi, et notamment les Lagarde et Michard !
Aucune allusion à ma carte leur souhaitant mes vœux de bonheur… Son penchant
matérialiste se porte bien en tout cas. J’ai proposé à BB qu’on les invite à
dîner chez moi pour l’occasion, mais finalement je me contenterai d’une
entrevue rapide avec remise des ouvrages. J’avais lancé à Sandre la proposition
de sorties à quatre il y a quelques mois, qu’elle n’a jamais relancée. Ses
seules manifestations à mon endroit ont, pour l’essentiel, tenu, depuis deux
ans, à des besoins matériels précis. Je n’éprouve pas assez d’attachement pour,
à chaque fois, la relancer amicalement. Je lui laisse donc l’initiative.
Même
démotivation pour Liselle qui, depuis son histoire sentimentale, a distendu,
voire anéanti, les rapports amicaux émergents.
Finalement,
un bon ménage à faire dans les accointances artificielles : les Liselle, Aurélie,
Christelle, Emilie – ces deux paires rencontrées une année l’autre à Royan avec
Karl – les Muriel, Annie et Marjorie du parc sans fidélité amicale. Le temps
doit être le seul garant de la qualité des relations qui s’amorcent. Lyon m’a
permis le lien avec de vrais amis, fiables et volontaires : Ornelle et Jérôme,
Bonny et Eddy, Joëlle…
Mardi 19 novembre
Suite à des investigations médicales pour découvrir
la cause des céphalées aiguës d’Ornelle : elle est hospitalisée à l’hôpital
neurologique boulevard Pinel. Je dois y passer en début d’après-midi (Shaïna
sera présente) pour la soutenir un chouia dans cette nouvelle épreuve. Espérons
que la ponction lombaire révélera l’origine de ces maux.
23h40. Ma BB encore au travail cette nuit. Une tendre pensée pour elle.
Vu Ornelle et sa maman à l’hôpital neurologique de
Lyon, énorme complexe de soins. Mon étudiante préférée un peu pâlotte, mais
visiblement enjouée par ma présence et mes déconnages
déstressants. Elle se retrouve à
l’unité 402, lit 13 dans une vaste chambre à deux. Face à elle, une gentille
dame aux mouvements de tête involontaires. Nous assistons à l’interrogatoire
classique de l’interne, puis sortons pour une auscultation corporelle. La
ponction aura lieu demain, suivie d’une immobilisation de vingt-quatre heures.
Avec un caractère aussi impatient et bouillonnant, l’épreuve se situe bien dans
la seconde partie du séjour pour Ornelle. Jérôme nous rejoint en fin
d’après-midi : nous les laisserons tous les deux pour qu’ils profitent un
peu d’un tête-à-tête de veille d’intervention.
Au cours de l’après-midi, à deux ou trois reprises,
Madame Cargeaud me gratifie de gentillesse concernant mon impact sur la gente
féminine, au point que je le perçoive comme une légère défiance vis-à-vis de
BB. Il faudra que j’essaie de comprendre les coulisses par le biais d’Ornelle, plus
tard…
Mercredi 20 novembre
Alors
que je donnais un cours particulier de français, ce matin, une idée force de ma
thèse m’est venue : démontrer que le Journal littéraire de Léautaud
a bien le statut d’une œuvre à part entière et, à travers lui, le genre
diariste, en ce sens que sa lecture peut se suffire à elle-même dans les
éléments apportés, qu’il n’est pas nécessaire d’aller vérifier ou compléter par
l’extérieur. Le champ autarcique déterminé par la subjectivité de celui qui le
tient suffit à rendre autonome du réel un écrit qui y puise pourtant sa
matière. Le roman prend prétexte du prisme imaginatif, le journal revendique
son approche parcellaire et orientée.
La
barbarie des religieux, des israéliens aux palestiniens du Proche-Orient
jusqu’aux catholiques et protestants de Belfast, démontre l’effroyable
dangerosité de se soumettre à une idéologie, quelle qu’elle soit, et de ne
vivre qu’à travers elle. Cela constitue la première des immaturités de l’espèce
humaine.
Jeudi 21 novembre
Cette après-midi, encore un passage à l’hôpital
neurologique pour suivre l’après ponction lombaire d’Ornelle. Accompagnement de ma
BB, nous découvrons une malade revigorée, les joues presque roses, la douce
Shaïna à ses côtés. Agréable moment partagé, se concentrant par une partie
d’échec endiablée (avec une stratégie du carnage réciproque !) entre Ornelle et moi. De quoi surchauffer le liquide céphalo-rachidien ! Elle sort
demain et passera un week-end cocooning à Saint-Cyr, avec un Jérôme aux petits soins, ses
parents étant conviés (avec les provisions nécessaires) dans une commune de
l’Aisne pour fêter le Beaujolais.
Hier, message sur mon portable de Heïm qui, de
façon pour le moins incongru, commence par un « bonjour, c’est
papa ! ». Un peu, beaucoup déplacé aujourd’hui. Cet entêtement à
faire de l’affectif m’irrite. Je préfèrerais des rapports amicaux efficaces
dans les engagements pris. Son appel concernait une chose que j’aurais dû
recevoir… peut-être, enfin ! un exemplaire du Gâchis, avant tirage ! Sans doute un peu trop
irrespectueux comme ton… l’intimité du Journal doit tout me permettre ; c’est à cette
condition essentielle que l’écriture conserve un sens. Cela permettra de
rééquilibrer l’approche laudative des années 90.
Vendredi 22 novembre
Encore une manifestation de Heïm qui prouve que
nous n’avons plus du tout la même optique dans le rapport à l’autre. J’attendais
un contrat d’édition promis, voire un exemplaire prototype du Gâchis (puisqu’il m’annonçait hier, par message, un paquet) : je reçois
deux nouveautés de ses activités éditoriales. L’Histoire
d’Au et Le
Pieu chauvache ! M’adresser
la monographie d’une commune dont je me suis éloigné par suite de divergences
existentielles avec le seigneur en place, et l’une de ses œuvres relookée, alors que j’ai cessé de m’immerger dans sa littérature suite aux
distances intellectuelles éprouvées, cela relève soit d’une insidieuse
intention, soit d’une inconscience totale de l’évolution de notre rapport. Finalement,
le contraste entre ce que j’attendais et ce que j’ai reçu m’amuse pour la
relation de ces manifestations sporadiques. Je ne vais point m’en formaliser.
J’attends toujours…
Mauvaise nouvelle : Ornelle reste hospitalisée ce
week-end suite à la découverte, dans le prélèvement, d’un problème viral
pouvant déboucher sur une méningite. Soins draconiens qui nécessitent son
maintien dans l’unité neurologique. Je passerai demain après-midi pour la
visiter après avoir réveillé ma BB qui travaille de nuit tout ce week-end.
Rectification : eu Sandre au téléphone ;
si elle n’a pas relevé mon invitation à des rencontres de couple à couple, cela
tient au souhait de son mari, ce qui peut aisément se comprendre. Eu Liselle au
téléphone après réponse par courriel à mon message. Les plans professionnel et
sentimental ne vont pas au mieux, ce qui explique son repliement et l’absence
de nouvelles. Très heureuse de m’avoir, je l’ai invitée à venir à Lyon mi ou
fin décembre. A suivre…
Je retrouve au Red
Lions, pub de la rue Mercière, Eddy
et Bonny (qui y chante) à partir de 23 heures de soir. Une sortie joyeuse, mais
sans ma tendre.
Samedi 23 novembre
Eu cette fin de matinée Sandre, mariée A., qui
passe chez moi pour récupérer quelques bouquins en ma possession (la collection
Lagarde et Michard ainsi qu’un Bled). Sans doute une tendance familiale à la
primauté du matériel, avant même toute considération psychologique. Sa Mad
recherche un ventilateur que je détiens, Sandre m’en fait part et je me propose
de lui rendre. Pas le panache de me le laisser pour services
rendus et affection passée. Pas grave,
mais dommage.
Sandre est repartie avec ses biens. Plaisir de la
revoir et d’avoir quelques nouvelles éparses : la brouille avec sa tante
jalouse jusqu’à la haine, le mariage de Jacques D. quelques temps
après le suicide d’une ex à problèmes, sa recherche professionnelle d’un
cabinet médical, etc. Elle me confie la raison du refus de son mari d’une
poursuite d’un lien amical avec elle : j’apparais comme l’amour passé
ayant compté et mon profil universitaire suscite un complexe d’infériorité chez
le jeune homme (titulaire d’un bts
et d’un diplôme de visiteur médical). Une forme de rapport à l’autre bien loin
de mes critères. Je m’éclipse donc pour la pérennité de leur couple.
Formidable soirée avec Eddy, Bonny, Jean-Christophe
(un de leurs amis), Sabrina et Marie (deux femmes joyeuses rencontrées au Red Lions. Belle bande pour du déconnage haute volée qui
s’achève à six heures du matin.
19h30. De retour de l’hôpital. Phase des injections
par perfusion goutte à goutte de divers produits devant améliorer la santé
d’Ornelle. Le hic : une qualité veineuse moyenne qui rend l’installation du matos médicamenteux délicate ; par ailleurs, Ornelle souffre le martyr des
brûlures intraveineuses occasionnées par ces liquides de soin.
Dimanche 24 novembre
Un sommeil réparateur en solitaire, un petit
déjeuner sur les images enregistrées de Nicolas Hulot en aparté, avant un
ménage imposé. Grande intelligence, mêlant une réactivité judicieuse et
l’attachement inaltérable à des convictions vitales pour l’humanité. Appris, pour
l’anecdote, que le M. Hulot de Tati n’était autre que son grand-père
architecte.
20h30. La culture hospitalière du « il faut
souffrir pour guérir » n’a pas été totalement éliminée. L’intention
s’affiche à l’hôpital neurologique de Lyon, mais Ornelle m’apprend, lors de ma
visite dominicale, que les douleurs d’hier auraient pu être évitées si
l’aide-soignante avait adapté la délivrance des produits au terrain veineux fragile de la malade. En l’occurrence d’établir une
transfusion successive et non cumulative des trois solutions. Incompétence,
laxisme, fainéantise ? Les larmes de souffrance d’Ornelle resteront comme
l’image forte de mes différents passages à son chevet.
Ma BB attaque sa dernière nuit du week-end, et je
témoigne ici d’une douce pensée pour elle.
23h50. Enfin ! Coup d’accélérateur pour la
parution du Gâchis. Réception d’un courriel de Heïm me demandant une
courte notice biographique (je prends conscience à l’instant de l’omission de
la mention du mémoire de lettres édité en 1996), une quatrième de couverture et
une photo récente. Par souci de ne pas laisser traîner en longueur cette
nouvelle impulsion, j’ai envoyé le tout par retour aujourd’hui. Fin de semaine
prochaine je dois recevoir le contrat d’édition, alors qu’au début le bon à tirer me sera déjà parvenu. A moi de le retourner avant
la fin du mois si je souhaite une sortie avant Noël, deux ans après celui de ma
trentaine qui devait voir naître cet ouvrage. Prudence donc, mais je ne vais
pas me priver de cet aboutissement peut-être proche. Ma position reste
claire : je ne regrette pas les années du Gâchis, et je ne vais pas m’interdire sa publication même
si je critique aujourd’hui une vie et un alentour dans lesquels je me suis
beaucoup engagé.
Jeudi 28 novembre
Discours très alarmiste de trois têtes pensantes ce
soir dans C dans l’air, dont je deviens un fidèle téléspectateur. Les
frappes et la menace d’Al Quaïda vont décoiffer. Roland Jacquard n’était pas là
pour ajouter sa touche d’informations de première main, mais le trio a su
captiver par la terreur inspirée. Parmi eux, un éducateur d’origine algérienne,
plongé au cœur des banlieues difficiles, a l’honnêteté de reconnaître la
complaisance pour le moins, et l’approbation clamée au pire, du monde musulman
à l’égard de l’icône Ben Laden. Voilà une version qui contredit sans
circonvolution les sérénades pontifiantes et soporifiques assénées ces derniers
mois sur la prétendue défiance de la très grande majorité (voire la
quasi-totalité) des musulmans concernant le saoudien islamiste. Les nombreux recruteurs de fous
de dieu opèrent en autonomie, sans se
connaître les uns les autres, dans l’ombre des quartiers difficiles, ces
fameuses et si longtemps tolérées zones de non droit. L’impact de leur
endoctrinement est tel qu’ils parviennent à convertir pour l’Islam le plus
rigide des caïds de quartier ayant versé dans les pires péchés : trafic de
drogue, racket, vols, viols, etc. Leur faire miroiter l’homme nouveau qu’ils peuvent devenir, sans adopter une posture
critique sur leur passé, démultiplie les chances de grossir les rangs des
futurs kamikazes. Et tout cela sur notre territoire. Imaginons que cinquante
mille d’entre eux décident de passer au massacre à l’aveugle : le chaos de
la guerre civile menacera notre mode de vie et les fondements de la société. Il
faudrait alors les voir en première ligne tous les humanistes tolérants au
ventre mou.
Dimanche 1er décembre, 0h40
Bons moments familiaux chez maman pour fêter les
anniversaires de Jean et Jim. Un midi pour les débats enflammés sur les sujets
classiques qui opposent, notamment l’opportunité ou non d’une politique
sécuritaire. Les camps se forment : Jim et BB contre maman et moi, Jean en
observateur partagé ; l’après-midi, visionnage du Barber et parties d’échec (initiation de Jean) ; une soirée, avec
Aurélia qui nous rejoint, s’achevant dans un bœuf musical spécial de Palmas. Jim à la guitare, Jean
à la percussion, maman à la caméra, Aurélia à la manipulation des cd, BB à l’endormissement, moi au chant
et au tambourin : de La
dernière année au Gouffre, en passant par Sur la
route, Comme
une ombre et Sans
recours, la virevolte mélodique a
comblé.
Eu hier Aurore au téléphone : elle a accouché
le 19 novembre d’un petit Aris que nous découvrirons lundi à Paris. Mon premier
amour devenu maman ! Cela fait tout de même un curieux effet…
Lundi 2 décembre, 22h
Le tgv
en nocturne, ma BB blottie au coin de son siège, je laisse revenir en vagues
immergeantes les bons moments de ces trois jours. Une sérénité qui porte sans
doute préjudice à la créativité littéraire, mais je dois m’obstiner à l’élan
diariste. Emotion, tout de même, en fin d’après-midi chez Aurore, le petit
Aris, né le 19 novembre, la bouche accrochée à son sein… Nous étions invités à
passer dans son réduit parisien qu’elle doit quitter prochainement pour un F3
dans un HLM Porte des Lilas. Son compagnon fait de spectaculaires progrès en
français, et la nouvelle maman rayonne de bonheur à s’occuper de son
nouveau-né. Nous en venons à évoquer très brièvement nos propres intentions en
la matière : j’apprends que ma BB espère une première tentative l’été
prochain. Pourquoi pas… finalement. Le temps passant, la certitude d’une
relation s’ancrant, je peux envisager un tel bouleversement dans l’engagement
humain.
Le week-end prochain s’annonce festif
(malheureusement sans ma BB). La fête des lumières s’illuminera de la présence
d’une bande de charmantes demoiselles : Louise la sœur, Fanny, Aude et
peut-être la luminescente Mylène, auxquelles s’ajouteront mes chers amis Ornelle,
Shaïna et Jérôme. De quoi rendre guignolesque une soirée de croque-morts.
Heïm a de nouveau tout en main suite à ses demandes
par courriels : envoi vendredi d’une disquette avec la version atténuée du
Gâchis corrigée dans sa mise en pages et accompagnée d’un
index.
Nouvel éclairage sur son exploitation des défauts
de ses proches, sous couvert d’un esprit de dérision qu’il se targue de
s’appliquer à lui-même. Mon père vient de se libérer, grâce à un cardiologue
inspiré, d’un problème pris depuis trente ans comme une tare insoignable et
honteuse. En immense amitié avec Heïm à l’époque de sa vingtaine, il avait
confié cette gêne digestive qui lui faisait remonter une partie de ses
aliments, obligé alors de les mâcher à nouveau à la façon d’un ruminant. Cette
confidence aurait dû rester à ce stade ou, éventuellement, permettre de
recevoir un conseil judicieux pour y mettre un terme. Or, non seulement
l’épanchement ne fut suivi d’aucune recommandation, mais Heïm se servit du
secret pour ridiculiser mon père dans ses portraits au vitriol lors de repas
catharsis. Finalement l’affaire était totalement bénigne, parfaitement
résorbable, mais l’impact psychologique a fonctionné comme un carcan inhibiteur
jusqu’à ce récent conseil médical. Illustration d’une certaine gestion de
l’être humain avec pour seule ligne de mire : servir ses intérêts.
Mardi 3 décembre, 23h50
Après-midi un peu tendue dans l’enseignement de la cmc aux postulants bac pro 2002-2004. Un
auditeur de sexe indéfini se permet quelques réflexions ironiques : je
fonce immédiatement dans la brèche pour percer les purulentes allusions. Je
dois malheureusement censurer ma réactivité qui ne peut aller jusqu’au
charcutage verbal du fumiste qui se croit malin. Ma fibre misanthropique
revient alors très vite et la haine qui me submerge pourrait me conduire à
l’irréparable si je ne m’en remettais pas à la raison. Ces niches à médiocrités
humaines m’écœurent… mais le devoir pédagogique avant tout.
Trop alarmiste sans doute, mais je n’ai plus de
nouvelles de Heïm depuis que je lui ai envoyé les éléments pour la publication
du Gâchis. J’espère que cela n’augure que la préparation
technique du tirage. A défaut, il passerait vraiment, à mes yeux, pour un
pignouf affabulateur. Je ne peux y croire… à moins que cette stratégie de la douche froide soit la sanction allouée pour mon éloignement
affectif. Je ne peux croire à cette nouvelle désillusion…
Jeudi 5 décembre, 0h…
Un an avec BB aura optimisé mon ancrage lyonnais et
fait renaître la croyance en une dualité sans sacrifier mes affections. Je
l’emmène ce soir dans un bon restaurant de poissons, avant son week-end
laborieux côté nocturne.
Finalement, ma gueulante littéraire d’hier contre
Heïm semble abusive. Le bon à tirer final devait m’être expédié aujourd’hui.
L’ouvrage paraîtrait avant la fin de cette année.
Vendredi 6 décembre, 22h25
Les
visiteuses de la fête des Lumières tardent à paraître pour partager quelques
amuse-gueule suivis de poisson… la sonnette !
Samedi 7 décembre, 9h45
Aude,
spécialiste de la restauration de mosaïques antiques, Maud, demoiselle autour
de la vingtaine qui collabore au musée, et Louise, la sœur de ma BB, sont
finalement parvenues jusqu’à mon antre. Romy, arlésienne elle aussi, les
accompagnait, mais a dû nous quitter rapidement pour retrouver son compagnon Michel
sis chez un oncle à Saint-Didier au Mont d’Or.
Le
poisson en papillote de BB nous a régalés et le week-end s’annonce joyeux.
Evocation des tares du système public qui entretient à vie quelques
incompétences reconnues d’inutilité professionnelle, désespérant ceux qui se
passionnent pour leur activité. Le conservateur-directeur du musée précité, et
sa clique d’agents techniques gras du cortex, leur infligent ce je m’en
foutisme institutionnalisé au quotidien. Il n’y a pas que dans les banlieues
chaudes que l’impunité zéro doit être appliquée…
Reçu
hier un appel de Sally qui se demandait si nous aurions le temps de déjeuner
avec elle à Paris lors de notre passage. J’ai argué du planning, portefaix
d’engagements divers, pour décliner l’offre. La réalité complémentaire tient à
une incompatibilité d’humeur avec BB. Sally, en contradiction avec l’harmonie
phonique, m’incite à n’entrevoir que des rencontres isolées, sans BB, et donc
forcément plus rares.
J’ai,
en revanche, invité Karl à venir partager la transition annuelle avec la bande
lyonnaise. C’est bien le seul de l’ex famille affinitaire avec qui je n’ai
aucune gêne relationnelle. Sa grande qualité : n’avoir jamais cherché à
imposer, par la pression psychologique et par le sous-entendu perfide, sa
conception de ce qui doit faire l’entourage et la vie sentimentale de ceux
qu’on prétend aimer. Déviance insupportable chez Heïm, Sally, etc.
Ce Journal
ne peut prendre sa dimension que par les deux tendances extrêmes réunies en
perspective : dix ans d’engagement forcené et laudatif, et cette nouvelle
ère du regard critique, lui aussi, sans doute parfois, outrancier. Cela s’érige
pourtant comme une nécessité pour contrebalancer l’époque première, et comme un
instinct stylistique propre au diariste pamphlétaire. Pourquoi épargnerais-je
ceux que j’ai côtoyés aussi pour le pire alors que je n’ai jamais éludé
l’autocritique féroce ? Impératif purgatif en quelque sorte.
Une
tendre et apaisante première année avec ma BB (qui fait dodo pas loin après son
travail nocturne) fêtée avant-hier par de petites attentions réciproques et un
gueuleton de poissons au Deck, rue Tupin à Lyon.
Un
texto… je rejoins le trio féminin deux étages au-dessous.
Lundi 9 décembre, 0h02
Pour
un peu, je deviendrais philanthrope : des hôtes adorables, des amis
complices et ma tendre BB qui me rejoint à l’aube dans mon dodo. Un week-end
des Lumières en phase avec un très réel épanouissement non béat. Cette dimension
d’existence, si modeste soit-elle, m’offre de plus salutaires relations que
celles cultivées dans de plus confortables lieux.
A
noter l’extrême et si gratifiante complicité d’Ornelle, Jérôme et la délicate
Shaïna lors de la joyeuse soirée du sept, où la dizaine de personnes présentes
a marqué mon antre lyonnaise du sceau de la pétillante convivialité. Une fin un
peu éprouvante tout de même : la promenade nocturne dans Lugdunum illuminé
a été de trop pour Ornelle. Sa récente ponction lombaire a laissé des séquelles à
retardement : au début de la rue Mercière, alors que nous (avec Shaïna et
Jérôme) devions rejoindre le Saint-Louis pour écouter l’enthousiasmante Bonny,
Ornelle éprouve un malaise et des douleurs aiguës s’affirment dans le dos.
Impossible d’aller plus loin, aucun taxi disponible, il faudra toute la
gentillesse d’Eddy, de retour d’une bouffe à Bron, pour un rapatriement en
urgence devant chez moi. Là, récupération de leur véhicule direction Saint-Cyr.
Pour Eddy et moi, le Saint-Louis en ligne de mire, toujours plein à déborder.
Emotions diverses donc.
Dimanche 15 décembre
Encore
une démonstration du terrorisme intellectuel chez Ardisson avec le duo incongru
Joey Star-Romain Goupil qui tentent piètrement de faire passer la thèse du
polémiste Combaz pour ce qu’elle n’est pas : la voix de l’intégrisme
catholique et de l’extrême droite. L’inaltérable Kerçauson a bien senti la
justesse d’analyse de l’auteur d’Enfants sans foi ni loi. La mauvaise
foi du Goupil qui sait déceler les messages subliminaux terrifiants, ignobles
et puants par une lecture « en creux », et les éructations dérisoires
de Joey Star entretiennent les fadaises du Pote système avec sa pseudo
tolérance et son vrai sectarisme dès qu’on porte atteinte aux postulats
idéologiques ambiants.
Reçu
jeudi, enfin ! la version éditable du Gâchis avec une vraie et
belle couverture en couleurs : choix judicieux du Christ portant sa croix,
de Victor Bosh, entouré de créatures hideuses et menaçantes… belle métaphore de
cette quasi décennie versée dans l’édition.
Avec
la pause de mes interventions à Forpro jusqu’au 6 janvier, je dois me concentrer
sur la thèse, et commencer l’élaboration d’un plan détaillé…
E-mail, 15 décembre
Objet : Réaction
Cher Thierry Ardisson,
D'abord merci pour la variété des invités qui se succèdent et
s'affrontent. Réaction à la diabolisation de Combaz : la description de
phénomènes que l'on constate tous les jours a donné lieu, notamment de la part
du détonant duo Star-Goupil, a des simplifications trop souvent ressassées. La
lecture en creux du Goupil vaut toutes les mauvaises foies du monde :
l'interprétation ahurissante de propos clairs donne envie de tirer les oreilles
aux rejetons de 68... quant aux éructations du Joey, elles amusent par leur
dérisoire. Kerçauson a encore une fois été magistral... dommage qu'il ne soit
pas resté jusqu'au bout pour un soutien encore plus déterminé à Combaz. Merci à
vous...
Mercredi 18 décembre, 0h40
Eu
Edith Silve hier au téléphone. Membre de l’association des Cahiers Paul
Léautaud, je souhaitais avoir des précisions sur l’envoi du dernier numéro et
le moyen de se procurer les anciens. Après quelques minutes, je l’informe de
mon projet de thèse. Elle se montre très intéressée et me situe lorsque je lui
rappelle l’objet de mon mémoire publié. Elle m’avoue trouver dommage que je ne
poursuive pas dans cette passerelle établie entre Heïm et Léautaud et se
demande si je vais vraiment trouver un angle neuf pour ma recherche sur le Journal
littéraire.
Elle
m’indique qu’aucune publication des passages censurés n’est encore possible, et
qu’elle est la seule habilitée à le faire. Elle doit, en ce sens, rester sur
ses gardes, car des plaintes en diffamation menacent la parution de ces
passages censurés. Elle me livre quelques exemples de ces attaques infondés de
Léautaud comme l’accusation de la famille de Mauriac d’avoir vendu leur résine
aux Allemands, sans rappeler qu’elle y était contrainte par l’occupant.
Autre
volet littéraire explosif dans ces impubliables, l’ondinisme
obsessionnel du misogyne, prenant corps dans une expression trop crue. Léautaud
le gros dégueulasse, en somme.
Pour
finir, et très gentiment, Edith Silve me propose d’annoncer mon travail de
recherches, de m’ouvrir les pages des Cahiers pour y faire paraître un extrait
de cette thèse et même d’informer de la parution du Gâchis, voire d’en
proposer un passage dans lequel Léautaud apparaîtrait.
Ma BB
est encore sur la brèche pour cette nuit.
Eu Ornelle qui a quelques soucis de gestion du relationnel sentimental avec Jérôme.
Espérons que ce n’est que passager. Pour le 31, ni Liselle, ni Karl, ni Patrick
ne peuvent s’associer à notre soirée. A cinq, la foire ne s’affadira pas pour
autant.
Jeudi 19 décembre, 0h15
Un
entêtement médiatique appréciable, pour une fois : après la vague
sécuritaire, la stigmatisation de la criminalité potentielle ou accomplie
d’automobilistes ordinaires. Raffarin et son ministre des transports de Robien
ont annoncé quelques mesures répressives, premier coup de latte juridique aux
dérives criminogènes des conducteurs. Piéton pour l’essentiel, et au quotidien,
j’observe cette frénésie agressive des pressés de la route qui vous
écraseraient pour grignoter quelques mètres plus vite. Quelle tartuferie
pitoyable que ces comportements aux antipodes de ce qu’on pourrait attendre
d’une civilisation dite évoluée.
Je
rejoins sans hésitation la position de Nicolas Hulot qui trouve bien plus de
sagesse et de maturité humaine chez les peuples semi-nomades de Sibérie, en
symbiose intelligente avec cet infini blanc, glacé, hostile, mais essentiel à
la philosophie respectueuse de la nature de ces peuplades. Quel cirque
lamentable que nos bouchons urbains au regard de ce vrai rythme existentiel. Et
toute cette agitation pour accumuler des biens sans utilité fondamentale. Etre
prêt à risquer la vie d’autrui pour combler ses envies accessoires : tout
le pathétisme effrayant de notre forme de civilisation.
Samedi 21 décembre, 0h15
Hier
après-midi, affalé sur mon lit, profitant d’une somnolence digestive, j’écris
ce qui pourrait constituer les trois grands axes de ma thèse et quelques thèmes
associés. La trame conductrice place le genre du Journal comme le plus
approprié, littérairement, pour approcher la complexité d’un alentour via la
subjectivité du diariste, lequel se révèle, entre constances et contradictions,
à sa plus humaine valeur, et trouve dans ce type d’écriture la meilleure caisse
de résonance à sa créativité littéraire. Le léger assoupissement permet parfois
d’utiles productions.
Hier
soir, arrivée de Louise pour son étape nocturne : elle repart ce matin à
quatre heures pour Le Cellier. […] Délicate attention de Laure qui, via Louise,
nous offre une bouteille de vin en remerciement de l’accueil à Lyon.
Un
week-end sous les meilleurs auspices, mais sans ma BB qui effectue ses
dernières nuits avant les vacances hivernales. Cette après-midi, je devrais
retrouver Ornelle, Shaïna et peut-être Jérôme pour les dernières emplettes de
Noël ; ce soir, je partagerai l’exceptionnelle viande du Restau-boucherie
avec Eddy et Bonny avant que ma chanteuse préférée ne se produise au
Saint-Louis ; dimanche soir, peut-être une amicale visite de Rose et
Sabrina rencontrées il y a quelques semaines au Red Lions.
Progressivement,
je tape dans Word ce qui constituera peut-être un jour A mon aune, le
deuxième tome de mon Journal pamphlétaire. Mars 2001, auquel je suis
rendu, marque le tournant dans mon sentiment émergé sur ceux que je baptise
désormais les « gens du Nord », mon ex famille affinitaire. Le fait
déclencheur, le non-respect de l’engagement éditorial à publier Un Gâchis
exemplaire relève, avec la distance, du prétexte en forme de détonateur. Le
regard critique couvait en fait depuis la fausse promesse de fiançailles faite
par Heïm à Sandre. J’ai là pris de plein fouet le jeu manipulatoire qui m’a
renvoyé à de bien plus anciens événements.
Ce
n’est pas la publication prochaine du Gâchis, en forme de clôture d’une
tranche essentielle de mon existence, qui va me faire changer d’un iota ma
récente perspective à décrier l’encensé d’hier.
Dimanche 22 décembre, 4h du mat.
De
retour du Saint-Louis où Bonny a donné de la belle voix face à un Yann plus
fluet de cordes. Pourtant la miss a dû laisser reposer l’organe fatigué de la
veille ce qui a nécessité l’annulation du Restau-boucherie. Nous nous
rattraperons à quatre le trente au soir dans un japonais à la cuisine légère.
Toujours
rigolo d’observer le comportement de certaines donzelles qui s’adonnent à la
danse provocante, avec des complices de piste pour frotter les chairs. Etonnant
de voir comment l’ondulation harmonieuse peut ennoblir des formes et une
silhouette un peu relâchées. La transfiguration par le rythme et la danse
révèle des personnalités peut-être mièvres dans la vie courante.
Lundi 23 décembre, 0h et quelques
poussières
Un
dimanche en reclus volontaire avant les grandes manœuvres relationnelles de la
dizaine de jours à venir. Seule ma BB est venue agréablement perturber ce
retranchement trente minutes avant son départ pour la dernière nuit de labeur.
TF1 a
perdu l’un de ses grands reporters à l’apparence si sympathique, le géant
Patrick Bourrat. Bousculé par un char de soixante-dix tonnes lors des
entraînements militaires américains au Koweït, il n’a pas survécu aux terribles
blessures. Curieusement, samedi, juste après l’accident, j’avais cru entendre
sur France Info que ses jours n’étaient pas en danger. Y aurait-il eu des
complications et un empirement soudain de son état ? Reste une veuve et
une petite fille à la veille de Noël… Les médias ont cette puissance de nous
rendre presque familier, jusqu’à une certaine forme de lien cordial unilatéral,
à ces chasseurs d’informations. Les hommages tous azimuts n’ont en tout cas pas
tardé.
Jeudi 26 décembre
Un
Noël convivial et chaleureux chez les B. Affective attention des parents qui
m’ont associé à la galerie des portraits de la salle à manger, au sein de leurs
enfants. Je m’intègre sans aspérité à cette tendre ambiance empreinte de
simplicité, mais aussi de conversations à très bonne tenue culturelle (les
connaissances historiques du frère François, notamment).
Une
gourmande infidélité à Léautaud pour cette fin d’année : BB m’a offert le
dernier Revel, L’obsession
anti-américaine. Je deviens un inconditionnel de cette plume d’une fluidité
argumentative sans pareille, à la référence intelligente, avec ce sens de
l’évidence qui contrecarre moult de nos idées reçues. Sitôt la relecture des
treize premiers volumes du Journal littéraire (j’entame le troisième) achevée,
je m’immergerai dans le pavé de la collection Bouquin qui rassemble
plusieurs des essais polémistes de ce vivifiant académicien. Envie trop forte
d’y replonger…
Samedi 28 décembre
Dans
le style un contre tous, la
conversation de jeudi soir avec la famille B m’a fourni un vif entraînement.
Le
sujet : les Etats-Unis et leur culpabilité dans la politique
internationale. Revel en grand inspirateur, donc. Je me fixe dans le rôle du
pro-américain critique, dénonciateur des complaisances à l’égard des
islamistes. J’ai un peu plus révélé ma personnalité à la famille B en espérant
ne pas les avoir trop choqués.
Le
contraste du doux rapport en quotidienneté avec ma BB et de la confrontation
hérissée dans les idées politiques, l’a inquiété sur l’oreiller… Cela
pourrait-il aboutir à une rupture de ma part ? Je n’accorde plus assez
d’importance à mes positions pour que cela dépasse le cadre de l’affrontement
ponctuel. Je prends cela presque comme un jeu, et au fond je m’en moque.
Pour
rester dans l’actualité suscitant le débat, la secte des Raéliens annonce le
premier clonage humain ; Nous n’aurons pas à attendre très longtemps pour
que la production s’industrialise et que les clones viennent réclamer un droit
à la vie comme pour tout être humain, s’insurgeant contre ceux qui veulent
interdirent cette pratique. Quelques décennies tout au plus. A moins que d’ici
là les instances de l’onu aient
des pouvoirs effectifs renforcés, avec de vrais moyens, pour éradiquer dans
l’œuf ces dérives scientifiques.
Peut-être
que le centenaire de la parution du Meilleur des mondes d’Huxley
coïncidera avec la maîtrise clandestine du clonage reproductif. Une bien
terrible façon de donner raison au roman visionnaire du britannique.
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